Je suis un mec qui rit mal.
Je suis comme vous, je ne sais pas trop ce que l’on entend par rire bien. Il a été décidé que je riais mal. Cela ne m’empêche pas de dormir. Déjà je dors peu. Même quand je ne ris pas.
Donc, je ris mal. Peu, mais mal. C’est un rire que l’on dit terrifiant, gras, noir, absolument insupportable. Et le pire c’est que je ne l’ai pas travaillé. Je vais me forcer pour la postérité.
Il y a une petite fille d’une dizaine d’années qui me fixe derrière ses grandes lunettes écrasant son lilliputien nez. Je ne sais pas pourquoi elle me regarde avec une telle insistance, les yeux rivés sur moi comme une psychopathe.
Ce n’est pas ma couleur saturée de mélanine qui doit autant l’intéresser, je la connais depuis un moment. En même temps, elle fréquente un milieu assez ouvert, un open space culturel. Des blancheurs, des blondeurs, des brunaires, et une pointe de noirceur comme la cerise sur le gâteau multiracial.
Un open space des mœurs aussi, libérales, où l’on parle de sexe comme on ingurgite du café, où dire que l’on s’est gratté le cul toute la nuit c’est comme se dire « bonjour, bien dormi ».
Je suis convaincu que son problème, ce regard posé de tout temps sur moi, ne vient pas d’une curiosité malsaine. Quoi que. Avec les jeunes d’aujourd’hui, leur précocité renversante, on ne peut jurer de rien.
Et je suis entrain de rire. Assis dos au mur, autour d’une table où il y a cette belle petite communauté de gens sympathiques qui savent bien rire. Le peuple d’en bas sait rire. C’est grivois, obscène, licencieux, c’est le rire qui n’a plus cet hémorroïdal bâton dans le cul.
Hier ou avant-hier, Catherine m’a fait bien rire. Tu sais ce qu’il y a de pire qu’un bébé crucifié à un arbre? Nooonnn… Dix bébés crucifiés à des arbres.
Il y a eu un moment d’horreur silencieux. De dégoût. Et j’ai ri. Comme un dingue. La folie d’un rire malade. Il était plus de dix heures du soir, dans une rue endormie de Montréal, mon rire violait la tranquillité des sommeils paisibles et allait terrifier tel un cauchemar les rêves merveilleux des gens normaux. J’ai ri, gras, caverneux, noir. Rire black pour humour noir.
Et je ris, la nuit frissonne. La petite fille ne m’a pas lâché du regard. Elle s’agrippe sur moi avec ses petits yeux. Les enfants m’ont toujours fait incroyablement chié. Les jeunes encore plus. Je crois que vivre à une époque où l’on aurait pu les acheter au supermarché, aurait été pour moi génial. L’on aurait eu le choix, mais surtout une politique clientèle du « satisfait ou rembourser ». Une politique du retour. Vous vous imaginez toutes les emmerdes que l’on se serait épargnées?
Les petits de la petite fille me fixent, je ne ris plus. Je me pisse dessus. L’humour est passé à l’arabe. Le rire autour de moi est jaune. Il y en a même qui ont la nausée. Ils vont gerber. C’est Montréal et ses quartiers embourgeoisés d’où on a extirpé les pauvres comme on ampute une tumeur cancéreuse.
Ici, ce n’est pas comme chez le peuple d’en bas. Ici, on ne rit pas à l’humour arabe. On vote bobo et on se reproduit dans l’entre-soi. Huis clos. Si l’on rit à l’humour arabe, soit qu’il est riche, soit que l’on est totalement saoul. Sinon, on ne rit pas.
Sauf si c’est un humour raffiné, donc peu risible, un truc hypster, à la mode vegan, absolument underground, ou éthéré. L’humour du bâton hémorroïdal.
Et je continue à me pisser dessus.
Ne vous fiez pas aux apparences, je suis un bourgeois du peuple d’en bas. J’habite dans un bourg et je jouis de certains privilèges. Entre autres choses, à part ce rire black et cet humour noir, je m’habille comme un plouc. Le peuple d’en bas se vêtit mieux que moi. Il va chez Walmart, l’Aubainerie, Winner, le Village des valeurs, et tout le reste. Moi, je fais mes emplettes à St. Vincent-de-Paul ou au Comptoir familial. Quelques fois à l’Armée du Salut. C’est mon plus grand privilège. Surtout, j’y rencontre des gens qui rient vraiment bien. Le rire du cœur. Point de constipation faciale comme ailleurs. Entre bourgeois de la misère il n’y a pas de place aux simagrées.
C’est drôle l’authenticité, cela me fait toujours sourire. Comme l’harmonieux mosaïque vestimentaire de Patrice Leroux.
Vous ne connaissez pas Patrice Leroux? Eh bien mes choux, vous êtes totalement hors sujet dans votre existence. Patrice est une oeuvre d’art contemporaine. Les gens qui le regardent ont généralement le regard boueux et ne voient rien. Moi, j’ai vu Patrice, la première fois, je me suis dis Ce mec est Warhol sans acides.
Le mec est un mixte de l’originalité, de la sobriété et de la substance. Le truc fort chez lui, c’est l’équilibre des contrastes. Ouais. Tout un art. Surtout de nos jours où soit les gens vont complètement en vrille, soit ils sont si mimétiques. Plats tel un encéphalogramme mort. Il me fait sourire Patrice. Un sourire black, comme la nuit.
Comme Luc Panneton me fait sourire quand je le vois jouer de la guitare en short. C’est comme si je regardais Paul McCartney en short. Ce n’est pas très emballant pour les groupies, mais au moins cela a le mérite de l’authenticité. Nul besoin d’hystériques après vous pour que vous soyez géniaux. Intéressants.
Il y a des gens comme ça qui ne seront jamais des Beatles, ni Bob Dylan ni Rolling Stones, mais qui en feront sourire d’intelligence et de ce petit truc fou et rare qu’est le substantifique.
Je conviens avec vous, l’humour arabe n’est pas drôle, parce qu’il est facile, convenu. Ben voilà, j’aime la facilité. C’est mon côté latino. Mexicain. Pas besoin d’intellectualiser l’humour. De faire transpirer les méninges. Ça doit couler de source comme l’effet d’un laxatif sur sa propre constipation. Proooouuuut! Après, c’est aux autres de rigoler ou de se boucher le nez.
Je ris mal. Et je me demande de manière très sérieuse pourquoi le voile empêche t-il autant de personnes de péter.
Ce n’est pas parce que mon voisin pète halal que je devrais mourir intoxiqué. Je pète porc. S’il n’est pas content, il peut mettre un masque à oxygène. Ou dégager. Nous sommes dans un pays libre.
Mon pet est mon pet. Le sien est le sien. Bon.Voilà. Pétons in peace and love.
Et la petite fille n’a pas arrêté une seconde avec son regard de tueuse en série. Et elle se décide enfin à me demander:
Tu ne changes jamais de couleur, toi comme le monde normal?!
Je suis crampé de rire.
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