Minimalisme. Une philosophie. Une vision. Une existence.

Ludwig Mies Van der Rohe a dit un jour : Less is more. Autrement dit, l’essentiel n’est pas qu’une soustraction du superfétatoire, une réduction du surplus, une diminution du trop. L’essentiel, c’est davantage du nécessaire. En arriver à une forme épurée qui soit à la fois utile, indispensable, et d’une simplicité éloquente. L’architecte, figure de proue du minimalisme architectural du début du 20e siècle, designer légendaire ayant influencé de nombreuses générations de créatifs dont l’ombre plane encore sur l’esthétique contemporain – on pensera notamment à l’engouement ces dernières années pour les formes raffinées tout en gardant généralement un aspect abrupt, les espaces ouverts, la fluidité de l’espace, le choix de la luminosité naturelle, les couleurs sobres, etc. – croyait que simplifier était l’art difficile d’atteindre la substance sans recourir aux subterfuges. La clarté ambiguë, la complexité accessible, l’a priori saisissable qui invite à aller plus loin que cette évidence dont elle se vêtit. Entre classicisme et constructivisme en s’arrimant quelques fois à un néoplasticisme proche du groupe De Stijl, le minimalisme de Van der Rohe est une esthétique de la substance dont chaque détail est une expression nécessaire. Le message principal d’une telle conception se trouve dans la volonté de parvenir finalement à l’universel qui rapproche les origines, les appartenances, les particularismes. Le message parle à chacun, tous sont à même de se l’approprier, ainsi de l’enrichir par un signifiant polymorphique, polysémique, renvoyant cependant à une Idée commune : l’être et le sensible.

Le mouvement Bauhaus que dirigera Van der Rohe a jeté les bases d’une modernité qui se voulait un retour aux fondamentaux. Un cheminement alternatif à la profusion et à cette espèce de saturation des objets, des formes, des sentiments, des émotions. De la brutalité du paraître, mais aussi de son indigence. Puisque manquant de profondeur. Beaucoup d’imaginaire. Mais le Bauhaus, surtout ses avatars, a fini d’une façon comme d’une autre par rentrer dans le rang, à l’heure du sur-consumérisme. Son esthétique a été popularisée, sans que l’esprit qui a présidé à sa création ait été préservé. Le Bauhaus, aujourd’hui c’est paresseux, facile. Du simplisme. On vise une apparence, on tient une rhétorique assez convenue sur l’absence d’artifices tout en s’appuyant sur l’exhibitionnisme émotionnel et matériel, on tente de gagner un marché en faisant semblant de révolutionner l’ordre établi, on essaie de se vendre en adoptant une posture désintéressée. Le Bauhaus de nos jours c’est l’ergonomie plat, le fonctionnalisme sans plus. La sophistication comme objectif, en oubliant que parler de sophistication c’est déjà trop. Less is more.

Le minimalisme, ce n’est pas la sophistication. Ce n’est pas l’austère. Le vide. Encore moins le rien. C’est un principe régit par le nécessaire élevé au rang d’absolu, et l’utile comme moyen conduisant à l’épanouissement individuel et collectif via l’étonnement, l’effort de réflexion, le mouvement de partage. Être minimaliste, c’est croire que la réalité normative dans laquelle chaque être postmoderne est plongé n’est pas acceptable parce qu’elle l’éloigne du caractère foncièrement immatériel du soi. Le minimalisme pensé comme une expression sans fioritures de ce dont on a réellement besoin. Ai-je besoin de tous ces mots pour dire ma réflexion ? Ai-je besoin de la dire ? Pourquoi et à quoi cela sert-il ? Est-ce nécessaire ? Est-ce que la manière de présenter le propos est dépourvu d’une stylistique qui encombre, brouille, perd, dissout l’essentiel ? Est-ce que le message est suffisamment universel pour être compris, vécu, possédé par autrui ? En quoi est-ce utile, vraiment utile ? Voilà le point de départ d’une expression littéraire minimaliste. Et pas que.

