« Mais il y a plus : ce n’est pas une catastrophe naturelle qui s’abat sur cet ancêtre des insensés qui détruisent aujourd’hui la forêt amazonienne. Son châtiment, c’est la faim. Une faim qui grandit en mangeant et que rien n’assouvit. Mais faim de quoi ?
Aucun aliment n’est capable de l’apaiser. Rien de concret, de réel ne répond au besoin qu’éprouve Érysichthon. Sa faim n’a rien de naturel et c’est pourquoi rien de naturel ne peut la calmer. C’est une faim abstraite et quantitative qui ne peut jamais être assouvie. Cependant, la tentative désespérée de la calmer le pousse à consommer en vain des aliments, bien concrets ceux là, les détruisant et en privant ainsi ceux qui en ont besoin.
Le mythe anticipe ainsi de manière extraordinaire la logique de la valeur, de la marchandise et de l’argent : tandis que toute production visant la satisfaction de besoins concrets trouve ses limites dans la nature même de ces besoins et recommence son cycle essentiellement au même niveau, la production de valeur marchande, qui se représente dans l’argent, est illimitée.
La soif d’argent ne peut jamais s’éteindre parce que l’argent n’a pas pour fonction de combler un besoin précis. L’accumulation de la valeur, et donc de l’argent, ne s’épuise pas quand la « faim » est assouvie, mais repart tout de suite pour un nouveau cycle élargi.
La faim d’argent est abstraite, elle est vide de contenu. La jouissance est pour elle un moyen, pas un but. »
– Jappe, A. (2017). La société autophage: Capitalisme, démesure et autodestruction. Paris: La Découverte.

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