Cher Québec,
Tu ne me connais pas. Je suis un « importé ».
Moi, je te connais, un peu. J’ai appris à te connaître à l’université. Des cours d’histoire sur toi le contemporain et ta Révolution tranquille, sur ce que tu fus aux XVIIe et XIXe siècles. De la Grande noirceur avec ses cadenas du début du XXe siècle aux échecs référendaires en passant par ta Crise d’Octobre.
J’ai passé un temps fou à essayer de te comprendre, en te lisant beaucoup, en étudiant ton droit, ta politique, ta psychologie, en te fréquentant dans les rencontres montréalaises, dans les soupers de belle-famille, dans ta campagne désertée et laissée pour compte, auprès de tes enfants de souche.
J’ai fais cet effort-là. Je n’y étais pas obligé. Aucune législation ne m’a contrainte à m’intéresser à toi. Au début, c’était par curiosité. Ensuite, par stupéfaction. Aujourd’hui, je le fais par amour.
Québec, je suis tombé en amour de toi.
Tu vois, c’est aussi simple que ça. Je l’écris comme je te l’entends souvent dire. Cela pour un français de France pourrait s’apparenter à écorcher vif sa langue. Pour moi, c’est aussi doux qu’un flocon de neige quand il fait moins trente degré Celsius. Ça sonne à d’autres oreilles tout croche, mais tu sais les autres entendent toujours ce qu’ils veulent entendre. Ce n’est pas de leur faute. Ce n’est pas ton problème.
Je t’aime Québec.
Pourtant, je ne suis pas indépendantiste. Encore moins fédéraliste. Je sais que je me le ferai reprocher par Mathieu Bock-Côté ou par Richard Martineau, peut-être les deux à la fois. Ils parlent souvent pareils. J’essuierai des remontrances de Couillard. Je vais surprendre tout ce monde qui dit détenir la vérité sur moi, puisque je suis un importé, et donc un fédéraliste.
Je vais te faire une confidence mon cher Québec. Lorsque j’ai atterri à Pierre-Eliott Trudeau un certain 19 mars, j’avais dans ma petite valise un chandail indépendantiste.
Je provenais d’un ailleurs qui pendant des siècles a connu les affres du colonialisme. Si je te raconte mon histoire faite d’inhumaines maltraitances, de sous-humanisations, de mépris, tu comprendras pourquoi dans cette petite valise de rien du tout, il y avait ce chandail.
Si je te narre ce qu’il s’est passé après nos indépendances dans les années 1960, l’indépendance sur le papier et le néocolonialisme, tu verras pourquoi je crois que l’indépendance n’est pas forcement la liberté. Après tout ça, tu réaliseras que ce que je suis un peu plus compliqué.
J’ai cessé d’être indépendantiste en t’écoutant me parler. Ou parler de moi.
J’ai compris que dans ton combat, j’étais l’ennemi. Un ennemi. Un obstacle. Une barrière. Et il s’est dressé entre toi et moi un mur d’incompréhensions. De Parizeau avec son « eux autres » aux restes de la troupe. Tu me parles et je ne t’écoute plus. Je te parle et tu m’ignores. Je n’existe pas vraiment pour toi. En ce qui me concerne, j’ai choisi d’être ici, comment saurais-je t’ignorer?
Je n’existe pas pour toi. Sauf quand tu constates que ta couleur perd de son monochrome, des nuances comme des anomalies, des ajouts et déformations dans ton décor.
Tu m’ignores. Sauf quand tu as besoin de te rappeler de ton identité, dans laquelle je ne suis pas invité, parce que je ne suis pas aussi blanc que neige, et que mes ancêtres n’ont pas débarqué d’un navire, il y a quelques siècles.
Cette identité que tu me reproches de te faire perdre. Parce que mon frère est musulman, que sa femme porte un voile, que ma sœur est asiatique, que mon autre frère est un anglophone.
Tu m’accuses de souiller tes valeurs avec ma culture, mes accommodements « déraisonnables », mon racisme anti-blanc, mes gangs, mon habillement, mon articulation. Et que sais-je encore. Je suis un problème, je suis venu ici pour être une solution.
