Renato, Samra, Kim, Hugo, Leïla, Pierre, Lydie, Victor, Nesrine – Instantanés, et etc…

Bande sonore : Charlotte Cardin – Dirty dirty.

Hugo a une tête de samouraï, le corps d’un surfeur californien dans le bel âge, le regard-braise d’un coucher de soleil, le sourire d’un italien en pleine confirmation du préjugé de séducteur-né, le calme du vent de Kent Loach – c’est-à-dire que lorsqu’il soufflera ce sera révolutionnaire. Mais Hugo, c’est surtout une plume. Poétique. D’une sensibilité que seuls les plus grands savent en avoir. Des strophes d’une beauté rare. Il faut avoir les sens exceptionnels pour écrire des vers qui captent ce moment précis où le cœur bat au diapason de cette fabulosité que sont les vibrations émanant du monde et de soi. J’ai lu Hugo. J’ai regardé l’individu quitter de son intériorité pour sculpter l’extérieur avec des rêves, des espérances, des aspirations. Le monde de Hugo m’a laissé sur le cul. Je lui ai envoyé un message pour lui dire à quel point il me filait des hémorroïdes. Ce que je n’ai pas dit à Hugo c’est que son talent brut m’a fait me rendre compte que j’écrivais de la merde. Je n’écrirai plus un seul vers dorénavant. Hugo suffit.

Je l’ai rencontré dans un séminaire où l’ensemble des âmes égarées rêvant de grande transition de la connerie contemporaine à un monde véritablement meilleur discutaillait de transnationalisme comme on s’imagine le Grand Soir. Pas tous. Quelques-unes. Parmi lesquelles, Kim.

Kim a un MacMachinTruc signé Apple avec des milliers d’autocollants Che Guevara. La première fois que je l’ai vue, j’ai d’abord remarqué son ordinateur à l’apparence Bakounine sortant d’une usine esclavagiste du Bangladesh et estampillé Silicon Valley. C’est sexy. Cool. Et cela est sans doute l’essentiel. Kim est une convaincue de véganisme, au rire « J’adore la vie » tout en éclat d’honnêteté et d’authenticité. Truculent qu’ils disent, moi je dis vivant et vibrant. Notre première vraie conversation fût un duel. Les balles étaient des fleurs. L’opposition d’un type calinours, nous a vu ne pas nous embrasser sur la bouche, seulement une étreinte de la passion qui anime des êtres en pleine taquinerie jouissive et n’ayant qu’une exigence : le goût agréable des gens. J’ai adoré. Kim. Le duel. La passion. La non-scénarisation.

Hier, j’ai fait un tour du côté de son profil réseau social. Kim était devant un micro comme si elle déclamait des vers. Cette photographie est d’une puissance indicible. Elle est figée, mais Kim est en mouvement. Cette présence aussi particulière qu’inimitable a la beauté et la somptuosité d’une diva. Kim est une diva, sans les strasses et paillettes de cette superficialité qui assomme, sans raffinement et avec beaucoup de cet artifice éclatant dans les cieux dans un feu aux milles étincelles. Sans cette escroquerie qui se met en scène et dont on découvre le vide sidéral au travers d’un jeu stérile. Non. Kim est une diva de la pure espèce.

La première fois que je l’ai entendue, elle parlait d’un postulant de colocation souhaitant savoir si l’orgie avec ses futures colocataires était incluse dans l’offre. Le mec voulait s’assurer qu’il pouvait accomplir ses phantasmes en déménageant dans un appartement transformé en baisodrome. Kim racontait cette histoire de pervers absolument dégueulasse à un auditoire scandalisé. J’ai écouté Kim. Elle était dans le récit, et non simplement une voix racontant quelque chose. Cela n’est pas évident, cette prouesse était digne des griots, Kim est un griot.

