Il y a quelques mois, je me suis posé la question toute bête de savoir : au fond, c’est quoi la paix et l’amour ? J’ai pris mon livre de chevet qu’est la Bible, j’ai parcouru l’Ancien testament, le Nouveau testament, je me suis arrêté sur l’Ecclésiaste, et j’ai observé les tableaux de l’Apocalypse. J’ai lu le Coran, traversé les sourates en m’arrêtant sur chaque verset comme on médite sur soi.
J’ai relu Kant et son Vers la paix perpétuelle, von Clausewitz et son De la guerre, Machiavel et son Le Prince, Hobbes et son Léviathan, Sun Tzu et son L’art de la guerre, Lao Tseu et son Taö Te King : Le Livre de la Voie et de la Vertu, j’ai repris Le livre de la sagesse de Confucius, je me suis plongé dans tout ce qu’il m’était offert de lire sur Siddhartha Gautama ou le Bouddha, j’ai découvert la Philosophie de Mencius (Meng Tzeu) et la pensée de Tchouang-tseu, j’ai repensé aux paroles très proverbiales de la première grande philosophe de ma vie : ma grand-mère Marie. Aux enseignements de la seconde grande philosophe de mon existence : ma mère Esther.
J’ai réouvert Nietzsche et ses Humain, trop humain, Ainsi parlait Zarathoustra, Par-delà le bien et le mal, L’Antéchrist, Le Gai Savoir, la Généalogie de la morale. J’ai écouté Mohandas Karamchand Gandhi, Nelson Rolihlala Mandela, Martin Luther King Jr., Barack Obama. J’ai retrouvé dans mon foutoir de bouquins, abandonné au fond d’un coffre vieux de deux mille ans, L’Alchimiste de Paulo Coelho, mais aussi Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée de Pablo Neruda. Et noyé dans ce coffre oublié dans un recoin des temps perdus, oublié au fond des âges, je me suis senti comme Le Pèlerin de Compostelle en voyage vers quelque chose pour que mon âme ne meurt pas. J’ai compris que les réponses que je cherchais n’étaient pas dans la destination envisagée mais dans le voyage en lui-même.
Au fond, j’en suis arrivé à me dire que la Paix c’est comme ce voyage, c’est un cheminement, un processus, la manière avec laquelle l’on gère les conflits, ses propres conflits intérieurs et ses conflits avec l’extériorité. C’est la manière avec laquelle on affronte les obstacles, on gère les tensions (présentes et qui ne manqueront jamais), à la fois dans notre intériorité et en dehors de nous. La paix est ainsi bien plus qu’un état, bien qu’une absence de conflits, bien plus que la sérénité, bien plus que l’harmonie.
La paix, c’est le comment, c’est le faire, c’est l’être. C’est l’invention de soi permanente ou l’évolution de soi dans un mouvement perpétuel qui se fait dans la découverte. La paix s’invente, se réinvente, sans arrêt. Le tout dans le respect de la dignité humaine. Respect et dignité humaine, qu’importe les tourments qui nous affligent, les ténèbres qui s’abattent sur nous, toujours le respect et la dignité humaine comme cadre et principes non-négociables. Le respect, la dignité humaine, comme éthique.
La paix est cette façon permanente de se mettre en mouvement vers plus loin que là où on se trouve, dans le « Ici je t’aime » de Pablo Neruda, le « Je t’aime » est d’abord le « Je te respecte » et le « Ici » est un moment de présence pour soi et pour l’Autre. Cela n’attend pas. Demain, le moment d’après, viendra, mais d’abord vivre le moment dans toute son exigence d’Amour, de Respect, de Dignité.
