Le contexte et la décision
La Cour d’appel fédérale vient d’autoriser une femme de confession musulmane à participer à la cérémonie de citoyenneté vêtue du niqab.
Le gouvernement conservateur a décidé de contester la décision et de porter l’affaire devant la Cour suprême du Canada même si bien des avocats croient que le tribunal suprême du pays ne voudra même pas entendre la cause, tant le jugement de la Cour d’appel fédérale ne pose aucune question de droit qui soit importante ou urgente.
Parce que la décision de la Cour d’appel fédérale est d’abord et avant tout une réponse limpide à une affaire d’abus de compétence, une pure affaire de droit administratif, moins une situation touchant fondamentalement des droits et libertés.
Dans ce contexte, elle a jugé qu’une directive ministérielle interdisant aux musulmanes d’avoir le visage voilé lors de la cérémonie de citoyenneté allait plus loin que la réglementation actuelle, ainsi portait atteinte à la latitude conférée aux juges dans l’application de ladite réglementation.
Ce qui veut dire, grosso modo, que la Cour a considéré à peu de chose près ultra vires cette directive. Car elle allait au-delà de ce que lui permettait la réglementation. Elle était en dehors de sa compétence.
Comme l’écrit Michel C. Auger :
Ce qui est en cause aujourd’hui n’est pas le droit de quelqu’un de prêter serment le visage couvert, mais de savoir si une directive ministérielle peut supplanter le règlement qui encadre l’application d’une loi.
La Cour d’appel fédérale a jugé que la directive ministérielle voulant qu’on prête serment de citoyenneté à visage découvert était en conflit avec le règlement qui prévoit qu’on doit faire tout ce qui est possible pour rendre la prestation de serment la plus facile possible pour les nouveaux arrivants. Tout simplement.
Mais ce règlement est amendable par une simple décision du conseil des ministres. Et comme il y a un gouvernement en tout temps au Canada – même pendant les périodes électorales – il suffisait de bien vouloir le modifier. Sauf que tout s’est passé comme si le gouvernement voulait que la cause soit portée en appel, avec rebondissement inévitable durant la campagne électorale.
Michel C. Auger, Serment à visage couvert: un canon pour un niqab, ICI Radio-Canada, 20 septembre 2015
Il n’en fallait pas plus pour que la majorité de l’opinion publique réagisse vigoureusement contre l’islamisation de la société canadienne, et avec sa cohorte de commentaires à peine voilés de xénophobie et de racisme.
Intégrisme, fondamentalisme, radicalisme, islamisme, féminisme. Ces ismes de l’intolérance et de l’incompréhension
Cette décision est-elle la preuve d’une islamisation de la société canadienne?
Non. Les données recueillies montrent que moins d’un canadien sur dix est de confession musulmane. Selon Statistique Canada:
Non. L’immigration de culture arabo-maghrébine, perse, pakistanaise (etc.), ne permet pas de juger quantitativement et qualitativement d’un progrès de l’islamisme au Canada. Premièrement, du fait qu’être arabe n’implique pas nécessairement être musulman. Deuxièmement, être musulman ne signifie que l’on soit naturellement extrémiste ou intégriste. Troisièmement, un musulman n’est pas obligatoirement un agent (très) actif du prosélytisme (religieux).
Un autre point est l’arsenal juridique canadien en matière d’incitation à la haine, au discours de l’intolérance, de lutte contre le terrorisme. Sa solidité, sa force, sa fermeté et sa capacité à protéger nos valeurs communes ne sait pas (encore) fait démentir. Et rien ne semble présager d’un changement.
Intégrisme et fondamentalisme ?
Ces deux mots renvoient dans l’imagerie populaire à de grands barbus, un peu primitifs, véhiculant un message d’inhumanité majoritairement anti-occidental. A des musulmans priant dans la rue, aux scandales halal, à des exécutions d’une barbarie innommable. A des femmes voilées, inférieures, esclaves. A un discours rétrograde sorti tout droit des temps moyenâgeux.
Depuis le 11 septembre et la chute des Twin Towers, ils ont recouvert une connotation mondiale d’une négativité telle que même le meilleur et le plus doué des communicateurs n’arriverait à la modifier.
