Vieilles poubelles

La population vieillit à la vitesse grand V et les gens ont de moins en moins de temps libre, liés qu’ils sont à leur travail par tous les gadgets électroniques qu’on leur vend.

C’est tout juste si on trouve du temps pour s’occuper de nos enfants, alors vous imaginez nos parents…

Ils nous ont torchés lorsqu’on était chauves, édentés, en couche et dépendants. Maintenant que ce sont eux qui sont sans dents, sans cheveux, en couche et en perte d’autonomie, nous n’avons plus le temps de leur renvoyer l’ascenseur.

Si au moins la télé s’intéressait à eux. Même pas.

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Les vieilles personnes dans notre société postmoderne sont de vieilles poubelles que l’on a sorti, hors du cadre familial, et que l’on a abandonné dans un dépotoir en espérant qu’elles crèvent vite. Afin de pourvoir, enfin, entre autres choses, toucher l’héritage.

Le dépotoir, ce sont tous ces centres de la vieillesse qui sont, de manière très euphémique, appelés résidences pour personnes âgées. En réalité, il faut bien le dire et l’assumer comme tel, ils sont des mouroirs. Maltraitance, négligence, abandon, solitude, décrépitude, déshumanisation. L’enfer de la vieillesse contemporaine, ce n’est pas la perte de ces facultés, la détérioration de son état, encore moins le crépuscule de la jeunesse, du bel âge, non, c’est la case pour vieux, ce cercueil dans lequel on emmure les aînés pour mieux les tuer.

Car il convient de l’avouer, notre conception du rôle des personnes âgées dans la société correspond à celle que nous nous faisons de ce qui est inutile et absolument non-nécessaire, de ce qui nous empêche de jouir en paix, libéré de toute espèce de responsabilité. Parce que les vieux sont des emmerdeurs de première. Ils prennent du temps, coûtent un bras, et ne sont jamais contents. Un peu comme les enfants. Que nous étions tous. Que nous, pour la plupart, sommes restés.

Sauf que les enfants, certes c’est chiant, ça gâche les fins de semaine, les soirées, les vacances, mais c’est cute, mignons, ça fait de belles photos pour les réseaux sociaux, et c’est un peu un accélérateur de popularité ainsi qu’un amplificateur du « c’est tellement une belle personne ».

C’est pourquoi, contrairement aux vieux, on ne les sort pas comme les poubelles, ce sont des accessoires qui peuvent servir. On essaie d’en prendre soin, même si le cœur n’y est pas toujours, ou que l’on trouve ça trop compliqué, stressant et dépressif. Trois maux à la mode, trois mots qui expriment la grande immaturité des adultes, de gros enfants, pourris gâtés, pourris finis, pourris jetables.  

En outre, les enfants sont les fruits de notre pur égoïsme. Ou de notre sincère insouciance. Nous les voulions, ou ils étaient des accidents. Donc, il faut bien assumer après. Ou faire semblant. Du mieux que l’on peut. Souvent ce qui veut dire rien. Démissionner, et attendre des inconnus qu’ils les élèvent comme il faut, qu’ils en prennent soin, à notre place. Enseignantes, instituteurs, spécialistes en petite enfance, etc., les inconnus prennent le relais pour que nous continuons à jouir de la vie. Tous les prétextes sont bons tant que la finalité est atteinte: moins de tracas, plus de bonheur. Nous, ce moi je collectif. 

Les vieux, eux, n’ont pas cette chance, nous n’éprouvons aucun remord à les tasser, loin, très loin, jusqu’à ce que mort s’en suive. Et quand elle arrive, comme des vautours nous approchons de la charogne, nous l’examinons et nous demandons : c’est combien l’héritage? 

Ce n’est pas si mal que ça en a l’air, nous sommes des fruits de nos parents, si nous aimons tant le cash, que nous sommes faits de matérialisme de la tête au bout des ongles, c’est parce que nous sommes à l’image de l’éducation et des valeurs reçues.  Ou de l’absence d’éducation et de valeurs. Ce qui revient au même.

Je n’ai jamais compris comment l’on pouvait tuer ainsi nos vieux. Nous qui nous disons si modernes, si civilisés, si humains, par rapport au passé et au reste du monde. Nous qui prétendons être une société de la dignité humaine. Comment peut-on accepter d’abandonner une personne qui souvent à consacrer sa vie à nous offrir le meilleur de l’existence, qui s’est sacrifiée pour que nous puissions par notre effort être de bonne personne, qui malgré son imperfection a essayé d’être un modèle ou une inspiration, qui ne nous a pas donné la totalité et qui s’est démerdée comme elle le pouvait pour que nous ayons l’essentiel? Au nom de quoi? De la carrière? Du travail? Du manque de moyens? De temps? D’argent? De quoi? Nous sommes de purs égoïstes. 

Ma grand-mère me disait toujours: rien n’est impossible quand on a décidé d’agir. L’action n’est pas seulement une question de moyens, c’est aussi et surtout une question de volonté réelle. Parce que si l’on veut vraiment faire quelque chose, on trouve toujours des solutions créatives. Et la créativité n’est véritablement créativité que dans des conditions restrictives, lorsque les moyens manquent, quand tout semble compliqué, alors l’esprit qui est déterminé à atteindre son objectif invente, crée, à partir de rien, de peu. C’est la créativité dans ce qu’elle a de plus extraordinaire, de plus noble. 

Nous ne voulons pas, et ne sommes donc pas créatifs. Nous manquons tant de noblesse. Du cœur, de l’âme, de l’esprit. Nous haussons les épaules, nous nous trouvons des excuses, de petits contentements. Des facilités qui nous rassurent parce qu’elles ne demandent pas beaucoup d’effort et de sacrifice, de perte et de déplaisir, de responsabilité.

Et nous les choisissons en prétendant ne pas avoir d’autres alternatives ou en écartant les alternatives difficiles. C’est un mensonge qui nous fait du bien. Qui calme notre conscience, quand nous voulons bien en avoir une, et de ce fait nous fait avoir de belles nuits. Sans prise de tête. Liberté et paix, calme et sérénité. Comme une autruche la tête dans le bac à sable. 

Nous avons des choses à apprendre de ces peuples que nous considérons comme de grands sauvages. De ces primitifs, qui malgré le dépouillement, l’absence de presque tout, n’abandonne personne. Où tous les membres de la famille sont sous le même toit, partageant le petit rien, se soutenant les uns les autres. Où ceux qui travaillent ont le devoir de veiller sur les plus vulnérables, les enfants, les vieux, parce que dans ces cultures là un enfant est l’avenir de l’Homme qu’il faut protéger coûte-que-coûte, et un vieux la mémoire, la sagesse. C’est un devoir de reconnaissance, l’expression d’une gratitude. Même si le vieux n’a pas toujours été un ange, le sommes-nous? 

Nous n’apprendrons rien de ces autres. Imbus de notre supériorité. Un peu rien à foutre. Nous allons restés figés dans cette réalité dans laquelle, quand il n’y a plus de public, nous sommes perdus, seuls, disparus, inexistants. Dans cette vérité que nous connaissons parfaitement, nous sommes des menteurs, des autruches, de purs égoïstes. Ce qu’il importe, après tout, c’est que nous puissions vivre avec, continuer notre jouissance sans contraintes, dormir tranquille la nuit.  D’autant plus que les vieilles poubelles sont au dépotoir. 

« Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse. »André Gide

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