La paix me semble-t-il est ce processus de gestion de notre propre intériorité en se respectant et en acceptant notre dignité. C’est ce processus de gestion des interactions par lequel, à travers lequel, chacun de nous consent à résoudre les tensions nées du partage du champs d’expérience qu’est l’existence. Ce partage est l’être-avec, une compénétration bien plus que la simple coexistence qu’est l’être-à-côté. Être en paix, c’est être en voyage, en mouvement, c’est partager, c’est se respecter et se faire digne, respecter et faire digne. Comme le dirait Confucius c’est l’exigence envers soi-même, la mansuétude pour les autres, autant que comme le dirait Lao Tseu : « Si vous préservez votre esprit de tout jugement et n’êtes pas esclave de vos sens, votre cœur trouvera la paix ». La paix est ce voyage de mille lieues dont le premier pas est pour paraphraser Obama : L’Audace de l’espoir.
La paix n’est pas un art de la guerre, ce n’est pas soumettre un ennemi sans combat ou avec combat, la paix c’est cesser de regarder l’Autre et soi comme un ennemi (comme le dirait Coelho dans La Cinquième montagne : « Le meilleur guerrier est celui qui parvient à faire de l’ennemi un ami ») et il n’est pas question de soumission mais de considération. Si cela semble utopique, idéaliste, je pose la question : le réalisme et le pragmatisme vous a-t-il rendu en paix ? Êtes-vous, vous réalistes, vous pragmatiques, en paix ? Vraiment ? Est-ce que ce n’est pas vous qui êtes dans l’utopie et l’idéal ? L’illusion et le mensonge ?
Quelle est cette paix lorsque l’on se regarde en chiens de faïence, quand l’on se voit avec suspicion, quand l’on s’embrasse avec des lèvres recouvertes de poison, quand l’on se prend dans les bras et que cette étreinte faussement fraternelle cache mal les armes planquées dans notre dos?
Une paix du silence qui ne dit plus le conflit parce qu’il est celui des charniers et du cimetière, le silence des monticules de cadavres nous montrant toute l’horreur du prix que nous avons payé pour une tranquillité qui ne durera pas, est-ce cela la paix? La paix réaliste? La paix du moindre mal? Le moindre mal qui oscille entre le détestable et l’inacceptable? Il n’y a pas de paix qui s’accommode du mal qu’il soit moindre ou non, peut-être parce qu’il est inconcevable de voir la lumière du jour en pleine nuit ténébreuse, peut-être parce que l’Homme est à la fois un moyen et une fin en soi. C’est une vérité qui nous vient du fond des âges, du premier crime de haine, de la première souillure, voilà le réel, voilà ce qui est véritablement réaliste.
La paix n’est pas un art de la guerre, il ne s’agit pas de duperie mais d’authenticité (de soi et d’authenticité de l’Autre).
Qu’en est-il de l’Amour – cette Guerre des Rose ? Est-ce cet « acte de justice et de douceur » de Machiavel qui a « plus de pouvoir sur le cœur des hommes que la violence et la barbarie » ? Ce choix contraire au mépris et à la haine – ces derniers étant « les écueils dont il importe le plus aux princes de se préserver » ? Ces mots qui cessent d’être des armes qui blessent et très souvent qui tuent ? Cette attitude contraire à la « soif de dominer » qui « s’éteint la dernière dans le cœur de l’homme » ? Cette façon de considérer l’Autre sans jamais le mal-traiter sous aucun prétexte ? Ou un refus de cette guerre clausewitzienne qui est « un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté » ?
L’Amour est-ce la joie ou aussi la tristesse comme le dirait Le Prophète de Khalil Gibran ? Ou l’Amour c’est aussi une forme d’éveil, d’éveil de Soi et d’éveil de l’Autre ? Ou comme le dirait encore Le Prophète de Khalil Gibran : une marche éternelle sur des rivages, entre le sable et l’écume, une marche avec ses chemins rudes et escarpés ? Dans le sens du vent et aussi dans les vents contraires ? Un chemin de la nuit pour atteindre l’aube ou une aube qui conduit souvent à un cheminement dans la nuit ? Une douce responsabilité bien plus qu’une opportunité, ou aussi une opportunité ? Une nudité ayant aussi son jardin secret ou une étreinte nue sans jardin secret ? L’Amour, est-ce le fait de ne pas qu’entendre et être sensible afin de comprendre ? Est-ce la solitude en étant avec, accompagné ?