Mais au fait c’est quoi l’intégrisme et le fondamentalisme?
Xavier Ternisien – après les attentats de New-York – s’est efforcé à défricher le fouillis sémantique, les errements langagiers et les approximations politico-idéologiques, en adoptant une mise en perspective historique. Cet effort aussi bien louable que nécessaire bien qu’il date reste d’une actualité prenante.
Le mot « intégrisme » a fait son apparition en France, dans le monde catholique. En 1907, le pape Pie X condamne par l’encyclique Pascendi le « modernisme », une école de pensée qui revendique d’examiner les données de la foi à la lumière des sciences et de manière autonome. Les adversaires les plus violents des modernistes se définissent comme des catholiques « intégraux » parce qu’ils défendent l’intégrité de la foi. Ils sont à leur tour dénoncés par le camp opposé sous le nom d' »intégristes ».
Dans le contexte du catholicisme, l’intégriste est celui qui se réclame de « la tradition », c’est-à-dire d’un vaste corpus incluant à la fois les Écritures et leur interprétation fixée avec autorité par les pères et les docteurs de l’Eglise, les conciles et les papes. On pourrait dire que l’intégrisme fige, à un moment déterminé, l’interprétation de la Révélation. Au contraire, il y a dans le fondamentalisme une volonté de retour aux sources, à une pureté originelle de la foi qui se trouverait dans les Écritures, débarrassées des repeints de la tradition. D’une certaine façon, le fondamentaliste nie la médiation d’une autorité religieuse – clergé, Eglise, docteurs de la loi – qui interpose habituellement une clé d’interprétation entre le croyant et le texte révélé.
Le fondamentalisme est né aux Etats-Unis, dans le contexte du protestantisme. En 1919, des pasteurs presbytériens, baptistes et méthodistes fondent la World’s Christian Fundamentals Association, pour défendre les points de la foi qui leur paraissent fondamentaux. Ils soutiennent en particulier une interprétation littérale de la Bible. Prenant à la lettre le récit de la création du monde en six jours dans la Genèse, ils rejettent les théories de Darwin sur les origines de l’homme et sur l’évolution.
Xavier Ternisien, Intégrisme, fondamentalisme et fanatisme : la guerre des mots, Le Monde, 08 octobre 2001
L’un (l’intégrisme) prend donc ses racines dans le catholicisme et l’autre (le fondamentalisme) dans le protestantisme. Mis dans le cadre de l’Islam, cela donne une interprétation pure, traditionaliste, des dogmes de la religion. Une interprétation immuable, conservatrice. Elle n’est pas la plus courante, ni la plus partagée par les musulmans. Comme dans le catholicisme et le protestantisme.
Radicalisme et islamisme ?
Le radicalisme est aussi à la mode concernant l’Islam. Et là encore, dans l’opinion publique ce n’est pas reluisant.
Le radicalisme est une intransigeance politique. Cette intransigeance a conduit au suffrage universel en 1867 (Grand-Bretagne). Elle peut aussi amener à une laïcité exclusive. Ainsi les mouvements radicaux vont réclamer une rupture avec le système, certains vont pousser cette vision politique jusqu’à son expression la plus violente, à l’instar du Front de Libération du Québec lors des événements d’octobre. Quelques uns seront étiquetés comme groupes terroristes tels que Weather Underground.
Définir et comprendre la notion de radicalisme est complexe. De John Stuart Mill à Ledru-Rollin, Gambetta, en passant dans une certaine mesure par Stephen Marglin, le concept s’étire, migre, et se segmente en différents groupuscules. Plusieurs chapelles pour un dieu éparpillé.

Emmanuelle de Champs, La déontologie politique, ou la pensée constitutionnelle de Jeremy Bentham, p. 244
L’Islam dans l’œil du cyclone radical c’est:
[…] une étude poussée des textes religieux. Les ‘radicaux’ fréquentent le même imam, ils s’habillent souvent tout de blanc, couleur de la pureté », commente Raphaël Liogier. Qui insiste : « le mot ‘radicalisation’ est donc dévoyé lorsqu’il est employé pour Daech et ses recrus. Ils n’ont pas le temps de travailler le texte : ils prennent du temps pour préparer leurs voyages, leurs attentats… ».
