Je m’étale dans ton lit, comme le poète a décrit la ville plate au petit matin dans son Cahier d’un retour au pays natal ; je suis cette « horizontalité soumise » sur laquelle toi, ma princesse d’Aquitaine, mon luth constellé, tu te dresses et c’est encore le poète qui l’écrit : comme la mort galope nos destins condamnés, dans une cadence lyrique dont les bruissements disent le dernier triomphe. Là, au-dessus, des terres rouges, des terres sanguines, je suis la tour abolie et toi cette « verticalité libératrice » dont les cris déchirent le silence des terres muettes ; moi qui était si longtemps parti, loin ailleurs, dans les terres arides où contrairement à ce que dirait Skármeta le désert ne ressemble à hollywood, mais à une immense mer de sable et de soleil, moi qui était si loin, sans eau-de-vie, en compagnie de cette âpreté qui fait le caractère du désert, des mirages en guise de paysages, des monticules de poussière, restants de squelettes d’âmes disparues, sur lesquels le soleil noir de la mélancolie jette son regard irradiant, moi qui était si loin, là étalé sous toi, comme s’écrirait le poète : « Et voici que je suis venu ! »
Tu as murmuré : « Il me suffirait d’une gorgée de ton lait jiculi pour qu’un toi je découvre toujours », je t’ai répondue dans le tombeau de cette nuit : « Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ? », moi qui n’ai jamais traversé vainqueur l’Achéron, seulement les tempêtes de sable où s’entendaient les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée, moi dont la bouche ne sera point la bouche des bonheurs qui n’ont pas de bouche pour avouer tout leur malheur, moi dont la voix est la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir, moi dont le front est rouge comme les terres sanguines comme l’érubescence de tes lèvres comme la planète aride où un dieu a élu domicile, moi et mes poches crevées mes souliers blessés et dont l’unique culotte a un large trou, moi dont l’auberge a pour toit les constellations d’étoiles ; vois-tu, il n’y a aucun moi à découvrir. Bois donc toutes mes gouttes, celles qui perlent sur mon front rouge, celles qui jaillissent en moi vin de ma vigueur tel un volcan en colère, celles qui pleurent en hurlant tel un typhon, celles de l’inconsolé. Bois. Désaltère-toi, princesse d’Aquitaine, mort qui chevauche au milieu de cette nuit aux ombres fantastiques mon destin condamné, sirène de l’immense mer de sable sans soleil, grimpe au sommet de ce corps couché comme ceux qui se rendent, dépose tes baisers sur le cœur asséché, monticule de poussière, et triomphe de moi. Comme le versifie le poète : jusqu’au bout du petit matin.
Dans cette chambre bleue, en ce bon soir de septembre, le désert est un espace liquéfié où toi moi et toutes les folies, celles qui hurlent et se déchaînent, celles qui assassinent dieux et idoles, celles qui dansent en défiant les missionnaires, celles qui s’envolent plus haut que le frisson plus haut que les sorcières vers d’autres étoiles, celles en exaltation féroce qui promettent la fin du monde et l’avènement des temps bohèmes, dans une vision béatifique aux traits de l’Apothéose de Saint-Thomas d’Aquin par Gioacchino Assereto, nous nous noyons. Dans ta chambre bleue, avec ces grandes eaux qui me ceinturent de sang, je ne suis que moi et rien que moi, étalé comme l’horizon plat, les plaintes et complaintes sont mises en sourdine, les fientes accumulées de nos mensonges nettoyées par les vagues que tu déplaces, et à l’instar du poète je m’extasie avec l’intonation de ceux qui ressuscitent : « Quelle folie le merveilleux ! » Dans cette chambre bleue, dans ton alcôve, grotte où toi la sirène tu nages, dans les airs, plus haut que les sorcières, plus haut que les étoiles mortes ou en incandescence, au-dessus de moi, dans cette chambre bleue, je suis venu.
One day I’ll be back
Your blue room
Yeah, I hope I remember where it’s at
Your blue room
It’s a different kind of conversation
In your blue room
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