Elle m’a dit Tu sais comme Romain Gary le disait le siècle dernier, aujourd’hui, les vrais mecs ça n’existe plus. Il n’y a plus que des pleurnichards, accros aux soins de beauté et à l’épilation, habillés comme des gonzesses, et qui sentent la rose.
Elle a poursuivi L’homme, le mâle est désormais émasculé, et le sexe fort n’est plus qu’un organe mou.
Le vent chaud de cet après-midi estival a balayé ses cheveux dorés, soulevés et allongés sur l’horizon.
J’ai toujours eu un léger penchant pour les blondes, celles aux yeux d’un bleu azuréen qui m’emmenait loin. Des blonde avec si possible une cervelle. Si possible.
Ce que je veux dire, c’est qu’elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis.
Romain Gary, La Promesse de l’aube, Gallimard, 1980
Elle a fait une grimace. Le beau temps est celui des mouches. De toutes ces bestioles harcelantes que l’on écraserait bien d’une gifle si elles n’étaient désormais plus protégées par la Déclaration universelle des droits de la bestiole, votée une nuit où tout avait foutu le camp.
Elle, moi, ne voulions pas retrouver nos gueules à la Une de tous ces journaux à merde qui se numérisent parce que les temps sont durs. On ne se torche plus avec les feuilles de chou. Les mouches appréciant désormais sur des tablettes les infos qui font chier.
Nous ne voulions pas avoir nos gueules barrées par un titre flatulent du type Meurtriers! Avec des appels à la lapidation comme au bon vieux temps de l’Ancien Testament, concurrent de la Charia. Les temps sont moyenâgeux. Les mouches adorent ça.
Il est des ennuis qu’il vaut mieux éviter. Des batailles qu’il vaut gagner sans les livrer. C’est Sun Tzu qui l’a écrit dans L’Art de la guerre. Le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires dans cent batailles, mais plutôt de vaincre l’ennemi sans combattre. Il faut toujours écouter les sagesses chinoises, elles valent autant que les philosophies occidentales. En moins, quelques fois, blablatesques.
Elle me trouve peu suicidaire. Elle refait la grimace et lâche ce Putain de bordel! très parisien, non discriminatoire, laïque, apolitique, neutre comme l’espace public pacifié, et qui ne vise personne à proprement parlé, juste la connerie.
Je souris. Comme la petite verte. Rongeant mon courroux. De nos jours, on ne pouvait plus se foutre de la tronche des mouches. Le racisme, l’antisémitisme, le discours haineux, les incitations à la haine, la misogynie, le sexisme, l’humour criminalisé. Fallait faire attention avec la liberté d’expression. Prendre des gants. Et tout faire pour que cela ne fasse pas mouche. L’humour lisse. Sur lequel seul le rien sait s’y accrocher. Merdique, quoi.
Nous avons fait encore une ou deux grimaces, pour appuyer notre désapprobation de ces mouches envahissantes. Nous ne sommes pas racistes. Même s’il paraît que ceux qui le crient haut et fort n’en pensent souvent pas moins. Nous n’avions rien contre les mouches, comme qui dirait du moment qu’elles restaient chez elles.
Mon voisin me faisait remarquer une fois que tout ça a été rendu possible par notre insouciance à déféquer partout. Ça été propice aux mouches. Clandestines, minoritaires, citoyennisées, droits-de-moucheser, et de plus en plus nombreuses. Mon voisin pense comme moi, il refuse de voir ces satanées mouches modifiées le paysage, parce que le paysage c’est un peu de notre enfance. Et l’enfance, on y touche pas. C’est comme ça.
En outre, les mouches ne sont pas un modèles d’intégration. Elles ne savent pas vivre comme du monde. Crasseuses. Communautaristes. Bouffant la merde. Moches. Les mouches ne sont pas assimilables.
Il me lâche Tu sais, je comprends pourquoi il y a des gens comme nous qui votent pour la préférence humaine. C’est la seule idéologie qui défende nos intérêts, notre chez nous. Je trouve que Madame Farine Lep’haine est la présidente qu’il nous faut. Tu sais, une qui a des couilles!
Je fais Oui, je suis d’accord. Et je me retiens de lui dire Quitte à se faire rouler dans la farine, faut bien choisir une qui est authentique.
Mon voisin n’a aucun sens de l’humour. C’est bien pire que d’avoir un humour lisse.
Avant la Charte des droits et libertés de la mouche, il y avait encore espoir. On pouvait en finir avec quelques unes, tranquillement. Depuis que cette maudite Charte est passée, que les juges – ces vendus et tyrans – nous l’ont imposée, il n’y en a que pour elle. Les accommodements raisonnables qu’ils disent, Mon œil! Des accommodements déraisonnables oui! Elles viennent icitte avec leurs coutumes de sauvages, pis c’est nous qui devons nous accommoder! Mon voisin a pété une durite. Il nous a quitté il y a quelques jours. Putain de mouches!
Nous sommes condamnés à la fermer. C’est fou. Le monde à l’envers. Ça n’a pas de bon sens. La blonde est magnifique. Elle ne fait plus la grimace. Elle se caresse la chevelure de blé. Ces yeux brillent, elle a du soleil dans le regard. Il y a quelques mouches qui passent. La blonde se penche vers moi Jamais je ne coucherai avec! Regarde-les donc! Quelles têtes! Dégueulasse! Elle me rassure, de la concurrence en moins. Je sais c’est chien. Mais voilà je suis un homme d’affaires, à HEC c’est l’instinct du businessman et on est noté A+ avec les chaleureuses félicitations de ses pairs, en politique c’est l’instinct du cynique et on devient chef de gouvernement avec des plébiscites sondagiers.
Elle a tourné la tête vers moi, elle a soufflé Toi au moins tu restes un vrai mâle, avec ta pilosité, ton odeur, ta virilité, de vraies bonnes grosses couilles comme il se faisait avant! Tu es le dernier du genre!
Elle a ri de bon cœur. J’ai agrippé ses cheveux d’une main, baissé sa tête jusqu’à ma braguette ouverte de l’autre, j’ai sorti le dernier membre phallique encore en libre circulation. Parce que malgré tout, la déclaration universelle des bestioles, la Charte des droits et libertés de la mouche, les couilles de Madame Farine Lep’haine, les accommodements déraisonnables de mon voisin qui est mort, Romain Gary, le beau temps, la libre circulation des biens était l’une des rares choses sacrées que nul ne contestait.
Mon membre phallique était encore ma propriété, privée, envoyée en selfie à de petites jeunes, exhibée sous l’œil affamé d’une webcam, enfoncée spéléologue en profondeur dans des grottes explorées par cette populace qui ne veut jamais rien de sérieux mais qui croit au prince charmant et autres contes de fée.
Ce membre restait mon bien, les Femen n’étaient pas installées au pouvoir, il pouvait encore aller et venir où il voulait.
J’ai sorti le seul bien que j’avais. Il était en sécurité dans le pantalon. Le pantalon était en mode d’extinction. Trop cliché pour les fashionistas, trop patriarcal pour les autres. D’une violence, sexuelle, inouïe pour le reste. Mon pantalon, le dernier des Mohicans.
J’ai sorti les couilles du pantalon. La blonde a aimé. Dans sa bouche, cela se gémissait Oh My Gode!
Des mouches passaient par là, estomaquées, elles se sont écriées : Nom d’une bouse!

Il m’a expliqué en souriant que rien n’est blanc ou noir et que le blanc, c’est souvent le noir qui se cache et le noir, c’est parfois le blanc qui s’est fait avoir.Romain Gary, La Vie devant soi, Gallimard, 2007
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