Qui doit-on sauver? La chienne bien aimée ou la personne inconnue?

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Après le premier dilemme, le second.

Voici la situation à laquelle vous faîtes face:

Vous possédez une chienne. Elle est si mignonne que tout le monde auprès de vous l’adore. Votre enfant lui porte un amour sans borne. Votre partenaire, votre enfant et vous la considérez comme un membre à part entière de la famille.

Tout est donc formidable dans le meilleur des mondes. Vous voyez la vie en rose. Jusqu’à cet instant terrible, qui voit votre partenaire ivre de bonheur après avoir descendu votre plus belle bouteille de vin, écraser accidentellement la patte de votre chienne Kim Kardachiant. Lui causant des dommages graves.

Les frais pour la soigner chez un bon vétérinaire s’élèvent à 5000$, soit la totalité de vos économies. Pour vous, il n’y a pas à réfléchir Kim doit être sauvée.

Seulement, c’est sans compter sur votre meilleure amie Lili Lentourloupe qui vous rappelle votre engagement envers l’association Ligne Orange dont la mission est de porter une aide urgente aux jeunes en aide psychologique. Ils sont désœuvrés socialement, ce sont des personnes en itinérance. Les succès de l’association sont remarquables en matière d’encadrement, de soutien, de suivi, et d’insertion sociale.

D’ailleurs, Lili pour ne pas vous faciliter la tâche lit un courriel envoyé par l’un d’eux dans lequel il remercie son mentor – Lili –  et lui fait part de sa joie d’avoir rencontré l’amour de sa vie, d’avoir obtenu un travail stable, enrichissant, et d’être devenu père d’un bambin âgé de moins d’un mois. Lili est très ému par ces mots. Vous aussi.

Votre partenaire ne peut vous aider financièrement à cause de sa difficile période d’inactivité économique. Il se sent très mal, coupable. Votre enfant n’a pas arrêté de pleurer depuis l’accident. C’est une peine très forte.

Pendant que vous discutez avec Lili, un flash info passe à la télévision, L’association Ligne Orange annonce la prochaine cessation de ses activités à cause d’un grand manque de moyens. Les dirigeants de l’association en appellent à la mobilisation générale et à la générosité des cœurs.

Un représentant du gouvernement commente qu’il n’y a rien à faire du côté des pouvoirs publics dû à la politique d’austérité présentement en vigueur.

Le reportage passe les témoignages des bénévoles et des anciens jeunes bénéficiaires de l’aide associative.

Un sondage de l’opinion publique indique que si 99.9% des personnes sont très affligées par le sort de Ligne Orange, seuls 0.1% sont prêts à leur venir en aide. Sur les 0.1%, 99.9% sont prêts à faire un don de 10$ maximum. Les restes, 5$. Et pas tout de suite, austérité oblige. 

Lili a perdu espoir, elle braille. Votre enfant aussi. Votre époux est à quelques courtes respirations d’une crise dépressive aiguë.

Le docteur Mailloux, le vétérinaire en chef de la clinique Aux Folies Bergères vous appelle pour vous demander ce qu’il convient de faire de votre chienne Kim qui souffre et hurle à l’agonie.

Si vous aidez Ligne Orange, votre chèque de 5000$ sauve au moins 3 jeunes personnes. Et Kim meurt.

Si vous sauvez Kim, il est clair qu’en l’état actuel des choses au moins 3 jeunes vont basculer dans le suicide. Ils vont mourir.

Vous devez faire un choix. Là, tout de suite. Il n’y a pas de miracle, pas d’autre issue que les différentes alternatives présentées. Entre la chienne très aimée et la personne inconnue, qui devez-vous sauver et qui préférez-vous sauver ?

Objectif de l’exercice : Qu’importe votre décision, quel est votre argumentaire? Pourquoi ce choix?

Consigne: Pour vous aider dans votre réflexion, examinez les perspectives de Peter Singer, de Tom Regan ou celle de Clare Palmer et/ou Donaldson & Kymlicka.  

