Gouvernance : le Mépris & la Haine du Peuple

by dave

Dans le chapitre I – « La gouvernance serait-elle le nom de l’après-démocratie ? L’inlassable quête du pluralisme limité » – de l’ouvrage La gouvernance : Un concept et ses applications paru en 2005 (sous la direction de Guy Hermet, Ali Kazancigil, et Jean-François Prud’homme), Guy Hermet se pose la question de savoir quelle est la relation entre démocratie et gouvernance dans le contexte de la mondialisation contemporaine.

En fait, grosso modo, Hermet s’interroge principalement sur la place de l’expression souveraine du peuple dans cette gouvernance contemporaine (à la nature presque insaisissable mais entendue et vantée partout) qui tend à s’ériger comme nouvelle forme de gestion (politique) de nos sociétés actuelles. L’analyse de Hermet se fait dans un monde actuel post-étatique (Susan StrangeThe Retreat of the State), dans un monde multipolaire, où face « aux humeurs » des citoyens les dirigeants (les politiques, les technocrates, etc.) se questionnent (très sérieusement) de plus en plus sur la nécessité d’intégrer le peuple dans la gouvernance ou de la fonder sur l’expression du peuple.

 

« Le mot de gouvernance revient désormais à tout propos, comme une espèce de brevet de compétence que les dirigeants qui l’utilisent à profusion se décernent à eux-mêmes, mais sans que « les gouvernés » que nous sommes ne comprennent en général de quoi ils parlent précisément. Cet ouvrage se propose d’éclairer « ce que gouvernance veut dire », sous ses multiples angles d’application et depuis divers lieux : l’Europe, le Mexique et l’Amérique du Nord.

Le mot souvent ne fait guère que se substituer à celui de gouvernement, sans rien y ajouter, sinon une tonalité caressante inspirée par la mode. D’autres fois, pourtant, il possède des significations bien définies, mais malheureusement dispersées, applicables selon les cas à la conduite des entreprises, ou bien à la gestion des villes, ou encore au fonctionnement d’un système international en quête de procédures nouvelles.

Cela sans oublier la « bonne gouvernance » exigée des pays pauvres par la Banque mondiale, de même que la gouvernance européenne qui est synonyme du mode de gouvernement post-étatique de l’Union européenne. Au constat de tous ces frémissements qui modifient l’art de mener les peuples, une question cruciale surgit finalement à l’esprit.

La gouvernance n’est-elle qu’une simple méthode ou technique nouvelle de « management » de nos sociétés ? Ou bien ne faudrait-il pas y voir déjà le nom d’un régime politique en gestation, futur certes, mais proche, celui d’une après-démocratie qui s’insinuerait dans nos pays sans que nous y prenions encore garde ? »

Hermet, Guy, Ali Kazancigil, et Jean-François Prud’hommeLa gouvernance. Un concept et ses applications. Editions Karthala, 2005

 

 

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« Guy Hermet: «La démocratie telle que nous la concevons va disparaître». Dans «L’Hiver de la démocratie», le politologue français Guy Hermet prédit l’avènement d’un nouveau régime après l’épuisement de l’Etat providence.

Nous sommes à la fin d’un régime, celui de la démocratie. Comme les élites du XVIIIe siècle qui ne s’attendaient pas à la chute de l’Ancien Régime, nous ne sommes pas conscients du fait que la démocratie va disparaître. Telle est la thèse provocante défendue par Guy Hermet dans L’Hiver de la démocratie ou le nouveau régime (Ed. Armand Colin).

– Annoncer la fin de la démocratie à une époque où le libéralisme a triomphé du communisme et où le monde compte beaucoup plus de démocraties qu’il y a cinquante ans, voilà qui révèle un goût de la provocation ou du paradoxe…

Guy Hermet: Il y a un progrès de la démocratie en extension; géographiquement, en surface ou en quantité, elle s’est étendue; de plus en plus de pays sont dits «démocratiques», même si l’on peut douter de la qualité de leurs institutions. Mais en densité, en profondeur ou en qualité, la démocratie recule. Elle s’étend en périphérie mais s’épuise dans nos vieilles démocraties. Ce noyau, affaibli, risque de ne plus pouvoir alimenter son progrès en périphérie, où elle reste imparfaite et souvent caricaturale.

– De nombreux observateurs s’accordent à diagnostiquer une crise de la démocratie dans nos pays…

– Parler de «crise», c’est suggérer que nous vivrions simplement un passage à vide, que la situation va s’arranger. C’est une vue erronée. Je crois profondément que la démocratie telle que nous la concevons n’existera bientôt plus. On en voit de multiples symptômes.

Plus généralement, il y a maintenant un doute philosophique sur la pertinence de la souveraineté populaire. Et on en vient à récuser la volonté majoritaire qui est pourtant le noyau de la démocratie. Quand, dans un pays du Sud, les élections portent au pouvoir un parti islamiste, n’entend-on pas dire qu’il vaudrait mieux annuler les élections? Ou quand une proportion importante d’électeurs anversois donne sa voix au Vlaams Belang, certains ne pensent-ils pas qu’il conviendrait de ne pas tenir compte de leurs bulletins de vote? Ce qui vient d’être fait d’une certaine façon en Suisse, avec l’éviction de Christoph Blocher du gouvernement, en dépit de son triomphe électoral.

Surtout, sur le plan pratique, la démocratie a atteint ses limites. C’est le seul régime qui est obligé de se légitimer à chaque élection. Les promesses constituent son carburant. Au début, on a promis le suffrage universel masculin, puis le vote des femmes, puis encore l’abaissement de l’âge du droit de vote – tout cela ne coûtait pas très cher. Ensuite, on a promis la démocratie sociale: l’assurance maladie, les pensions de retraite, la sécurité sociale en général. Maintenant, la démocratie arrive au fond du réservoir des promesses réalisables. Le déclin de la démocratie – et ce n’est pas une coïncidence – accompagne la fin de l’Etat providence. Le moment approche où nos démocraties ne pourront plus faire miroiter quelque cadeau tangible que ce soit. Et, d’ailleurs, les citoyens l’ont compris: la plupart ne croient plus à un avenir meilleur pour eux et pour leurs enfants. Cet espoir, qui soutenait la démocratie, est cassé. »

 

 

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La gouvernance : l’après-démocratie

L’après-démocratie est donc envisagé comme palliatif ou traitement de choc afin de se débarrasser de cette maladie (incurable) qu’est le peuple (avec ses « humeurs » – pour dire aussi bien sa versatilité que ses crises quasi irrationnelles, son peu de connaissance de toute la complexité mondialiste contemporaine, son incapacité à saisir l’importance des enjeux mondiaux actuels qui obligent par exemple davantage de libre-échangisme et de néolibéralisme, de transfert des fonctions et pouvoirs intrinsèques de l’État à des institutions supranationales composées d’experts non-élus, etc.).

Si cet après-démocratie – qui au fond est un doux euphémisme pour signifier l’élimination de la démocratie (dans son sens classique de souveraineté populaire) – semble une alternative réaliste, une idée pragmatique, une solution efficace permettant une participation de gouvernants qui comprennent vraiment et suffisamment la nature des vraies affaires, elle est le nom d’un nouveau régime d’autorité.

 

« Chacun le constate, les démocraties libérales sont entrées dans une période de crise généralisée – alors même que le nombre de régimes démocratiques n’a cessé de se multiplier depuis les années 1990, notamment à l’Est et au Sud. Colin Crouch avait élaboré le concept de « postdémocratie » pour décrire cet affaissement, et le sentiment d’impuissance et d’éloignement que les peuples ressentent à l’égard de leurs gouvernants. La montée en puissance des firmes transnationales, des organisations internationales et de la technocratie signe l’invasion des intérêts et des normes privés au cœur de la sphère publique et des appareils d’État. À partir de là, comment imaginer démocratiser la démocratie ? »

Sintomer, Yves. « L’ère de la postdémocratie ? Démocratiser la démocratie ou céder aux tentations autoritaires », Revue du Crieur, vol. 4, no. 2, 2016, pp. 20-35.

 

Cet après-démocratie est comme le souligne Robert Joumard dans son article « Gouvernance et Citoyens » : « un mode de gouvernement particulier, par des groupes de personnes particulières, dirigeant ou possédant des entreprises, ou secondairement organisées en puissantes ONG, qui ont un pouvoir important d’orientation de la société. […] Mais la gouvernance affirme que le simple citoyen est incapable de comprendre la grande complexité de la réalité sociale et économique et doit se contenter de déléguer son pouvoir de décision à des experts. »

Une « gouvernance » par des particuliers (des intérêts particuliers, individus et groupes d’individus particuliers, d’organisations particulières, clamant leurs expertises) au nom de la collectivité sans posséder cette légitimité « populaire » propre à la démocratie.

Portraituré comme ça, cette « gouvernance » a tout d’un système de castes, un gouvernement oligarchique composé à la fois de d’autoritarisme de technocratie de ploutocratie de népotisme et d’aristocratie.

 

« Depuis une trentaine d’années les électeurs contestent de plus en plus souvent la légitimité des élus et des hommes politiques en général. Les explications avancées, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne cherchent pas à raviver la démocratie, mais plutôt à nous convaincre que l’on est rentré dans une période de « postdémocratie » :
Avec la mondialisation, les choix politiques ne sont plus opérés au niveau démocratique habituel, c’est-à-dire celui de l’Etat-nation, mais dans instances supranationales (ONU, Commission Européenne, FMI, OMC…).

On assiste à la mise en place d’une gouvernance globale par des élites transnationales constituées d’avocats, d’experts, de juges, de membres d’ONG, de dirigeants d’entreprises multinationales, de hauts fonctionnaires… L’opacité des prises de décision rend celles-ci quasiment irréversibles.

Les contraintes (la mondialisation, l’Union Européenne) n’offrent plus de marges de manœuvre pour la politique souhaitée par les citoyens.

Certaines questions sont jugées trop complexes pour la compréhension des électeurs ordinaires (appel à des experts).

L’augmentation de l’abstention est banalisée et trouvée normale dans nos sociétés modernes.

La résignation face à de telles explications est annonciatrice d’une remise en cause de la démocratie puisqu’elle ne fait plus du citoyen un acteur de la vie politique, mais un spectateur passif.

Face à ce fatalisme de l’environnement économique, les citoyens s’estiment mal représentés et ne se reconnaissent plus dans des élites politiques qui considèrent savoir ce qui est bon pour l’ensemble des citoyens et où se trouve l’intérêt général. Les hommes politiques peuvent alors être tentés de baisser les bras face à ces contraintes externes car, pour eux, répondre aux aspirations du peuple serait verser dans le populisme.

Il arrive parfois aux hommes politiques de s’en prendre à ceux qui pratiquent l’abstention. Ils peuvent même considérer un vote sanction comme l’expression d’une émotion, compréhensible certes, mais n’ayant pas vraiment d’importance politique. Il s’instaure une méfiance du vote des classes sociales les plus défavorisées, vote qui ne peut être celui d’une participation sereine à la démocratie et qui se manifeste parfois dans la violence.

Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire la dilution de la démocratie n’est pas liée aux circonstances, mais résulte d’une évolution des idées et des références philosophiques qui consiste à dénigrer la chose politique. »

 

L’on pourrait même trouver qu’elle va plus loin que la « post-démocratie » (définie par Serge Latouche dans son Vers une société d’abondance frugale comme une « fausse démocratie caricaturale manipulée par les médias et les lobbies, que nous connaissons aujourd’hui »), dans la mesure où cette gouvernance ne s’encombre plus de l’apparence démocratique et de la caricature pour enfin s’assumer (de façon décomplexée) comme une non-démocratie, s’assumer comme une oligarchie purement et simplement (et le tout au nom de l’intérêt du peuple ou au nom du marché, c’est selon).

