Bande sonore : Here without you – 3 Doors Down.
Hier, Dorothée, couchée dans mon lit, le regard perdu quelque part dans les cieux, dans ce plafond haut peinturé comme la voûte de la chapelle sixtine, examinait la fresque d’un Jugement dernier revisité par une artiste shootée aux œuvres de Michel-Ange.
Dorothée écoutait du 3 Doors Down et se passait en boucle leur Here without you qui avec le temps n’a rien perdu de sa supplique dont les sonorités m’ont toujours fait penser à la valse d’un flocon de neige.
Flocon de neige allant deçà delà, comme une feuille d’automne verlainienne, au rythme lent du vent. A chaque fois que j’ai écouté le Here without you, j’ai vu un flocon de neige qui valsait, un flocon comme le pétale perdu d’une rose blanche et pris comme ça dans le vide par un souffle aussi doux qu’une caresse. Dorothée, couchée, les yeux vers le plafond, semblait en écoutant 3 Doors Down recevoir des pétales d’une rose blanche en forme de flocons de neige. Dorothée ne souriait pas, elle était triste.
Je me suis couchée près d’elle, j’ai regardé le plafond, et j’ai imaginé que les pétales descendaient aussi sur moi. J’ai fermé les yeux et je les ai sentis sur mon visage. Dorothée a aussi fermé les yeux, elle n’était plus avec moi, elle était loin, dans un autre monde où il n’y avait qu’un être qui illuminait la voûte céleste comme un soleil de minuit. Elle était dans ce monde à s’imaginer tout ce qu’elle aurait pu faire avec lui, les jeux d’ombre, les ombres chinoises, les silhouettes jouant avec les contours de la lumière et de l’obscurité, elle et lui seulement dans un vaste monde où il n’y a que l’éternité.
« All the miles that separate » « I’m here without you baby » « But you’re still on my lonely mind » « I think about you baby and I dream about you all the time », les paroles de 3 Doors Down font couler des larmes du cœur, cœur en cristal de Dorothée, des larmes s’échappent doucement et elles ont des sonorités semblables à la supplique de 3 Doors Down. Supplique pour « The Better Life », avec nécessairement cet absent qu’elle ne reverra sans doute jamais. Ou qu’elle reverra dans ce monde imaginé où il brillera au cœur de la nuit comme un soleil.
Dorothée porte un legging noir, fin comme une transparence, un chandail de la même couleur et de la même matière. Le chandail comme le legging épouse en toute finesse son physique délicat. Sa silhouette svelte. Elle a les lèvres rouges comme une passion dévorante, son souffle a la chaleur de cette passion.
Dorothée a toujours eu sur moi l’effet d’un dégel. Sous son souffle, banquise je fonds, je me liquéfie, et je ne m’en plains jamais. J’ai toujours voulu être un désert liquide, une mer, un océan, portant à des inconnus les bouteilles qui y sont déposées, les bouteilles remplies d’espérance, des paroles et des promesses.
Un désert liquide portant les voiliers d’un bout à l’autre du monde, une mer par ses voix au verbe incompréhensible et aux murmures si silencieux disant comme on rassure à ceux qui se tiennent en face d’elle : « I sea you ». Un océan venant lécher les pieds d’argile de ceux qui dansent sur les plages au rythme ensoleillé de la ballade des gens heureux. Dorothée m’autorise ce rêve, le réalise, à chaque fois que son souffle balaie la banquise que je suis.
Dorothée, souffle brûlant, et la respiration imperceptible, c’est comme si elle était morte, c’est comme si un mort avec un souffle de braise ne l’était pas au fond, fait resurgir de ma mémoire ces mots d’espoir aussi spirituels que pleins de poésie : « Les morts ne sont pas morts ».
Ecoute plus souvent
Les choses que les êtres,
La voix du feu s’entend
Entends la voix de l’eau
Ecoute dans le vent
Le buisson en sanglot :
C’est le souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l’arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans l’eau qui dort,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis,
Ils sont dans le sein de la femme,
Ils sont dans l’enfant qui vagit,
Et dans le tison qui s’enflamme,
Les morts ne sont jamais sous terre,
Ils sont dans le feu qui s’éteint,
Ils sont dans le rocher qui geint,
Ils sont dans les herbes qui pleurent,
Ils sont dans la forêt, ils sont dans la demeure,
Les morts ne sont pas morts.
Dorothée ressuscite par son souffle, vent saharien sur la banquise, respiration solaire, la voix de Birago Diop ; par son souffle elle me fait parvenir toute cette ferveur tranquille, toute cette sérénité apaisante, des vers d’un autre temps ; par son souffle je deviens liquide et j’ai l’impression que « voix de l’eau », voix de « l’eau qui coule » en livrant « sur les rives du fleuve » sur les plages des mers sur les terres des océans des paroles d’inconnus.
Des inconnus qui sont partis, des inconnus qui sont là-bas, de l’autre côté du grillage, de l’autre rive, dans des mondes à part, dans des mondes qui fall apart, au bout du monde et au bout de l’horizon, ailleurs et si près d’ici.
Dorothée souffle, c’est à peine perceptible, c’est comme si elle était morte.
