Leïla

« – Smith, tu ne comprends pas que donner est un plaisir. Il se livrait à ce plaisir de façon charmante, sans rien de touchant ni de voyant – avec tristesse, pour ainsi dire. Il m’offrit parfois des objets usés et sans valeurs, mais ses dons ne manquaient jamais de grâce, ils étaient utiles et il y avait, dans son geste, de la tristesse. »

Princesse Leïla m’a dit qu’elle était allée voir le groupe Wintersleep en représentation à montréal, la nuit d’après-minuit qui abritait notre conversation réseaux médias sociaux était silencieuse et un peu beaucoup froide, j’ai eu chaud en écoutant l’errance musicale et urbaine de Leïla. Elle ne l’a pas su. Comme je le lui ai dit « Merci de cette découverte, c’est ce dont j’avais besoin » pour traverser la blancheur cadavérique de mes obscurités. De la chaleur dans la blancheur des obscurités. Inattendu. Jouissif. 

 

« Toutefois, il est une chose que vous pouvez quand même faire : retrouver la tête et l’exorciser. »

 

J’ai écouté tout un mix du groupe, j’étais dans une voiture parcourant un chemin déserté de la ville-monde, pas une âme qui vive, pas un chat qui s’hasarde dehors en ce temps à rendre dépressif une momie, la ville-monde vidée du monde, sublime parce qu’apaisante, magnifique parce qu’épurée, transcendantale à la limite, j’étais dans mon bureau comme si je parcourais un chemin de campagne en ville et dans une voiture, devant un ordinateur à bosser sur un million de choses qui paient les factures et les restes de la survivance quotidienne, j’étais sur la route et j’imaginais la princesse assise près de moi, passagère souriante et ses cheveux qui m’ont si souvent fait penser par leur allure à des dunes du sahara et j’ignore pourquoi, avec ses yeux qui rient beaucoup même quand le cœur n’y est pas, avec ses lèvres fines comme des traits délicats d’un portrait artistique sorti de l’imaginaire d’un génie aussi sinoque que jouissif, avec ses yeux brillant comme une lune nue au milieu d’un univers saturé d’étoiles strass un peu à côté d’elle pâles, Leïla cheveux au vent et moi roulant comme james dean en vagabondage kerouac dans les rues montréalaises, presque deux heures du matin, du Wintersleep à fond la caisse, « Oh my darling » du « Saving song », la nuit ne m’aura rarement paru si immortelle, une fraction de rêverie, une fenêtre ouverte sur l’infini. « Roule ma poule, roule » dirait Leïla, et je me dirais « Bordel » pour dire « Je t’adore ».

 

« Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents…tous ceux qui voient les choses différemment, qui ne respectent pas les règles. Vous pouvez les admirez ou les désapprouvez, les glorifiez ou les dénigrer. Mais vous ne pouvez pas les ignorer. Car ils changent les choses. Ils inventent, ils imaginent, ils explorent. Ils créent, ils inspirent. Ils font avancer l’humanité. Là où certains ne voient que folie, nous voyons du génie. Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde y parviennent. » 

 

C’est Leïla. Mesdames et messieurs. Assise dans une caisse construite par un ingénieur urss et sortie d’une usine rouge comme la gauche qui fût, pour dire celle qui est morte pour laisser triompher notre contemporanéité avec ses enfants exploités dans un atelier de la honte et de la misère, ses travailleurs esclavagés et qui sont les nouveaux serfs contemporains, la nature ravagée pour satisfaire notre besoin irrépressible de consommer tout ce qui traîne – même notre avenir et celui des générations à venir, d’immenses goulags d’individus et foules qui crèvent la gueule selfie sur des réseaux médias sociaux où les photos de nombrils sont de beaux anus, qui disparaissent dans l’anonymat d’une vie-que dalle quand en termes de rentabilité elle ne vaut plus rien.