 

 

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Critique personnelle du texte : un regard de subjectivité objective de la gouvernance contemporaine

C’est cette gouvernance qui est observée par Hermet. Sa thèse est que la « gouvernance » telle que manifestée de nos jours est un « énième procédé d’évitement d’une expression politique populaire trop pressante ».

Le ton est selon moi délicieusement sarcastique, vivant, riche, c’est le style très français (ou européen) qui me change de celui – très austère froid sans vie – d’une grande partie de la littérature scientifique ou universitaire anglo-saxonne (style anglo-saxon qui a en effet les défauts de ses qualités). Je veux dire l’on peut être très sérieux dans son propos, très rigoureux dans sa pensée, très attentif aux mots et expressions choisis, sans le dire et l’écrire comme si on n’avait un bâton dans le cul ou sans donner l’impression d’un texte cadavérique écrit par un mort-vivant – du moins, il me semble, mais je puis me tromper. Bref, le style de Hermet est jouissif. Captivant. Le ton n’est pas aussi monocorde que d’un ennui mortel, ça bouscule et c’est dynamique. On ne s’emmerde pas en lisant Hermet. J’ai pris beaucoup de plaisir à le lire. 

L’observation de Hermet se fait dans une neutralité axiologique qui ne veut pas effacer ou qui n’efface pas l’engagement de l’auteur. Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur cette gouvernance, mais de l’expliquer de la comprendre d’interpréter ses manifestations et d’y poser un regard critique.

L’opinion personnelle de Hermet sur l’objet de son étude transparaît nettement, ce qui me semble tout à fait normal. Aucun penseur n’est dénué de biais et ses écrits malgré ses efforts laissent voir de tels biais, il suffit de s’arrêter souvent sur le choix des mots, l’agencement des idées, la sélection des références mobilisées dans son travail (même si on essaie d’intégrer des références contradictoires ou qui s’opposent, il n’en reste pas moins que dans le corps du texte certaines références sur lesquelles on s’appuie souvent principalement pour expliquer interpréter comprendre révèlent où nous nous situons idéologiquement, c’est en soi un secret de polichinelle), de la perspective adoptée pour décrire un phénomène, etc.

Ainsi, la neutralité axiologique n’est pas selon moi une absence de biais et d’opinion personnelle, ce sont deux choses : une prise de conscience véritable (je dirais même régulière voire constante) de nos biais et une prise de distance (comme un regard critique) par rapport à nos biais.

Dans la culture intellectuelle anglo-saxonne l’on a tendance à trop prendre la neutralité axiologique comme un critère de scientificité (d’une pensée) qui interdit (formellement et absolument) les biais et l’opinion personnelle (ce qui est un mythe quand on est habitué à lire les productions intellectuelles anglo-saxonnes) – d’où ce style d’écriture austère dépouillé de toute vie.

Dans la culture intellectuelle française (ou européenne en générale) l’on ne donne pas souvent le même sens à la neutralité axiologique, l’essentiel est ailleurs, il est généralement le fond, et oui dans cette culture le verbe est important (je veux dire c’est quand même la France).

 

 

 

La scientificité n’est pas une question d’austérité (de valeurs, de valeurs personnelles), c’est selon moi deux choses : une question d’équilibre entre les différentes possibilités d’explication d’interprétation de compréhension de phénomènes et une question de réfutabilité (est-ce que ce que l’on dit ou présente est réfutable en adoptant la même méthodologie par exemple, est-ce qu’au fond malgré l’apparence de réfutabilité ce que l’on dit n’est pas une espèce de vérité canonique qui ne demande qu’un amen, qui soit impossible à invalider, etc.).

Karl Popper l’a si bien dit : « le critère de la scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester » – Conjectures et réfutations, Payot, 1994. Toute « théorie » est une approximation d’une vérité hors d’atteinte (puisque la vérité est un mythe). Et donc, toute théorie est une lecture qui part de la subjectivité du regard en empruntant des modèles et cadres analytiques objectifs, c’est cela selon moi la subjectivité objective.

Cette subjectivité objective montre la part de construction mentale qu’il y a dans le saisissement du réel et la part de critique vis-à-vis de cette construction mentale.

Alors que le style d’écriture soit vivant soit dynamique ou bonnement frigorifié voire polaire, qu’il soit un peu fleuri (ou légèrement lyrique), animé ou totalement nature morte, qu’il soit télégraphique ou exigeant d’avoir le souffle long, etc., cela selon moi n’a aucune espèce d’importance. Du moment que le cadre théorique est précis et clair, la méthodologie clarifiée, les références équilibrées et regards et autres lectures relativement équilibrées, mais surtout que le tout (autant les instruments les moyens que les sens proposés) soit réfutable (vraiment réfutable), le reste franchement je m’en fous (un peu beaucoup). L’important et l’essentiel est ailleurs. 

 

« La neutralité axiologique (ou science libre de jugements de valeur) est souvent perçue en France d’une façon qui serait déformée de son sens originel. Selon Isabelle Kalinowski, la neutralité axiologique n’interdit nullement au chercheur une opinion personnelle quant à l’objet qu’il étudie, comme on le pensait jusqu’ici en France par une sorte de réflexe anti-marxiste.

Au contraire, souligne-t-elle, Weber considère qu’un engagement politique tel que l’anarchisme est tout à fait de nature à permettre une meilleure sociologie du droit en ce que le chercheur anarchiste n’est justement pas attaché par le droit dont il fait l’analyse sociologique, et est donc susceptible de plus de recul sur celui-ci que le chercheur supposément neutre. »

 

Le texte de Hermet est donc une tentative d’équilibrisme entre une obligation d’objectivité et une vision idéologique marquée. Un équilibrisme sous tension, difficile, périlleux, qui est perceptible dans sa réflexion.

Mon sentiment est que Hermet démontre plus qu’il ne fait que simplement montré. Il y a au fond plus de la présentation de preuves (ou je le dirais un peu d’instruction à charge) que d’explicatif dans son propos, en ce sens selon moi le texte est celui d’un essayiste ou un essai. En même temps, c’est sans doute ce que j’ai apprécié.

 

« L’intention à laquelle répondent ces pages ironiques n’est pas de provoquer. Elle est de laisser perplexe, avec toutefois cette préoccupation que les réflexions qu’elles livrent risquent moins de choquer que de sembler fantaisistes. »

Hermet, Guy. « 1 – La gouvernance serait-elle le nom de l’après-démocratie ? L’inlassable quête du pluralisme limité », Guy Hermet éd., La gouvernance. Un concept et ses applications. Editions Karthala, 2005, pp. 17-47.

 

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Autre regard sur le texte : un salutaire engagement moral de Hermet

Certains sujets me semble-t-il ne se prêtent pas à une espèce d’anatomie de laboratoire. Je veux dire certains sujets ne devraient peut-être pas être traités comme on observerait des coquillages, des plantes, des cailloux, des rats, puisqu’ils ont ce potentiel humain qui impacte directement significativement (souvent de manière déterminante) la quotidienneté des gens.

Dès lors, les traiter en portant un scaphandre, les manipuler avec une sensibilité de robot shootée aux algorithmes, les regarder les lire les interpréter à coups de statistiques assommantes des chiffres des courbes déshumanisés, c’est d’après moi à la fois sans intérêt – parce que les résultats sont désincarnés, disent une partie infime de la complexité qui ne conduit à rien sauf à clamer une vérité n’en étant pas vraiment une, etc. – et presque une faute morale.

 

« L’humanité est devenue facteur d’évolution au niveau planétaire. En complexifiant toujours plus les modalités de ses relations avec l’environnement, elle pense trouver dans la science l’outil principal de son développement et en définitive de sa survie. La science, en effet, est un système d’acquisition de connaissances qui génère une interprétation systématique et rationnelle du monde naturel et humain, jamais définitive et en renouvellement continu.

En tant qu’explication rationnelle des phénomènes naturels et sociaux, elle nous permet de raffiner sans cesse la compréhension de notre place et notre rôle dans le monde. Au vu des enjeux inhérents à l’exploitation des acquis scientifiques et de leurs conséquences sur la vie des populations humaines et sur les équilibres biosphériques, continuer à imaginer que les scientifiques vivent isolés dans une sorte de tour d’ivoire de la connaissance, éloignée de l’agitation de la πόλις, signifie ignorer que la responsabilité sociale est consubstantielle à l’activité de la science. »

– Donato Bergandi, « L’impartialité engagée : objectivité scientifique et engagement moral », In Byk (ed.), Les scientifiques doivent-ils être responsables ? Fondements, enjeux et évolution normative. Les Études Hospitalières. pp. 137-154 (2013)

 

Il est de plus en plus inacceptable de nos jours que le chercheur, le penseur, l’intellectuel, etc., le simple commentateur ou observateur ordinaire, fassent l’économie d’un engagement moral.

Comme me le faisait remarquer une professeure d’université, il est de plus en plus exigé du « thinker » qui réfléchit sur le monde et pense les phénomènes du monde, les questions de sens du réel, qu’il prenne moralement position tout en respectant les sacro-saintes règles de la méthodologie scientifique.

D’ailleurs comme l’ajoutait cette même professeure, dire que l’on est moralement non-engagé est faux puisque tout le monde est moralement pluggé quelque part, et le laisse voir (consciemment ou non) dans le fruit de sa pensée (publicisée), donc c’est en soi une hypocrisie, un mensonge, c’est bonnement illusoire. La parole, ou l’écriture comme parole calligraphiée, est un acte d’engagement moral. 

 

« Un scientifique ne vit pas dans un vacuum social, il est porteur de valeurs sociales dans la sphère scientifique. En même temps, il véhicule dans la sphère sociale des valeurs qui découlent de son activité. Si, d’une part, son rôle est celui de développer des connaissances qui soient à la fin du processus d’enquête scientifique exemptes de la marque de la subjectivité, d’autre part, pendant ce processus les valeurs s’affrontent en laissant le dernier mot aux tests expérimentaux et observationnels propres à la méthode scientifique. En dernière analyse, ce sera la réalité phénoménologique qui tranchera vis-à-vis des multiples modèles et constructions épistémiques, plus ou moins imprégnés de valeurs, soumis par l’ensemble de la communauté scientifique. » 

– Donato Bergandi, « L’impartialité engagée : objectivité scientifique et engagement moral », In Byk (ed.), Les scientifiques doivent-ils être responsables ? Fondements, enjeux et évolution normative. Les Études Hospitalières. pp. 137-154 (2013)

 

Et une autre professeure me l’affirmait : « Tout travail scientifique sert quelqu’un », politiquement, moralement, etc., il faut donc en avoir conscience. Pour paraphraser Thomas Risse-Kappen : « Ideas do not Float Freely » (Risse-Kappen, Thomas. “Ideas Do Not Float Freely: Transnational Coalitions, Domestic Structures, and the End of the Cold War.” International Organization, vol. 48, no. 2, 1994, pp. 185–214.). Les idées transforment et modifient les pensées des animaux politiques et sujets moraux que sont les personnes.

Les « nouveaux penseurs » ou les « nouvelles pensées » ont des influences non-négligeables sur les dirigeants, les peuples, les sociétés, sur le cours des événements, sur l’histoire qui est en train de s’écrire. A ce propos Risse-Kappen montre comment les « new thinkers » libéraux internationalistes appartenant à des réseaux transnationaux connectés à l’internationalisme libéral ont eu une influence sur les dirigeants soviétiques réformateurs.

 

« Wilson définit sa vision d’un « internationalisme libéral » en matière de politique étrangère, consistant à soutenir la sécurité collective et l’ouverture du marché entre les différentes démocraties, le tout régulé par un systèmes d’institutions internationales en fin de compte dépendantes des États-Unis. »

 

Des dirigeants soviétiques qui avaient besoin de nouvelles idées afin de satisfaire « leurs besoins de concepts politiques cohérents » (Risse-Kappen 1994). Ce qui explique en partie ce basculement idéologique de Gorbatchev avec la perestroïka (vent de libéralisme chez les Soviets) qui a conduit irrémédiablement à la fin de l’URSS (la communauté transnationale de penseurs libéraux internationalistes a donc eu un effet significatif sur la fin de la Guerre froide).