Victor quant à lui n’en est pas un. C’est davantage le cours inaugural du Collège de France. Dans un style ricoeurien, avec la prestance académicienne, l’aura professorale, sans conteste dans la droite lignée des grands intellectuels de cette chère France dont on se demande aujourd’hui où elle a foutu ses Lumières. Victor, surtout, et s’il faut n’en retenir qu’un seul aspect, est une élégance qui ferait passer Oscar Wilde et tout dandy le plus exquis pour une loque. Il est un gentilhomme. Cela ne court plus les rues, personne n’en a plus rien à cirer, nul ne sait plus de quoi il s’agit, tout le monde converti aux biceps saillants et saignants et au cul bien ressorti ne voit pas son panache.

Panaché, Victor sauve de l’incontestable ennui des modes sans inspiration, qui viennent passent lassent et crèvent sans oraisons funèbres, dont les bipèdes egos ergo sum en sont les disciples panurgiques. Fashionistas qu’ils disent. Ça s’entend comme un bêlement. Personne n’a plus la force de les tondre. Victor ne bêle pas, du moins il ne le porte pas. Et avec lui il faut comme l’axiome se fier à l’apparence. Tout y est. Dans de justes proportions.

 

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À l’autre bout spectre, je veux dire en dehors des proportions, il y a Pierre. Le mec, c’est la résurrection du Che. Version 2018. Avec une espèce de crête capillaire sur le coco et la barbe cubaine de Fidel. On retiendra la barbe. J’affectionne Pierre. Avec lui, le verbe est aussi circoncis qu’une ablation du prépuce. Une réflexion à 140 caractères qui contrairement aux twits de l’autre blond à la Maison aussi blanchie qu’un linceul a une profondeur qui remplirait une bibliothèque d’érudit. Pierre dit tout en un souffle court. Le temps d’une pause cigarette. Une collègue me confiait dernièrement qu’elle le trouvait charmant, intelligent, « mignon quoi ! » C’était cet hiver, et je crois que cela ne lui est pas passée. Je n’ai rien dit à Pierre de cette description élogieuse qu’elle en faisait, de sa démarche qu’elle me décrivait, de sa voix un peu Black avec une intonation franco-gauloise et un brin belge. Je ne lui ai rien dit de sa repartie, de son « Ouais, du coup, faut voir », de cette personnalité bigarrée qui sourit comme un Ernesto prêt à tous les niquer. Je suis resté silencieux. Parce que Pierre n’en a pas besoin, il a tout ce qu’il faut. Une écharpe rouge, une clope pincée par des lèvres qui s’ouvrent pour laisser échapper une pensée aussi substantifique que fulgurante. C’est autre chose que des détails dérisoires, cela se trouve en plongeant dans le regard de l’homme, de faire son Grand Bleu bessonnien – descendre dans les abysses du silence ou du verbe qui ne s’encombre point de mots.

Renato lui n’a envie de niquer personne. C’est le prince. Il y a à la fois de la noblesse dans l’attitude, de la modestie dans le style, et de la profondeur. Renato a beaucoup de noblesse, celle du cœur qui a connu quelques fois des injustices innommables et qui malgré tout sait sourire à la vie. Renato a décidé de me renommer Marc, Dave est mort, Ludewic est une inexistence – trop compliqué trop de barbarie franchement pas facile d’accès, Renato m’a dit hier tu as une tête de « Marc ». J’ai dit que cela me convenait assez bien. Je suis convaincu que les autres devraient choisir nos prénoms, sans le savoir nous portons des têtes qui souvent sont en décalage complet avec les étiquettes nominatives de l’acte civil. Renato a une tête de Guillermo Del Toro, pour dire de sa filmographie. Je l’ai vu la première fois et j’étais absolument convaincu d’avoir devant moi un cinéaste. Face à Renato, on peut avoir l’impression d’être une case d’un scénarimage coincé dans un storytelling qui nous échappe. On sait que l’on a une prestation à donner, on se dit que les yeux de Renato sont des caméras qui font « Action » sans émettre le moindre son. Avec Renato, j’ai envie de rire. Le personnage piqué d’hilarité qui se sent tellement bien qu’il croit être heureux. Avec Renato, il y a toujours de ce petit quelque chose qui vous fait sentir si bien. Un chef d’œuvre cinématographique.