Ou est-ce le fait comme le conseille encore une fois Le Prophète de Khalil Gibran d’ouvrir l’œil et de regarder, pour voir son propre visage dans tous les visages, tendre l’oreille et écouter pour entendre sa propre voix dans toutes les voix ? Ou est-ce le don comme un devoir presque moral d’offrir autant que l’on a reçu dans une conviction de gratitude, le don afin de ne pas interrompre la chaîne du donner et du recevoir, le don comme passer au suivant, le don comme la reconnaissance d’une dette dont on s’acquitte, le don comme un refus d’oublier tout ce que l’on a reçu de personnes ordinaires et d’évènements qui nous ont permis de faire sens ? Je ne sais pas. L’Amour est sans doute tout ça. En même temps. Ou à un moment qui peut être différent à un autre.
L’Amour est peut-être également en paraphrasant Bukowski dans son Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau le fait de mener une vie en la considérant : c’est-à-dire sans lui pisser et chier dessus, sans être des copulateurs sans conscience, sans être obsédés par la baise, le cinoche, le fric, la famille, et tout ce qui tourne autour du sexe. De ne pas respirer la laideur, de ne pas parler et se déplacer de manière hideuse. De ne pas vivre jusqu’à la fin de son existence dans l’horreur.
Et qu’à la fin de cette vie, c’est se dire que malgré tout, la pauvreté, la misère, les succès, les réussites, et tous les restes, l’on n’a pas vécu un voyage lamentable, une vie perdue et inutile, ou que l’on ait eu une vie simplement d’ivresse et de jouissance. Une vie vécue en-deçà de nous-mêmes. C’est-à-dire sans avoir été libres authentiques humains. Est-ce là vivre une vie d’Amour ? Peut-être. Peut-être pas. Je ne sais pas.
Dans Amour, il y a un « Je m’aime » qui n’est rien sans le « Je t’aime ». Dans le « Je t’aime », il y a cette parole de l’Alchimiste de Coelho : « Je t’aime parce que tout l’Univers a conspiré à me faire arriver jusqu’à toi ». Le chemin de la paix a comme arrêt, comme escale, ce « Je t’aime ». L’Univers a mis l’Autre sur notre voie, et nous n’avons pas toujours à nous y attarder, c’est le moment investi (par nous et par l’Autre) pleinement qui importe, parce que ce moment sera éternel. C’est l’autre sens me semble-t-il de cette espèce de soupir nietzschéen : « L’amour ne veut pas la durée, il veut l’instant et l’éternité ».
Et ne pas oublier ce que dirait Siddhartha : « Ce n’est pas dans les discours ni dans la pensée que réside la grandeur, mais dans les actes et dans la vie ». Aussi cette sagesse de Mencius, en Moi il y a dix mille êtres présents dans leur totalité. Ce qui veut dire je crois que Moi – c’est-à-dire vous – c’est tout autant tous les Autres et toutes vos différentes facettes. La conséquence de ça c’est que d’un on est rien sans les Autres (puisqu’ils sont en nous d’une manière comme d’une autre) et de deux que nous ne pouvons pas être réduits à une simplicité. Tchouang-tseu disait que « Tous les êtres du monde ne font qu’un », le Moi est ce Un de (la) multitude. Si cela vaut pour nous, cela vaut aussi pour les Autres. En prendre conscience, c’est aussi ça l’Amour. Je crois.
Il y a quelques mois, je me posais une question toute bête : c’est quoi la paix et l’amour ? J’ai lu beaucoup, vécu beaucoup, pensé autant, finalement pour en arriver à une réponse toute socratique : Je ne sais pas. Ou Je ne suis pas sûr. Mais comme le Pèlerin de Compostelle de Coelho ce n’est pas la destination l’important, c’est le voyage.
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