
La Vérité : personnage allégorique qui prend la forme d’une femme nue sortant d’un puits avec un miroir.
Qu’est-ce que la vérité ?
Je me suis posé cette question un nombre incalculable de fois. Jamais je ne suis parvenu à une réponse satisfaisante, permanente. Malgré mes efforts constants de travailler sur mes a priori, de déconstruire mes vérités et par ce de me mettre en danger.
La vérité. Malgré la lecture, la relecture de théoriciens, une plongée dans un foisonnement d’interprétations, de spéculations philosophiques, d’idées, de génies, je reste dans le noir. Pour être exact, dans le brouillard. L’un n’exclut pas forcément l’autre.
De quoi s’agit-il dire la vérité ?
Agir vrai ?
Penser vrai ?
Être vrai ?
La franchise est-elle la vérité ? L’authenticité est-elle la vérité ? L’aveu est-il la vérité ? Le mensonge est-il totalement antinomique à la vérité ? Qui décide des critères qui font la vérité ? Des critères moraux ?
À quel moment la vérité cesse d’être vérité et qu’elle doit évoluer, se métamorphoser, se transformer ? Comment en arrive-t-on au consensus sur ce qui doit être vrai ?
Nous détestons le mensonge. Et nous mentons tous.
Nous exigeons fidélité envers soi. Et nous sommes infidèles envers chacun. D’une manière comme d’une autre. Par l’acte, par la pensée, par le désir, par la nécessité, par intérêt, par opportunité, par sentiment d’impunité. Pour des raisons qui ne sont pas une liste exhaustive, parce que nous avons tous des motivations différentes.
La sainteté virginale n’existe pas. L’innocence immaculée non plus. L’honnêteté est une attitude, une valeur, variable.
Se présenter vrai, sonner vrai. En prendre l’apparence. Mimer et faire écho. Etre l’écho. Résonner vrai. Et toujours le je de la raison pris dans un double jeu: l’affirmation et le contradictoire. La conscience et l’inconscient. La matérialité et l’immatériel. Les perceptions et leur duperie.
Se présenter vrai. Un éclat de beauté. Sonner vrai. Sonorité de l’authenticité. Croire au vrai. Religiosité de l’absolu. Et toujours le je, concentré et dilaté, en quête de crédibilité, d’intégrité, de solidité, dans un mouvement total, global, ou fragmentaire.
Pourtant tout le monde ne croit pratiquement en rien. On se prête des idéaux qui comblent nos besoins les plus intimes, certaines fois les plus inconscients.
Cela nous permet de nous accrocher à quelque chose, d’avoir ce phare dans notre nuit, ce point de repère dans notre navigation à vue, notre étoile du berger dans notre course au sens.
Le sens, avoir et faire du sens, est-ce cela être vrai ?
Le sens est polysémique, produit de la conjoncture, flexible. On peut le vicier, on peut le défaire par petits bouts, le triturer, le tordre, le plier: il est malléable, docile, faible.
Et lorsqu’il se veut universel, c’est qu’en fin de compte il est vidé de toute substance, suffisamment pour sonner creux et pour contenter tout le monde.
Chacun croit en quelque chose quand cela l’arrange. Du message qu’il voudrait envoyer, de la réputation qu’il voudrait soigner, du paraître dans lequel il se barricade, parce que de nos jours il est traqué partout, jugé impitoyablement.
Alors il fait en sorte de parer aux assauts, de se réfugier là où il parait sous le bon jour, sous le soleil de la convenance, de l’apparat. De ce réel qui au fond est une question de perception, de ce soleil sous lequel se réunit sa phratrie, sa tribu, sa communauté, sa consanguinité.
Ce chacun c’est vous, moi, l’autre. L’intérieur et l’extérieur. L’intime et le distant. La ressemblante et la dissemblance. L’inconnu et l’étranger. Axiome apodictique et jugement assertorique.
La vérité juridique?
Éparpillée entre la prépondérance des probabilités et le doute raisonnable. Entre le vraisemblable et la conviction de culpabilité. Entre le test de la personne raisonnable et l’intention. Entre l’écrit, le témoignage, l’élément matériel et l’aveu, la présomption.
Une vérité sujette à caution. Dépendante des moyens économiques dans les mains de chaque partie. Des habilités du juriste à faire pencher le droit de son bord (l’admissibilité de la preuve et ses batailles aussi cruciales que dantesques). Du juge et de son appréciation. De l’interprétation de la loi, de la justesse de la ratio decidendi ou de la faiblesse de ses errements, du jury et de ses colères.
Mais surtout du tribunal populaire, médiatique, politique, condamnant aussi vite – de manière aussi intransigeante – au point que la vérité devient accessoire.
Et le procès, une montée sur l’échafaud, pour raccourcir le coupable idéal. Le coupable qui dédouane la société. Celui qui l’empêche de déterrer les racines du mal.
Le coupable qui donne bonne conscience, et qui nous montre à quel point nous sommes des gens bien, parce que nous ne sommes pas ce monstre.
Par expérience, tant que l’individu n’a pas connu ces moments de tension, cette mise au dos du mur, il ne saurait affirmer sans un peu se mentir à lui-même que cette monstruosité chez l’autre ne pourrait jamais être la sienne.
Combien de ces gens bien se sont retrouvés sur le banc des accusés ? Combien des personnes respectables ont posé des actes ignobles ? Combien de ces peuples civilisés ont glissé lentement et irrémédiablement dans la barbarie, l’inhumanité ?
Nos monstres ne sont jamais très loin. Quelques fois, il suffit de si peu pour qu’ils jaillissent du fond de nous, et nous dévorent.
Ce si peu aujourd’hui, c’est un tissu, un voile, une conviction religieuse, une origine sociale et un statut social. Encore hier, c’était une couleur, une sexualité. Demain, ce sera un génotype indésirable, une imperfection de l’ADN. Toujours une différence, un rien.
De toutes ces vérités que l’on côtoie, au quotidien, – les matérielles, les formelles, les synthétiques, les métaphysiques, les opinions, les jugements, les chroniques, les pamphlets, les diatribes, les oppositions, les différences, l’entendement, le rationnel, la logique, l’émotif, l’intellectuel, l’érudition, l’expérience, l’illusion, le fait, le chiffre, la statistique, l’analytique, le raisonnement, le cognitif – laquelle est vérité ?
Le sont-elles toutes chacune à la fois approximatives et complémentaires aux autres ? Ou ne sont-elles que plusieurs expressions ou manifestations associées et contradictoires, incomplètes et résistantes ?
La vérité contemporaine?
Qui n’est pas seulement de l’époque, du moderne, de l’actuel.
Qui est celle de l’ambiguïté et la confusion.
De nos opinions personnelles aux grands systèmes politiques, de la sphère privée à l’espace publique, c’est le triomphe de l’ambiguïté et de la confusion.
Voilà donc la vérité.
Nous sommes tous des êtres ambigus et confus, tendant à prendre dans tout objet ce qui serait le prolongement quasi naturel de notre état.
Nos lois, nos attitudes, nos tergiversassions, nos hypocrisies, nos politesses, nos grossièretés, nos brutalités, nos douceurs, nos évolutions, nos régressions, nos travers et nos victoires, même nos langues frappés de la malédiction de Babel servent à épaissir, à accentuer, cette ambiguïté et cette confusion.
Ambiguïté et confusion, le puits et le miroir, la fausse nudité ou la nudité incomplète, inachevée, retenue. Voilà peut-être au final ce qu’est la vérité.
Jusqu’à la prochaine.

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Très vraies, ces facettes de la vérité.
Superbe réflexion.
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