De la prétention de rien

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J’ai confié à mon âme l’insoluble question de la Cause première. Mon esprit qui passait par là sur un nuage nicotinique a été pris de torpeur. Elle me l’a retourné dans la gueule en crise névrotique, et je me suis mis sur le rebord du monde pour un grand saut dans le vide, sans parachute doré. Sans rien.

Dans ma chute, je repense à toutes les insolubilités qui sont restées en suspend dans le vide. Le Principe premier du néant, qu’est-il ? Dans le paradoxe de l’œuf et de la poule, qu’a-t-on fait du coq? C’est drolatique parce que c’est épouvantable, déprimant et perturbant. Comme le dirait Beaumarchais dans Le Barbier de Séville:

Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer.

Je ris, je chute, je ris, le néant fait chut! Trop tard, je n’ai jamais aimé recevoir des ordres.

J’ai des obsessions qui exercent sur mon cerveau des pressions d’un genre Guantanamo, et il suffit d’un rien qui ne devrait pas être où il est pour que la vague déferlante s’abatte tsunamique dans ma cavité cerebrale.

Quelques fois, il me semble avoir à l’intérieur des hordes cannibales qui dans une chevauchée infernale piétinent tout, mettent tout à sac, ravagent la moindre parcelle d’un intellect en mode discursif de connaissances. C’est douloureux. La curiosité est une souffrance. J’y prends goût. Cela me procure un plaisir incommensurable. C’est mon côté masochiste. 

Mon âme m’a fortement suggéré d’aller me faire cuire un œuf, et qu’elle avait beaucoup d’autres préoccupations que celle du questionnement de l’origine du commencement, du point de départ du début, de la Cause du rien, du néant et du quelque chose. Parce que cette question ne s’arrête jamais là, elle ne se suffit à elle-même, en appelle une autre presque siamoise:

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? 

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Le pourquoi de quelque chose, comme une compréhension de l’absence du rien. Ou Le pourquoi du rien, comme une émanation de quelque chose. Ou le pourquoi du quelque chose dans le rien, et du rien dans le quelque chose. Mon âme a passé la balle à mon esprit, et il s’est mis à pleurer tel un garnement que l’on punit sévèrement, juste parce que l’on le peut.

Le pouvoir et la jouissance. La puissance et la jouissance. Le pouvoir, la puissance, la jouissance. Les trois mots-clés qui ouvrent à l’explication de la nature et du parcours de l’Homme, des origines aux Temps modernes, régissant tout ce qu’Il a posé comme action, bienfaisante ou destructrice, structurant chacune de Ses pensées, du génie à la folie, du médiocre à l’odieux.

 

 

Mon esprit m’a dit : Tu me fiches la paix!  

Mon âme s’est crevée les tympans et m’a laissé un petit mot de rien du tout: Dave, mon vieux, j’en ai déjà assez avec ton karma.

J’ai voulu insisté, mais il n’y avait rien à faire. Au fond, mon âme a raison, je ne lui facile pas toujours la tâche. Je suis un pécheur incorrigible, et je ne me lasse de prendre dans mes filets tout ce que ma curiosité m’offre. Et j’ai toujours faim. Gargantua à contre-sens de la mode minceur et filiforme. Obelix dans un harem de sangliers.

Mais en fait, je suis omnivore, je prends la totalité dans l’infinité de son ensemble, et ce n’est jamais suffisant. Elle est là ma malédiction. Ma chute. Mon vertige. Ma frustration. Ma névrose.

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J’ai essuyé la question qui dégoulinait telles de grosses gouttes de sueurs perlant sur mon front plissé. Le mouchoir souillé par ces sempiternelles transpirations des méninges, s’est retrouvé dans la poubelle des ordures non recyclables. Elle a eu un reflux gastro-sophagien. Mon acidité est indigeste. Mine de rien.

J’ai pris un café dont le goût corsé est d’une noirceur amère. Je l’ai ressenti dans mes veines comme une injection d’héroïne. Il m’a fait le même bien qu’une éjaculation rapide, fast food. Ma précocité est caféine. Elle n’est pas du goût de tout le monde. C’est tant mieux, sinon elle ne serait rien. 

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Dans le vide, en dévalant ma chute, comme on descend une bière par un soleil caniculaire ou par un été four crématoire, je me suis senti en cendres devant la bouche béate des abysses insondables. A cet instant, l’angoisse de la page blanche ressemblait à celle du Roi Salomon de Romain Gary avançant masqué sous le voile trompeur d’Emile Ajar, et j’ai senti le suicide au bout du souffle. 

Moi j’avais envie de crever mais on ne peut pas crever chaque fois qu’il y a une raison, on n’en finirait pas.

Emile Ajar, L’angoisse du roi Salomon, Gallimard, 1987

Mon corps léger, mes muscles transformés en duvet, quelques imperceptibles tourbillonnements, la page est aussi  aride et immaculée qu’une Saison blanche et sèche, et je l’ai intitulée L’interrogation, pour faire philosophe de bar – obsédé sexuel qui accessoirement bande mou et lit donc mollement, c’est-à-dire en diagonal la pile de livres pompeux et insipides trônant sur les étagères encombrées de l’intello des beaux quartiers.