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Approches et analyse

La situation présentée ci-haut est un cas classique d’un dilemme qui fait rentrer en confrontation deux philosophies: le spécisme et l’antispécisme.

Plus précisément, de la question de savoir si l’être humain est-il de par sa nature une espèce supérieure aux autres espèces.

L’être humain est supérieur à l’animal!

Aristote par exemple dans son « Histoire des Animaux » affirme la prééminence de l’espèce humaine sur le reste. Pour les philosophes de l’anthropocentrisme, l’homme est l’objet central, voire de mesure de l’univers, et donc de ce fait justifie un traitement, une considération, différente (des animaux).

Le spécisme consiste à appuyer cette vision de la supériorité de l’être humain.  C’est une supériorité morale et le fondement de la légitime discrimination humaine envers les animaux. Un animal n’est pas pour les spécistes égale en valeur que la personne.

Néanmoins, le spécisme n’encourage pas que l’on réduise en esclavage, que l’on maltraite, les animaux du fait de leur infériorité supposée.  Selon leur degré d’importance ou de considération morale, certains animaux doivent bénéficier d’un traitement particulier et d’une attention supérieure aux autres. C’est le cas des animaux de compagnie ou des espèces en voie de disparition. Le spécisme a ainsi servi de pilier philosophique aux défenseurs des droits des animaux dans les années 1970.

La critique principale de cette approche ou de cette philosohie se trouve dans l’analogie que l’on peut faire entre les arguments spécistes (supériorité de l’espèce justifiant une discrimination de celles que l’on juge inférieures) et ceux qui ont forgé les théories puis les pratiques racistes et sexistes.

En donnant raison au spécisme, on prend le risque de rendre moralement justifiable, pour reprendre la formule de Valéry Giroux, des doctrines telles que le nazisme, le colonialisme,  ou de l’idéologie des sphères séparées qui a conduit la femme en dehors de l’espace public où les hommes décident, pour la confiner dans une forme de domestication (citoyenne de seconde zone dans la société patriarcale).

[…] la femme du républicain canadien français soumise à un « code de conduite » – lequel voit la participation de celle-ci dans la vie publique comme une activité immorale (contre-nature), une atteinte à la « vie sacrée du couple », un danger pour la société civilisée (le fils mal élevé du fait de l’éloignement du foyer par la mère est incapable de devenir un « bon citoyen », ainsi l’homme dénaturé corrompu et « efféminé » devient vulnérable à la tyrannie) – s’abstient de se déshonorer en se montrant.

L’audace étant le « signe de la déchéance » ou d’une « inconduite sexuelle déplorable », autrement dit de « prostituée ».

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Peter Singer s’oppose au spécisme. Pour lui, il est nécessaire d’en arriver à la « Libération animale ».

Grosso modo, il croit qu’il faut accorder le même poids aux souffrances humaines et animales. Parce qu’il existe une égalité dans la souffrance (les animaux comme les personnes sont des êtres sensibles). C’est donc un principe moral: l’égale considération des intérêts, c’est-à-dire que les humains doivent agir de telle sorte à toujours prendre conscience et en considération les impacts sur les autres espèces, car elles peuvent en souffrir. C’est donc un conséquentialisme.

Si dans votre reflexion sur la situation posée plus haut vous avez cette pensée: C’est invraisemblable que l’on refuse d’octroyer autant d’importance aux intérêts et à la vie de la chienne qu’à celui des deux jeunes individus. Alors vous êtes un Peter Singer, un antispéciste. Vous n’êtes pas très loin de l’autre très grand penseur de l’idéologie antispéciste Jérémy Bentham (dont s’est inspiré Peter Singer), ou bien du philosophe Carl Cohen

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Ma famille prioritaire, je ne suis pas à l’origine des souffrances du monde!

