Comme l’a dit Hessel : « Épilez-vous! »

Bande sonore : Exposition sans tableau – Martial Solal & Newdecaband. 

Noella a écrit un livre il y a quelques mois, il s’intitule : Un Nude à la fois. Pour ceux d’entre vous qui n’ont aucune espèce d’idée de ce qu’est un nude, je vais vous le dire : vous êtes vieux, périmés, datés, finitos. Pour ceux qui savent, d’expérience ou de commérage, l’on va zapper le séminaire de formation à la postmodernité pour étudiants du millième âge et de l’Ancien monde. Un Nude à la fois donc. Un grand classique de la postmodernité.

Le livre de Noella s’est vendu à dix ou une quinzaine d’exemplaires. Et ce, malgré ses efforts, c’est-à-dire des nudes comme publications – ou posts comme diraient les jeunes ado-infantiles ou adulescents, c’est selon, et peut-être tout en même temps. Ces nudes vantaient les mérites du bouquin, son public n’a pas lu, il n’était pas là pour ça, il ne s’était pas abonné à son profil pour lire mais pour mâter, jouir. Une autre partie du public composé d’ado-infantiles diagnostiqués comme tels ou d’adulescentes en devenir était là pour s’inspirer du modèle qu’incarnait à leurs yeux Noella presque à poil. Modèle de fame. La fame qui signifie en langue d’Ancien monde et du millième âge, en prenant le risque de traduire en un sens plus ou moins intelligible : « être connu pour rien et être reconnu pour ce rien ». Noella est sur les réseaux sociaux un modèle de fame.

La première fois que je l’ai rencontrée, en me faisant la bise, elle a presque hurlé : « Noella, j’suis famous ! T’es sûrement un de mes followers ! » J’ai fait une tête du millième âge et d’Ancien monde. Noella choquée a pris plusieurs longues minutes pour m’expliquer en me montrant ses nudes tout ce que je manquais du Nouveau monde et de l’âge postmoderne. J’ai compris le truc. Il était une heure du matin, dans un party un peu dingue et de dingues, et je venais à peine d’être libéré d’une chambre à coucher par ma geôlière Bianca – ce qui me donnait un peu l’aura d’un Mandela sortant de Robben Island. Heureux comme une liberté retrouvée, j’étais dans de bonnes dispositions.

Noella a donc pu me faire comprendre que son cul ses seins sa gueule de babyface (je reprends son expression) lui permettait de se hisser au sommet de la chaîne toute alimentaire que sont les réseaux sociaux. Sur Fakebook, VoyeurGram, FuckMeTender, le nombre de ses « suiveurs » rendaient jaloux CokeCola, Petzydanslaface (plus connu sous le nom de marque Petsi), Céline Grillon (la Diva québécoise aux stridulations bien caractéristiques), et les autres. Noella les niquait tous. J’en ai eu une luxation mandibulaire. Ou peut-être pour le décrire plus adéquatement, un bâillement à s’en décrocher la mâchoire. Faut dire, après le troisième nude sur son profil VoyeurismeInstantanéGram, VoyeurGram pour les habitués, son cul ses seins sa gueule de babyface était une série de poses d’une esthétique YouMasturbePorn.cum, banalité et ennui, redondance et bêlement de mouton tondu, rien. Ce qui était justement le but. L’ontologie même du fame. Noella était populaire.

Noella, phénomène réseaux sociaux, phénoménale nudité (« hot » comme disent les mêmes jeunes plus haut cités) a cru bon écrire un livre afin de livrer à son public et « au monde entier » (je reprends toujours son expression) le secret de sa réussite, les secrets de sa popularité. Pour elle, cela ne sautait pas suffisamment aux yeux. Alors Noella a payé un étudiant en lettres classiques de l’Université du Mouroir pour qu’il narre le parcours biographique exceptionnel de sa commanditaire. Avant-hier, j’ai lu l’ouvrage. En le refermant, j’en suis arrivé à la conclusion que son nègre n’avait pas été payé convenablement, ou qu’il n’avait pas été satisfait de sa rémunération, et qu’il a voulu le faire savoir en pondant le truc. La colère du nègre. Cela se lisait très bien.

