Bande sonore : Moanin’ – Art Blakey & the Jazz Messengers.
Hier, j’étais debout dans le métro, relisant Les Cent Vingt Journées de Sodome du marquis de Sade, dos face à moi Carol-Ann qui à travers le reflet de la vitre faisait sa curieuse anonyme. Carol-Ann zieutait la couverture du livre, et son lecteur, et se demandait qui pouvait bien passer 120 journées en sodomie-land. C’est à peu près ce qu’elle m’a dit quand nous sommes sortis à la station Berry Uqam. « Il parle de quoi ton livre ? » « Heu.. pour faire simple.. de jouissance. » « Ahhh okiii. » Carol-Ann m’a dévisagé un nombre incalculable de fois, de la tête au pied phallique. « Ça-tu l’air intéressant ? » « Pas pire ». Nous étions emportés par les escalators vers la surface comme des jouisseurs de plongée en apnée. Prendre les escalators du métro m’a toujours fait cette impression, Enzo ou Jacques dans Le Grand Bleu de Besson, descendre au plus profond de Montréal, descendre dans ses entrailles, remonter comme une épave est reprise aux abysses, remonter comme un cadavre refait surface.
Cette fois-ci, je n’étais pas seul, Carol-Ann participait à cette étrange expérience. « Ca’a l’air très sex, non ? » « Hmm.. » « C’est bien ce que je me disais aussi ! » Je souris, Carol-Ann valide ses premières impressions du livre, du lecteur, et continue à se demander qui pouvait passer 120 journées à se faire mettre dans les fesses, mais surtout comment c’était seulement possible de tenir autant de jours et de nuits en se faisant enfiler. J’ai voulu lui répondre en pointant le citoyen lambda, banal, ordinaire. Je n’en ai rien fait. « Tu devrais le lire.. » Carol-Ann a fait « Mouais, pas sûr. »
Dans le hall de la station Berry Uqam, elle me dit « Bon, c’était le fun de jaser avec toé. » « Moi aussi » Carol-Ann prend la sortie qui conduit tout droit à l’université la plus léniniste-marxiste d’Amérique du nord : l’Uqam. U-cam. Tu cam. Tu te cames. Les étudiants de cette espèce d’irréductible village gaulois coincé dans un Empire de libéralisme et de néolibéralisme ont toujours ce truc qui donne le sentiment qu’ils ont branché leur cam quelque part et qui filme leur grand discours de grand soir diffusé à un public vegan femen hipster undergrounder en transe comme les foules évangélistes born-again devant un apôtre vendant en tout bon businessman qui se respecte des miracles à venir au prix fort. La dernière phrase est longue, plusieurs lignes, sans ponctuation, la lire essouffle, c’est souvent dans cet état que je suis en écoutant les étudiants de l’Uqam.
Tu te cames. Je n’ai jamais su ce qu’ils sniffaient pour être tout le temps en mode révolution d’octobre. Coke ou cock ? L’autre jour, j’ai posé la question à Emily, étudiante-second-cycle en études féministes au village-gaulois, c’était avant la danse olé olé sur des airs bossa nova que nous avons pratiquée. J’ai obtenu ma réponse durant la danse. Emily a tiré une bonne ligne de cock, j’ai cru à un moment que cela allait définitivement cramer sa cervelle, que nenni, Emily (m’)a baisé comme une révolutionnaire d’octobre souhaitant la (petite) mort du Tsar, j’étais Nicolas deuxième du nom et exécuté sommairement avec ses bijoux de famille. J’ai obtenu ma réponse.
Tu te cames en cock. Les étudiants de l’Uqam changent de ceux de l’UdeM, chez les derniers la came est manifestement de piètre qualité, le dealer est clairement un escroc. Les étudiants de l’UdeM sniffent de la poudre à perlimpinpin, cela provoque chez eux un état aussi comateux que second. Cela cause chez eux des hallucinations dans lesquelles ils se voient souvent en haut de l’affiche, au-dessus de la masse, licornes rose dans des cieux couleur Fuchsia de Magellan avec des strass pour étoiles. Les étudiants de l’UdeM volent haut comme la spéculation atteint des sommets à Wall Street, et quand ils reviennent sur terre comme un crash boursier cela a beaucoup du poème « La grasse matinée » de Prévert. Ce retour sur terre avait ce « petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain », « il est terrible ce bruit ». Et « dans la glace du grand magasin » des hallucinations revenant à la réalité, ils font « une tête couleur de poussière » et souvent comme « l’homme qui a faim » du poème de Prévert ils ont l’impression que ce n’est pas leur tête qu’ils regardent et s’imaginent une autre tête.
