Jamais un personnage n’aura à mes yeux suscité autant de fascination, d’admiration, de plaisir, de besoin, d’adulation, et de sagesse que Diogène de Sinope. Ce Socrate devenu fou.
Quel homme! Quelle force! Quelle puissance!
Combien de ces illustres ont cru approcher l’ombre de ce géant.
Combien se sont ridiculisés en tentant de le mimer.
Combien ont été insignifiants en essayant d’en être les héritiers.
Diogène est unique autant qu’il est indispensable à la pensée contemporaine, postmoderne. Surtout en cette période où l’obscurantisme a pris ses aises jusque dans l’intimité profonde de la conscience des individus. Ceci malgré la multiplicité des moyens de connaissance. On a l’impression que la masse se maintient dans l’ignorance.
Peut-être la faute à la culture du zapping qui s’est institutionnalisée avec le progressisme technologique.
Peut-être aussi à la grande paresse de l’esprit, un déclin populaire du dialectique, d’une certaine rigueur qui s’ankylose dans le confort, la facilité.
J’ai dit personnage.
Je m’en excuse. C’est une faiblesse du vocabulaire, une offense langagière faite à l’un des grands monuments de la pensée.
Je deviens paresseux dans ma façon de parler lorsque je parle avec le cœur. Je voulais dire qu’après tout Diogène le Cynique n’est qu’un homme. Et ce serait une insulte. Parce que Diogène, c’est Zeus qui n’a pas été dieu et qui fait de la symbolique du tonneau (ou du pithos) le siège de l’Olympe, pendant que les impostures trônent dans les cieux.
Diogène n’est pas un homme. Il est l’inassouvi qui se marginalise pour questionner la normalité, l’acceptabilité, la vérité telle qu’acceptée comme convenance et omniscience. Déambulant dans les rues peuplées d’entités inconnues avec une lanterne qui souffre des vents contraires. L’Homme y est absent. Un mythe. Comme un mensonge.
Diogène, c’est vous. Moi.
Quand Hessel hurle Indignez-vous!, le peuple croit entendre Résistez!
Qui aura le courage de lui dire qu’il n’a encore une fois rien compris. Y a-t-il un esprit moins comateux que les autres pour secouer le sens, l’agiter avec vigueur.
Et que ce grabuge assourdissant réveille la conscience citoyenne.
Réveillez-vous!
Une indignation doit faire sens. Une indignation est soutenue par l’éveil. Ce n’est pas un mantra.
Une indignation n’est pas juste une subversion. La subversion n’est pas seulement le rejet des structures globales dominantes et assujettissantes. La subversion, c’est une quête de sens. Et cette quête de sens devrait conduire à l’idéal de justice.
Sans cette quête de sens, impérative et indispensable, toutes les indignations, toutes les subversions, toutes les révolutions sont vouées à l’échec.
Voilà en quoi Diogène le Cynique est contemporain.
Diogène n’est pas un personnage. Il n’a pas de masque. Ni d’artifices. Et ne s’encombre pas du regard-jugement d’autrui sur soi.
Il est nu devant la plèbe qui est noyée et perdue dans ses folles illusions.
Il est grand. Tous les Géants que vénèrent les foules hystériques près de lui sont lilliputiens.
Il est autosuffisant sans être suffisant. Ascétique sans être érémitique. Austère sans être puritain. Libre et libertin sans être éparpillé et éclaté.
Son authenticité est cette liberté qui ne saurait se complaire de l’immobilité du conformisme. De la religiosité du bigotisme. Une telle liberté serait misérable.
Diogène invite à surpasser la matière, à la dépasser, de s’en dégager, afin de se placer au-dessus des vils sentiments auxquels tiennent tant nos individualités pleines d’orgueil et de prétention.
C’est un holocauste de soi. L’ultime. Total.
Je regarde autour de moi.
On ne se nourrit plus, on se goinfre. On ne sait plus que la patience est jubilatoire. Et les anticonformistes célébrés n’ont rien de subversif. La désinvolture paresseuse et nonchalante est une variante du nombrilisme. Et celui-ci un éclat de génie, une expression du beau.
Autour de moi.
Le monde est plat, la terre agit comme si elle était le centre de l’univers.
Je cherche l’Homme.
Dans les rues, dans les temples. Dans les masses, dans les solitudes. Dans les villes nécropoles, dans les cimetières du vivant. Dans les déserts urbains, dans les jungles de la modernité.
Armé d’une lanterne pour éclairer la lumière du jour. C’est presque de la folie.
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