Ainsi, les idées et les penseurs peuvent agir de façon déterminante sur non seulement notre lecture du passé du présent et de l’avenir mais aussi sur notre conception du passé du présent et de l’avenir sans parler et peut-être surtout de nous-mêmes.

 

« L’engagement d’un intellectuel comme Sartre implique bien une responsabilité assumée devant les autres. C’est pourquoi cet acte se veut être solidaire des opprimés, des dominés. Il s’agit d’un combat et d’une résistance au nom des valeurs morales. Je m’engage aux côtés des autres et j’entends défendre des causes justes. Il est vrai que cet investissement a pour conséquence un risque, celui de se « salir les mains ». Mais cette attitude éthique comporte une cohérence puisqu’elle assume parfaitement les valeurs qu’elle veut promouvoir.

Il reste à savoir si l’intellectuel engagé est caractérisé par un savoir objectif qui lui donne le droit de protester. Il n’est pas évident que le propre d’un intellectuel soit de disposer d’un savoir d’expert pour s’autoriser à prendre la parole. Son unique raison d’être est de contester des valeurs établies au nom d’une certaine conception de la justice. Point n’est alors besoin de légitimer son engagement pratique par un savoir positif.

[…] La question de l’engagement pose la question du sens de l’existence. S’engager, c’est donner du sens à son action au regard des autres. Mais l’intellectuel aujourd’hui ne peut se prévaloir d’une position de surplomb. Est-ce à dire qu’on assiste à un éclatement de valeur qui interdit toute prise de position critique et tout refus du conformisme moral ? Il semble réducteur de se contenter d’oppositions strictes entre « conformisme » et « progressisme » par exemple : la fin des certitudes politiques conduit à la disparition d’un point de vue absolu sur les choses. »

– Harang, Laurence. « Engagement et valeurs morales », Sens-Dessous, vol. 0, no. 1, 2006, pp. 77-87.

 

Les idées donc servent – toujours – quelqu’un, elles sont – toujours – utilisées à des fins qui peuvent avoir des implications morales importantes). Hermet, c’est mon impression, en a bien conscience, l’assume complètement, et c’est tant mieux. En cela, il ne diffère pas des autres.

Je parle par exemple des analyses réalistes des relations internationales de John J. Mearsheimer dans « The False Promise of International Institutions » (Mearsheimer, John J. “The False Promise of International Institutions.” International Security, vol. 19, no. 3, 1994, pp. 5–49) ou bien encore son « Back to the Future: Instability in Europe after the Cold War » (Mearsheimer, John J. “Back to the Future: Instability in Europe after the Cold War.” International Security, vol. 15, no. 1, 1990, pp. 5–56.), du Swords into Plowshares d’Inis L. Claude, du « Governance, democracy and development in the Third World » d’ Adrian Leftwich (Leftwich, Adrian. “Governance, Democracy and Development in the Third World.” Third World Quarterly, vol. 14, no. 3, 1993, pp. 605–624.), du Democracy and the global order: From the modern state to cosmopolitan governance de David Held, etc.

Ces analyses pensent objectivement le monde tout en ayant une subjectivité idéologique marquée et  une espèce d’engagement moral, cela transparaît (et quelques fois suinte de tous leurs pores).

Ces pensées ont influencé et continuent d’influencer d’autres penseurs les politiques les institutions internationales les acteurs de la société civile les individus ordinaires les sociétés etc.).

Certains textes comme ceux de Mearsheimer et de Claude sont encore aujourd’hui des références en la matière, d’espèces d’incontournables dans la lecture et la conceptualisation du monde que de nombreux individus font. 

 

« […] si on se rappelle l’origine étymologique du substantif théorie, dérivé du verbe grec ancien theorein, faire de la théorie signifie observer avec émerveillement ce qui se passe, pour le décrire, l’identifier et le comprendre.

Depuis que la théorie des relations internationales existe en tant que discipline académique, tous les internationalistes se réclament de cet objectif, des idéalistes désireux d’étudier la politique internationale à partir de « la simple exposition des faits politiques tels qu’ils existent dans l’Europe d’aujourd’hui [5] », aux constructivistes soucieux de développer « une approche systémique en vue de comprendre les intérêts et le comportement des États [6] », en passant par les réalistes ambitionnant de présenter une théorie de la politique internationale susceptible d’« apporter ordre et signification à une masse de phénomènes qui, sans cela, resteraient sans lien et inintelligibles [7] ». »

 

 

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Gouvernance : du courant progressiste au néolibéralisme (avec sa filiale social-démocrate)

Le texte de Hermet est une critique (que je dirais virulente) de cette « gouvernance » « nébuleuse » dans son fonctionnement, ses manifestations, et conceptuellement parlant toute aussi « nébuleuse ».

C’est quoi la « gouvernance » ?

Presque impossible à dire (de façon satisfaisante). C’est un mot qui remonte jusqu’au XIIIe siècle et qui était synonyme de gouvernement, sa signification contemporaine est (une fois encore) « nébuleuse » même si elle reste proche du caméralisme (une variante du mercantilisme – qui s’oppose au libre-échange).

Le mercantilisme s’appuie sur la classe des marchands et le commerce dans le but de favoriser « l’essor industriel et commercial » des pays. C’est un système qui s’appuie sur le gouvernement en tant qu’entité souveraine, un gouvernement interventionniste en adoptant des politiques dites défensives (protectionnisme) – c’est-à-dire qui protègent les acteurs économiques nationaux, et des politiques dites offensives qui permettent de favoriser la compétitivité de tels acteurs dans le marché mondial par exemple en leur accordant des subventions.

Le libre-échange veut réduire au minimum l’intervention du gouvernement dans l’économie. L’économie est soumise à la loi du marché, à la libre concurrence, aux actions des acteurs économiques et est une affaire d’acteurs économiques. Il est contre le protectionnisme puisqu’il promeut l’ouverture des marchés nationaux à la concurrence étrangère.

 

« L’un des dogmes les plus tenaces […] pose le libre-échange comme une condition à la « création d’emplois », formule politiquement payante s’il en est. La croissance économique en découlerait tout naturellement et le bien-être de tous en dépendrait. A contrario, le protectionnisme est tenu pour néfaste à l’économie et pour l’emploi. La cause étant entendue ! Or, l’histoire montre une réalité pas aussi simple. L’historien et économiste Paul Bairoch a même établi que, pour toute la période contemporaine — si on excepte la crise des années 1930 —, la croissance fut plus faible lors des périodes libre-échangistes que lors des périodes protectionnistes.

Exemples évocateurs

Malgré tout, le libre-échangisme générateur de croissance et d’emplois reste un dogme chez plusieurs économistes. Voyons quelques exemples qui montrent l’inverse.

Contrairement à ce qu’on croit généralement, l’Angleterre ne fut résolument libre-échangiste que dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Alors qu’elle prenait son essor pour devenir la première puissance économique mondiale, au début de ce siècle, elle était parmi les États les plus protectionnistes d’Europe. John Nye a montré que les tarifs anglais furent supérieurs à ceux de la France jusque vers 1880 ! En 1820, le Royaume-Uni, première puissance économique mondiale, impose des tarifs moyens de 60 %, contre 20 % pour la France. Or, devenue championne du libre-échange après 1880, elle vit son économie reculer relativement face à l’Allemagne et les États-Unis, deux pays alors protectionnistes.

En France, le traité de libre-échange avec l’Angleterre (1860), inaugure une phase libre-échangiste. Cette période (1860-1890), qui aurait dû faire voie à la prospérité, montre plutôt un ralentissement de son économie par rapport aux années 1840-1860. Le libre-échange fait notamment croître ses importations agricoles, ce qui nuit à l’agriculture et aussi à l’industrie qui est affectée par la baisse du pouvoir d’achat des ruraux, majoritaires en France.

Un autre exemple est celui des États-Unis. Connaissant une prodigieuse croissance économique après la guerre de Sécession (1865), les États-Unis deviennent la première puissance industrielle mondiale vers 1890. Or, les États-Unis sont alors le pays le plus protectionniste au monde ; la moyenne de leurs tarifs industriels est de 40 à 50 %, contre 9 à 12 % pour les pays d’Europe occidentale. »

 

Dans le caméralisme, le « bon gouvernement » ambitionne « tout à la fois d’optimiser les ressources [les richesses] de l’État, de mieux satisfaire les besoins de la population et de servir la prospérité », bref d’assurer le développement économique et social.

La gouvernance originellement était donc davantage caméraliste que libre-échangiste.

Mais comme on la connaît de nos jours, la gouvernance est une idée issue de la conceptualisation de la « gouvernance d’entreprise » à la fin des années 1930. C’est donc l’entreprise qui va être le premier cadre théorique du concept de gouvernance contemporaine.

Pour Hermet, « La gouvernance » est un concept à « l’hétérogénéité idéologique » dans laquelle s’est retrouvée à la fois le « courant progressiste » – c’est-à-dire « les adeptes de la démocratie participative de proximité », les « techniciens de la modernisation de la gestion publique locale », les « grandes institutions d’aide au développement » – par exemple la Banque mondiale qui a fait partie des « agents décisifs de la vulgarisation du terme », les analystes et autres chercheurs penseurs universitaires de la globalisation et des régimes internationaux, et les « acteurs des processus d’unification continentaux » que sont par exemple les « eurocrates » de Bruxelles.

Le courant progressiste a été supplanté par les « tenants d’une perspective néolibérale de privatisation des services publics » et par les « amis de la troisième voie issue de la social-démocratie ou d’un milieu européen combinant les logiques administratives et marchande ».

 

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Observation personnelle : La social-démocratie est morte, la gauche aussi

La gouvernance dans sa plus récente évolution conceptuelle est donc une sorte de rencontre entre le néolibéralisme et la social-démocratie (pour Hermet en 2005).

En 2019, et c’est mon constat, en reprenant le titre de l’article de Guillaume Duval, la social-démocratie est morte (Duval, Guillaume. « Pourquoi la social-démocratie est morte », L’Économie politique, vol. 73, no. 1, 2017, pp. 66-71.).

Son remplacement par le social-libéralisme (à ne pas confondre avec socialisme libéral qui se veut conceptuellement parlant une hybridation du socialisme et du libéralisme, alors que le social-libéralisme est un socialisme qui fait quelques emprunts idéologiques au libéralisme sans toutefois se réclamer du libéralisme et sans nullement être une hybridation socialisme-libéralisme) est opéré dans les années 1990 avec Bill Clinton (cf. « L’américanisation de la gauche européenne » Lipset, Seymour Martin), Tony Blair, Gerhard Schröder, entre autres.

Ce social-libéralisme a abandonné « à leur sort les perdants de la mondialisation pour se concentrer sur les intérêts des couches moyennes diplômées et urbanisées. Sans surprise, ce choix a accéléré le déclin de la social-démocratie dans les années 2000 en lui faisant perdre ses derniers points d’appui au sein des couches les moins favorisées du salariat. » (Duval 2017).

Au début des années 2000, le social-libéralisme était le visage de la gauche au pouvoir qui a rapidement laisser tomber le social pour le libéralisme, au point qu’au début des années 2010 la gauche ex social-démocrate et social-libérale se faisait purement et simplement annexer par l’hégémon (néo)libéral.

Cette annexion est observable autant dans les politiques dites sociales que dans celles dites économiques des différents gouvernements sociaux-démocrates, et je ne parle pas que d’Emmanuel Macron ou d’Alexis Tsípras.

