A Jean Métellus
Au pipirite chantant ce prince d’avant-jour s’habille d’innocence, agrippe les sentiers et bénit l’existence
Et le sursaut de ses efforts exalte les vergers repus de germes, d’épis, de sueurs humaines
L’écorce de ma santé a grandiJe suis le conquérant des îlesGéant et généreuxParé comme des cheveux froissésComme une aigrette rebelleHérissé d’humeurs, de prodigesVêtu de la chair même du jourMa frondaison assiste au repos du midiEntrailles roses des sanglots du mondeComme un pain de sève silencieuse Huppé comme une comète j’écoute les débats du soir Et ma ramure, mon aubier, mon pied et mon houppier décousent les contes, les plaintes, remuent l’impact de la vision et raniment les rêves
Mon front mesure l’élan de tout vœuCar j’ai logé en tous ma chanson frissonnanteEt j’ai donné le plus actif de ma moelle au murmure de la faim J’ai affecté d’éclat la souveraineté du corpsMon épaule ivre délivre toute vertuMa peau, ma chair, lumièreMa grandeur et ma houppeTige agreste de l’été, cime frondescente et touffueLes voilà prêtes à la révolutionJe dis oui au souffle des CaraïbesJe trafiquerai de la violenceJ’effeuillerai le reposComme le soleil baignant la terreComme les piquants dérouillant les pieds du voyageur
Jean Métellus, Au Pipirite chantant, 1973, Editions Maurice Nadeau
Si tu me vois portant les masques de tous ces mystères de l’invisible, ne crie point d’effroi, toi avec le regard embrumé par les ensorcellements de l’esprit, enflé de cet orgueil du savoir.
Ne crie point devant ces visages muets et figés que j’ai empruntés dans le pur rituel du sacrifice à ces dieux taiseux qui ont bâti l’Homme pour que viennent y briller les vicissitudes.
Me comprends-tu seulement quand je mâche ces mots, comme je mâche les écorces de l’arbre du Bien et du Mal, entends-tu l’écho de ma voix anagogique qui épouse la puissance irradiante de Mawu, l’Incréée.
Reçois-tu ma sève aussi rouge que cette terre où les Lwas murmurent aux oreilles initiées les secrets d’un autre monde, aussi rouge que cette mer où Mami Wata offrit au peuple martyrisé guidé par le briseur de tablettes l’espoir de liberté.
Je vois dans tes yeux l’incompréhension du cartésien forcé de marcher dans les voies tracées par tant de siècles de rationalité, d’intellectualité, de philosophie idéelle, en lévitation permanente au-dessus de cette vérité qu’elle n’ose fouler.
Je sens dans tes gestes l’envie de me dire, en me secouant de ta rage, comme on réveille un somnambule:
C’est quoi cette folie!
De me filer des claques, des baffes, de me mettre la camisole, des chaînes et les œillères de ta raison. Parce qu’au fond, tout ceci t’ébranle et te fais vaciller. La peur naît de l’ignorance, la violence se nourrit de la peur, et la certitude est un somnambulisme. Je ne te réveillerai pas.
Si tu me vois en transe, drapé d’un blanc immaculé, dans une crise presque épileptique, marmonnant des incantations païennes devant des idoles que l’ordre moral réprouve, je t’offre un baiser en forme de pétale et une étreinte fraternelle sous le regard d’Erzulie.
Car mon âme parle un langage insensé, pour ceux dont l’esprit demeure prisonnier de cet univers carcéral qu’est la vraie vie.
Ne hurle point contre ce qui n’a pas de sens pour ton savoir. Il est des sens insaisissables sous le voile de l’absurdité. Une noirceur qui est lumière, une opacité qui est clarté, un flou qui est évidence.
Si tu peux prendre le peu que je te donne en t’ouvrant au sacrifice, comme d’autres procèdent à la maïeutique, tu verras que Damballa et Hebieso, la Connaissance et la Puissance, la Conscience et la Foudre, sont deux côtés d’une même médaille: l’existence.
Alors tu viendras t’abreuver à la même source.
Alors tu entreras aussi en transe, le veau doux sur l’autel pour un holocauste, et pour toi l’Apothéose.
Alors tu verras qu’ici il n’y a ni enfer ni paradis, juste toi et tes toi, dans le silence et le froid, dans le verbe et le feu, réunis dans la mystique de l’improbable.
Tu naîtras, toi aussi, dans l’essence de l’être. Tu t’enfanteras dans le qui, le quoi, le ce que tu es.
Et tu goûteras comme un nouveau-né au sein de Lêgba, source de Sagesse et d’Humilité. Tu sentiras peut-être pour la première fois la vie et l’existence couler en toi, nourrissant ton esprit, et ton âme.
Et, peut-être, oui peut-être, tu comprendras pourquoi dans l’idéal divin, Dan, ce serpent couvert de tant d’infamies, est le gardien de cet Arbre de Vie, du Bien et du Mal, dont les fruits nous ont rendus si nécessairement mortels.
Mais tout ceci ne dépend que de toi.
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