Une fois dans sa vie, juste une fois, on devrait avoir suffisamment la foi en quelque chose pour tout risquer pour ce quelque chose.

André Brink, Une saison blanche et sèche, 1979

Je me suis lancé dans l’écriture soporifique d’un bla bla grandiloquent avec des mots au gros égo, des expressions qui ronronnent comme une vieille chatte. Il paraît que les grandes plumes critiques d’illustres revues littéraires ont une érection quand elles lisent de fortes constipations, c’est anal. Tant mieux. 

J’ai tapé sur le clavier aussi vite et aussi rapidement que ma réflexion se contorsionnait dans tous les sens, des phrases-laves projetées sur la feuille vierge à une température incendiaire, dont le tout formait de près de loin des pages basaltes.

Je me suis dit que cela avait de l’allure, je me suis vu recevant le Grand Prix de l’Académie devant ce parterre de journalistes-hyènes se mordant les uns les autres pour une exclusivité rabattue en boucle sur les réseaux de la congestion médiatique.

J’en ai eu des frissons, un coup de pied dans le derrière j’ai accéléré le mouvement, la chute, le suicide, l’angoisse, le rien.

Le clavier craquant de toutes parts tel le Radeau de la Méduse, je me cannibalise jusqu’au dernier morceau de moi-même. Brutalité du non-sens, ou plutôt violence de l’insensé, mes doigts se baladent sur les touches comme Chopin dans ses Nocturnes, rhapsodie du cinglé, ça sonne délicat à l’instar d’un éléphant dans le magasin de porcelaine. 

Je l’ai pris comme un signe que ce que je dégueulais avec la lourdeur d’un chef d’œuvre révolutionnaire. Je suis entrain de devenir le onze septembre de la littérature. Et tout le monde le sait, ça finit forcement mal. 

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J’ai voulu reprendre du café, il m’a fait un doigt d’honneur, finalement j’ai laissé faire, je n’ai pas le temps de la bataille du café, j’ai tout un nouveau monde à créer. Le complexe de Dieu est le cancer qui ronge et triomphe du talent. Je suis sain de cancer, et mon unique complexe tire Dieu vers le bas, au fond du Styx, et meurt avec Lui sous des cieux orphelins.

J’ai tapé sur le clavier qui se tord de douleur libératrice, m’implore de ne point arrêter, souffrir et jouir fréquentent les mêmes échangismes, participent ensemble de l’orgie sensorielle. Mes doigts en marteau-piqueur pilonnent la surface, ça secoue toute ma substance et je me dresse tel un gland enragé, survolté, ça sort vite, frénétique, jusqu’à l’ultime secousse. Jesus!

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J’ai regardé l’ensemble de l’œuvre, l’œuf sort de la poule, la poule pond l’œuf, l’œuf brise la coquille et libère la poule, la Cause première est une suite d’infinies alignées d’ici à l’éternité. Au bout de la course, il y a un splash! Moi comme un omelette sur le carreau. Un œuf est mort. Et le reste relève du rien.

 attention

A quoi tu penses ? A rien.

C’est donc que tu penses à quelque chose, sinon tu me répondrais, simplement : je ne suis pas en train de penser, ce qui est impossible.

Le rien, ce sont les vagues de l’esprit qui, certes, pense, mais sans savoir à quoi il pense.

Tout comme l’absence est le signe d’une présence qui manque, le rien est un mot qui désigne une chose qui s’ignore : un rien me fait chanter, un rien me fait danser, et quand je ris pour rien, je ris sans raison, et c’est déjà beaucoup.

Si le rien n’est rien, et si la pensée est toujours pensée de quelque chose, alors le rien est impensable, inimaginable même.

Penser le rien, c’est une manière pour la raison de se confronter au plus gros défi qui soit

2 réflexions sur “De la prétention de rien

  1. Excellent billet….mine de rien ! Vous êtes un des ces rares moulins à paroles qui méritent amplement d’être lu (et souvent même… relu.). Billets très riches dont la plupart méritent un accouchement papier. Je vous souhaite une excellente fin de session et je vous remercie de votre présence.

    PL

  2. Quelle verve! Quelle imagination! Quelle diversité! C’est un carnaval, une débauche de mots. Des expressions qui vous surprennent ou vous ravissent. Lire tes billets, c’est voyager, plonger dans un monde inconnu, où l’insolite vous attend au détours, un monde où les sensations fortes sont garanties!
    En te lisant la première fois, on est un peu dérouté, décontenancé, voire destabilisé; particulièrement si, on a plutôt l’habitude d’un langage dit ‘’politiquement correct’’. Mais, au final, on s’habitue et on se surprend même à l’apprécier.
    Merci de nous faire découvrir ton monde à la fois surprenant, intense et combien captivant à travers les 50 nuances de Dave!

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