Aujourd’hui, les gouvernants sociaux-démocrates (du moins les rares qui s’en revendiquent encore) sont une « gauche sans socialisme ».

 

« Dans les démocraties industrielles avancées, les partis continueront à se répartir sur un spectre gauche-droite, mais la « gauche » et la « droite » ne seront plus jamais définies par la lutte entre le socialisme et le capitalisme. Avec la fin de cette grande compétition idéologique, les différences entre les partis se sont amenuisées et sont devenues plus changeantes. Aujourd’hui, la plupart des partis inclinent vers le centre sur les questions économiques, tandis que les systèmes de partis hésitent dans la recherche d’une nouvelle grande ligne de clivage. »

– Lipset, Seymour Martin. « L’américanisation de la gauche européenne », Commentaire, vol. numéro 95, no. 3, 2001, pp. 579-588).

 

Dès lors, il ne me semble pas abusif de préparer les funérailles et d’écrire l’oraison funèbre de la social-démocratie, de la gauche social-libérale, de la gauche de « responsabilité » et de « flexibilité », de la gauche tout court, et de lui souhaiter qu’elle repose en paix.

 

« Mondialisation de l’économie sous hégémonie néolibérale et effondrement des fondamentaux de la vie constituent les nouvelles frontières de notre horizon politique. Faute de l’avoir saisi, la gauche […] est à la recherche permanente de compromis avec la classe dirigeante. Ces derniers l’enfermeront sans fin dans d’insupportables politiques d’austérité. »

– Deléage, Jean-Paul. « L’avatar socialiste du néolibéralisme », Ecologie & politique, vol. 47, no. 2, 2013, pp. 5-13.

 

Et la gauche latino-américaine dans tout ça, pourrait-on objecter ?

Cette gauche-là suit le même chemin que celle européenne selon moi. Quand au nom du « consensualisme » et du « pragmatisme » afin de survivre dans la mondialisation néolibérale, elle dilapide (doucement mais sûrement) l’héritage historique des luttes sociales, il est possible de douter de son identité réelle en tant que « gauche ».

C’est aussi au nom du « consensualisme » et du « pragmatisme », de l’adaptation à la mondialisation (néo)libérale que son homologue européenne a cédé progressivement de sa substance idéologique pour finalement finir en filiale (comme une autre) de la multinationale (néo)libérale. Territoire annexé de l’hégémon (néo)libéral. 

 

Dabène, Olivier. « Conclusion / La gauche en héritage : une Amérique Latine plus consensuelle », La Gauche en Amérique latine, 1998-2012. sous la direction de Dabène Olivier. Presses de Sciences Po, 2012, pp. 453-456. 

 

On peut en effet se souvenir des grands discours de revirement idéologique au nom du « consensualisme » et du « pragmatisme » de Bill Clinton (dont les deux mandats ont dynamité le New Deal rooseveltien), de Tony Blair (avec son New Labor qui s’inscrivait dans le thatchérisme, à cet effet ce Labor blairiste fût en ce sens l’héritier et l’incarnation de l’esprit thatchérien : « En 2002, on a demandé à l’ancienne première ministre britannique [Margaret Tchatcher] quel était le principal accomplissement de sa carrière. Elle a répondu « Le New Labor et Tony Blair ». C’était la preuve ultime que les changements qu’elle a apportés à la société britannique avaient eu un fort impact et avaient été durables. À cause d’elle, le Parti travailliste avait changé son programme et sa façon de gouverner, tout en maintenant l’essentiel de son héritage. »), de François Mitterrand et le « Tournant de la rigueur », de Schröder (qui a fait outre-Rhin son Tchatcher, avec un SPD fervent défenseur du « régime à sec » – c’est-à-dire des « réformes » d’austérité – pour se faire une idée du « Nouveau Centre » schröderien : Gougeon, Jacques-Pierre. “Le « Nouveau Centre » De Gerhard Schröder.” Esprit (1940-), no. 251 (3/4), 1999, pp. 85–91), etc.

Tous leurs successeurs, de droite comme de gauche, n’ont dévié d’un iota de cette dynamique enclenchée.

 

« [Bill Clinton] renforcera durant ces deux mandats le système ultra libéral de Reagan. L’Alena. La déréglementation de Wall Street avec l’abolition de la loi anti-trust Glass-Steagall, la « réforme de l’assistance publique qui privait d’aides plus de onze millions de familles pauvres ».

Autrement dit, la mise en pièces de la protection sociale qui était en vigueur depuis les années 1930, sous le New Deal du président démocrate Franklin Delano Roosevelt. Sa femme Hillary fût aux premières loges de cette tragédie. Elle l’approuva.
L’électeur d’hier, blanc, afro américain, latino américain, homme, femme, ne l’a pas oublié. » 

 

 

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Aujourd’hui qu’ils viennent de la droite ultra-libérale (ultra(neo)-libérale ?), du centre (gauche, droite – si cela signifie encore quelque chose), de la gauche radicale (au-delà de la posture), les politiques font du (néo)libéral, en justifiant toujours leur action par le « consensualisme » et le « pragmatisme ».

A chaque fois, ils ressortent cette idée de « reformer » l’État et la société. Ce qui se traduit dans les actes par l’instauration de l’austérité néolibérale : privatisation des services publics et des entreprises publiques y compris celles qui rapportent de l’argent à l’État, dérégulation des normes de contrôle économique, plus de « liberté » aux acteurs économiques souvent en éliminant ou en diminuant drastiquement leurs charges sociales, « flexibilité du marché du travail » en octroyant la permission aux entreprises privées de virer les travailleurs à tour de bras mais aussi créant la précarisation et la pauvreté du travail, le retrait de la protection sociale du chômeur, le désengagement étatique dans la protection sociale en générale, bref la mise en pièces de l’État-providence en toute conformité avec l’esprit et la lettre du Consensus de Washington, etc.

A chaque fois, ils parlent de « moderniser » l’État et la société (toujours dans l’esprit (néo)libérale de modernité et modernisation).

A chaque fois, ils avancent les arguments de compétitivité économique dans un monde (il est vrai) hautement concurrentiel : subventions des entreprises avec l’argent public sans exigence réelle de fournir un emploi décent et digne de ce nom aux citoyens, suppression de l’impôt sur les bénéfices réalisés par les multinationales, suppression de l’impôt sur la fortune et soit augmentation de la charge fiscale sur la classe moyenne soit abandon des services publics – Macron l’a si bien formulé : on ne peut pas vouloir des services publics et ne pas accepter l’augmentation des taxes, bien entendu il est impensable de réinstaurer l’impôt dit de solidarité sur la fortune qu’il a aboli, etc.

Le « consensualisme » et le « pragmatisme », c’est désormais le discours de plus en plus présent chez les gouvernants latino-américains de gauche. Il me semble qu’il n’y a pas meilleure manière de damner son âme socialiste.

 

« Les partis sociaux-démocrates connaissent dans la plupart des pays européens une crise conceptuelle et organisationnelle profonde. L’an 2000 a-t-il marqué la fin du siècle social-démocrate ?

Là où les masses scandalisées par la mondialisation n’ont pas rejoint les courants nationalistes de droite se forment de nouveaux types de partis politiques de gauche, comme Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce.

Ces nouveaux courants offrent aux électeurs des réponses politiques qui convainquent manifestement plus que les solutions apportées par les sociaux-démocrates. La social-démocratie doit faire face à des querelles internes concernant son alignement politique : elle perd du terrain à presque toutes les élections en Europe. En outre, les effectifs des partis sociaux-démocrates diminuent rapidement. »

– Winkler, Martin. « Réinventer la social-démocratie européenne », Esprit, vol. octobre, no. 10, 2017, pp. 20-22).

 

La gauche traverse une « crise conceptuelle ». L’évidence de ce fait n’est pas très originale, mais on n’a tendance à ne pas vraiment le saisir et les gauchistes (dans l’âme) à se sentir un peu désorientés (plusieurs d’entre eux doivent sans doute se demande : « c’est quoi (encore) être de gauche?« 

La social-démocratie a perdu toute ossature socialiste (ce qui est un constat euphémique).

Cela fait au moins trente ans que le (néo)libéralisme est au pouvoir en europe comme un peu partout dans le monde – et ce, indifféremment de l’étiquette des partis politiques. Cela aussi est une évidence factuelle pas très originale.

L’on entend souvent que la gauche doit « se réinventer » ou « se renouveler » souvent cela implique qu’elle se rende compatible à l’esprit (néo)libéral de la mondialisation (capitaliste).

L’on n’entend pas beaucoup les mêmes analyses exiger que le (néo)libéralisme (qui a tout de même échoué à améliorer substantiellement et durablement l’existence des individus – je parle à la fois de pauvreté, d’égalité, de bien-être, de vie décente, etc., et je ne parlerai même pas de son impact sur l’environnement) et le capitalisme se rendent compatibles à l’esprit socialiste.

Cela en dit long sur la domination, l’hégémonie, la puissance, de ce (néo)libéralisme et de ce capitalisme.

 

« L’essor actuel de nouvelles classes supérieures patrimoniales, susceptibles de nous ramener un siècle en arrière en termes de capitalisation privée et de justice distributive, est au cœur des travaux de Thomas Piketty et de ses collaborateurs.

Leurs analyses de l’évolution des inégalités de revenus et de patrimoines, dans plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme dans d’autres contextes nationaux, donnent à voir les mécanismes macroéconomiques constitutifs de cette hyper-bourgeoisie montante, ou, pour reprendre l’expression désormais courante dans la littérature anglophone, d’un nouveau groupe de « super-riches ». »

– Cousin, Bruno, et Sébastien Chauvin. « Vers une hyper-bourgeoisie globalisée ? », Bertrand Badie éd., Un monde d’inégalités. La Découverte, 2017, pp. 197-205.

 

La gauche (ce qu’il en reste) ne doit pas se réinventer, elle n’a pas à se renouveler, elle doit simplement revenir à ses fondamentaux : la défense des classes populaires – du prolétariat, l’opposition à la classe bourgeoise (qui est désormais l’hyper-bourgeoisie), mais surtout le sauvetage de la classe des précaires (du précariat).

 

« Le terme « précariat » est un néologisme qui, en sociologie, désigne les travailleurs précaires comme une nouvelle classe sociale. Il est constitué des personnes qui, sur le marché du travail, sont en situation de précarité permanente, c’est-à-dire d’incertitude économique. Le précariat recouvre les CDD, les CNE, les conventions de stage, l’apprentissage, l’intérim, le travail clandestin…, auxquels on peut ajouter le temps partiel imposé.

Le précariat rassemble des situations individuelles très variées allant des intellectuels aux immigrés en situation irrégulière, en passant par les étudiants et les « travailleurs pauvres ». Il a pour conséquence des revenus aléatoires et l’impossibilité de construire sa vie, faute de perspective d’avenir.

En forte augmentation ces dernières années, hors travailleurs à temps partiel, il est évalué à 12,5% des salariés, en 2003, par Evelyne Perrin, membre d’AC! et de Stop-Précarité.

Le précariat apparaît comme la conséquence d’une évolution de l’organisation de la production capitaliste qui nécessite une force de travail de plus en plus flexible, mobile, s’exerçant de manière discontinue, dans ou hors de l’entreprise… La précarité devient alors structurelle. »

 

La gauche doit revenir à ses fondamentaux : l’individu dans la dignité, la collectivité dans le développement commun solidaire et juste, le bien-être de chacun et de tous dans un environnement préservé des ravages du productivisme et consumérisme irrationnels (voire immoraux).

Ce retour aux fondamentaux, comme culot et audace, au regard de sa descente aux enfers et de sa perdition depuis plus de trente ans est clairement mission impossible – pour dire, la gauche est foutue.

 

« La gauche non-stalinienne s’est toujours souciée de ne pas jeter les bienfaits du libéralisme politique (pluralisme des rationalités en débat, justice, système de santé ou encore école indépendante, etc.) avec l’eau d’un libéralisme économique aliénant les corps et les âmes.