Quant à l’islamisme, il prend est une convergence de l’intégrisme et du fondamentalisme dont la finalité serait l’élaboration et la réalisation d’un projet politique. C’est la volonté de matérialisation en objet étatique d’une doctrine (lecture) particulière de l’Islam.
Les islamistes sont des musulmans qui entrent dans un jeu politique. Ils ont un corpus, une construction idéologique et ils en font un projet politique.
Ils peuvent jouer le jeu de la démocratie (les Frères musulmans en Egypte, par exemple, qui parviennent au pouvoir par les urnes en 2012), être utopiques, totalitaires lorsqu’ils sont déjà au pouvoir… ou guerriers lorsqu’ils veulent le conquérir par les armes.
« Daech est ainsi considéré par certains comme une mouvance islamiste violente. Mais ils portent davantage une utopie sanguinaire qu’un projet politique », commente Bernard Godard.
Son radicalisme n’est donc pas comme le souligne Mohamed Ghilan islamique mais politique. Autrement dit, l’Islam est un prétexte à une forme de fascisme (populiste, nationaliste, totalitariste). Ni plus ni moins.
L’idée même que l’Islam puisse être classé en radical, modéré, extrémiste, etc. donne du crédit à l’hypothèse islamophobe selon laquelle il possède une qualité intrinsèque qui le rend dangereux, indépendamment du contexte.
En outre, elle déresponsabilise l’individu et accuse la religion elle-même, comme si celle-ci pouvait exister en soi, sans la composante humaine.
Supposer que l’Islam est la raison première de la violence extrémiste dans le monde musulman équivaut à supposer que sans l’Islam, aucun groupe violent ne verrait le jour dans un contexte politique similaire à celui qui existe aujourd’hui.
Or, ce n’est pas une simple coïncidence si tous les groupes violents présents dans les pays à majorité musulmane à l’époque contemporaine se définissent continuellement comme des forces de résistance légitimes contre l’occupation étrangère ou contre des gouvernements despotiques locaux au service d’intérêts étrangers.
L’Islam n’est pas une religion de paix. Ce n’est pas non plus une religion de violence. C’est une religion vécue par des êtres humains qui, de par la nature de leurs instincts primaires, s’engagent parfois dans des conflits violents.
Il n’est dès lors pas approprié de voir le Coran comme un texte contradictoire simplement parce qu’il contient à la fois des versets pacifiques et des versets violents.
Il s’agit plutôt d’un texte entremêlant des descriptions de comportements humains en période de conflits violents et des appels à la paix et à la coexistence.
Mohamed Ghilan, Le radicalisme est un problème politique, pas islamique, Middle East Eye (version française), 7 novembre 2014
Alors qu’est-ce que la radicalisation de la société canadienne, québécoise?
La «radicalisation» doit être conçue plutôt comme une question, un problème de recherche et non comme une réponse. C’est ce qui est arrivé à une personne qui adhère à des opinions radicales ou à des modes d’action radicaux. Ainsi :
- toute opinion radicale n’est pas nécessairement nuisible: «radicale» ici signifie seulement aller à la racine, remettre en cause l’ordre établi, s’opposer au discours majoritaire, etc.
- toute opinion radicale n’est pas nécessairement religieuse; cela dit évidemment un intégriste dans une société libérale est forcément radical.
Stéphane Leman-Langlois, Qu’est-ce que la radicalisation?, Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent, 30 novembre 2015
Les carrés rouge sont-ils radicaux? L’uniforme-pyjama des officiers de la SPVM Ces jeunes qui se sont opposés avec une certaine véhémence contre les politiques jugées déséquilibrées socialement du gouvernement libéral Charest sont-ils victimes de la radicalisation?
Serait-il outrancier de dire que la radicalisation est un défouloir, du populisme, une stigmatisation, une incompréhension nourrissant la peur?
