Tout à l’heure, Luc a conclu son message par les mots suivants : « Tant qu’il y a de l’encre, il y a de l’espoir. Nous vaincrons. Ton frère. »
Ces mots m’ont fait le plus grand bien ce samedi matin, j’ai eu envie d’y croire, j’ai ressenti le besoin de m’y accrocher, j’ai voulu en faire un credo, en fait j’y crois je m’y accroche et j’en fais un credo.
Luc a toujours eu le sens de la formule, ce qui m’a toujours inspiré, cette façon de dire avec une concision télégraphique l’essentiel et la substance, cette manière de dire le fond avec une aisance presque naturelle alors que derrière il y a toute une réflexion et un cheminement à la fois compliqué et périlleux, cette facilité à calligraphier le complexe comme s’il était si simple, Luc a toujours eu ce talent quasi inné de saisir la quintessence la substantialité la quiddité en la présentant sous une forme absolument limpide, la limpidité comme une clarté presque évidente, la limpidité comme une accessibilité presque enfantine, la limpidité accessible qui se lit et fait sens selon le niveau de lecture que l’on adopte, pour ça et pour beaucoup d’autres j’ai toujours admiré et j’admirerai toujours Luc, ce frère que j’ai choisi.
Les derniers mots du message de Luc dont je n’ai pas eu des nouvelles durant des mois m’ont fait un si grand bien. C’était pour lui sa façon de me dire d’avoir la foi et de continuer à prendre la plume et à la tremper dans l’encrier afin d’écrire notre contemporanéité, de le faire comme un engagement moral, de le faire comme un acte militant, la plume trempée dans la plaie de nos maux (post)modernes et des mots qui ne font pas que s’indigner mais qui essaient de présenter tous les points d’interrogation nés de l’observation de notre monde, des mots qui tentent d’être des points de suspension comme une photographie du moment et une possibilité d’évoluer dans cette longue route dans la nuit que sont l’émancipation de soi et le juste, des mots qui ouvrent des fenêtres comme donnant sur d’autres perspectives afin de rendre véritablement possible ce progrès réel qui ne construise pas le pire, des mots qui rêvent du monde autrement que cette fatalité dite réaliste conduisant chaque dignité à l’abattoir, des mots de colère qui disent que le cœur n’est pas encore rentré dans une ère de glaciation, des mots qui n’hésitent pas à prendre le risque de déplaire de choquer d’ébranler si c’est le seul procédé pour montrer toute la violence l’absurdité la connerie la misère de notre temps, des mots qui ne soient pas des armes de guerre dans nos conflits d’inhumanité mais n’hésitant pas à servir de bouclier et de riposte aux attaques de plus en plus permanentes et décomplexées contre la dignité humaine, des mots qui ne soient pas simplement pour l’ornement le décor l’esthétique la futilité le rien du tout ne menant jamais à grand-chose. Luc, ce matin, a fini son message par des mots qui m’ont fait le plus grand bien.
Sans qu’il ne le sache, depuis le début de cette année, avec cette normalisation de plus en plus générale de l’inhumanité et de l’indifférence à l’Autre – cette dignité humaine semblable à soi, ce narcissisme triomphant de l’individualisme, ce « Me Myself & I » de plus en plus principe moral – pour dire norme morale, cet hédonisme permanent qui veut jouir tout le temps de tout sans tenir compte à la fois des conséquences et des responsabilités de l’individu envers la collectivité, cette misère de l’image selfie hégémonique qui ment (tout le temps) (disant par là, par son mensonge sa part de vérité) et raconte des histoires abracadabrantesques, cette compétition exacerbée des nombrils pour atteindre le sommet de la pyramide sociale, ces engagements pour l’environnement qui n’empêchent les foules de jeunes individus de surconsommer un max des produits technologiques (téléphones intelligents, ordinateurs de marque, hyperconnectivité aux mondes réseaux médias sociaux, etc.) détruisant notre écosystème global et qui ne les empêchent pas de regarder presque indifférents les injustices sociales (ou les épaves humaines au coin de la rue), des indifférences qui ne s’émeuvent que pour les tragédies touchant ceux de leur race de leur classe sociale de leur communauté, etc., je ressens une grande fatigue. Mentale, physique. Un abattement moral et intellectuel.
Je suis fatigué. Épuisé. Lessivé. Au point de ne plus rien ressentir. De m’indifférer de tout. Comble de mon malheur.
Sans énergie. Sans envie. Encéphalogramme plat..
Il y a quelques semaines, j’ai bonnement jeté l’éponge. Luc, inconsciemment peut-être, l’a senti, et ce matin il me demandait d’y croire, d’avoir la foi. En lisant ces mots, il y a eu des pics sur l’encéphalogramme, j’ai ressenti quelque chose, je me sentais toujours aussi fatigué mais vivant. Ou revenu à la vie. Avoir la foi pour ne pas crever, pour ne pas se laisser crever. Avoir la foi pour s’accrocher à l’espoir.
Avoir la foi, s’accrocher à l’espoir comme croire en quelque chose à la fois ancrée en soi et transcendantale : l’Humanité, le Juste, la Dignité.
Croire en l’Humanité, croire au changement menant au juste, croire en tous nos gestes que l’on juge si souvent insignifiants et dérisoires, croire que l’on peut changer le monde en redéfinissant le sens et la réalité des gens autant que la nôtre, croire qu’en continuant à agir au quotidien de la façon la plus honnête la plus authentique la plus humaine l’on peut montrer que « autrement » est possible et qu’il est la seule chance que nous ayons aujourd’hui, croire qu’en considérant l’Autre non comme une menace mais une opportunité d’enrichissement de soi l’on puisse évoluer autant spirituellement qu’humainement, croire que derrière les politiques mondiales et les impératifs stratégiques il y a d’abord et avant tout voire seulement des individus qui sont des êtres humains et ainsi redéfinir en ayant déconstruit le paradigme réaliste, croire en chaque individu qu’importe ce qu’il présente car au-delà du présentoir il y a toujours une histoire une biographie une complexité qui rend sans intérêt le stéréotype et le préjugé, croire que même dans la noirceur totale de la banale monstruosité de la personne ordinaire il y a un cœur qui bat et qui rend possible un retour à l’Humanité, croire et simplement croire au-delà de toute rationalité, croire pour espérer et pour l’espérance.
Croire comme avoir la foi inébranlable en cette idée du juste et de la liberté, de la liberté et de la responsabilité, de l’Humain en toute personne comme un refus de condamner l’Autre et Soi pour l’éternité. Avoir la foi en chaque personne qu’importe ses particularismes et ses univers qui ne sont ni les nôtres ni tout à fait de notre norme de sens et de significations, pénétrer cet univers et y rester tout le temps de s’en imprégner afin de mieux le comprendre. Avoir la foi quant au fait que la compréhension est un cheminement à deux et un échange réciproque, et que cet échange est naturellement transformationnel pour tous ceux qui s’y engagent. Avoir la foi quand le discours de haine et d’intolérance normalisé autour de soi, dans les médias, dans les cercles sociaux prétendument intelligents, devient la banalité même. Avoir la foi, le dire, l’écrire, parce que comme le dit Luc, mon frère blanc, mon frère québécois dit de souche, mon frère humain : « Tant qu’il y a de l’encre, il y a de l’espoir. Nous vaincrons. »
Ce samedi matin, et pour le restant de mes jours, j’ai la foi. Grâce à Luc. Ce soleil printanier.
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