Bande sonore : Alan Cavé – Sé pa pou dat.
Lydie, il y a quelques semaines, portait une robe noire d’une élégance qui m’a coupé le souffle. Lydie était magnifique, et je n’ai pas osé le lui dire. Depuis que je la connais, c’était la première fois qu’elle me faisait un tel effet, Lydie sortait du placard et montrait tout le sublime qu’elle était, j’en suis resté un peu sur le cul. J’ai adoré croquer chaque aspect de sa silhouette, Lydie et son inattendu présentoir, elle ne se vendait pas, elle sortait de l’ombre une autre d’elle. J’ai été subjugué par cette Autre.
La Lady en robe noire n’est pas une tarentule marchant avec son épouvantable apparence vers un étourdi coincé dans sa toile, la Lady en robe noire était une rose de la même couleur. Le propre des roses noires, c’est qu’elles ne poussent que dans certains endroits du monde ; celle que je préfère vient d’un village turque, Halfeti, petit village dans la région de l’Anatolie du Sud-Est. Lydie est une rose noire, changeant de couleur, aux différents tons de noir, allant de l’ébène aux différentes nuances, selon le moment que l’on l’a saisie.
Il y a quelques semaines, la rose noire Lydie était d’un noir énigmatique et d’une densité incroyable. Elle était majestueuse. Quand l’on s’est parlés je n’ai pas fait allusion à sa robe, au fait qu’elle était si belle, je me suis abstenu, parce que Lydie n’est pas la Princesse Leïla avec qui je me sens autorisé d’être libre et authentique.
Lydie est une anguille et une fleur épineuse, même si j’aime les morsures j’ai un mal fou à me l’apprivoiser. Faut dire, Lydie et moi, nous ne nous sommes jamais vraiment rencontrés. Elle est branchée Tender et moi je suis dans ma caverne, ma grotte, mon obscurité sur laquelle on ne peut liker ou swipe left, on n’y voit souvent rien.
Depuis presque un an que je la connais, nous nous sommes passés au travers, comme des réalités spectrales ou des fictions réalistes, passe-murailles. Nous nous sommes aperçus sans jamais nous entremêler.
Pourtant, je regarde Lydie, je l’observe, elle m’intrigue, ses mécanismes de défense me fascinent, ses évitements m’intriguent, sa nature un peu évanescente me captive, j’ai envie d’explorer son territoire et d’y découvrir toutes ses richesses, ses monstres cachés, ses mondes d’Alice et ses univers Tim Burton.
A chaque fois que je la vois, je n’ose simplement pas, ou quelques fois je suis simplement exténué par une journée de dur labeur et que je me laisse aller à la facilité. Alors, je m’intéresse à l’accessible qu’offre les Autres et qui ne mette pas en branle mon cogito. Une invitation à fourrer, une série de réflexions sur le rien et ne menant à rien, des conversations superficielles caressant à peine la surface des choses et presque flottant au-dessus du réel, quasiment en lévitation. Quelques rires et sourires sans véritable sincérité, tout en politesse, effleurement, légèreté facticité plasticité vacuité, swipe left. Dans ces instants-là, j’effleure Lydie sans jamais l’approcher, la pénétrer, m’y arrêter. Lydie, un mirage et un lointain, une proximité évanescente, un « je te regarde et je n’arrive pas à te voir », un illusoire et une curiosité sur laquelle je ne m’attarde pas contrairement à mes habitudes, et je me demande bien pourquoi.
Il y a quelques semaines, dans sa robe noire, Lydie était fabuleuse. Ses yeux bleus et un peu blues, ses sourcils impeccablement dessinés, son rire généreux, son allure raffinée, j’ai rencontré et vu une personne dont je n’avais soupçonné l’existence.
Elle s’est éclipsée durant l’échange avec Princesse Leïla ; Lydie ne prend jamais trop de place, ou ne veut pas faire partie d’une connerie conversationnelle sans queue ni le reste. Princesse Leïla, c’est le monde libre que j’adore, la connerie et le déconnage; avec Princesse Leïla une blague vache peut mener à une pensée quasi philosophique inattendue, sans transition, nos conversations un peu connes un peu gavroches nos regards gouailleurs nos fous rires provoqués par un rien agréable et conduisant vers des destinations étonnantes, menant aux territoires et aux espaces inconnus surprenants.
Princesse Leïla c’est Alice au pays des merveilles de Charles Lutwidge Dodgson, un monde situé de l’autre côté du miroir, un peu parodique un peu fantasmagorique, beaucoup du réel tourné en bourrique, c’est drôle si on a un certain sens de l’humour, ça fait se questionner si on sait saisir décoder les vérités qui ne dévoilent pas toujours comme on s’attendrait.
Lydie, c’est autre chose, c’est suivre le fameux lapin de Lewis Carroll dans un trou menant à une dimension du troisième ordre où tout est situé dans le vraisemblable, l’imaginé, là et l’ailleurs, des fuites et des courses-poursuites, le lapin a toujours une longueur d’avance et on ne sait jamais si les portes qu’il ouvre conduisent véritablement au bon endroit. Chaque fois que je vois Lydie, j’ai envie de suivre le lapin.
L’autre jour, elle et moi avons pris le temps de faire vraiment connaissance. L’on a brièvement discuté, un aparté dans le métro, comme une vraie discussion dans un lieu improbable. Lydie m’a parlé de son frère artiste, il y avait là quelque chose à laquelle je n’ai jamais eu accès avant. Ce qui était captivant était sa façon de dire, de raconter, de se raconter. J’ai toujours été convaincu que la manière avec laquelle les individus partagent des pans d’eux en dit plus long sur leur être que le contenu. Dans dire, il y a la matérialisation du sensible, il y a le sensible, le regard sensible, la formulation du sensible avec des mots et des silences permettant de voir (ou d’entrevoir) la sorte d’univers où se situe celui qui dit. Un croquis, une première ébauche de l’Autre. J’ai croqué Lydie.
Dans le métro, elle m’a parlé d’elle aussi. Toujours comme le lapin qui court d’un point à l’autre, entrant dans des couloirs, débouchant dans d’autres, j’écoutais Lydie et j’avais des contours sans précisions et des formes sans netteté. Avec Lydie, il n’y a pas vraiment d’aveu ou de confession, il faudrait sans doute lire entre les lignes, observer la course du lapin bien plus que la destination, son pays des merveilles. Lire les sous-titres du dire et des silences. Décoder l’apparente clarté et simplicité qui est en réalité sibylline. Lydie n’est en ce sens aucunement unidimensionnelle. Il y a une partie immergée chez elle qui se lit sur plusieurs niveaux, la regarder véritablement c’est accepter de se noyer ou de s’élever un peu. D’avoir peut-être le souffle coupé par le marathon qu’elle impose.
Lydie parlait dans le métro, elle ne portait pas sa magnifique robe noire, elle avait les mêmes yeux d’un azuréen un peu beaucoup céleste. Je ne lui ai rien dit.
Bande sonore : Ramen amour en or – David.
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