Leïla est une œuvre cinématographique écrite par une libertarienne défoncée aux acides. L’œuvre est une espèce de nouvelle vague de la Nouvelle Vague. Un mélange de Jean-Luc Godard, d’Alain Renais, Claude Chabrol, avec des scénarios écrits par Simone de Beauvoir. L’œuvre est généreuse, et c’est un euphémisme. Connectée hyperspace avec des étoiles dans les yeux, enracinée sur terre dans le quotidien ordinaire et rocambolesque des existences qui naissent dès l’aube et crèvent aux dernières heures de la nuit. Leïla n’a rien d’une intellectuelle qui vous constipe, nah, c’est le militantisme avec un couteau entre les dents et d’une modernité qui ébranle. Pour elle, le blablabla doit être d’un concret qui mène à quelque chose, même s’il finit trop souvent par heurter le mur de son incompréhension totale. Leïla a une grande gueule, dans le sens plus engagé du terme. Lénine en avait une pareille, cela lui a valu une place dans les annales de l’Histoire. En fait, derrière cette brute authenticité massive, il y a tout est un récit abscons. Il ne faut jamais se fier aux apparences. L’œuvre va plus loin que la mise en scène, le jeu de l’actrice, le scénario. Cela se voit hors champs. Quelques fois pour saisir l’autre sens d’une œuvre cinématographique il faut s’arrêter sur les scènes qui ont été retranchées du final cut. Leïla n’est pas sur la pellicule qui projette dans la salle obscure une fable de la postmodernité. Elle n’est pas dans le montage final. Elle est dans l’hyperspace.

Dans une galaxie proche de nous, un astre particulier brille discrètement parmi les milliers de soleils de l’univers. Ce n’est pas nécessairement celle qui saute aux yeux quand l’on n’ose ne plus se regarder le nombril pour scruter enfin toute la beauté en dehors de soi. Hier, je lui ai demandé « Qui es-tu ? », l’étoile a répondu « Je ne sais pas. » Une étoile ne peut s’affirmer étoile, ce sont les autres qui la qualifie de la sorte. « Lydie », c’est le nom que les mages lui ont donné. Ces errants du désert traversant la nuit pour aller rendre hommage à un sauveur royal que l’on a vite trucidé. Dans leur nuit, ils ont levé les yeux vers le ciel aussi ténébreux que ma peau et mon âme, et il y avait « Lydie ». Ils n’étaient pas foutus. Ma première rencontre avec Lydie ne s’est pas faite à travers un télescope, elle était descendue sur terre et s’était incarnée dans un corps ordinaire. Pour la discrétion. Parce que l’important est ailleurs. Dans un coin du rien et de l’anonymat, elle observait. Avec et sans lunettes. Observer, comme ça. La contemplation, le sourire comme un reflexe presque tel un mécanisme de défense. La tendance à arrondir les angles, ce qui est inattendu dans un réel terrestre où la parole est de plus en plus obtuse. Cela est remarquable. Sortir de la trop grande affirmation-guillotine qui tranche tout sur son passage. Sortir de la boîte préfabriquée. Tenter de rester à la fois enraciné quelque part et choisir d’être libre – une rupture permanente avec la linéarité. Surtout le faire dans l’ombre. Lydie est cette étoile qui ne prend pas trop de place, qui ne veut pas et ne souhaite pas occuper l’espace et l’univers entier. Comme me le disait Anaïs dernièrement, il y a des gens comme ça que l’on croise dans la rue et qui ne nous donnent pas envie de nous retourner, pourtant quelle occasion l’on manque. Un peu comme toutes ces étoiles dans les cieux que l’on ne regarde plus. La prochaine fois que vous lèverez vos yeux vers l’Olympe situé dans l’éther, cherchez l’étoile « Lydie », celle qui indique toujours le cœur.