Le courant récent tend à croire que le minimalisme est avant tout une économie des moyens, la sobriété dans sa manière d’être, la simplicité de l’agir, le fait de se débarrasser du trop-plein. La surabondance et l’excessif. L’élimination du « much » que crée l’accumulation du « everything ». Il me semble que le minimalisme tel que je le conçois est plutôt, au départ, une philosophie de l’essentiel, une morale utilitariste, une éthique conséquentialiste, une esthétique du clair-obscur saisissant la complexité de l’identité et poussant au rapprochement pour mieux voir la vérité plurielle en tout objet, en toute personne. Le reste découle de ce fondement. Le refus du matérialisme, le consumérisme ou la consommation pour la consommation, le paraître, le jugement et le préjugé, l’affirmation de soi par une reconquête de l’authenticité, le dépouillement mental des pensées sans intérêt pour une acuité d’esprit qui construit des possibles. Ce n’est pas seulement un abandon du réel qui nous est imposé par une société productiviste, désincarnée et déshumanisée, c’est faire le chemin ramenant aux sources. L’être et le sensible. L’être étant la valeur d’un ensemble composite où eccéité (conscience que l’être est lui-même et pas un autre), dignité (la nature sacrée de l’être, le respect de soi), altérité (conscience d’autrui en tant qu’être) font chambre commune. Le sensible étant plus qu’une perception immédiate de la réalité dont on en fait une vérité, mais la connexion profonde à l’essence de toute chose, de tout objet, de tout être, à sa vérité qui se dévoile au fur et à mesure de son observation, de sa pénétration en nous, de son analyse. Cette profondeur de la connexion que l’on établit s’émancipe des distractions, de l’illusoire, pour toucher à la substance. Le minimalisme, comme je me l’approprie, est donc cette atteinte de la substance en considérant sa représentation qu’elle soit corporelle, figurative, etc. telle une valeur à considérer dans son entièreté et sa complexité. Cette atteinte exige une approche de l’essentiel. Le moins pour toucher le véritable. C’est seulement après que le jugement peut se faire, et encore si seulement il est impératif.

Sur un plan plus pratique, le minimalisme au quotidien c’est le dé-progrès. Déconnexion structurée de la réalité contemporaine avec ses technologismes à l’addiction qui esclavage, la saturation de ses urgences non-nécessaires, ses priorités non-véritables, ses hystéries qui essoufflent et épuisent, ses courses qui conduisent droit au mur tout en ne contentant jamais l’être, ses normes assujettissantes qui transfèrent à d’autres le pouvoir de définir ce que chaque être est, ses attentes oppressives qui font ressortir le pire de l’être. Dans la vie de tous les jours, le minimalisme c’est une existence désencombrée de toutes les futilités, le tri pour réduire le foutoir, la méditation pour réfléchir aux questions existentielles (que suis-je ? qui suis-je ? pourquoi suis-je ? où vais-je ? pourquoi ? quelle est ma définition du bien ? du mal ? en quoi elle répond à ce que je suis et satisfait à qui je veux réellement être ? quel est le sens de tout ce que j’ai fait ? quel sens donné à ce que je veux faire ? qu’est-ce que je veux faire ? qu’est-ce que je veux être ? suis-je sincère et honnête envers moi-même ? que puis-je faire aujourd’hui pour la nature, l’harmonie, la bonté ? suis-je parvenu ? comment faire bien sans rien ? faire mieux avec moins ? etc.).

La loi de Pareto affirme que 80% des effets sont le résultat de 20% de cause, en d’autres mots en l’appliquant au quotidien c’est se concentrer sur les 20% d’actions ou de décisions qui peuvent provoquer 80% de bonheur autour de soi. C’est dans un garde-robe en éliminer 80% pour ne conserver que ce 20% que nous utilisons tout le temps. Ne conserver que l’essentiel, l’utile, le nécessaire. Le 20%. Celui que l’on peut optimiser en réfléchissant un peu au lieu de céder à la solution la plus immédiate, la plus facile, l’impulsive. Un autre principe du minimalisme c’est de se dire que l’habit ne fait pas le moine, mais que c’est le moine qui fait l’habit. C’est ce que vous êtes, votre aura, qui confère au vêtement de la valeur et non la marque du vêtement. Prenez le temps d’observer autour de vous, les gens qui s’habillent en étant en accord avec leur identité profonde, l’habit leur servant ainsi comme jadis chez les Amérindiens de prolongement extérieur, visuel de leur être, sont ceux qui captivent vraiment. Qu’importe l’argent que vous mettez dans un accessoire, un vêtement, une maison, un véhicule, un ornement, cela ne sera jamais de grande valeur tant que cela n’est pas réellement vous. Vous êtes autre chose que tous ces objets. Toutes ces acquisitions seront éblouissantes, triomphantes, aveuglantes même, mais sans plus. Et vous comme être n’en serez pas. L’habit ne fait définitivement pas le moine, c’est le contraire qui est vrai. 

Le minimalisme au quotidien, ce n’est pas le slogan marketing « Consommez moins, consommez mieux », c’est l’interrogation « Est-ce que j’ai besoin de consommer ? Est-ce nécessaire ? Si oui, quelle est la proportion dont j’ai besoin, qui m’est nécessaire ? ». En ayant à l’esprit que je peux être heureux avec le nécessaire même si j’ai les moyens d’en avoir plus, le nécessaire qui comble mes besoins, que le plaisir ne doit pas prendre le dessus sur mes choix, je m’inscris dans une dynamique de retenu, de clarification et de compréhension de ceux-ci.

Le minimalisme va au-delà de la simplicité volontaire, c’est une spiritualité. S’élever pour mieux retrouver son être, le voir, le comprendre, et tenter de fusionner avec. Entre une espèce d’ascétisme et le stoïcisme, en passant par la théosophie antique et un devoir d’humanisme. L’être et le sensible. L’essentiel et la substance. Le nécessaire et l’utile. L’authentique.

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