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Laurence est une pute. Du côté d’Outremont, où la vulgarité est bienséante comme un murmure à peine audible, Laurence est l’objet d’un silence réprobateur qui s’est se tenir comme il faut. Dans cet espace cossu, le verbe est proustien avec ses conjugaisons soignées, Laurence elle est un bordel surréaliste. Le dégoût qu’elle suscite est policée, et les sentiments que l’on éprouve à son endroit restent toujours d’une affabilité invariable. C’est à peine si elle existe. Et même quand elle laisse généreusement entrevoir un bout de ses seins magnifiques, parce que sa tenue est inappropriée, la colère que l’on perçoit dans les regards outragés n’élève jamais la voix.  Dans cette partie de l’univers montréalais, Outremont est un monde au-dessus de la plupart des autres, le lieu en lévitation où les flatulences sont insonorisées et inodores ; quelques fois florales, entre délicatesse et finesse. Laurence is a bitch.

Sur le Plateau Mont-Royal, c’est la pose artistique qui prévaut, alors Laurence est déposée sur un piédestal supporté par des livres prétentieux que personne n’a lus ou mal lus. Là, elle est comme une œuvre morte et pourtant si vivante pour les bigots excentriques, en adulation, aussi libres que mimétiques, toujours en transe, toujours en quête du truc inédit qui rendra leur masturbation exceptionnelle. La mort raidit. Fait jouir. La jouissance est une petite mort. Laurence dans ce cycle sempiternel branché intello-bohème du morbide, est une divinité des Parques. Son cul est une paire de ciseaux qui tranche la vivacité de ses adorateurs. Après la petite mort, il y a comme un creux qui ressemble à un cercueil. Laurence dans cette partie du Montréal alternatif est un châtiment divin. Godness.

Dans un parc du Mile End, Laurence est une voix dissonante dans le concert triste et non-assumée comme tel de musiciens accros aux inspirations psychédéliques. Une balade dans un lieu à l’esthétique inharmonieux, qui défèque le moindre bout de l’infect dans des ruelles d’un odieux qui force la fascination. Laurence joue du Lhassa De Sela. Les notes d’El Arbol Del Olvido sonnent comme le poème symphonique Op. 29 de Rachmaninov. Les hipsters errant par-là tombent sous le charme. Laurence est la sirène. Beaucoup vont se noyer, comme les œuvres murales pourries englouties par la vague de mocheté en acier et en béton du développement urbain. Laurence joue encore. La chevelure brune soulevée par les vents contraires. Les doigts habiles caressant des touches serviles. Les yeux aux lumières émeraudes repeignent d’un autre réel cette réalité terne composée et déposée par un scénographe ô combien médiocre. Laurence, là, is the queen.

A Iberville, faubourg-cimetière, ou plus justement dépotoir à ciel ouvert, de rejets sociaux, elle est une salope. Parce que Laurence s’agrippe à une barre latérale, se balance avec la même aisance qu’un de ces artistes acclamés du Cirque du soleil, se déhanche avec la même sensualité que celles des vedettes admirées du tout petit écran, se met à nu avec la même vérité que tous ces livres-confessions fangeux que des lecteurs absolument paumés adorent, Laurence est une effeuilleuse. A Iberville, c’est une danseuse dans un bar à putes. Salope.

Dans le Vieux-Montréal, au milieu de tous ces gens qui sur-jouent comme ils peuvent la success story instagraméenne et le bonheur très facebookien – jeunes, beaux, dynamiques, elle est hot. Chaude. Brûlante.  Un Saturday Night Fever. On lui offre des drinks sophistiqués, hors de prix ; on l’invite sur des yachts de papa pour un tour dans les Caraïbes où le soleil ne ressemble pas à celui d’Iberville, le soleil du bien-être social, un peu incapable et beaucoup condamné dès l’aube. Elle se balade en limousine avec les papas des jeunes fils de. Dans ce monde d’apparat et de pastiches, coller sur la carte postale montréalaise pour masquer les autres mondes sans éclats, Laurence est un profil Tinder qui présente bien et que l’on veut se faire, et que l’on ne souhaite pas toujours après coup revoir. Laurence le sait. C’est la game. Elle vit le moment, l’instant, aussi superfétatoire soit-il, aussi superficiel et fake soit-il, l’essentiel est ailleurs, quelque part, elle ne sait pas trop où, personne ne lui en demande autant. Parce que Laurence est à l’image de ce qui s’exhibe, un Next.

Sur Crémazie, qui ressemble tant à une version négligée d’un décor tiers-mondiste, elle est Laulau. Fille de… Rien. Les parents ont foutu le camp. Ils sont une présence absente. Ils sont cet abandon qui résulte du renoncement. Dans ce foutoir, ils ne sont pas coupables sans cesser d’être responsables. Laulau est la petite princesse de quelqu’un. Sans véritable royaume et sans diadème. Elle a su très tôt ce qu’il faut faire pour survivre. L’école n’était pas son truc, ses classes elle les as faites avec les rencontres qui conduisent d’un coin obscur à un autre, de rêves avortés à d’autres, un apprentissage impitoyable qui en a laissé plusieurs sur le carreau. Laulau tient dans un appartement miteux qui coûte une fortune. Montréal est un petit New York. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Laulau regarde le mur décrépit, c’est une fenêtre qui ouvre sur l’imaginaire. Comme un oiseau dans une cage, elle déploie ses ailes et vole vers la liberté. L’espoir. Et ses rêves. Peut-être retrouvés.

Ce matin, Laurence n’a manqué à personne. Ni à Outremont. Ni sur le Plateau. Ni au Mile End. Ni à Iberville. Ni au Vieux-Montréal.

Sur Crémazie, son appartement est à louer.

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