Là-bas
Tout est neuf et tout est sauvage
Libre continent sans grillage
Ici, nos rêves sont étroits
C’est pour ça que j’irais là-bas
Ici, tout est joué d’avance
Et l’on n’y peut rien changer
Tout dépend de ta naissance
Et moi je ne suis pas bien né
Là-bas
Loin de nos vies, de nos villages
J’oublierai ta voix, ton visage
J’ai beau te serrer dans mes bras
Tu m’échappes déjà
Elle est maintenant assise, j’ai posé ma tête sur ses cuisses, je la regarde et jamais le visage d’une femme ne m’aura fait penser à celui de la « Mater dolorosa », une Pietà dont le regard ne cède à aucune tristesse comme si le cœur avait accepté de porter – avec ce stoïcisme d’un loup qui meurt – tout le poids terrible du destin.
Dorothée, la Pietà, pose sur moi des yeux sans souffrance, et je suis sous cette voûte qu’est son visage un corps à l’abandon. « And tonight girl, it’s only you and me. » Dorothée me caresse la joue, elle sourit.
Shéhérazade, elle aussi, sourit, la tête sur mes cuisses, couchée sur mon canapé à la couleur sperme de baleine choisie par une amie designer d’intérieur dont le talent s’arrache dans le mile end montréalais et autres plateaux d’embourgeoisés un peu beaucoup bovins. Shéhérazade adore la couleur de mon canapé.
Shéhérazade a le sourire de la même nature que le souffle de Dorothée. Vent persan dans un désert saharien. Shéhérazade est toujours inattendu, un inattendu. Son sourire est un inattendu, renversant, et sa façon de le montrer aussi inimitable que quelques fois je me suis dit qu’un tel sourire était bonnement invraisemblable, comme s’il n’était que dans ma tête. Comme un soleil de minuit dans un monde imaginé. Et c’est seulement quand elle ne sourit pas, quand elle n’est pas là, que je me rends compte que Shéhérazade n’est pas irréelle. N’est pas un sourire irréel.
Je me sens toujours en compagnie de cette voix enveloppée dans une sorte de velours comme Shahryar intrigué curieux, souvent piqué au vif. La voix de Shéhérazade est un souffle brûlant qui ne me fait pas fondre, il me fait prendre feu, moi paille sèche. Elle m’enflamme. Feu de joie. Dans la nuit de nos ivresses, dans les mille et une nuits de notre ivresse. Jamais, la voix d’une femme ne m’aura fait un tel effet. Je me consume, à l’aube tout ce qu’il reste de moi est un amas de cendres. Je fus. Il ne reste plus grand-chose.
Shéhérazade est surtout une chanson que je passe souvent en boucle pour me remémorer tous les instants passés ensemble. Landing In London (All I Think About Is You) de 3 Doors Down ramène toujours à la vie Shéhérazade qui même partie n’est jamais morte.
Quelques fois, certaines aurores ont pour bande sonore cette chanson. Dès les premiers rayons du soleil, la musique, qui accompagne leur élévation dans des cieux nouveaux et anciens, laisse entendre des notes de cette balade. Et à chaque fois je suis le seul à entendre cette musique en regardant l’étoile aux teintes rosées illuminée l’horizon. Musique dans ma tête, Shéhérazade dans mes pensées, le matin à chaque fois a son sourire. « I’ll use your light to guide the way » « All I think about is you ». Et, doucement, ces matins-là, je prends feu.
Et certains soirs, quand l’amas de cendres a été jeté aux quatre vents par le souffle infernal d’une journée géhenne aussi ordinaire que banale, et que sans comprendre ni comment ni pourquoi des cendres surgit – sous le regard d’un soleil bilieux crépusculaire aux teintes orangées violacées – un spectre inattendu qui finit par me posséder, Shéhérazade m’accueille toujours dans la vie par des paroles d’un invraisemblable velours : « All I think about is you ».
Et ces soirs-là, ses messages sont comme des soleils de minuit, minuit du spectre errant, dans un autre monde.
Et je lui réponds toujours par un « And when the night falls around me » « And I don’t think I’ll make it through » « I’ll use your light to guide the way » « All I think about is you », sur lequel elle dépose toujours un peu beaucoup d’irréel.
Shéhérazade sourit, comme Zora, assise dans mon canapé à la couleur sperme de baleine, en me caressant la joue, et en me racontant avec sa voix des histoires d’une journée géhenne passée parmi les morts-vivants d’une ville qui a tout d’un grand village, d’une nécropole avec sa horde de morts qui ne sont pas morts et qui contrairement à ceux de Birago Diop ne le savent pas.
Des histoires du cimetière sous une voûte céleste qui n’a rien de celle de la chapelle sixtine, des épisodes fragmentés d’existences aussi inexistantes qu’éclatées, des vies liquides qui descendent souvent bas sous terre et vont polluer la nappe phréatique.
Des existences imbuvables qui rendent tout ce qu’elles touchent proprement inconsommables.
Shéhérazade me les narre, ce soir, le vent persan dans un désert saharien, souffle qui m’enflamme ; et après, de moi, il ne reste plus grand-chose. Ce qui me fait toujours sourire.
Bande sonore : Landing In London (All I Think About Is You) – 3 Doors Down.
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