Et qu’au final, c’est une fiction du politique, qui évite par des discours incendiaires de s’intéresser aux causes profondes. On trouve un concept qui ne veut presque rien dire concrètement, et on en fait un fourre-tout, un fourre-haine.
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La Cour fédérale, héraut de l’islamisme?
L’instance judiciaire a dit : Non, M. Le Ministre vous ne pouvez pas.
Le gouvernement conservateur de Harper a laissé entendre : La Cour est du côté des islamistes.
Les médias d’information ont compris: La Cour cautionne l’islamisme.
Et l’opinion publique: Les juges ont perdu la tête.
Durant son mandat législatif majoritaire, le Premier ministre Harper n’a pas pris le temps ni senti l’urgence de faire voter une loi contre cet islamisme rampant et cette radicalisation imminente.
Trop occuper à virer les scientifiques, à bouffer du sables bitumineux, à vendre à M. Obama et au Congrès américain son Keystone XL, et à chercher à transformer le Canada en un Texas du nord avec cowboys, armes, bible.
Une campagne électorale ou la subite illumination. Harper a été frappé par le Saint-Esprit. Et il se met en croisade. Seulement, comme souvent avec lui, il se trompe de siècle, de temps, de pays.
Peut-on trouver la position de la Cour problématique par rapport à la conception que les canadiens ont du vivre-ensemble, de l’égalité homme-femme, et de la laïcité?
Oui.
Peut-on considérer que l’attitude de la Cour laisse penser à une flexibilité du type accommodements (dé)raisonnable? Et à un laxisme devant un mode de vie et de pensée incompatible avec la société canadienne?
Oui
Oui, on peut tout puisque l’on en a le droit. Cela ne signifie guère pour autant que ce soit juste.
La Cour ne se prononce ni sur le vivre-ensemble canadien, ni sur l’égalité des sexes, la laïcité, ni sur les accommodements, ni sur ce qu’est l’identité canadienne et donc sur ce qui lui est incompatible.
Elle affirme simplement son désaccord avec une tactique politicienne mûrement bien réfléchie et amenée. Renvoyant ainsi le gouvernement à ses devoirs, à ses responsabilités. Ce qui n’est pas assuré.
Féminisme?
Il semble pour les féministes que le voile en général est une négation de l’égalité entre les hommes et les femmes. De ce fait, toute femme se voilant, niqab et autres, est soumise et avilie.
De nombreux témoignages vont dans ce sens, d’autres aussi vont dans le sens contraire. Dans ce débat passionné voire passionnel, la pondération n’est pas autorisée.
Comprendre, changer de perspective, aller aux sources de l’agir, tenter de se glisser dans la peau d’autrui, être dans son monde et sa tête, ce n’est plus une exigence de l’humanisme. L’altérité ne saurait devenir vérité.
Il est vrai que dans de nombreux pays, comme vous l’avez très bien souligné, les femmes sont victimes de domination masculine, de répression et de discrimination. Oui, il est vrai que dans des pays comme l’Arabie saoudite, l’Afghanistan, le Qatar ou la Syrie, les femmes sont souvent victimes de discrimination.
Et dans ces pays, l’islam est également la religion dominante. Cependant, j’aimerais également vous enjoindre à éviter, dans la mesure du possible, de tomber dans des sophismes classiques.
Un carré est un rectangle, mais les rectangles ne sont pas tous des carrés. Le fondamentalisme islamique est une branche de l’islam. Mais l’islam, en soi, n’est pas fondamentaliste.
Ce qui veut dire que, si certaines femmes sont obligées de porter le voile, comme dans certains pays, et sont victimes de maltraitance et de domination masculine, cela ne signifie en rien que le port du voile est, en soi, un signe sexiste et de domination.
Grégory Kudish, Quand l’intégrisme laïc se nourrit de l’intégrisme religieux, Le Huffington Post Québec, 2 octobre 2013
Comprendre. Un tel mouvement en cette époque dans laquelle les questions de société ou les opinions ordinaires sont pressées par le choix des extrêmes, l’on se retrouve soit complice de ce qu’il a été jugé monstrueux soit pharisien (et donc du bon côté de l’histoire).