Le problème aujourd’hui est que ces bienfaits ambigus, à la fois idéologiques et libérateurs, sont eux-mêmes en train de disparaître sous les attaques d’un « néo-libéralisme » visant non plus simplement à défendre une économie de marché mais à réduire toute la société aux normes du marché.

[…]

En guise de conclusion, j’aimerais réfléchir brièvement aux implications, pour la gauche, de la fin la démocratie libérale. S’il est vrai que, depuis un quart de siècle, les gauchistes se sont rarement montrés aussi virulents, dans leur opposition à la démocratie libérale, que l’avait été la « vieille » gauche, il reste que nous ne nous y sommes pas pleinement ralliés ; elle nous a parfois indignés, nous l’avons insultée, nous avons aspiré à la transformer en d’autres choses – une démocratie sociale, ou quelque autre forme de démocratie radicale.

La gauche perd donc quelque chose qu’elle n’a jamais aimé, ou du moins quelque chose à l’égard de quoi elle a toujours été hautement ambivalente. Et nous perdons aussi un espace de critique et d’agitation politique – nous avons critiqué l’hypocrisie et les tours de passe-passe idéologiques de la démocratie libérale, mais aussi l’opération rhétorique et idéologique par laquelle elle a scellé, au coeur de l’humanisme, l’ordre bourgeois, blanc, masculin et hétérosexuel.

Notre identité de gauche, aussi vague fût-elle, s’est construite en se démarquant de l’indifférence délibérée qu’a toujours manifesté le libéralisme à l’égard des stratifications sociales et de l’inégalité – indifférence camouflée, et donc préservée, par les catégories juridiques formelles de liberté et d’égalité.

[…]

Il y a une cinquantaine d’années, Herbert Marcuse affirmait que le capitalisme avait éliminé un sujet révolutionnaire (le prolétariat) qui représentait la négation du capitalisme ; en conséquence, insistait-il, c’est à l’extérieur de ce qui constitue le capitalisme que la gauche devait trouver les principes, les perspectives et l’organisation anti-capitalistes, et les cultiver. En d’autres termes, la gauche devait mettre l’accent sur les désirs que le système capitaliste ne satisfaisait évidemment pas – désirs, non de richesse ou de biens de consommation, mais de beauté, d’amour, de bien-être mental et physique, d’un travail intéressant, et de paix -, et fonder sur ces désirs le rejet du système et son remplacement par un autre.

L’opposition au capitalisme ne pouvant plus tirer parti des contradictions économiques du système, elle devait donc se fonder sur des valeurs alternatives. Aujourd’hui, le problème diagnostiqué par Marcuse s’est étendu du capitalisme à la démocratie libérale : une conscience d’opposition ne peut pas naître des fausses promesses et des hypocrisies de la démocratie libérale. (…)

Ce qu’il reste à faire à la gauche aujourd’hui, c’est opposer à l’émergence d’une gouvernementalité néo-libérale dans les États euro-atlantiques une vision alternative du bien – une vision qui refuse que l’homo oeconomicus soit la norme de l’humain, et qui rejette les conceptions de l’économie, de la société, de l’État et de la (non)morale tributaires de cette norme. Il s’agirait, dans sa forme la plus rudimentaire, d’une perspective où la justice n’aurait pas pour centre de gravité la maximisation de la richesse ou des droits individuels, mais l’encouragement et l’accroissement de la capacité des citoyens à se gouverner eux-mêmes en partageant le pouvoir et donc en apprenant à collaborer.

Dans un tel système, les droits et les élections seraient l’arrière-plan de la démocratie, et non son alibi. Mieux, les droits serviraient à protéger l’individu des enthousiasmes démocratiques radicaux, mais ne seraient pas, en tant que tels, l’indice de la démocratie, pas plus qu’ils n’en constitueraient le principe central.

Au contraire, une conception de gauche de la justice mettrait l’accent sur des pratiques et des institutions de pouvoir populaire partagé ; une distribution des richesses et un accès aux institutions modérément égalitaires ; une évaluation continue de toutes formes de pouvoir – social, économique, politique, même psychique ; une vision à long terme de la fragilité et de la finitude de la nature non-humaine ; et l’importance, pour l’épanouissement humain, d’une activité intéressante et de logements décents.

Aucune de ces valeurs, quelle que soit celle qu’on choisit de privilégier, ne découle de la rationalité néo-libérale, ni ne satisfait aux critères néo-libéraux du bien. Développer et promulguer cette contre-rationalité – une représentation différente des êtres humains, de la citoyenneté, de la vie économique, et du politique – est une nécessité capitale si nous voulons façonner un avenir plus juste et combattre aujourd’hui les politiques mortifères de l’empire américain. »

– Brown, Wendy. « Néo-libéralisme et fin de la démocratie », Vacarme, vol. 29, no. 4, 2004, pp. 86-93.

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Gouvernance : un ensemble de « mots hourra »

« Gouvernance » introduit selon Hermet une multitude de « mots hourra » – que je définirais comme des mots-coquilles-vides que l’on a l’habitude d’inventer pour essayer de faire paraître nouveau (des phénomènes) ou substantiellement novateurs des concepts souvent (très) anciens, un exemple récent d’un mot hourra est « ubérisation », ou « management » collaboratif. Les mots hourra de la gouvernance pour Hermet sont par exemple : « New public management », « Policy communities, « Issue networks », etc. Des mots qui ajoutent de la confusion sur le sens même de « Gouvernance ». Et qui souvent après un examen attentif ne veulent rien dire. 

 

La « société civile » : notion « dans les hauteurs sublimes d’un vide de sens […] »

L’un des mots hourras que renferme le concept de gouvernance est sans doute celui que l’on entend très souvent : « société civile ».

La gouvernance est souvent présentée comme une gestion multipartite de technocrates (experts), d’acteurs économiques (multinationales), d’institutions internationales (Banque mondiale, Fond monétaire international, etc.), et surtout d’acteurs de la société civile (Ong, syndicats, etc.).

Pour Hermet, « société civile » conceptuellement est un fourre-tout, il veut quelques fois tout dire et donc pas grand-chose véritablement. Hermet rappelle que « société civile » est une notion hégélienne « ressuscitée en Pologne du St-Père dans les années 1980 comme synonyme du Contre-État catholique opposé à l’État communiste aux abois, et convoquée depuis lors dans les hauteurs sublimes d’un vide de sens multifonctions à l’usage des penseurs bienpensants sans pensée et des dirigeants associatifs en quête de subventions ».

 

Gouvernance : notion éclatée en 5 sites principaux

Néanmoins, il convient au-delà des mots hourra et de certaines notions un peu vides de sens, comprendre que « gouvernance » est un « mot » ou une « notion » qui se trouve dans « 5 sites principaux » : la corporate governance (le plus ancien des sites) conceptualisés entre autres par Ronald Coase, la gouvernance urbaine (émergée de l’ère Tchatcher – fin des années 1980 et début des années 1990), la « bonne gouvernance » qui remonte au moins jusqu’à 1989, la « gouvernance mondiale » dont l’utilisation est à la fois idéologique qu’elle suscite la critique,  et enfin la « gouvernance régionale » qui se veut supranationale et non pas « provinciale » (un exemple étant l’Union européenne).

La « Corporate governance » fait de la « gouvernance » une sorte de « métaphore de la politique ». Elle est « conçue comme un système en réseau régissant les relations d’acteurs réunis avec l’objectif d’engendrer un profit ou une meilleure gestion ». Elle constitue davantage un « processus » plus qu’un « site » comme le ferait penser par exemple un concept comme « gouvernement ».

La « Gouvernance urbaine » c’est au départ observée dans les municipalités britanniques contraintes de « fonctionner avec des ressources budgétaires très diminuées » (dans le contexte de thatchérisme, précisément l’idée de l’autonomisation financière des municipalités, des villes, du local). C’est donc en réaction à cet assèchement du financement étatique des municipalités (ou de désengagement financier étatique) que celles-ci ont dû trouver une façon de se gérer ou de gérer la situation causée par : a/ les restrictions financières imposées par l’État, b/ les privatisations de services publics visant à compenser a/. Les deux éléments ayant produits de l’exclusion sociale. La « Gouvernance urbaine » consistait donc à une gestion du local plongé dans une réalité financièrement et socialement particulière.

La « Bonne gouvernance » quant à elle est un concept lié aux politiques de développement en « matière de lutte contre la pauvreté » comme conçue par la Banque mondiale et les autres « organes d’aide à l’ex-Tiers monde ». Cette « bonne gouvernance » ne ressemble ni à la gouvernance d’entreprise ni à la gouvernance urbaine, elle est appliquée à des « pays peu avancés » ou en « situation de détresse profonde » parce selon les promoteurs de ce concept ces pays ont de mauvais gouvernements mais aussi selon les mêmes promoteurs les politiques d’aide au développement comme mises en place auparavant sont un « échec ». Il y a donc pour les promoteurs de la « bonne gouvernance » une nécessité d’une bonne gestion publique dans l’esprit du Consensus de Washington (notamment, mais pas que, la privatisation des services publics) ou dit autrement l’adoption par ces pays des principes du néolibéralisme et du libre-échangisme. Cette adoption comme le souligne Hermet imposée « brutalement » a consisté entres autres choses à l’instauration par les gouvernements de ces pays de « sévères plans d’ajustement structurel » et de la « privatisation de certaines fonctions régaliennes » (par exemple : la justice, la sécurité, etc.). Les gouvernements de tels pays se sont aussi vus imposés la « promotion du rôle de la « société civile » (par exemple les Ong) visant compenser relativement le « sabotage des services sociaux et éducatifs ». La « Bonne gouvernance » a donc été la libéralisation complète des activités de production et d’échange débouchant sur une véritable économie de marché. Encore très récemment plusieurs expressions « stylistiques » ont été utilisées (et certaines le sont d’ailleurs encore) pour exiger et convaincre de l’adoption de tels principes néolibéraux et libre-échangistes : « Bonne gouvernance et primauté du droit », « Bonne gouvernance » pour « Stimuler la croissance économique », les « Stratégies de réduction de la pauvreté ». Ces expressions ne rien au fond néolibéral et libre-échangiste de cette « Bonne gouvernance ». Ce concept est selon Hermet le plus incertain de tous, c’est aussi le plus arbitraire, « le plus caractérisé par ses éléments périphériques plutôt que par un noyau dur ».

La « Gouvernance mondiale » est un concept qui tend à se confondre et à être confondu aux régimes internationaux (tel que théorisé par Stephen D. Krasner dans International Regimes). Pour Hermet, le temps fondateur de ce concept de « Gouvernance mondiale » est 1992 avec la publication de l’ouvrage de deux penseurs théoriciens James N. Rosenau et d’Ernst-Otto Czempiel titré Governance without Government : Order and Change in World Politics.

Et son grand moment est en 1995 avec le rapport de la « Commission on Global Governance » qui définissait la gouvernance comme « the sum of many ways individuals and institutions, public and private, manage their common affairs. It is a continuing process through which conflicting or diverse interests may be accommodated and co-operative action taken. It includes formal institutions and regimes empowered to enforce compliance, as well as informal arrangements that people and institutions either have agreed to or perceive to be in their interest ».

J’ajouterai, et c’est mon opinion, que ce rapport remis au Secrétaire général des Nations Unies après la Guerre froide est plus ou moins dans l’esprit de celui de Willy Brandt (qui a souffert justement de la bipolarité du monde dans la mise en place de ses recommandations). Le rapport transmit par Willy Brandt (ancien Chancelier social-démocrate allemand et prix nobel de la paix en 1971) est un rapport commandité par la Banque mondiale (« afin d’étudier en profondeur les problèmes du sous-développement et de la pauvreté dans le monde ») et commandité précisément par Robert McNamara (l’homme de la guerre du Vietnam, ancien secrétaire à la défense de Kennedy et de Johnson) – président à cette époque de l’institution internationale.

