Je déteste Noël. C’est aussi simple que ça.
Les sapins décorés, l’insupportable musique, la barbe blanche et la tunique rouge. Ce folklore de beaux et bons sentiments dispatchés comme une maladie vénérienne.
Tssss. Je sors une capote et je l’enfile sur ma tête jusqu’au cœur. Protection minimale pour un risque d’infection maximale. L’herpès de décembre a cette année une virulence inhabituelle avec ses démangeaisons Visa, MasterCard, AmericanExpress. Ça gratouille, on se soulage comme on peut.
La misère contemporaine n’est pas le dénuement matériel, elle est dans l’obésité matérialiste. Elle est dans toutes cette débauche de « luxure artificielle » qui est vendue et soldée sous des formes quelques fois inattendues (« créatives ») à des foules obsédées, en manque, ou simplement réduites à l’instinctif animal.
Elle est pour reprendre Roland Jaccard en 1975 (déjà) dans « l’image fallacieuse du bonheur confondue avec celle de la sécurité » (p. 20, L’Exil intérieur) et de la jouissance.
Elle est dans cette époque qui célèbre avec une telle profusion de cadeaux achetés au prix fort, « l’instauration d’une médiocrité et d’une insignifiance mondiales et planétaires ».
Elle est dans les « sots naïfs » et les « sots savants »qui pullulent dans ce « monde sans alternative » où tout est à la fois critiquable et jetable. Comme les sapins de Noël, les cadeaux revendus dès le lendemain ou le soir même, les pauvrards qui crèvent la dalle et avec bien naturellement que dalle.
Tout va bien. Le père Noël est une ordure, le monde un dépotoir. Et l’individu moderne, ce « cadavre dynamique », dans ses oripeaux qui sont un linceul clinquant, promène fièrement sa « nevrose, ses petites angoisses et sa grande solitude », dans les allées des super hyper markets, en jouant à la perfection l’air de la « gigantesque hypocrisie » ambiante.
Le public applaudit. Il a le sourire. Noël ressuscite l’encéphalogramme humaniste à plat durant le reste de l’année, il y a des pics qui sursautent, des bips qui se font entendre tels des hoquets, les étagères se vident, le bonheur est dans le panier. Personne dans le brouhaha des « Bon temps des fêtes » ne se rend compte que les pics, les bips, l’encéphalogramme est un canular, la prise sur l’humain n’est pas branchée.
Noël est une fête de barbares qui font tout ce qu’ils peuvent pour fuir, éviter, le déplaisir. Noël est une fête où l’auto-érotisme, le masturbatoire, est de mise. C’est une orgie de l’individu avec lui-même et ses névroses, l’autre est un voyeur dont la présence n’est utile que si elle permet d’amplifier la jouissance. Noël du « moi fort », du désir, de « la sublimation du pulsionnel ». C’est le religieux du matérialisme, le « Normalzustand« .
J’ai souvent vu dans cette célébration de Noël un « appel au secours », lancé bien inconsciemment par des êtres irrecevables et qui se tolèrent à peine dans cette drôle de Civilisation socialement dysfonctionnelle. Un S.O.S qui consomme et se consume par le même acte. Une schizoïdie, un exhibitionnisme schizophrène, un supergadget esclavagé, une sauvagerie qui se veut égalitaire et libératrice.
Noël, c’est le grand vide intérieur comblé par n’importe quoi. A l’instar d’Halloween. Et tout le bazar. Ce vide intérieur est sur-investi et personnalisé par le rien. Un sapin qui a l’allure d’une puissante érection est planté. Des montagnes de présents empilés les uns sur les autres, des enfants à qui on raconte qu’ils ont été gentils alors que ce n’est pas vrai, qu’ils savent que ce sont des histoires, et ainsi apprennent si jeune l’importance, la nécessité du mensonge et de l’irresponsabilité. Ce n’est pas grave. C’est juste L’Avenir d’une illusion.
Il y a un grand vide intérieur qui doit être comblé impérativement. Par tout ce qui traîne. Noël est symptomatique de quelque chose qui cloche chez l’être moderne.
Jingle bells. Jingle bêle.
Cher père Noël, je ferai et donnerai n’importe quoi, pour que tes rênes se fassent bouffer par les ours polaires, que ton traîneau heurte une météorite. Et que dans un magnifique feu d’artifice l’explosive collision illumine le ciel des hommes, heureux, comblés par tant de magie.
Voilà ma demande. J’ai été sage ces douze derniers mois, c’est ma femme qui me l’a avoué. Elle m’a trouvé très con. Pas pire, qu’elle m’a dit. Ma femme est une bonne québécoise pure laine, elle a toujours raison. Alors père Noël, please, fais moi plaisir.
Pour ce qui est de la vie en société, rappelons combien Freud avait apprécié l’anecdote des porcs-épics en hiver qu’il avait trouvée dans Schopenhauer: les porcs-épics, quand l’hiver est glacé, cherchent un peu de chaleur en se serrant les uns contre les autres. Mais les piquants de chacun s’enfoncent dans les chairs de l’autre et les déchirent. Les porcs-épics s’écartent alors les uns des autres et sont ressaisis par le froid.
De rapprochement en écarts et d’écarts en rapprochements, ils trouvent enfin cette voie moyenne où ils n’auront ni trop froid, ni trop mal, où ils passent compromis entre la douleur et le gel. Ainsi en est-il des hommes. Ils ne peuvent ni tout à fait vivre en commun, ni tout à fait vivre en solitude.
Roland Jaccard, L’Exil intérieur (1975)
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