Comprendre comme tentative d’explication. Inadmissible. Comme dirait Manuel Valls, expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser. La sociologie, la psychologie, au service de l’excuse. L’horreur.
Le féminisme, un argumentaire plus politique que réellement féministe? L’interrogation n’est pas entièrement saugrenue. Surtout lorsque ce féminisme-là sert à valoriser des thèses teintées d’un certain totalitarisme idéologique.
Le féminisme ne se résume pas à un bout de tissu, ni à une nudité, encore moins à une opposition obsessionnelle et ultraciste à l’homme. Exigeant à demi mots son émasculation ou au mieux sa mise en esclavage, sa disparition.
On pourrait ôter à une femme musulmane son vêtement, mais on ne la convaincra pas pour autant de se sentir libre et l’égale de l’homme tel que l’on le voudrait. A moins de croire qu’il faudrait l’éduquer selon les codes purement arbitraires de sa propre acceptation du féminisme. Dans ce cas, le féminisme achèverait sa mutation totalitariste. A bien y réfléchir, ce serait cohérent.
Le féminisme, c’est la liberté. Et la liberté n’est pas une dictature. Toutes les femmes devraient s’épanouir comme elles le sentent, le conçoivent, et le vivent.
Le niqab nie la neutralité de l’État?
Il est avancé dans cette polémique que le niqab nierait la neutralité étatique. Il est naturel de se demander qu’est-ce que c’est que cette fameuse neutralité qui rend notre espace public si respirable?
A première vue, le principe selon lequel l’État est au-dessus de tout positionnement religieux qu’il ne doit pas prendre parti en tant qu’institution garante avec d’autres de l’application de la loi constitutionnelle (droits et libertés).
La Cour suprême canadienne l’a rappelé dans l’affaire du maire du Saguenay en des termes d’une clarté cristalline et d’une force indéniable :
L’obligation de neutralité religieuse de l’État résulte de l’interprétation évolutive de la liberté de conscience et de religion. L’évolution de la société canadienne a engendré une conception de cette neutralité suivant laquelle l’État ne doit pas s’ingérer dans le domaine de la religion et des croyances. L’État doit plutôt demeurer neutre à cet égard, ce qui exige qu’il ne favorise ni ne défavorise aucune croyance, pas plus que l’incroyance.
La poursuite de l’idéal d’une société libre et démocratique requiert de l’État qu’il encourage la libre participation de tous à la vie publique, quelle que soit leur croyance.
Un espace public neutre, libre de contraintes, de pressions et de jugements de la part des pouvoirs publics en matière de spiritualité, tend à protéger la liberté et la dignité de chacun, et favorise la préservation et la promotion du caractère multiculturel de la société canadienne.
En raison de l’obligation qu’il a de protéger la liberté de conscience et de religion de chacun, l’État ne peut utiliser ses pouvoirs d’une manière qui favoriserait la participation de certains croyants ou incroyants à la vie publique au détriment des autres. Si, sous le couvert d’une réalité culturelle, historique ou patrimoniale, l’État adhère à une forme d’expression religieuse, il ne respecte pas son obligation de neutralité.
Cour Suprême du Canada, Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville).
Le Canada a fait le choix de la liberté de conscience. Et celle-ci signifie à la fois la liberté de croire et le droit de ne pas croire comme la Cour suprême – encore elle- l’a stipulé en 1985 dans sa décision contre la loi sur l’observance du dimanche (jugement R. c. Big M Drug Mart Ltd).
L’Etat n’a pas à se prévaloir d’une liberté de conscience. Le citoyen s’attend à ce qu’il se place au-dessus de la mêlée. Et qu’il regarde chacun de la même manière, c’est-à-dire traiter également, dignement. Voilà en quoi le niqab ne nie en rien la neutralité étatique.
De la république des juges: la tyrannie d’un groupuscule sans mandat électif sur tous?
Mais les juges ne sont pas fous. Ils sont fanatiques. Ils croient au multiculturalisme à la manière d’une religion politique. Ils veulent y soumettre la société canadienne au multiculturalisme et sont prêts à tordre le cou au bon sens pour y arriver. Qui doutera encore que nous vivons sous la tutelle du gouvernement des juges?
