Luc Mosaïque

 

 

 

Luc. Le voltigeur scénique, au physique puissant et à l’allure imposante, un massif montagneux habillé de négligence, un peu feinte, beaucoup étudiée.

L’apparence de marginal qui fait loi dans ce milieu bourgeois-bohème où il est sans vraiment en avoir conscience tel un cheveu dans la soupe.

 

 

Luc s’est découvert presque hipster. La chemise à carreaux qui violente les yeux.

Le t-shirt qui a du vécu et à qui on a refusé cruellement un enterrement décent.

La barbe des mauvais jours et la moustache d’Artagnan.

La coiffure hirsute dont chaque poil chaotique a été minutieusement pensé pour paraître comme il faut.

Les lectures underground d’écrivains paumés et souvent à côté de tout. Surtout du talent et de la plaque.

Les musiques expérimentales, rares, et quelques fois farouchement convenues, sans densité, sans élévation, sans transcendantalité, sans lévitation.

Du bruit pour du bruit. Un murmure pour un murmure. Comme l’art pour l’art, la masturbation pour la masturbation.

 

 

Luc s’est joint à l’orgie, après avoir passé une éternité dans l’antichambre.

Certaines communautés jouant l’inaccessibilité et enfermées dans une bulle conceptuelle caricature de l’insoumission, se construisent l’idée d’une société faussement authentique et soustraite du déterminisme moutonnier.

Elles dédaignent les impurs qui ont dans le sang des traces de prolétariat, d’inculture, incubés et cultivationés dans le sens gerbnerien le plus pathétique.

Luc est un être masochiste, patient, déterminé, orgiaque. Ceci explique peut-être cela.

 

 

Luc s’habille de rose, parce que le rose c’est un acte politique. 

Il l’incarne en écrivant sur des papyrus virtuels les bouts d’une vérité qui ne se remarque que lorsque l’on est comme une vache obstinée par les trains disparaissant à l’horizon, comme des étoiles filantes.

Le style Luc. 

 

Dans un de mes textes, un homme regarde un paysage. Foglia ajoute comme une vache regarde passer un train. Je n’ai jamais oublié cette phrase, elle résume à elle seule le cours de 45 heures. Si tu veux savoir comment pense un homme, passe par le regard de la vache. Ça tombe bien. Moi qui dessine comme un pied, je vais écrire pour dessiner.

Luc Panneton, Le Style Foglia, 1er octobre 2015

 

Luc a un cerveau de vache, il regarde l’existence avec un œil bovin. Un regard gros sur des beautés minuscules. Une vision qui rumine les fulgurances, les abstractions, les silences, les apparitions.

C’est un artiste, en herbe, dans son pré, carré vert.

Le monde est loin et la vie passe toujours comme les trains.

Il est figé, dans un mouvement solitaire. Du point de vue des autres. Un univers les sépare, et c’est sans doute là toute la différence entre le voyant et le voyeur. Entre l’artiste et l’art triste, le talent et le vent.

 

 

Je lui ai demandé s’il pourrait me prêter ce regard bovin et sa plume qui meugle.

Parce que j’aime les sonorités qui sortent de l’ordinaire, qui ne se contentent pas de l’originalité pour faire différent, mais qui remontent des tripes jaillissant par des voies inattendues.

Je tripe.

Pour les autres, c’est de la bouse, ils nomment ça Jamel. Jamel de bouse.

Il faut de tout pour faire un monde. Du goût et du dégoût. Des vaches, des trains, les autres, nous. Le monde-Babel.

 

 

Luc m’a répondu qu’il n’était pas certain que cela puisse être greffé. J’ai ri. J’ai insisté et il s’est tu. C’est Luc. L’homme-pause, l’homme-rose, l’homme-vache, la vache-rose, la vache-pose devant un train qui fuit comme on s’évade.

Luc est un bourge d’adoption, construit à partir de milliers de pièces d’une mosaïque culturelle qui puise son inspiration transgressive du rejet de la banalité.

La banalité, ce mauvais goût et cette vulgarité absolus.

Cette uniformité, cette horizontalité, ce trait sans fin comme un puits sans fond.

C’est un homme beau.

Cette beauté écrase de son poids toutes ses autres grandes qualités.

Luc est un grand homme.

Un de ceux qui peuvent vous proposer de venir crécher chez lui, tout inconnu sans abri que vous êtes. Sans craindre ou sans se demander en quoi sa générosité lui serait profitable.

Il ne sait pas capitaliser son humanité, c’est peut-être pourquoi il ne sera jamais misérable, comme tous ces pauvres avec d’imposants manoirs.

Luc, l’homme qui fait corps avec la virtuosité, quand elle l’attend sur scène pour une danse. Moderne. Gymnastique. Tribale. Nue.

 

 

Le seul moment où il est vrai, où ses gestes, ses pas, ses courses, ses chutes, ses transpirations, font tomber le masque, et trahissent d’une personnalité protéiforme. Une ombre, un mouvement, un autre, puissant, imposant, superbe, disparaissant quand les lumières s’allument, quand le rideau est déchiré.

Comme un train qui s’évade, comme une étoile filante.

Luc m’a dit un jour qu’il aimerait que l’on écrive des contes pour enfants. C’est un conteur né. Moi un adulte enfanté qui n’a jamais appris, su, être enfant, émerveillé, imaginatif.

Luc n’aurait pas pu le savoir. Il m’a lu. Il a compris. Comme je contemple sa mosaïque.

 

 

Un site Web propulsé par WordPress.com.