 

« Il croit qu’il faut imaginer le monde comme le rendez-vous des errants qui s’avancent sac au dos, des clochards célestes qui refusent d’admettre qu’il faut consommer toute la production et par conséquent travailler pour avoir le privilège de consommer, et d’acheter toute cette ferraille dont ils n’ont que faire; réfrigérateurs, récepteurs de télévision, automobiles ( tout au moins ces nouvelles voitures fantaisistes) et toutes sortes d’ordures inutiles, les huiles pour faire pousser les cheveux, les désodorisants et autres saletés qui, dans tous les cas, atterriront dans la poubelle huit jours plus tard, tout ce qui constitue le cercle infernal: travailler, produire, consommer, travailler, produire, consommer. » 

 

« I won’t bite » du « Mausoleum », je vogue dans du Wintersleep et j’ai enlevé le dentier, et la princesse est allée se coucher.

Et je me mets devant un écran plein d’urgences qui disent tout ce qu’il faut accepter de sacrifier pour offrir un minimum de chances à sa progéniture et à soi, toutes les déshumanités qu’il faut exécuter avec un professionnalisme à gonfler le chèque – vendre son âme pour que celle des autres ait une chance et pour se donner une piètre et ridicule estime sociale de soi.

 

« Je me souviens d’avoir entendu une bonne parler d’opium et dire qu’en fumer donne de beaux rêves, et je me dis : je fumerai de l’opium quand je serai grand. »

 

Sur l’écran je vois Leïla roupiller les poings fermés en lâchant de Nagasaki flatulences et je me dis que tout est cohérent dans le tableau, j’aimerais être dans les draps de la princesse et recevoir ses échappées belles, je ne crois pas que leur puanteur dépasse celle de la ville-monde ou de notre si belle existence qui secoure une cathédrale en flammes alors qu’elle snobe et s’indiffère de tous ceux qui trépassent dans la rue juste près de celle où les amoureux bécotent sur les bancs publics.

On pleure, s’émeut pour des pierres, on est cimetière devant la chute de l’Homme. « Roule ma poule, roule » me dirait Leïla, sur tous les chemins de campagne de la ville-monde sans grand monde cette nuit, sur la route, vagabonds solitaires ensemble, clochards noctambules, nous irions loin de tout ce foutoir. 

 

« Qu’est ce qu’un arc-en-ciel, Seigneur ? – Un cerceau pour les humbles »

 

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« You shine like a star » du « Wish I knew You » de The Revivalists, je découvre en passant par la fenêtre offerte par la princesse un monde dont j’ignorais même l’existence. J’ai l’impression d’être dans un garage subissant l’invasion d’une orgie Nirvana où les teenagers des années 90 très VIH/SIDA venaient baiser comme on se suicide, ça massacre les murs et cela ouvre sur une inconnue qui n’a plus forcément la même tronche l’instant d’après, et elle n’est pas britney ou aguillera elle est toxic. Leïla brille dans ma nuit comme une étoile et je ne la connais même pas, ou à peine.

C’est sans doute ce que je préfère dans la vie, ne pas savoir et aimer. Aimer parce que l’autre dans l’authenticité qu’il nous livre n’a pas besoin d’un savoir encyclopédique de sa personne, seulement la sentir la vivre et vibrer, la suivre dans ses errances et pénétrer dans son monde d’alice au pays des merveilles ou dans son cauchemar pogné dans un intense bad trip.

Aimer ne demande pas d’intellectualiser les sentiments, aimer n’exige pas de mouiller sa culotte ou d’avoir la bite dressée comme une obélisque, aimer n’attend pas que l’on apprécie immédiatement; au contraire aimer c’est déguster et déguster comme je l’ai si souvent dit à Rose qui baise comme un moulin à vent brasse de l’air ce n’est pas la goinfrerie.

Déguster, c’est apprécier la qualité. Cela demande de prendre le temps de s’ouvrir aux saveurs de l’autre, à ses délices, à ses arômes, à ses parfums. Déguster, c’est se délecter, s’enchanter, jouir. Non pas éjaculer, mais jouir. Jouir ce n’est pas éjaculer. Déguster ce n’est s’empiffrer et se goinfrer.

J’ai souvent dégusté chaque moment partagé avec la princesse : les évanescents, les rapides, les qui-tournent-en-rond, les qui-ne-mènent-au-fond-à-nulle-part, les qui-vont-quelque-part, les p’tits bouts de rien, qui sont absolument enivrants.