Mathieu Bock-Côté, Niqab: les juges sont-ils fous?, Journal de Montréal, 16 septembre 2015
L’incurie intellectuelle du penseur droitiste et nationaliste québécois (on ne dira pas canadien pour ne pas l’insulter) frise l’absurdité de l’inintelligible.
Outre le fait de mimer la rhétorique du polémiste français Éric Zemmour, auteur du sentencieux Le Suicide français, Mathieu Bock-Côté fait montre de peu d’acuité d’esprit. Cela s’explique sans doute par le fait que l’intellectuel est d’abord le produit de son environnement idéologique. Quitte à faire preuve d’aveuglement, ou de mauvaise foi. Ce qui demeure assez navrant.
L’intellectuel devrait de par sa stature apporter des Lumières, éclairer la société et non la plonger ou la maintenir dans l’obscurité. L’engagement de l’intellectuel est premièrement, principalement, un engagement envers la société et la vérité.
Son attitude devrait être le contraire de la généralisation et l’excessivité, muée par le doute socratique, appuyée sur la méthodologie cartésienne, capable de mettre un peu de sens dans la confusion et le chaos.
L’intellectuel peut-être engagé, enragé, sans jamais cesser d’être lucide, flegme lorsque nécessaire, toujours déloyal et traite envers l’ignorance. Sinon, il cesse de l’être.
Doit-on rappeler Mathieu Bock-Côté que ce gouvernement des juges fût contre vents et marrées l’un des meilleurs défenseurs de la spécificité québécoise et du respect du fait français au sein de la Confédération canadienne ?
Doit-on lui rappeler la décision de ces Juges dans l’affaire du juge Nadon (le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême) dans laquelle elle estime qu’il est important de garantir qu’un nombre déterminé de juges de la Cour soient formés en droit civil et représentent le Québec dans le but de protéger la tradition civiliste du Québec et suscite la confiance du Québec envers la Cour.
Doit-on rappeler à Mathieu Bock-Côté le Renvoi relatif aux droits linguistiques du Manitoba invalidant des siècles d’unilinguisme législatif anglophone; ou bien encore la décision sur l’affaire de l’Association des parents de l’école Rose-des-vents imposant les droits équivalents à ceux offerts aux élèves anglophones?
Doit-on lui rappeler que ces épouvantables juges ont quelques fois freiné les ardeurs fédéralistes et l’autoritarisme d’Ottawa qui s’arrogeait un trop grand pouvoir trahissant ou abusant de l’esprit confédératif et constitutionnel (le Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution) ? Permettant ainsi au Québec de jouir d’un droit de veto sur une révision constitutionnelle?
Doit-on lui rappeler que ce sont ces juges, certes non élus, mais inamovibles, qui ont contre le populisme politique et la majorité de l’opinion publique, offert le droit aux femmes à l’avortement pour des raisons non pas morales ou religieuses, mais de sécurité (l’arrêt Morgentaler), reconnaissant ainsi à celles-ci cette liberté de choisir que leur niaient presque tout le monde ?
Doit-on lui rappeler que ce sont ces tyrans de juges qui se sont à chaque fois que les libertés individuelles des canadiens étaient menacées par le politique opposés à une certaine idée dictatoriale de la République (les jugements Roncarelli, Switzman, etc.) ?
Quand bien même on viendrait même à abolir la Cour suprême canadienne, l’alternative serait-elle un modèle où toutes les questions de droits et libertés reposeraient entre les mains de dirigeants politiques que l’on espérerait incorruptibles, éclairés, justes et bons ?
Des politiciens qui aujourd’hui consultent en premier lieu la boule de cristal sondagière avant de pouvoir avoir des convictions, n’hésitant pas à faire du girouettisme pour coller aux humeurs populaires populistes ?
S’il est vrai que la Cour suprême n’est pas toujours disposée à pencher du bord des revendications indépendantistes québécoises, faut-il dès lors lui jeter l’opprobre et lui reprocher tous les maux de la société?