Ce rapport de Willy Brandt (remis au Secrétaire général des Nations Unies en février 1980) est passé à la postérité comme le Rapport Brandt (ou le « Rapport Nord-Sud », titré « Nord-Sud : un programme de survie »). Ce rapport a popularisé l’expression « Nord-Sud » désignant les pays développés (Nord) et les autres (Sud), et donc une certaine division catégorielle du monde. Mais, ce qui m’a toujours frappé avec ce rapport Brandt est son esprit (sa remarquable acuité qui reste je crois très contemporaine) – ci-après quelques extraits du Rapport Brandt :

 

« Tandis que se poursuit la lutte en vue de donner une nouvelle structure aux relations internationales, on donne plus d’importance que par le passé aux considérations étrangères au domaine économique proprement dit : facteurs religieux et ethniques, instruction et opinion publique. »

« La facture militaire annuelle approche actuellement du total de 450 milliards de dollars, alors que l’aide officielle aux pays en voie de développement représente moins de 5 % de ce chiffre. Quatre exemples : 1. Les dépenses militaires d’une demi-journée seulement suffiraient à financer tout le programme de l’Organisation mondiale de la santé pour éliminer la malaria. Il faudrait encore moins d’argent pour mettre fin à l’onchocercose (cécité des rivières), qui est toujours un fléau pour des millions d’hommes. 2. Un char de combat coûte environ 1 million de dollars ; ce montant permettrait d’améliorer le stockage de 100 000 tonnes de riz et l’on économiserait ainsi 4000 tonnes ou davantage chaque année : or, l’être humain peut se contenter d’une livre de riz par jour. La même somme d’argent permettrait de créer 1000 salles de classe pour 30 000 enfants. 3. Avec 0,5 % des dépenses militaires du monde entier, on achèterait tout le matériel agricole nécessaire pour accroître la production de nourriture et permettre aux pays à faible revenu, déficitaires en matière de nourriture, de se suffire à eux-mêmes, à peu de choses près. »

« (…) L’humanité n’a jamais disposé de ressources techniques et financières aussi abondantes pour conjurer la faim et la misère. (…) La solidarité humaine doit déborder le cadre des frontières nationales (…) L’élimination de la faim est la tâche fondamentale de l’humanité. »

« Pourquoi serait-il chimérique de songer à imposer une forme convenable de taxation avec une échelle mobile selon la « capacité de paiement » des pays ? Il pourrait même y avoir une petite taxe sur le commerce international, ou un droit plus lourd sur les exportations d’armes. »

« Cette Commission n’a pas tenté de redéfinir le développement économique, mais nous sommes tombés d’accord, entre autres, sur le fait que nous devions axer notre attention non sur les machines ou les institutions, mais sur les hommes. (…) Il faut éviter la constante confusion qui est faite entre croissance et développement… »

« Les idéologies de la croissance, et pas seulement dans la partie occidentale du Nord, se sont trop peu souciées de la qualité de la croissance. Un peuple conscient de son identité culturelle peut adopter et adapter des éléments conformes à l’ensemble de ses valeurs, il peut, par conséquent, préconiser un développement économique approprié. Il n’y a pas d’approche uniforme de ce problème ; il y a des réponses différentes et particulières pour chacun, qui sont fonction de l’héritage historique et culturel, des traditions religieuses, des ressources humaines et économiques, enfin du type politique des nations en question. Mais il y a une notion commune, à savoir que l’identité culturelle confère de la dignité au peuple. »

« Nous considérons comme admis que toutes les cultures méritent le même respect, la même protection, la même promotion. Plus le processus de modernisation se trouve réduit à une question purement technique, plus il importe pour les intéressés de conserver leur identité culturelle et leur indépendance. » « On ne doit pas négliger les dangers de l’impérialisme « culturel ». La solidarité entre les nations doit être fondée sur une reconnaissance mutuelle des valeurs. »

 

Et pour finir un dernier extrait intéressant en termes d’idéologie (économique) : 

« Alors que les puissances occidentales étaient obligées d’intervenir dans leurs économies propres, elles étaient résolues à éviter le protectionnisme et la politique du « mendiant auprès du voisin », pratiquée dans les années 30. Dans ce but elles mirent au point un solide système de libre-échange qui tenait de Keynes à l’intérieur et d’Adam Smith à l’extérieur. En 1944, quand elles conférèrent à Bretton Woods, dans le New Hampshire, elles établirent deux instruments centraux de coopération financière et monétaire : 1) la banque internationale pour la reconstruction et le développement, connue sous le nom de Banque mondiale, afin de fournir des prêts pour aider à la reconstruction de l’Europe et du Japon ainsi que du monde en voie de développement ; 2) le Fonds monétaire international (FMI) qui devait être le régulateur des devises, promouvoir la stabilité des taux de change et fournir des liquidités pour une plus grande liberté des échanges. »

« Le protectionnisme est certainement une solution erronée parce qu’il contribue à maintenir dans des conditions très onéreuses des structures qui deviennent périmées. » « (…) Si les pays développés n’arrivent pas à mettre un terme au protectionnisme et continuent à connaître une croissance lente, les pays en développement se verront dans l’obligation d’accélérer encore entre eux le rythme de leurs échanges. »

 

On retrouve-là selon moi cette idée d’une combinaison du (néo)libéralisme avec ce qui fût (au moins originellement) l’esprit de la social-démocratie.

Le rapport de 1995 me semble faire écho à cet esprit du rapport Brandt lorsqu’il affirme que :

 

« Stability requires a carefully crafted balance between the freedom of markets and the provision of public goods. », « There is no case and no call for a return to a system like that of the nineteenth century. Without strong international rules, however, the most powerful countries will act unilaterally, or try to control the system, which makes rules-based processes all the more crucial.

Migration, for instance, is one area where policy is overwhelmingly unilateral. No desirable system of governance can be based on the capacity of strong nations to coerce weaker ones, which is the inevitable consequence of the unilateral projection of power in economics as much as it is in the military sector.

The rules and sense of order that must underpin any stable and prosperous system can be described as international ‘public goods’. It is in their nature not to be provided by markets or by individual governments acting in isolation.

Most governments accept responsibility for the provision of public goods such as policing and justice, financial stability, or environmental protection; to do otherwise would be to abandon essential functions of a state.

The same responsibility applies–but is less readily acknowledged–at an international level. »

 

Je conclurai là-dessus par ce dernier extrait du rapport de 1995 :

 

« Democracy provides the environment within which the fundamental rights of citizens are best safeguarded and offers the most favourable foundation for peace and stability. The world needs, however, to ensure the rights of minorities, and to guard against the ascendence of the military and corruption. Democracy is more than just the right to vote in regular elections. And as within nations, so globally, the democratic principle must be ascendant. »

 

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En revenant à Hermet et sur la « Gouvernance mondiale », comme vu le rapport de 1995 de la « Commission on Global Governance », cette notion particulière de gouvernance s’articulait principalement autour du développement d’une forme d’institutionnalisme (néo)libéral, idée qui coïncidait avec le momentum « globalization » du monde post « Cold War ».  

Pour Hermet, cette notion est « évanescente » en comparaison de « gouvernance européenne » beaucoup plus substantielle et cohérente. La « Gouvernance mondiale » comprend selon Hermet : a/ une « Gouvernance locale » incluant le niveau national, en plus d’ « une gouvernance économique mondiale » « très fragile et sujette aux humeurs changeantes des grands pays » ; b/ un ajustement « à l’échelle planétaire » des politiques et comportements des  États et des grandes organisations internationales puissantes et « libres de souveraineté » à l’instar du Fmi, la Banque mondiale, l’Omc, etc. Ajouter à cela, c/ les représentants de la « société civile globale » (ou autrement nommée par Hermet paraphrasant Jürgen Habermas : la « bourgeoisie globale ») – représentants « autoproclamés » que sont les « responsables plus ou moins visibles des multinationales et des Ong » de premier rang, bref les « nouveaux dirigeants du monde ».

La « Gouvernance régionale » elle est en substance beaucoup plus solide que les 4 sites précédemment présentés ; en effet selon Hermet (en s’appuyant sur l’exemple de l’Union européenne) c’est « l’unique site où s’observe une gouvernance autre que déclarative et incantatoire, imaginaire, à usage d’intimidation, théorique ou analytique », ou vaguement « bricolée ». C’est une gouvernance « en état de marche et en situation d’intervention permanente ». La nature et la structure de cette gouvernance est celle d’un dispositif avec de la « dé-hiérarchisation » du mode de gestion politico-économique relativement à l’horizontal (concertation entre les acteurs publics et les acteurs privés). Il y a aussi un « dépaysement » des institutions et des processus entre de multiples sites géographiques ou topographiques « multi-niveaux » (régions, États, Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg, Francfort, etc.). C’est une gouvernance dans laquelle s’observe une sorte d’auto-ajustement, un équilibrage quasi automatique des phénomènes entre trois grands pôles d’influence : le pouvoir public, le pouvoir économique et la société civile (ici des « organisations privées non-économiques »). On note aussi « La primauté de la norme négociée sur la loi démocratiquement votée » doublée de la « supériorité du pouvoir des juges par rapport à celui du législateur » (pour Hermet le corps législatif qu’il soit national ou supranational à l’instar du parlement européen et des parlements nationaux est un « corps d’extinction » – serait-il excessif de dire une espèce en extinction ?).

S’il faut retenir trois choses selon moi d’importance (dans cette thématique de démocratie et gouvernance) dans les caractéristiques de la « Gouvernance régionale » présentée par Hermet ce sont : 1/ une « para-constitution » issue de traités constitutifs de la communauté européenne (et qui ont souvent été imposés aux peuples) ; 2/ la « tradition de gestion de décision et de cooptation » ; 3/ le langage inspiré d’une « psychologie publicitaire » permettant l’annihilation de la « dimension » politique au bénéfice d’un modèle techno-libéral de la gouvernance (ce qui se manifeste par la substitution du lexique de la « démocratie politique » – gouvernement, compromis, peuple souverain, égalité, etc. – par le lexique économique (dialogue social, transparence, flexibilité, code éthique, etc.), sans parler de l’apparition de « métaphores militaires » (se mobiliser, rebondir, synergies, etc.).

 

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Gouvernance : une tentative de définition

De cet examen de la gouvernance européenne (seule qui offre des « éléments d’une définition inductive du concept pris dans sa généralité »), le constat auquel Hermet arrive est qu’il n’existe pas de « parenté » entre « ladite gouvernance » et celle « recommandée par la Banque mondiale aux pays en voie de développement » – les pays du Sud, les pays « pauvres », entre la gouvernance urbaine ou la gouvernance mondiale.

Ayant ce constat, Hermet va s’intéresser plus en détails sur la relation entre démocratie et gouvernance. Comme il est donc difficile théoriquement et conceptuellement de trouver un sens général et satisfaisant de « gouvernance), Hermet va retenir deux définitions qu’il qualifie de « pertinentes ». Celle de Jean Leca (« La gouvernance consiste dans l’interaction d’une pluralité d’acteurs gouvernants qui ne sont pas tous étatiques ni même publics ») et celle de Richard Balme (« La gouvernance se distingue de gouvernement en ce qu’elle caractérise les relations entre un ensemble d’institutions et d’acteurs, publics et privés, plus que l’activité d’un organe centralisant l’autorité exécutive »).

Avec ses deux définitions, Hermet constate deux choses : a/ l’horizontalité remplace la verticalité de l’exercice de l’autorité politique (affaiblissement de la hiérarchie public-privé) comme il se laisse lire dans l’énoncé définitoire de Leca ; b/ la nature polycentrique de la gouvernance (dans son sens topographique et procédural) comme compris dans la proposition définitoire de Balme.