Il n’est pas en fin de compte compliquer d’être heureux, il suffit de déguster.

 

« Oh, affreuse destinée de nous autres mortels, chacun de nous à son heure terrible doit mourir et épouvanter ceux qui nous aiment et pourrir le monde — et déchirer le monde — et tous les héroïnomanes dans les cités jaunes et les déserts de sable s’en fichent — et ils mourront aussi ». 

 

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« Miasmal smoke and the yellox bellied freaks » de Wintersleep accompagne les trois heures du matin qui sonnent comme un énième rappel du peu de temps qu’il me reste à vivre avant l’aube et ses lumières éclairant le mouroir.

La princesse rêve et pète dans ses draps, je ne lui dirai sans doute jamais à quel point le « Listen (listen, listen) » de Wintersleep a été la bande sonore d’une nuit qui n’a plus de souvenir de ce que rêver signifie, quand elle m’enverra sur les réseaux médias sociaux du kuti pour me montrer à quel point elle s’est ouverte à mes racines je lui répondrai dans un message télégraphique dépouillé de toute émotion. Bref, je ferai le con. Comme les autres. Parce que c’est la norme. Parce que c’est la game. Ne jamais montrer aux autres tout ce que l’on les aime – la bêtise même, un gâchis, une atrocité, une tristesse. Des adolescents dans un garage d’orgie Nirvana, sans le transgressif quasi radical et beaucoup d’immaturité. Moi comme les autres, des teenagers avec peu de maturité, rien de vraiment transgressif, aucune radicalité, mais avec beaucoup de bêtise, de gâchis, d’atrocité, de tristesse. 

 

« La majeure partie de l’humanité me donne fondamentalement envie de vomir. »

 

Ce soir, j’ai décidé de ne plus faire le con, j’ai offert à la princesse un bouquet de roses digne de tout ce qu’elle m’a apporté dans ma nuit, tout ce qu’elle m’a offert sans le savoir, simplement, amicalement, d’humain à humain, d’âme à âme, de cœur à cœur, d’esprit à esprit.

Le bouquet de fleurs était musical, quelques notes de Schubert ré-enchantées par une artiste une génie de la puissance émotionnelle semblable à une explosion nucléaire d’un type Nagasaki.

Je suis comme ça, sur les réseaux médias sociaux certaines publications sont des bouquets de fleurs pour des individus qui y verront tout ce qu’ils m’ont offert, souvent par leur simple présence où ils ont partagé des morceaux d’eux qui ne soient pas un nombril-anus.

Des bouquets de fleurs musicales et autres peintures, autres cadres et fenêtres, pour tout le bonheur et toutes les couleurs des errances (en caisse urss ou non) sur les chemins campagnards et si urbains de la ville-monde. Je publie et j’offre un « Je t’aime toi », qui veut dire non seulement « Je t’adore » mais que tu m’es si indispensable. Indispensables, comme des œuvres d’art. 

 

« Ce qui importe par-dessus tout dans une œuvre d’art, c’est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir. » 

 

Sur les réseaux médias sociaux, j’ai décidé de m’entourer de ceux et celles qui rendent possible les échappées belles, je leur offre des bouquets du bonheur qu’elles et qu’ils m’offrent. « Sweet dreams » « Who am I to disagree ? » Emily Browning, bellissime, me conseille de me laisser abuser par eux et par elles, et j’approuve. Leïla et les autres, eurythmiques dans mes nuits rimbaldiennes et très souvent prévertiennes et baudelairiennes, avec une encre faite des vomissures de la folie ordinaire de bukowski, je traverse par la fenêtre et je dévale noctambule et spectre possédé par la nuit les rues campagnardes de montréal.

Ce soir, il y a du Wintersleep en fond sonore, avec Leïla endormie et rêvassant à changer le monde et peut-être l’univers tout entier, princesse des étoiles et de toutes nos guerres dans les étoiles comme sur cette terre misérable, ma seule passagère.

Ce soir, c’est avec elle que j’ai traversée les sept mers. Et ça, elle ne le saura jamais. Pauvre con.

 

« Ses longs cheveux noirs m’enveloppaient comme le drapeau de la mort. Notre étreinte fut lente, obscure et merveilleuse. »

 

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