Gouaterisation nocturne

Quelques mots pour accompagner la nuit qui s’écroule lentement avec les drames inaudibles, quelques phrases puisées dans la désespérance d’un monde à bout de souffle, qui se mutile et semble y prendre plaisir.

 

Des constructions sémantiques, des syntaxes bien molles, une inspiration insomnieuse et un fond assez curieux, ces petites lettres qui jaillissent de cet esprit, le mien, torturé par une époque qui n’en fait qu’à sa tête, viennent s’accrocher à l’ultime virginité de cet espace entier que j’arrache à l’ordinaire pour tenter de parfaire mon profond ennui de l’existence.

 

Dans ce calme nocturne où sont enterrés les délires diurnes, des journées à chercher un sens à la vie mais également à moi-même, il vient des hordes de pensées barbares, sanguinolentes, érotiques, légères, lourdes, spirituelles, philosophiques, des peuplades de désirs s’agitant dans toute la cavité trop étroite qu’occupe la cervelle.

Ils surgissent derrière le voile des convenances pour ébranler mes certitudes fragiles que j’ai voulu en acier inoxydable.

La nuit m’apporte à petits trots un autre de moi, quelqu’un, un étranger de passage qui va tout de même durer – un invité-surprise mais pas tant que ça, un spectre qui hante les couloirs sombres de mon présent, de mon destin – longtemps après l’aube, le crépuscule, le zénith et minuit.

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La nuit, je me sens humain. Je peux aller au gré de mes envies, brisant les chaines des obligations du quotidien pesant, vers mes aspirations les plus intimes.
Je peux entendre le cœur du monde battre au rythme effréné des jouissances épicuriennes. Prendre au vol les secrets des amours qui se murmurent perdus dans des bras enlacés. Percevoir la vie endormie au creux de minuit, l’entendre soupirer et danser sous le regard attendrissant d’une lune nostalgique.
Je suis un homme libre, la nuit. Un homme comblé.
 

Les cris des enfants tamouls meurtris, la souffrance des petites prostituées de Rio de Janeiro, l’abandon des Sans-domiciles, l’holocauste des familles appauvries par cette crise économique qu’elles n’ont pas voulu, le drame africain et ses roitelets qui se meurent, toutes les tragédies inhumaines m’indiffèrent lorsque le crépuscule prend ses quartiers dans l’espace, quand les ténèbres envahissent l’immense étendue et que les étoiles délivrent leur agréable frou-frou.

La nuit, je conquière ma sensibilité, je deviens ce que je suis: moi, égocentrique et narcissique. Serein. 

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Il peut arriver que l’on se perde la nuit. Longtemps, j’ai pris des détours qui m’ont finalement amené à moi-même. J’ignore si je suis plus fort mais une chose est limpide je ne suis pas mort, c’est l’essentiel.

Je me suis plongé dans ma nuit qui fut longue, pénible.  J’ai couru après les ombres jusqu’à épuisement des sens. Mais en fin de compte, j’ai compris qu’il était préférable de traverser seul le désert, la jungle, les ouragans, les tsunamis en soi pour atteindre ce que l’on est véritablement.

Encore un qui s’est trompé de folie, pourrait-on dire à la suite de ce déballage tristounet. A quoi sert une telle pensée, une réflexion à peine compréhensible sur la nuit et ses supposées vertus alors que des milliers, des centaines de milliers, d’hommes et de femmes n’ont pas pu survivre à cette nuit « glorieuse » ?

Justement, pas à grand-chose. Comme Verlaine, je revendique l’inutilité apparente de la création, la mise-à-mort de l’humanisme béat, la vandalisation de la philanthropie littéraire et la mise-à-sac des « Lumières » philosophiques.

Je suis désormais un renégat de l’inutilitarisme triomphant. Ceci le temps d’une nuit.

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Quelques mots pour accompagner la nuit vers la sortie et le lever de rideau ensoleillé sur un monde déjà envahi par le brouhaha des hommes et leur cortège de matérialisme.

Quelques hiéroglyphes déposés d’une manière éparse sur des feuillets qui mériteraient sans doute un sort plus noble que cette Gouaterisation nocturne venue des tréfonds du silence et de l’autre côté de l’obscurité.

Je vous ai offerts ma nuit, en attendant la vôtre.

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