Bande sonore : Va, pensiero – Act III, Nabucco, Verdi.
Hier, le chœur des esclaves résonnait dans la nuit arctique aux nuances boréales de mon obscurité. Les douces brises de mon sol natal me manquaient, presque une décennie bientôt que je ne les ai pas ressenties sur mon visage, une douloureuse éternité. Le chœur des esclaves rallume les souvenirs dans le cœur, ma nuit est traversée par le son d’une cruelle lamentation, rien ne m’inspire à l’harmonie, et je ne sais pas toujours avoir le courage de supporter toute cette souffrance. Va pensée, sur tes ailes dorées, pose-toi sur les pentes, sur les collines, de ce lointain qui ne t’a plus vu l’embrasser de son âme. Ce lointain aux ivresses apaisées, au-delà des désastres des biographies de chaque communauté, au-delà des fausses vies que j’ai quittées et que j’ai ici retrouvées, je pouvais entendre dans la kora le cœur qui bat de mon frère, entendre le sourire de ma sœur, dans la kora toute notre humilité. Ce lointain et ses tours abattues, souvenir cher et funeste, ma patrie si belle et perdue, où le soleil caniculaire perché haut dans des cieux souvent aussi rouges que la terre écarlate aveuglait par son éclat quelques fois nos regards posés les uns sur les autres. Comme l’a écrit Mongo Beti, Trop de soleil tue l’amour.
Le chœur des esclaves chante la verticalité de l’immensité, la voix de ceux qui sont en bas, presque endogés, vies souterraines, vies invisibles, fausses vies. Le chant fait danser les ombres boréales de mon obscurité, ombres boréales tièdes et suaves dans une nuit arctique, souffles du vent nocturne portant le son du tam-tam que je n’ai plus entendu depuis une difficile éternité. L’éternité, c’est long, surtout vers la fin, comme Woody Allen l’a dit. C’est davantage plus long, quand il n’y a pas fin.
Le chœur des esclaves joue d’une cruelle lamentation, le temps est suspendu et plus rien ne vole, ni la colombe de la paix ni l’amour de nos poèmes. Souffles du vent nocturne rallume les souvenirs dans le cœur, et j’entends ce lointain qui n’existe plus que dans mon esprit. Le réel est d’abord une construction mentale que l’on dit ; et si on ne peut pas construire, si on n’en a plus la force, si on n’en plus les moyens, si l’on ne le veut plus ou pas, on n’a pas de réel ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est ma nuit, avec ses ombres boréales, les souffles du vent.
Le temps suspendu tue la fin de l’éternité. Je regarde la ville en hibernation rêver de milliers d’imaginaires. Et Aimé Césaire apparaît dans mon obscurité, il se met à clamer les vers d’une colère sourde, d’une colère comme un autre souffle du vent : « Dans cette ville inerte, cette étrange foule qui ne s’entasse pas, ne se mêle pas : habile à découvrir le point de désencastration, de fuite, d’esquive. Cette foule qui ne sait pas faire foule, cette foule, on s’en rend compte, si parfaitement seule sous ce soleil » froid. Et Césaire disparaît comme il est apparu. Je baisse les stores sur la ville qui dort comme une belle aux bois incendiés comme la terre, notre maison, brûle. Je baisse les stores comme on regarde ailleurs, comme on ne veut plus voir, je m’enfuis et m’isole dans mon monde avec sa nuit éternelle et ses ombres ce soir boréales.
Ce soir, je n’entends pas les orages s’éloigner, je ne vois plus de vie illimitée, juste l’obsolescence programmée de nos existences et de nos sentiments. Qui ne survivent jamais au lendemain.
En plein orage, le chœur des esclaves ne cesse de jouer la complainte muette des dignités abattues comme les tours de Sion. Le regard beau et perdu des esclaves salue les rives du Jourdain, de l’autre côté il y a la harpe d’or des devins fatidiques qui sort des notes en douces brises du sol natal. L’horizon qui s’ouvre un mur, il y aura déposé contre lui de funestes lamentations, le chœur des esclaves ne cesse de jouer, comme pour se donner le courage de supporter toutes les souffrances d’une condition humaine endogée, souterraine, fausse vie, vie d’esclaves. L’horizon est une horizontalité de l’immensité, une éternité qui ne connaîtra pas de fin, ça sera long, très long. Le chœur des esclaves ne cesse de jouer, cela dépasse l’entendement. Le cœur des esclaves. Ceci explique peut-être cela.
Au-dessus des murailles de nos fausses vies, il y a une terre promise aux douces brises de sol natal, patrie si belle et perdue. Pas de soleil qui tue l’amour, plus de cruelle lamentation, et tout t’inspire une harmonie. Dans ma nuit, les ombres boréales sont désormais vêtues de nuances ténébreuses. Le silence a succédé au chœur des esclaves, ses notes ont quelque chose du désert de Félicien David. Je ne sais pas si les colonnes d’esclaves qui le traversent, au rythme de cette kora qui laisse entendre tous ces enfants qui vont en guerre malgré eux, qui laisse entendre tous les désastres de leurs biographies, qui laisse entendre toutes les souffrances de leurs fausses vies, qui laisse entendre toutes leurs colères, qui laisse entendre toute leur humilité, qui laisse entendre leurs cœurs qui battent, je ne sais pas s’ils atteindront la patrie promise.
J’ouvre les stores, dans la ville inerte, sous l’orage, tôt le matin, les rêves suivent les chemins tracés.
Bande sonore : Manitoumani – M, Toumani Diabate, Sidiki Diabaté, Fatoumata Diawara.
Au bout du petit matin, l’échouage hétéroclite, les puanteurs exacerbées de la corruption, les sodomies monstrueuses de l’hostie et du victimaire, les coltis infranchissables du préjugé et de la sottise, les prostitutions, les hypocrisies, les lubricités, les trahisons, les mensonges, les faux, les concussions – l’essoufflement des lâchetés insuffisantes, l’enthousiasme sans ahan aux poussis surnuméraires, les avidités, les hystéries, les perversions, les arlequinades de la misère, les estropiements, les prurits, les urticaires, les hamacs tièdes de la dégénérescence. Ici la parade des risibles et scrofuleux bubons, les poutures de microbes très étranges, le poisons sans alexitère connu, les sanies de plaies bien antiques, les fermentations imprévisibles d’espèces putrescibles.
Au bout du petit matin, la grande nuit immobile, les étoiles plus mortes qu’un balafon crevé, le bulbe tératique de la nuit, germé de nos bassesses et de nos renoncements.
Et nos gestes imbéciles et fous pour faire revivre l’éclaboussement d’or des instants favorisés, e cordon ombilical restitué à sa splendeur fragile, le pain, et le vin de la complicité, le pain, le vin, le sang, des épousailles véridiques.
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