Quant à ce multiculturalisme gaiement vilipendé, en quoi représente-t-il une menace pressante, voire insupportable, pour cette identité canadienne ou québécoise ? En quoi le fait que l’on puisse reconnaître qu’une société est la réunion du pluriel permettant le vivre-ensemble et non le vivre comme soi est-il dangereux?
L’opportunité du multiculturalisme est l’acception des différences sur la foi d’un contrat social dont l’une des expressions reste les valeurs communes. Ce n’est pas sa caricature qui est ségrégationniste, ce n’est pas la ghettoïsation, ni l’instauration d’un système à double standard supposément de privilèges.
Le multiculturalisme invite à redéfinir cette identité canadienne, du old stock canadian à l’immigrant récent, en passant par ces minorités qui sont ici depuis si longtemps que l’on a pris soin de ne pas les voir.
La société canadienne devrait-elle n’être qu’un ensemble monochrome à l’instar de pois chiches enfermés dans le même bocal ?
Pourquoi ne peut-on pas voir dans le multiculturalisme une mise en commun des intelligences et des humanités dans le respect de tous ?
Pourquoi laisser affirmer un discours rétrograde et passéiste prônant sans le dire et l’assumer la pureté de la race ?
Célébrons le Canada, le Québec, métissé comme le suggérait la Juge en Chef de la Cour suprême dans sa Causerie Symons en 2008 :
[…] Nos peuples autochtones sont constitués d’innombrables nations parlant plus de soixante langues différentes.
Les colons français sont venus de différentes régions de la France, par vagues répétées, et ont souvent épousé des Autochtones, ce qui est à l’origine de la nation métisse et de la diversité existant parmi ceux qui se qualifiaient de « pure laine ».
Dans son plus récent livre, intitulé « Mon pays métis », John Ralston Saul soutient que [traduction] «[q]uiconque dont la famille est arrivée avant les années 1760 est probablement en partie autochtone ».
Parmi les colons européens, il y avait notamment des Français, des Écossais, des Allemands et des gens provenant de plusieurs pays du centre de l’Europe.
La diversité existait également parmi les Loyalistes venus s’établir à la fin du 18e siècle. À cette base disparate viendront au surplus s’ajouter plusieurs vagues successives de colons provenant de tous les coins du globe.
Bref, le Canada est une des sociétés les plus complexes et les plus diversifiées que le monde ait jamais produites.
Vivre avec cette diversité nous a appris que la façon d’avancer qui nous est propre consiste à respecter et à accepter la diversité, à apprendre les uns des autres, à négocier des compromis lorsque nos intérêts s’opposent.
Nous avons certes fait de nombreuses erreurs. Ainsi, nous n’avons ni reconnu ni respecté les droits des citoyens autochtones.
Nous avons interné des citoyens appartenant à certains groupes ethniques en les considérant comme des étrangers ennemis durant la Deuxième Guerre mondiale. Nous n’avons pas respecté pleinement les droits linguistiques et culturels des Canadiens d’ascendance française.
Avec le recul, nous comprenons que, lorsque nous avons fait des erreurs, c’est parce que nous n’avons pas respecté les différences entre nous et que nous avons imposé, dans des situations complexes, des solutions simplistes qui portaient atteinte à des droits, sans nous demander si de telles mesures étaient vraiment nécessaires et justifiées.
Beverley McLachlin
Conclusion
En somme, cette actualité sur le niqab n’est qu’une séquence pathétique dans un fantasmagorique storytelling politique.
Il y a une histoire qui nous est racontée autant que nous nous la racontons – avec nos peurs, nos frustrations, nos bunckérisations – et qui sert à des fins électoralistes mais également à nous aider à mieux nous rendre anxiogènes, à alimenter nos psychoses prises pour vérité et certitude.
Rien ne fera changer la donne, parce que l’opinion publique, vous et moi, avons besoin de notre dose quotidienne de haine, d’intolérance, de détestation, pour se sentir vivant, pour appartenir à quelque chose qui nous éloigne de la misère de notre solitude.
Nous sommes rendus à cette ère formidable d’obscurantisme en plein jour.
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