Camille n’a ainsi pas reconnu la sienne l’autre jour. Dans la glace de ma chambre de bain, il y avait une tronche qui lui était inconnue, étrangère, à elle-même, Camille était méconnaissable. Le retour sur terre après une nuit au septième ciel a aussi ce « petit bruit de l’œuf cassé sur comptoir d’étain », en l’occurrence mon corps et ses bijoux de famille. En l’observant se demander ce qui lui était arrivée, comme l’homme dans le poème de Prévert je remuais doucement la mâchoire, une touffe pubienne comme un chewing-gum dans la gueule, des bouts de Camille d’une rousseur presque aussi écarlate qu’octobre rouge, des bouts de la nuit bolchevique passée avec Camille qui dos face à moi ressemblait un peu à Carol-Ann. Je lui ai demandée si tout était ok, elle s’est retournée et elle était moche. J’ai compris. Et j’ai recraché sa touffe pubienne. Le chewing-gum n’avait plus de goût.
Camille ce matin s’est barrée à l’UdeM, étudiante du second cycle inscrite en études féministes elle est allée sniffer la poudre à perlimpinpin. Elle s’est habituée à la gueule méconnaissable dans la glace de ma chambre de bain. Moi, à mastiquer sa touffe. Nos nuits ont ce truc qui conjugue nuit rouge et crash boursier. Licornes rose et œuf cassé. C’est difficile à expliquer. Dans la soirée lorsque l’on s’est revus à la station Berry Uqam, sortant de la Grande Bibliothèque après avoir rendu au lieu-saint les évangiles sadiens écrits par des plumes-salopes durant Les Cent Vingt Journées de Sodome, Camille n’était pas moche, elle avait une bonne tête, la sienne, une belle tête, celle de instagram. Sans filtre, sans foutage de gueule et ces lèvres en bec de poule/canard. Tout était de retour à la normale. Elle souriait comme une junkie ayant pris sa dose. Le sourire de Camille, c’était aussi magnifique à voir qu’un plan du film Salo de Pier Paolo Pasolini. Je me suis senti comme le chevalier jouant aux échecs avec la mort dans Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman, en plein questionnement métaphysique : Camille existe-t-elle ? Vraiment ? Camille a-t-elle un sens ? Vraiment ? Ce sourire est-il celui de la Joconde constatant que Leonard n’est pas un micropénis ?
Nous sommes allés souper, elle m’a parlé de sa plongée en apnée dans la poudre à perlimpinpin, avec des mots entrecoupés de point médian de féminisation à la mode. « T’sé, les étudiant.e.s sont super interessant.e.s ». J’étais super content.e pour e(ux)lles. Une joie féminisée en écriture inclusive. Lol.e. Nous avons digéré le tout en dansant chez elle, en fond sonore « Moments Like this » de Charlie Byrd auquel succédait le « A Man and a Woman » du même Byrd. À un moment, j’ai regardé Camille, elle était comme la version de Stan Getz du « The Girl from Ipanema », à certains instants la version d’Oscar Peterson, et quelques fois dans un instant aussi fugace qu’évanescent beaucoup de la version de Frank Sinatra. J’ai regardé Camille aux caresses si « Tenderly » de Chet Baker, elle au-dessus de moi, sa chevelure valsant comme celle de « La Fille aux cheveux de lin » – Prélude numéro 8 en G-Flat Major, L. 117 – de Claude Debussy joué par des doigts qui avaient ce quelque chose de chopinien, je me suis dit que les licornes rose avaient beau sniffer une came de piètre qualité rien – même les révolutionnaires d’octobre rouge – ne les égalaient. En fond sonore, la playlist de Camille m’achevait avec le « Flamenco Sketches » de Miles Davis. Nicolas II trucidé. Bijoux de famille avec.
