Station côte-des-neiges. Un air de saxophone pour oxygène. Je respire.
Escaliers mécaniques qui élèvent certains, vers la lumière. La lumière, j’en viens, et je n’y ai vu que des ombres. Marchant comme d’autres rampent dans la poussière. Dans la lumière, la poussière se mêle au monoxyde de carbone, à la puanteur ordinaire d’une ville misérable, se mélange au gris du progrès en bitume et autre macadam, la poussière dans les yeux qui aveuglés ont cessé de voir les ombres passantes que rien ne semble pouvoir arrêter. Y compris leur propre destin.
Escaliers mécaniques, dernière marche. L’oxygène est saturé de notes de saxophone. Au bas des escaliers, un vieux au rouge gilet, une pipe qui chante dans la gueule, une tête à être heureux, nom de dieu. Je respire.
Snowdon ou Saint-Michel, d’un bout à l’autre du bleu il y a un labyrinthe dans lequel les ombres de lumière se meuvent le pas rythmé par la cadence d’un temps qui court et qui ne reviendra jamais, les ombres s’imposent la marche funèbre, Piano Sonata No. 2 in B-flat minor, Op. 35, et ils ne l’écoutent même pas. Ombres aveugles et sourdes. Aucun n’a entendu dans son enfance la ballade des gens heureux.
Snowdon. Échangeur et échangiste. On sort d’un cercueil pour pénétrer un autre. Sans véritable protection. Sans y penser. En mode automatique. Sans plaisir. Comme les escaliers mécaniques. Comme les baises de couple. Comme celles de tous les soirs. On entre, on sort, on connaît le chemin par cœur, l’esprit ailleurs, l’exécution machinale, propre et sans bévue.
Sur le quai, des masses agglutinées fixent droit le mur, moche et hermétique. Dans leur tête, la conversation a lieu dans une autre dimension, j’ignore laquelle, je n’ai jamais su faire la discussion, cela vire souvent à une espèce de thérapie où l’Autre moi en dehors de moi et en moi en même temps s’étale sur le canapé, me communique ses névroses, que je traduis en quelque chose qui ait et fasse sens pour la lui rendre. Je suis le psy’ qui ne coûte pas de bras. L’Autre se met à nu, et sait qu’entre nudistes on ne s’encombre pas de soutane. C’est ma faute, je pose des questions qui déshabillent, la tête ailleurs comme ceux qui font une fixation sur le mur. Et j’ai ce quelque chose dans le regard qui provoque l’inconfort, et il est su que l’inconfort est le début des emmerdes. Du moins, c’est ce que l’Autre et tous ses Autres autant que ces Autres disent enfoncés dans le divan. J’aime ces gens. J’aime les gens. Après la séance, des jours plus tard, je leur demande : es-tu heureux ? Ils cessent de fixer le mur, tournent leur visage vers moi et répondent un truc que je ne prends pas réellement la peine d’entendre. Le mur s’est volatilisé, cela est suffisant.
Station lionel-groulx. La ligne verte en a connu des pas mûres ces derniers temps, vétusté du réseau oblige, le XXIe siècle attendra. Des masses quittent les cercueils, vont d’un déplaisir à un sentiment analogue, déambulant comme d’autres traînent des boulets, elles se fixent dans un coin, figées, construisent des murs afin de ne laisser passer aucun courant d’air. L’air de saxophone peut bien aller se faire pendre. De Nerval pourrait éventuellement lui prodiguer quelques conseils.
Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule :
As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ?
Station square-victoria-oaci. Un nom long comme l’Assommoir. La migraine n’est jamais loin. Je l’ai vue passer. Une note pétale d’un Ain’t No Sunshine bouquet lumineux offert par un saxophone accompagné d’un harmonica, nom de dieu, marche délicate, les pieds caressant doucereusement le sol, entre la lévitation et la terre, elle est passée.