Hier, le G2 a eu lieu, version automnale, sur Le Plateau Mont Royal, chez D’ Restaurant aux spécialités gustativo-culturelles provenant de la péninsule ibérique. La bouche pleine, de vin, de poulet cuit sur du charbon, encore du vin, et beaucoup de plaisir, Luc et moi avons discuté entre autres choses de l’Etranger. Luc lui préfère l’Etrange.
Il n’est pas toujours question de l’inconnu, du ce que l’on ne sait pas et dont on a peur ; il est aussi souvent question de ce qui est différent et divergent.
L’Etranger est un mystère, un point d’interrogation ; l’Etrange est une anormalité, un point d’exclamation.
Contrairement au premier, le second détonne et étonne, singulier, bizarre, relevant de l’inaccoutumé. Quant au premier, il dit l’extérieur, l’en-dehors, tandis que le second montre l’écart par rapport à la norme et manifeste un certain désordre.
L’Etranger n’est pas encore découvert, il y a là une distance. L’Etrange est aperçu sans forcément être rencontré, de la sorte il est deviné bien plus que vu. Cela implicitement signifie un certain engagement cognitif émotionnel de celui qui regarde l’objet-sujet Etrange, perception et évaluation (par rapport à) ; il y a moins de distance.
Luc préfère de loin l’Etrange. Car selon lui, c’est sans doute là le problème. Avec l’Etrange, il y a une possibilité de définition et de redéfinition (de soi ou de la norme), avec l’Etranger il y a une découverte une identification une catégorisation une étiquette (une place trouvée un pré construit).
L’Etrange fait de l’œil qui aperçoit un acteur, l’Etranger fait de l’œil qui constate un spectateur. Nous sommes donc un peu l’Etranger, quelques fois l’Etrange, de quelqu’un.
En prenant un verre de Porto vieilli de presque deux décennies, j’écoute Luc et je me dis qu’en fin de compte qu’il y a aujourd’hui pire qu’être l’Etranger ou l’Etrange, il y a être l’Etrange Etranger.
Divergent parce que découvert et évalué presque comme une tare, une anomalie ; et mis dans une case (d’affectation) en éteignant les lumières pour que disparaisse engloutie et dévoré par les ténèbres l’être bizarroïde. Un refus de redéfinir la norme, la sienne. Inconnu parce que volontairement répudié, la case est sortie du champs d’expérience qu’est l’existence, l’Inconnu cesse d’exister, l’Inconnu inexistant. L’Inconnu est dans cette idée un sens découvert, une réponse apportée au point d’interrogation, et une volonté d’en ne pas en tenir compte. Le point d’interrogation est ressuscité, la réponse qu’elle exige ne viendra pas. Nous sommes donc un peu l’Etrange Etranger, de quelqu’un.
Le G2 s’est clôturé sans promesse de changer le monde. Nous avions l’esprit ailleurs. Pour ne rien changer.
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