Mais en fait, pour Hermet, malgré leur apport indéniable ces deux définitions souffrent d’insuffisances car ne tenant pas en compte « d’autres attributs du phénomène » à l’instar du dépaysement de l’autorité, de la norme comme valeur supérieure à la loi (nationale par exemple), la logique d’auto-ajustement assimilable à celle du marché économique, etc. Avec ces attributs, l’on pourrait en arriver à dire que la « gouvernance » est un « gouvernement des organisations, par les organisations et pour les organisations » (Andersen, Burns, 1996) indifféremment de l’identité et la nature de telles organisations.

Même avec cette définition l’impression de ne pas saisir la notion de « Gouvernance » dans toute sa « plénitude » demeure. Peut-être parce que la gouvernance « telle qu’elle se pratique ou s’imagine » devrait être vu comme le « signe d’un bouleversement radial de la relation à l’autorité ». Pour Hermet, la gouvernance est semblable à une espèce de « désenchantement de la politique ». Mais bien plus, elle « se caractérise comme une idéologie » (davantage qu’une simple « morphologie observable ») ou « comme une esquisse de proposition idéologique visant sans le reconnaître à offrir une alternative à la démocratie ». C’est donc le sens politique et philosophique (ou tout au moins l’ambition inavouée et inavouable) de la « gouvernance ».

Dans cette idée, la gouvernance est un « mode de conduite » des affaires publiques dans lequel le pouvoir [politique conventionnel, étatique traditionnel] perd de sa puissance symbolique et la sacralité qui en dérivait. C’est un mode de conduite comme « idéal-type » qui « n’a plus que faire de l’habituelle légitimation par l’avenir prometteur » – servant jadis de « principal artifice de fidélisation des gouvernés » par les politiciens. Il est désormais question de « contrôler et de négocier » un présent en « temps réel » ou « immédiat ». L’immédiateté de l’action et l’accomplissement de projets à court ter (ou moyen) termes, la politique de la courte vue.

L’action pour seul objectif de « parer à des risques », de répondre à la conséquence indésirable, d’anticiper la conséquence indésirable d’une action délibérée, d’agir ou d’anticiper sur des menaces (dommages annoncés par un acteur extérieur) ou des dangers (dommages possibles non-identifiés précisément).

Une gouvernance de La Société du risque d’Ulrich Beck (ou vue par Ulrich Beck en 1986) et du World at Risk théorisé par le même penseur en 1998. L’action dans cette gouvernance-là est donc conservatrice (« conserver ce qui existe ») et non progressiste (« assurer l’avènement de nouveautés capables de combler les aspirations ou les rêves des masses »). C’est la gouvernance de la quotidienneté « avec une once de catastrophisme » (comme le fait remarquer Hermet : « Ce sont les catastrophes plutôt que les révolutions qui impulsent de nos jours les tournants majeurs en matière politique, économique, sociale et culturelle »).

 

« Il y a en effet une prétention ontologique chez Ulrich Beck : faire du risque une description de l’être, de l’essence de nos sociétés. Il ne s’agit pas seulement de dire que celles-ci sont confrontées à des risques de plus en plus grands, de plus en plus importants, de plus en plus difficilement maîtrisables, mais aussi que la notion de risque décrit l’essence même des sociétés modernes au stade actuel de leur développement.

Nos sociétés se « réfléchissent » dans le risque et doivent se penser elles-mêmes à travers cette notion. Ulrich Beck analyse les conséquences de ce fait. Il parle d’une modernisation réflexive, ce qui veut dire que la modernité devient à elle-même un problème parce qu’elle se réfléchit comme risque.

En ce sens, Ulrich Beck distingue deux modernités : la première est conduite par des valeurs de progrès, de technique, de rationalité qui iraient en quelque sorte de soi et ne feraient guère l’objet de questions ; la seconde modernisation est critique en elle-même, incertaine sur elle-même, sur ses propres valeurs, par exemple sur le progrès, sur la science. De ce point de vue, la notion de risque pour Ulrich Beck se situe au centre de ce que nous appelons réflexion éthique sur le développement durable ou sur les responsabilités à l’égard des générations futures.

[…] À la lutte de classes, il substitue la « lutte des risques ». La société du risque naît de la crise de la société industrielle, de sa propre transformation.

[…] Cette société ne court pas des risques, elle est risque. Elle n’est ni sûre d’elle-même, ni dominatrice, elle est minée de l’intérieur, suspicieuse, inquiète, angoissée et donc anxiogène. Et cela selon une logique qui ne semble pas pouvoir avoir de fin. »

–  Kessler, Denis. « Ulrich Beck et la société du risque », Commentaire, vol. numéro 100, no. 4, 2002, pp. 889-892.

 

De l’autre côté, la gouvernance est une « procédure de sélection, de cooptation, d’exclusion, de négociation et de décision » qui est structurée par un fonctionnement « technique ». Ce dernier aspect soulève la question, je crois, de la dimension humaine, sociale, voire morale d’une telle manière de faire.

 

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Gouvernance : un « semi-autoritarisme libéral sans coup d’État ? »

Si la gouvernance est ainsi une idéologie avant tout, la question est : quelle est donc la finalité ou l’effet de cette gouvernance comme idéologie ? Les deux questions que l’on pourrait se poser sont : à quoi sert cette idéologie, et qui sert-elle ?

Le fonctionnement de la gouvernance est « moins rationnel que le gouvernement » parce que ce dernier est régi sur le mode rationnel-légal « à la Max Weber ». Ce fonctionnement de la gouvernance est décentralisé, polycentrique, temporaire, provisoire, horizontal, avec de multiples niveaux. Il est caractérisé par le marchandage, la négociation, l’intimidation, l’échange d’arguments (bien plus que par une « élaboration intellectuelle concertée »).

Et s’il est moins rationnel c’est parce qu’il n’a pas la rationalité de la logique du gouvernement du fait des « politiques contractuelles » qui la soumettent « à des contraintes de résultats » (cette gouvernance est donc « plus fiable et responsable dans son action »).

Ainsi, la gouvernance est « moins rationnelle que la démocratie dans son processus explicite ». Si la question « démocratie » n’est pas dans son conception classique le fort de la gouvernance, pour Hermet il n’est pas à écarter que « la non-démocratie pourrait se révéler en quelque façon plus démocratique que la démocratie ».

Bref, l’on pourrait dire que la gouvernance comme mode de fonctionnement non-rationnel dans le sens wébérien sert à réaliser et produire des résultats (attendus, spécifiques).

Pour répondre à la seconde interrogation, il importe de souligner que pour les théoriciens élitistes les acteurs-gouvernants (ceux issus des milieux professionnels, ceux en droit à l’exercice de l’autorité) sont des acteurs plus rationnels que le peuple des électeurs.

Des électeurs qui selon eux sont un « peuple » versatile, émotif à l’excès, et ignorant « au-delà du tolérable » (ignorant ici voulant dire que la mentalité de ce peuple-là est « celle des avantages acquis que celle des obligations réciproques équilibrées »).  

L’ignorance est donc entendue non pas comme un analphabétisme, un illettrisme, une inculture, une faiblesse de savoir et de connaissance, etc., mais comme l’expression d’un conservatisme qui prévaut sur les responsabilités (dans le sens contractuel du terme) – responsabilités qui dans cette lecture en appellent souvent à « reformer » ou revoir les acquis.

Dans cette idée pour ces théoriciens c’est excessif abusif stérile d’associer « gouvernance » et « démocratie participative » (définie par Hermet en reprenant Marcel Gauchet comme la « démocratie pluraliste-identitaire-minoritaire » – et « handicap populaire », une démocratie participative selon Hermet à la « nature fumeuse »).

Selon moi, la démocratie participative a une « nature fumeuse » parce que consulter, faire participer, n’est pas nécessairement l’inclusion l’intégration et la prise en compte réelle de l’avis ou l’opinion des minorités qui sont invitées (encouragées) à s’exprimer.

En ce sens, Hermet soulève judicieusement la question de la réelle inclusion des opinions minoritaires et l’incorporation de celles-ci dans l’atteinte du « consensus ». Participer ne signifie pas « démocratie » sinon les régimes autoritaires avec des scores staliniens (autant en termes de participation que de résultats) aux « consultations populaires » (élections, référendums) seraient des modèles de démocratie et de libéralisme politiques. Consulter n’implique pas automatiquement écouter véritablement, avoir écouté, compris et considéré les opinions.

Dès lors, selon moi, le consensus ou la simple expression des opinions relève d’une espèce d’esthétisme qui ne berne personne, qu’un régime politique ou qu’une démocratie se caractérise seulement (ou arguant la tenue) d’élections et de consultations populaires est proprement une démocratie factice, c’est une fumisterie. Une démocratie ou un régime démocratique s’évalue aussi à la part intégrée des opinions minoritaires dans le processus de délibération de l’action politique ou de réalisation de l’action politique. La démocratie n’étant pas la tyrannie de la majorité mais la non-invisibilité de la minorité (ou des minorités).

Pour Hermet, la démocratie participative est un « mécanisme d’accaparement des sites d’autorité par des minorités cooptées ». Une question de légitimité, voire de représentativité. Comme le souligne Hermet : « les démocrates participants » de Porto Allègre par exemple incarne la classe instruite d’activistes d’une part, et de l’autre une ultra minorité (« quelques centaines de personnes dans une cité de plus d’un million d’habitants »).

Si je devrais formulé une critique contre Hermet elle serait la suivante : l’argument de cooptation est étonnant parce que les systèmes démocratiques contemporains ou modernes fonctionnent par la cooptation (que ce soit le choix des candidats aux élections, que ce soit la désignation de hauts fonctionnaires de l’administration publique à des postes stratégiques, sans parler des juges ou des patrons d’entreprises publiques, etc. – au Québec par exemple cela se nomme le « réseautage », en France c’est plus limpide c’est le système de castes).

Aujourd’hui, pas grand monde de nos sociétés modernes dites démocratiques n’a eu à redire sur ce fait. Les individus qui sortent de cette « cooptation » (qui au fond à quelque chose de très maçonnique) ne sont pas toujours regardés comme illégitimes, au contraire la tendance est au soutien (institutionnel, culturel, médiatique, etc ?) de tels « représentants » du peuple et de la société. La cooptation (ou le réseautage) exclut ceux qui n’appartiennent pas à ces espèces de « confréries corporatistes de la société civile », ceux-là dans la démocratie participative sont des « inexistants ».

Bref, la démocratie participative sans une impérative prise en compte de ses tares ou de ses insuffisances est simplement et rien de moins qu’un « idéal démocratique », je dirais une poudre à perlimpinpin.

Dans la conception occidentale de la démocratie libérale (qui est en fait un pluralisme limité avec une exclusion plus ou moins assumée des « secteurs indésirables » à l’instar de la « foule vulgaire » – c’est-à-dire des couches populaires, et de l’autre côté de l’intégration dans son processus des « interlocuteurs complaisants » de la société civile), le « peuple » est un ovni ou une sorte d’anomalie – je veux dire le peuple qui est factuellement composé de minorités d’opinions ou de groupes d’opinions minoritaires (un peuple d’opinion majoritaire c’est un peuple introuvable.

Le « peuple » peut converger relativement sur certains sujets précis mais de là à dire qu’il a exprimé une opinion majoritaire est un abus ou une trop grande facilité, par exemple un peuple peut dire oui ou non sur une question précise mais le oui ou le non montre souvent des raisons si divergentes que quelques fois elles peuvent simplement être irréconciliables comme cela fût le cas du Brexit où certains écossais ont voté oui pour des raisons différentes de celles du oui de cette angeleterre aux relents fascistes).