Tu as sans doute raison, je souille tes valeurs. D’où je viens, la pureté de la race a quelque chose de foncièrement malsain.
Et ce n’est pas seulement parce que nous fûmes une colonie allemande. J’ai donc besoin de me mélanger à autrui, de le prendre dans mes bras, de rire aux éclats, de pleurer avec lui, de lui prêter mon épaule quand il a besoin d’appui, de danser parce que tous les deux nous sommes heureux, de me poser sous l’arbre à palabre pour résoudre nos problèmes, et partager la kola de la fraternité.
D’où je viens, il y a aussi la haine, mais tu verras qu’au fond c’est plus complexe, et que dans bien des cas le néocolonialisme n’est jamais loin.
Oui, nous avons aussi la haine, l’être humain peut comme partout ailleurs cessé d’être humain. Tu as connu ça aussi. En es-tu totalement, définitivement, guéri?
Je te souille Québec, je suis tactile, l’autre dirait comme un iPhone.
Toucher pour moi c’est partager une chaleur. En ce temps qui refroidit vite, s’approcher, se serrer, se coller, ne peut que nous faire le plus grand bien. Qu’en dis-tu?
Je ne suis pas fédéraliste. Je ne sais rien du reste du Canada, je ne connais que toi. Je suis allé plusieurs fois à Ottawa, j’ai aimé les musées. La politesse des automobilistes. C’était bien. Et je suis revenu. J’habite chez toi. Quelque part en campagne. Près d’un de ces villages dont le pittoresque me ravit tellement.
Vois-tu, mon Québec n’est pas Montréal.
Il est les immenses étendues de champs de maïs, la vue des vaches, l’expressivité des farmers, le rudimentaire, le dépouillé ou comme certains le diraient l’épuré, le calme, et l’attitude de toutes ces personnes pour qui je suis le premier vrai contact humain avec une réalité cathodique, médiatique dans laquelle l’on me présente comme un (gros) problème (très) dangereux.
Elles ont naturellement une attitude de chien de faïence. Les importés font souvent cet effet.
Mais, tu sais, j’ai appris à faire avec, je les comprends, et avec le temps – moi allant vers eux et eux avançant vers moi – les peurs disparaissent. L’humanité peut faire place. Je deviens leur voisin, leur ami, leur frère. C’est cela le Québec, c’est ce que tu es. Un peu dans la rencontre entre l’Autochtone et l’Immigré français. T’en souviens-tu?
Mon cher Québec, tu me plais tant. Certes, il y a des mauvais jours, mais je ne veux me souvenir que des bons.
Car toi et moi c’est une histoire qui ne date pas d’hier et qui ne s’arrêtera pas aujourd’hui. Même si tes nombreux enfants voudraient que ce soit le cas. Un divorce. Pas à l’amiable. Une rupture. Pas forcement sympa.
Toi et moi nous savons qu’il n’en sera rien.
J’ai autant besoin de moi que toi de moi. Comme dans tout couple qui veut être ensemble et qui fait le nécessaire pour gérer les écueils. Si nous nous quittons c’est que l’un de nous aura répondu par la négative à la terrible question: veux-tu encore de moi?
Québec. Dis-moi oui. Aujourd’hui et pour toujours.
Oui comme le premier jour. Quand tu m’as offert ton certificat de sélection parce que tu me jugeais qualifié et digne de toi. Quand tu m’as dit: voilà mes valeurs communes et elles ne sont pas négociables, tu jures de les respecter? Oui, je le jure. Alors signe en bas et bienvenue.
Je n’étais pas encore à Pierre-Eliott Trudeau, je savais à quoi m’attendre, le cadre de notre relation était clair, le respect et l’égalité.
Te souviens-tu de toutes ces exigences que je devais remplir pour être avec toi? Le français, les études universitaires, l’expérience professionnelle, la moralité, la santé. Tu m’a choisi selon tes critères et tes besoins, je me sentais privilégié. Surtout parce que de toutes les conditions d’immigration tu as l’une des politiques les plus sévères au monde. Tout le monde ne peut être ici. Tu le sais. Ou tu devrais le savoir.