Hier, Noella, prenant ses aises et confortablement installée dans mon canapé couleur sperme de baleine, m’a demandé ce que j’avais pensé de son œuvre. J’ai répondu : « Intéressant. » Noella a eu les joues en feu et m’a envoyé en l’air. Non on ne s’est pas envoyés en l’air, oui Noella m’a baisé. Après le coït, comme avant, elle ne m’a pas demandé ce que j’entendais par « Intéressant », pour elle cela semblait évident, d’où la récompense coït. Les malentendus ne sont pas nécessairement une mauvaise chose, il peut y avoir du bon. 

Le soir du party, elle m’a avoué que les ventes de son livre n’avaient pas été aussi importantes que le nombre de ses abonnés sur son profil réseaux sociaux. Elle en était un peu déçue. « J’ai toute faite ! » m’a-t-elle fait savoir. Effectivement, c’était le cas. Nudes et re nudes, avec le livre couvrant les parties anciennement intimes. Et de courts messages accompagnant lesdites publications, de véritables slogans marketing. Pas du même gabarit que le « Think different » steve-jobsien ou le « Impossible is nothing » adidasien, mais du type « Parce que vous le likez bien ». Le public réseaux sociaux de Noella a vu et liké son string rose, ses seins nus, sa babyface, et s’est branlé. De son livre. Mais, Noella n’en a pas été particulièrement déprimée, elle m’a dit : « C’est la game ! »

Ce que j’apprécie chez elle, c’est sa lucidité. Et une sorte d’honnêteté. Noella sait que son cul pixelisé et posté sur les réseaux sociaux ne vaut pas les mots d’un livre, et qu’un corps aussi parfait soit-il n’est pas forcément l’argument qui feraient ouvrir un bouquin à son public. En outre, comme elle me l’a confessé hier après le coït, « Mon cul parfait se croise dans les rues de Montréal ! » Autrement dit, c’est la banalité même. A Montréal, au Québec, les beaux culs ce n’est pas une denrée rare comme à Paris. Comparativement, les Québécoises ne sont pas moches, au contraire elles seraient à Paris des étoiles illuminant la Ville-lumière. Parce que les Parisiennes, dans la rue, ce n’est pas le summum. Ou même l’acceptable. C’est moche, point.

C’est pourquoi elles cultivent l’esprit, ont la verbosité attrayante, et baisent comme au Moyen-âge. D’ailleurs sur ce point France Qture faisait savoir à ses auditeurs qu’au Moyen-âge la jouissance des femmes était une grande préoccupation des mâles. Au XXIe siècle, la jouissance des femmes est la satisfaction d’un ego mâle, quand ledit mâle a un ego, ce qui n’est pas très courant. Les Parisiennes et les Françaises sont généralement moches, c’est comme dirait le célèbre personnage de Sartre : irréculpérable. Elles ont d’autres arguments, de vente.

En termes de slogan marketing, ça serait de l’ordre du : « Faire du cerveau ou de l’esprit, le plus beau cul du monde ». Ou bien encore, du genre : « Parce que le cul, ce n’est pas tout ! » L’art de copuler importe. Ce à quoi le Québécois et la Québécoise postmoderne répondrait : « That’s bullshit ! » Sûrs d’eux. Icitte, ajouteraient-ils, c’est « La perfection du cul au masculin et au féminin », et ce ne serait pas simplement une question d’épilation ou de marque de rasoir.

Ce que j’aime donc chez Noella, c’est sa lucidité et son honnêteté. Elle n’est pas le plus beau cul du Québec, dans les rues sur les trottoirs la saturation des beaux culs est une norme qui garde l’érection et autres toujours dans sa plus grande forme. Noella me l’a avoué : « Y a trop de belles filles à Montréal, au Québec ! » La concurrence est rude. Elle a choisi la pose quasi nue, quelques millions d’abonnés sur les réseaux sociaux, le titre pompeux creux d’« influenceuse » pour dire source et objet de branlette. Noella est une rockstar qui n’a aucune œuvre digne de ce nom dans son répertoire. Hormis, son cul ses seins et sa babyface.