Camille, bourreau avec beaucoup de cœur, dans mon dernier souffle le visage de Camille se change en celui de Justine du marquis de Sade, Camille met tout soin à m’affranchir, « catin par bienfaisance et libertine par vertu », inconcevable Camille. En fond sonore, ma p’tite mort a toutes les sonorités des Gymnopédies d’Erik Satie. Les étudiants de l’UdeM changent des étudiants de l’Uqam. Clairement.
Carol-Ann en me quittant a souhaité que l’on reste en contact, Don’t Know Why comme le dirait Norah Jones. Dans le métro, rentrant de chez Camille elle m’a envoyé un message-texte : « Slt, on doit parler de ton livre ça m’intrigue lol ». J’ai répondu : « Ok. Quand tu veux. » Elle a enchaîné : « Quel est ton Fakebook ? » Carol-Ann et moi sommes désormais « Amis » sur Fakebook, elle a pu mener son enquête, je ne suis pas parti sur le sien, parce que Fakebook a beaucoup de « Fake » et je n’ai pas trop de temps à perdre. « Ça te dis-tu vendredi soir ? » Carol-Ann sur Fakebook Messenger me fait savoir qu’elle tient vraiment à ce que je lui parle des journées à Sodome. J’aime les filles, les femmes, qui prennent l’initiative, qui dans une logique d’égalité des sexes séduisent vont à l’abordage comme le ferait n’importe quelle paire de couilles, qui savent ce qu’elles veulent, vraiment. « Ok. Vendredi soir. Tu me diras où ». Carol-Ann fait « Oki » avec un emoji m’indiquant qu’elle est contente et un autre dont la gueule lâche un cœur rouge comme mes bijoux de famille après la soirée passée avec Camille.
Camille m’écrit sur Fakebook : « C’est toi Dave des 50 nuances de Dave ?!!!!! » Je lui réponds : « Cela dépend.. » « The Fuck !!!! J’ai entendu parler de toi par une amie !!!! » « Ah.. » « Ouinnnn, je suis right now sur ton blogue !!!! Criss t’es pas bien !!!!! » « Il paraît.. » « The Fuck !!!!! » « Quoi de Fuck.. » « Pute nymphomane ! Tabarnak !!!!! » « Et.. » « Vas-tu écrire sur moé ?!!!!! » « Cela dépend.. » « De ??????? » « De toi.. » Après un long moment de silence, Camille finit par me dire : « D’accord ! Cela m’intrigue de savoir ce que tu diras ! » « Ok ».
Tout à l’heure, Camille a lu Camille version 50 nuances de Dave. J’ai reçu un Fakebook Messenger : « T’es vraiment un salaud ! Ostie ! » « Ça ne te plaît pas ? » Camille a mis deux heures à me répondre : « J’adore ! » avec un emoji lâchant un cœur rouge comme sa rousseur écarlate. Puis m’a envoyé le « Besame Mucho » de Cesaria Evora. Je n’ai eu le choix que de prendre le métro. Il était tard, j’avais besoin de sniffer la Cam’. Elle et moi cette nuit ce sera un truc d’Histoire d’O de Dominique Aury dans un château avec Les Onze mille verges de Guillaume Apollinaire pendant Les Cent Vingt Journées de Sodome. La Cam’ me fera la conversation corps-à-corps à partir du « N’écoutez jamais votre cœur, mon enfant, c’est le guide le plus faux que nous ayons reçu de la nature » de La Philosophie dans le boudoir du marquis de Sade, j’aurai des arguments contraires mais je les tairai parce la Cam’ comme le dirait Apollinaire aux « cuisses tièdes » et aux « fesses froides », au-dessus de moi, moi village gaulois irréductible, m’avalerait entier en elle. Dans ses entrailles. Dans ses abysses. Sans possibilité de refaire surface.
Bande sonore : Suite popular brasilena – Heitor Villa-Lobos (par Pablo De Giusto).
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