Il faut être un importé pour imaginer ce que cela demande d’être ici. Et pour que tu dises oui.
Je me rappelle que ma tante avait un jour balancé au visage de ma mère cette expression cinglante: La France… La France… On s’en fout de la France… Être accepté au Canada, voilà ce qui est formidable! Ma mère n’avait pas répondu. J’ai réalisé le formidable. Je suis québécois. Depuis 2012. J’ai l’impression que ça fait plus d’une décennie.
Tu ne te rends pas compte de ce que cela représente d’arriver au bout de ton parcours d’admission. Humainement. Financièrement. Les seuls pauvres qui sont chez toi sont des réfugiés. Et encore. Pour les autres comme moi, il faut être un peu riches. Ou plus que la vaste majorité qui cogne à ta porte. Du moins au départ.
27% diplômés universitaires analphabètes. 63% diplômés du secondaire. 40% du collège. Wow. Québec, depuis quand fais-tu parti du tiers-monde?
Tu me diras, les gens se font du « cash » dans le tiers-monde, font de belles carrières, et ont une belle piscine creusée. Tu auras raison. Sauf que, ça reste le tiers-monde.
M. Bélanger dans le Journal de Montréal dit qu’il faudrait revoir la communication publique, la rendre accessible, c’est-à-dire que « l’on n’est pas obligé d’utiliser des mots de cinq syllabes, surtout si on veut se faire comprendre« .
En gros, mon Québec, M. Bélanger te dit : « Tu es un analphabète fonctionnel. Ce n’est pas grave, le monde doit juste s’ajuster à toi, baisser d’un cran le niveau. Le monde doit avoir un français accessible, toi t’es correct. » C’est comme cesser d’être bipède et se mettre à quatre pattes parce que son enfant a de la difficulté à apprendre à se lever. Le nivellement par le bas.
Québec voilà ce que l’on te propose, de te maintenir dans ta pauvreté, du français, de ta conscience citoyenne, dans ton inculture. Et ce n’est pas un importé qui le veut. C’est pourquoi ça passe mieux.
Qu’une partie des diplômés soient analphabètes ne me surprend guère Québec. Toute personne qui a été aux études ces dernières années, ou qui a enseigné, le sait. Le niveau est bas. Très bas. Pour moi l’importé c’est souvent désespérant la « flexibilité » qu’exigent les étudiants et que les professeurs leur accordent.
Les rares qui tiennent le bout, qui tentent de maintenir une « qualité universitaire » minimale reçoivent les pires commentaires et évaluations des étudiants. Ils ne sont pas populaires, ils sont responsables.
Mais, la faute n’incombe pas uniquement aux étudiants mon Québec mais aussi aux parents.
Parce que souvent ceux-ci ont un niveau moyen ou bas, et qu’ils trouvent que malgré cette insuffisance, socialement ils s’en sortent pas mal (ou qu’ils auraient pu être pire). Le manque d’ambition. La satisfaction de la médiocrité. Je suis dur Québec, c’est parce que je suis triste.
Des parents qui ont abandonné ou démissionné, parce qu’ils sont à la fois des nombrilistes tendance laissez-faire et profondément hédonistes.
Les enfants sont des produits de leurs parents. Recyclent comme ils peuvent ces valeurs-là et reproduisent cet univers de références. En bout de ligne, Québec, des analphabètes fonctionnels. Ignorants. Limités. Et c’est ton avenir.
Mon très cher Québec, je pourrais me taire et faire comme les autres, gagner du « cash », le placer ailleurs dans des endroits sûrs, prendre des mesures au cas où tout pétera, et m’offrir la belle vie en m’indifférant de cette tragédie.
Je pourrais me dire que moi l’importé ce n’est pas mon rôle ou dans mon intérêt de te dire tout ceci. Je pourrais m’effacer pour ne pas trop déranger tous tes enfants que ma présence agacent. Et te laisser te démerder tout seul.
Je pourrais. Mais je ne le fais pas.
Parce que je t’aime.
Ce n’est pas rationnel.Ce n’est pas logique. Ce n’est sans doute pas intelligent. C’est le cœur.
Bordel.