Ce midi, elle et moi avons pris un café. Elle m’a raconté qu’elle avait choisi de se mettre à nu sur les réseaux sociaux à cause d’une médisance. Une histoire de cunnilingus donné à une de ses amies du secondaire contre la promesse d’un big mac. Noella avait la dalle, elle a léché pour survivre. Ce qui s’est retrouvé sur les réseaux sociaux, et l’a définitivement placée dans une case très « salope » de laquelle on en revient pas vivant. Alors, Noella l’a utilisée pour non seulement « assumer » mais pour faire un doigt d’honneur à toutes ces « putes » qui ont répandu la chose et à tous ces « trous du cul » qui l’ont amplifiée. Noella s’est livrée à la meute.

Dans ce café, au milieu de cette foule un peu tuée par l’automne, la tronche grisâtre et grippée, Noella mangeait à satiété grâce à cette popularité cette renommée acquise à partir d’un cunnilingus. Les marques se bousculent pour en faire une égérie, pour être présentes sur son profil réseaux sociaux. Noella boit son café, dévore son plat d’omelettes et de frites, elle envisage de reprendre ses études pour devenir orthophoniste. Je lui ai demandé pourquoi. Pourquoi orthophoniste. « Pour mon frère, il n’a jamais eu la chance de rencontrer une spécialiste, et il a toujours eu de la misère à s’exprimer correctement, pour le monde il était un peu débile ! »

Noella et moi sommes sortis du café, avons marché durant de longs instants dans la rue. Elle m’a parlé d’un livre qu’elle avait très furtivement parcouru chez moi. Hessel et son « Indignez-vous ! » Noella s’est procurée l’œuvre du résistant, et le cri adressé aux générations sur qui reposent l’avenir. Elle m’en a parlé, du moins les premières pages. Noella a lâché le secondaire après la médisance. Elle n’a pas la culture d’une Parisienne ou d’une Française. Elle a un beau cul. Mais, Noella me parle de Hessel et des pages lues comme rarement on me l’a fait. J’ai la mâchoire qui décroche. Noella n’est pas encore à la cinquième page du livre, et c’est comme si elle avait tout saisi. Je l’écoute et j’ai une fantastique érection.

Ce début d’après-midi, Noella m’a envoyé en l’air. Après le coït, elle a fait une blague un peu conne, et donc si drôle : « T’sé Hessel, n’a pas catché la vraie affaire ! » « Ah oui ?! Comment ça ? » « Beh, « Indignez-vous ! » c’est ben cute, mais right now le monde don’t give a fuck ! » « Okayy » Je m’apprêtais à lui demander ce qui importe au monde lorsque Noella a lâché : « Ce qui turn on le monde, c’est que ce soit rasé ! » « Quoi rasé ? » « Beh le pénis et le vagin ! » « Okayy » « Ouinn. C’est « Epilez-vous ! » qui est hot ! Check, mes pics sont toutes nice parce que je suis belle et que je n’ai pas de poils ! Le monde adore ! »

Effectivement, Noella est rasée, cela a du succès, et comparativement à la Parisienne ou à la Française – avait son ordinaire touffe pubienne néandertalienne – en faisant un cunnilingus à Noella je n’ai pas l’impression de brouter de l’herbe, je n’ai pas le sentiment de me taper un festin d’herbivore. Noella est vierge de toute broussaille, son public like, son livre est un bide attendu mais qu’importe, Noella est toujours pour beaucoup une salope, un modèle pour la majorité pour qui elle incarne tout ce qu’elle veut bien projeter sur elle. Quant à Hessel, il a liké la dernière publication de Noella sur VoyeurGram, elle était presque à poil avec un slogan marketing un peu dans l’esprit de résistance face au conservatisme de tout poil : « Comme Hessel l’a dit : Epilez-vous ! » Son public a lu, vu, et a liké. Tous se sont épilés. Noella, famous, influenceuse. Nouveau monde. J’en suis resté bouché bée, la mâchoire décrochée, comme l’Ancien monde.

Bande sonore : 15 variations et fugue pour piano sur un thème original en Mi bémol Maj op 35 : Variation n°1 – Emil Gilels : The Unreleased Recitals at The ConcertGebouw.

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