Nesrine a la bouche comme un cœur, des lèvres dont les contours comme le dirait l’autre font des ronds de douceur. La première fois ce qui frappe chez elle, c’est l’accent. Latino. Le roulement des r et cette façon de souffler dans le verbe comme un amateur d’apnée retient sa respiration sous les eaux. Il y a beaucoup d’espace entre les phrases de Nesrine. Des univers entiers. Entre la retenue et le « Je ne sais pas quoi dire » qui n’est pas un refus de dire, mais la volonté de ne pas trop s’avancer dans une situation sur laquelle elle n’a pas d’emprise. Car Nesrine n’aime pas ne pas avoir le contrôle. Il lui faut décider du rythme, du récit. Sans cela soit elle se replie sur un scénario déjà prêt à l’usage soit elle se refugie dans son bunker. Et quand elle est prise au dépourvu, elle hésite, avance, recule, puis finit par se lancer en questionnant l’autre qui écoute « Je ne sais pas si ça fait sens ». Oui ça fait sens. En ces instants d’une incroyable beauté, parce que si délicats et si fragiles, Nesrine devient une rose écarlate s’ouvrant aux lueurs de l’aube. Toute main a envie de la cueillir, de l’approcher et de sentir son subtil parfum. Enivrant. Sur fond sonore de La Follia de Corelli. L’instant baroque, en pleine saison estivale, capturé par Vivaldi dans un exquis Allegro non Molto. Nesrine, c’est le Violin Concerto in G minor, RV 315 d’Antonio. La personnalité dripping et all-overienne d’un Pollock au summum de la crise névrotique d’un sublime créatif. D’ailleurs, Nesrine me l’a confié hier « J’ai une copie d’un Jackson Pollock dans mon appartement ». Elle m’a montré une photo, j’ai failli lui dire que ce que je voyais chez elle c’est le « Magnificat » de Monteverdi et le Oedipus – Z 583 de Purcell. Pour dire, un ébranlement.

Ébranlé. Samra m’a ébranlé. La première fois que je l’ai lue je n’en suis pas revenu. Jamais revenu. L’intelligence de Samra est d’une acuité et d’une puissance extraordinaires. En outre, elle et moi partageons le fait d’être des aliens dans un monde trop terrien. Je l’aime énormément. C’est un truc qui coule de source. Les deux fois que j’ai eu le plaisir de lui parler nous étions dans un hall, l’on s’est dit très peu de choses, tout se passait dans le regard. Une grande discussion sans mots, sans verbe, avec beaucoup de nous nus. Je la trouvais magnifique. Soyez rassurés chers lecteurs Samra n’est pas un canon, mais elle est belle. Cela vient de son intériorité. Indescriptible. Impossible à retranscrire. Il faut se mettre face à elle pour le vivre. Son regard. Ses yeux. Quelle magnificence. Elle et moi avons tant en commun. C’est de l’ordre de la sensibilité. Cette façon de connecter aux choses. Cette quête de substance et d’authenticité en l’Autre. Ce besoin d’écarter le superfétatoire pour voir l’individu derrière le masque. Et lui dire « Tu es fantastique. » La présomption de beauté plutôt que celle de culpabilité. Le refus de s’arrêter à des absurdités artificielles. Avec Samra, c’est le sensible qui rend l’intellect exceptionnel. Que voulez-vous que je vous dise, les grandes déesses de ce monde ne feront jamais la couverture de Vogue magazine.

Tous ces personnages, ces individus, je les ai connus hier. Et je n’en sais rien. Juste quelques bribes. Des croquis. Des perceptions. Des fragments. Mais ô combien si surprenants.

Ce sont des inconnus, semblables à tous ceux que l’on croise dans les rues anonymes portant des silhouettes sans visages, ce sont des passants pris dans un instantané. Leur vérité est un mouvement qui va plus loin. Leur vérité est une complexité indicible. Il ne faut pas attendre de connaître les gens que l’on rencontre pour apprécier ce qu’ils sont. Il suffit seulement de se laisser emporter par la vague, jouir de chaque seconde unique en leur compagnie, et recommencer demain, avec eux et avec d’autres. Ainsi de suite.

Bande sonore: John Mayer – New light.

 

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