Pour Hermet, le « grand problème » de la gouvernance qui est aussi sa « finalité majeure » consiste à concilier deux exigences contraires : a/ « renforcer le pluralisme » comme contribution qualitative à l’amélioration des procédures d’une action politique entendue dans un sens en partie post-étatique ; b/ « déparasiter » quantitativement le pluralisme en l’allégeant de ses éléments « nuisibles à l’efficacité ».

Pour Hermet, la question de pluralisme dans la gouvernance est complexe puisque ce pluralisme est limité par des régimes et dans les régimes autoritaires, que ce pluralisme soulève l’interrogation du mode de légitimation.

Pour les promoteurs de la gouvernance contemporaine telle que définie plus haut elle a une double légitimation : celle issue de la cooptation – la caste des experts par exemple – et celle de ses résultats économiques – performance économique.

En même temps, la gouvernance – ce « gouvernement autoritaire » parce qu’il dicte une norme qui s’émancipe en fait de tout processus démocratique – a un argument qui fait très souvent mouche : c’est un « personnel dépolitisé et sans idéologie explicite » ou du moins qui n’est pas motivé par l’idéologie, mais seulement (obsédé par) la réalisation et l’atteinte de résultats.

L’autre argument entendu et assez fréquemment entendu est qu’elle préserve du risque qu’est la « menaçante « révolution réputée destructrice » – c’est-à-dire rendant impossible ou compliquant « la meilleure performance » « en matière de développement ».

Ces deux arguments ont des airs d’autoritarisme (plusieurs régimes autoritaires ont justifié leur nature autoritaire sur les mêmes arguments, c’est historique : un régime dépolitisé ou au-dessus de la partisannerie politique + la performance économique, cela fait penser à certaines expériences autoritaires un peu partout dans le monde – autant en Amérique latine, en Asie, en Europe, au Moyen et Proche Orient qu’en Afrique).

Même si le « leitmotiv » de la gouvernance dite mondiale n’est pas « d’encourager » les payas à adopter des régimes autoritaires, il n’en demeure pas moins que pour Hermet il ne faut pas s’y tromper, derrière le « mot d’ordre » « démocratie » (« terme appauvri » transformé en « label de l’ordre mondial orthodoxe ») associé à « gouvernance », il y a un autoritarisme.

 

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Gouvernance : l’après-démocratie, un « mouvement profond des idées » et de l’exercice de l’autoritarisme

Pour Hermet, il y a un « mouvement profond d’idées » et « de l’exercice réel de l’autorité » qui donne l’impression que nous rentrons « dans l’ère d’une après-démocratie ». La « jeune droite » croit de plus en plus que la démocratie fondée sur la « souveraineté populaire » – constituée du « peuple ignorant » « aux humeurs électorales versatiles » « inacceptables » – devrait être amendée. La jeune droite comme la jeune gauche est de plus en plus convaincue de l’impérative nécessité d’un « gouvernement de professionnels » « compétents » « protégés de la vulgarité citoyenne comme de l’épileptique société civile ».

Aujourd’hui, « démocratie » est de plus en plus un « label ». Fareed Zakaria ne s’y est pas trompé (et dieu seul sait qu’il n’est pas de gauche) dans son diagnostic du mal qui atteint les sociétés libérales ou les démocraties libérales occidentales (en occurrence américaine dans son The future of freedom: illiberal democracy at home and abroad (Revised Edition). WW Norton & company, 2007 ; ouvrage qui est une élaboration de son article « « The rise of illiberal democracy. » dans Foreign Affairs en 1997) : l’illibéralisme (concept théorisé notamment par Pierre Rosanvallon comme étant « une culture politique qui disqualifie en son principe la vision libérale. Il ne s’agit donc pas seulement de stigmatiser ce qui constituerait des entorses commises aux droits des personnes, marquant un écart plus ou moins dissimulé entre une pratique et une norme proclamée. Le problème est plus profondément de comprendre une étrangeté constitutive », comme l’ajoute Rosanvallon sur France Culture en 2018 : « La définition minimale de la démocratie est la réversibilité du régime. Ce n’est pas l’élection de la personne qui gouverne mais comment cette personne doit gouverner qui la caractérise. »).

Pour Zakaria, la démocratie illibérale est « une démocratie sans libéralisme constitutionnel qui produit des régimes centralisés, l’érosion de la liberté, des compétitions ethniques, des conflits et la guerre », il ajoute « des régimes démocratiquement élus, qui ont souvent été réélus ou réaffirmés à travers des référendums, ignorent de façon routinière les limites constitutionnelles de leur pouvoir et privent leurs citoyens des droits et libertés fondamentales », ces démocraties illibérales sont de plus en observables non plus seulement dans le Sud ou le Tiers-monde mais en occident même. Dès lors, pour de nombreux pays de nos jours (comme hier) acquérir (déclaration de valeurs démocratiques sans effectivité afin de demander l’homologation « démocratie ») ou exhiber le label démocratique tout en étant factuellement illibéraux semblent à la fois être une tendance (durable) qui coïncide avec cette gouvernance d’après-démocratie.

Pour essayer de comprendre cette gouvernance de l’après-démocratie, deux questions méritent d’être posées : 1/ quel gouvernement est le meilleur dans notre contemporanéité mondialiste (néo)libérale (ce qui est pour Hermet une question d’ordre technique – relevant du « management des systèmes complexes ») ; 2/ qui a le droit de gouverner ? (qui est une question normative se rapportant à « la légitimation de l’autorité », une question politique).

Pour Hermet les deux interrogations ne sont pas nécessairement compatibles (dans le sens qu’elles peuvent être contradictoires), par exemple : un mauvais gouvernement peut-être tout à fait légitime, un bon gouvernement être absolument illégitime.

Pour Hermet, devant le risque d’une situation, la tentative serait de « dévaloriser » la démocratie, opter pour un « bon » gouvernement mais illégitime (comme le laisse penser la notion contemporaine de « gouvernance mondiale ») ; passer outre le « consentement des gens », ôter à la « souveraineté populaire » son « statut de valeur intouchable servant à cautionner n’importe quel […] objet […] ».

Un tel choix ressemblerait finalement aux régimes politiques historiquement connus où des « acteurs dominants ou en passe de le devenir ont constamment esquivé de diverses manières le risque de participation durable à l’exercice de l’autorité de ceux des acteurs concurrents qu’ils n’étaient pas disposés à coopter ». Un tel gouvernement serait une manière de surmonter « l’aporie imprescriptible de la démocratie » dont on a discuté plus haut de « l’argument de l’ignorance du peuple ».

Je voudrais comme parenthèse ouverte simplement rappeler comme l’affirmait Giovanni Sartori (cité par Hermet) : « La démocratie ne veut pas dire que le peuple a toujours, raison, mais tout simplement que c’est le peuple qui a le droit de se tromper ». Je referme la parenthèse.

Face à cette question de l’après-démocratie comme régime de gouvernance, l’interrogation qui vient à l’esprit est de se demander quoi de la démocratie sociale ou de la démocratie représentative serait constitutive d’une gouvernance autant légitime que bonne.

 

 

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La démocratie représentative : un contrôle des classes populaires et un mépris des masses pauvres

Hermet rappelle que la démocratie dite représentative a été adoptée en France et en Suisse pour contenir la colère des classes ouvrières (« émeutes ouvrières chroniques » et menace révolutionnaire).

C’est donc « à contrecœur » que « les libéraux et autres républicains » ont dû en faire un « modèle de gouvernance ». Ce modèle apparaissant comme une manière de contrôler cette colère des masses pauvres – comme le formule Hermet la démocratie représentative : un « rempart » et un moyen de « décompression politique » capable de préserver un exercice suffisamment intime et raisonnable du gouvernement.

C’est la raison qui les a poussés à considérer cette forme de gouvernance, qui leur est apparu du coup comme « désirable ».

Faut le souligner les « républicains » et autres « libéraux » étaient réfractaires (viscéralement réfractaires je dirais) ou peu disposés (si l’on le reformule dans une forme moins directe) à élargir la « citoyenneté électorale » aux masses composées d’ « hommes pauvres ».

Ainsi, la « gouvernance représentative » comme « soupape de sécurité » pour les classes socialement privilégiées, « usée » « céda la place à une nouvelle procédure » : l’État-providence (qui est un emprunt à « l’autoritaire Allemagne impériale de Bismarck » – le Chancelier de fer) ou dans une autre lecture à la « gouvernance de la démocratie sociale ». Dans l’État-providence les colères populaires sont maîtrisées, le pauvre citoyen-électeur, devient « l’assuré-citoyen apaisé par son statut de sécurité » et « restant « si respectueux des notables ».

 

 

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Gouvernance : un « besoin permanent de contention des acteurs politiques indésirables » – les pauvre et les non-cooptés

La mondialisation (néo)libérale et capitaliste a fait perdre au « Welfare » – l’État-providence – son « pouvoir tranquillisant ». Alors, « il a fallu renouveler » « le procédé d’endiguement de la souveraineté du peuple » – c’est-à-dire l’assuré-citoyen de moins en moins assuré socialement. D’où l’émergence de cette nouvelle « gouvernance » à l’ère de la mondialisation (néo)libérale et capitaliste qui a pour genèse le « besoin permanent de contention des acteurs politiques non désirés », elle est là sa racine.

La nouvelle gouvernance est une « notion si riche d’une flexibilité autorisant les applications les plus variées », un « mode d’évitement » de la souveraineté populaire (des acteurs non-cooptés par le « sommet », et donc de ce fait exclus).

Toutefois, pour Hermet, la démocratie comme mise en place de « procédés successifs » « visant le confinement du gros du corps politique » n’a pas toujours été délibérée (« tantôt produit du hasard »). Ce qui est vrai pour l’État-providence, mais « moins nettement » pour la « gouvernance planétaire ».

Pour Hermet, la gouvernance a ceci de remarquable qu’elle est née de l’effet du « mode d’action prêté par la main invisible » – de l’ « auto-ajustement naturel de la marche du monde ». Un auto-ajustement qui au fond à la pluralité limitée des doigts de cette « main invisible ».

Hermet note aussi que les théoriciens de cette « gouvernance » ont tendance à adopter des « termes pudiques et peu accessibles au profane » et qui cachent pour tant « des théories élitistes de la démocratie ».

 

 

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Finalement, la gouvernance joue donc un « rôle thérapeutique » et « sédatif ». Le « pluralisme des réseaux » ne reflète pas toujours le « pluralisme social) et pointe très souvent la captation par les « intérêts les mieux organisés utilisant leurs accès publics pour préserver leurs rentes » (comme le formulerait Yannis Papadopoulos cité par Hermet).

La démocratie dans La Société du risque, sous la « menace extérieure », avec ses actions (intervention militaire, sanction internationale), devient selon Bertrand Badie (cité par Hermet) « un principe d’ordre » utilisé par « la bourgeoisie conquérante ») comme ce fût le cas en Europe au XXe siècle.

Et la gouvernance est ainsi et en finalement une « énième » façon trouvée par cette bourgeoisie conquérant (qui a tué la vieille aristocratie et qui a construit sa propre aristocratie) d’éviter l’expression politique populaire « trop pressante ».

La gouvernance (contemporaine), pour les nouveaux dirigeants du monde de nos jours, comme le mépris et la haine du peuple.

 

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« L’un des théoriciens de la « jeune droite » américaine estime que même si la démocratie demeure sans discussion possible l’unique régime politique concevable, elle a pourtant ce défaut rédhibitoire de se trouver soumise aux humeurs électorales versatiles et en définitive inacceptables d’un Peuple ignorant. C’est sur ce plan qu’il faudrait selon lui l’amender, en oubliant le principe contre-productif de la souveraineté populaire. »

Hermet, Guy. « La gouvernance serait-elle le nom de l’après-démocratie ? L’inlassable quête du pluralisme limité », Guy Hermet éd., La gouvernance. Un concept et ses applications. Editions Karthala, 2005, pp. 17-47.

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