Si vous croyez qu’il n’est pas responsable de solutionner un problème ou une situation dont vous n’êtes pas la cause directe ou indirecte (les jeunes) plutôt que répondre aux enjeux affectant votre « famille » (la chienne Kim Kardachiant), alors c’est une approche intéressante.

On pourrait appliquer cette logique à la pauvreté ou à la guerre. On le fait même tous les jours : les gens sont de plus en plus pauvres, la guerre tue de nombreux enfants au quotidien, c’est plate, mais comme ce n’est pas ma faute, je n’en suis pas la cause, je vais me concentrer sur mes propres problèmes.

Si je reprends l’argument de Singer (la souffrance est la chose commune aux espèces animales et humaines), il n’est pas moralement acceptable de prioriser l’une ou l’autre situation, car bien que les arguments soient légitimes ça serait de la discrimination, un « anti humanisme ».

La sensibilité est la clé du principe moral de Singer. Les animaux sont des êtres sensibles comme le sont les jeunes qui souffrent de troubles psychologiques, désœuvrés sociaux. Singer dit : on ne va pas préférer les jeunes car ils sont humains. Mais Singer ne dit pas qu’il faut prioriser l’animal.

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Alors si sauver la chienne Kim parce que les jeunes c’est un problème un peu « lointain » , « pas immédiat », ou « que l’on se sente peu ou moins coupable », n’est pas antispéciste, et est moralement discutable, si sauver les jeunes l’est moins sous prétexte que ce sont des êtres humains (l’argument spéciste de la supériorité de l’espèce), alors que convient-il de faire? Quel est le bon choix?

Je ne sais pas.

J’ai toujours pensé que dans une situation de dilemme moral, il n’ y a pas de bon ou de mauvais choix, de décision »bien » ou de décision « mal », il y a des jugements et des actes avec lesquels on est prêts à vivre, surtout lorsque l’on sera isolé dans l’intimité de sa conscience.

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Tom Regan, le philosophe des droits des animaux

Cela dit, invoquons Tom Regan et  son « Les droits des animaux ».  

Pour Regan si les droits humains et animaux rentrent en conflit dans une situation extrême du genre (et je caricature un peu) à entraîner la mort soit de l’animal ou de l’humain, il faudrait « sauver » l’humain.

Non pas parce qu’il est humain ou supérieur, mais parce qu’il a le plus à perdre.

En même temps, Tom Regan affirme dans son principe du pire (« The Worse-off principle ») que devant un tel conflit de droits, un tel dilemme, il ne faudrait pas regarder les conséquences ni sur le plus grand nombre « d’innocents » affectés ni sur le plus petit ou indirect, mais prioriser les plus « mal lotis », les « plus fragilisés ».

Dès lors, selon vous, entre la chienne Kim, votre famille et les jeunes en urgence sociale, psychologique, qui est sont les plus mal lotis, les plus fragilisés? 

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En résumé, retenir deux choses essentielles de Singer :

  1. La sensibilité des espèces (si un jour on prouve scientifiquement que les végétaux sont des êtres sensibles, alors il faudrait par extension du principe moral de Singer considérer leurs intérêts) et,
  2. La non-préférence (discrimination) fondé sur le critère de l’appartenance à un groupe supérieur (privilégié) ou de la proximité dans la sensibilité.

Si vous vous dîtes que: De toutes les façons, ma priorité c’est le bonheur de ma famille! Alors, pensez au bonheur de ces jeunes privés de famille et bientôt de vie.

Si vous vous dîtes: De toutes les façons, les jeunes sont des solitaires, moi j’ai un plus grand nombre de personnes dont je suis responsable! Alors posez-vous cette question: Et si ces gamins étaient les enfants de quelqu’un, et si leurs proches ne savaient pas où ils étaient, et si ceux-ci étaient plus nombreux que les miens, et s’ils les aimaient autant que j’aime les miens, voire davantage… Et si…

J’arrête là. Comme dirait l’autre « Avec des si je coupe du bois« .. 

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