Un prophète, de Jacques Audiard

 

C’est efficace. C’est simple. C’est percutant. C’est généreux. C’est intelligent. C’est un peu stéréotypé, avec toutes ces scènes pensées filmées pour Cannes, qui se demandent parfois à elles-mêmes ce qu’elles peuvent bien foutre là. C’est quelques fois drôle sans être léger, et c’est tant mieux, le cinéma français est devenu duvet et on n’en peut plus de tous ces anorexies. C’est plaisant, cruel, sombre, neigeux, avec des moments de clairvoyance hallucinogène, furtivement lumineux mais suffisamment et sans conteste brillant. C’est du Audiard, tout le monde sort le stylo et le calepin, et prend des notes, l’intitulé de la leçon n’est pas un gaga fumiste, ni un blablabla surréaliste, c’est sublime – dans son sens le plus métamorphique.

Denis, mon compagnon des salles obscures, n’est pas décédé à la fin de la projection. C’était déjà bon signe. Le cinéma français, pour lui, et en général, est un incitatif au suicide. L’assassinat de l’art par l’art, d’un côté. Le meurtre de l’art par l’artiste de l’autre. Certains trouvent cela artistique, cela l’est quelques fois, les restes du temps, c’est juste un crime.

Denis n’est pas décédé. J’en suis encore surpris. Lui qui raffole de tous ces films-second degré, renversant, cinéma-iconique et les personnages au crâne conique, des dialogues aux acides et des décors aux ambiances psychédéliques, le cinéma de Denis est un spectacle où des dauphins volent dans le ciel et filent à l’anglaise tels des ovnis. Les dauphins sont des ovnis, les ovnis sont des éléphants roses, les éléphants roses chantent sous la pluie, pluie qui tombe de nuages en coton produits par des centrales nucléaires sorties de l’imagination flower power d’hippies s’identifiant comme des licornes. Et quand dans ce spectacle la terre explose, c’est pour laisser la place à une autoroute galactique qu’emprunte les âmes exploratrices des mers interstellaires.

Denis ne s’est pas suicidé. C’est un peu aussi la faute à  Niels Arestrup. L’acteur est immense et fait l’effet d’un pachyderme avec une trompe dans un magasin de porcelaines. Le pachyderme est une ivresse, cela cause d’énormes dégâts. Ce type de bordel est magnifique, ce bordel-là est l’art.

Denis regarde Niels Arestrup et me fait comprendre qu’il lui fait penser à moi. Non pas à cause du talent de l’acteur, mais de son côté parrain de la mafia. Ça change du simple dealer du coin. Scarface a une promotion. J’en suis presque flatté. Il y a quelques semaines, Denis trouvait que j’avais tout d’un agent du renseignement. Du genre James Bond sans les ridicules gadgets et beaucoup trop de Bond Girls. Un mois avant, pour lui j’étais un avocat corrompu flirtant avec la pire racaille – ce qui devrait se comprendre par « fréquentant les plus vicelardes des escort-girls ».  Peut-être que dans les prochains jours, pour Denis, je serai le premier Superman noir, le grand caleçon rouge collé aux fesses, bombant le torse comme Tarzan, à la différence près que contrairement à eux j’ai une belle et grosse bite. What did you expect. J’ai le sentiment que The Black Superman sera au box-office un succès hors de tout superlatif.

Denis est un être à l’imagination fertile et débordante, c’est un atout indispensable pour le chercheur qu’il est. Il compte faire une trouvaille scientifique historique en observant et étudiant les coquillages des magnifiques plages de polynésiennes. En attendant la gloire, je suis un peu son champ et domaine d’étude. Niels Arestrup n’est en fin de compte qu’un prétexte.  

« Un prophète », c’est un bon moment, agréable, et tranquille, que l’on suit du regard, et avec beaucoup d’entrain. C’est un discours sur la métamorphose, les choix de survie, les appels de l’intérieur et les pressions du dehors, les folles conversations dans l’intimité de la conscience où tous nos monstres abominables sont terrés, les opportunismes qui font partie de notre quotidien et dont la gestion participe également de notre définition en tant qu’individu. 

« Un prophète », c’est ça. Point de grande déclaration d’amour, point de grandes envolées, ni de dauphins dans le ciel, ni de robot maniacodépressif comme tous les humanoïdes postmodernes que sont désormais les êtres humains, ni de guide interstellaire – dépliant pour lunatiques. Juste « Un prophète » qui tente d’abord de se sauver et n’a aucune ambition de sauver le monde. Sauf si celui-ci à quelque chose à vendre. Son âme par exemple.

 

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Une réflexion sur “Un prophète, de Jacques Audiard

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