Je = 2

Bande sonore : Yesterday – The Beatles.

Hier, Luc et moi avons eu notre G2, notre rituelle rencontre de deux Je qui sont à la fois complémentaires et supplémentaires, deux Je qui sont l’un égale l’autre tout en étant l’un en devenir de l’autre. Sur la table, pas de porto comme ce fût le cas de la dernière fois, juste de la blonde fraîche, bière bien tapée comme on le dit d’où je viens, ça tape sur les nerfs et ça les clame un tout petit peu.

Sur la table, poulets grillés à la façon ibérique, le portugal abritait encore une fois ce sommet de deux entités frères puisque de la même souche autochtone – c’est-à-dire originaires malgré leurs différents parcours millénaires d’un même berceau de la civilisation.

Dans le G2, j’ai l’habitude de dire à Luc que c’est lui la super-puissance, moi je suis celui qui prend des notes, le communiqué final est rédigé par lui puisque non seulement il est la super-puissance mais davantage super-puissance parce qu’il est l’Aînée, le Me Jedi, et dans les marches entre les mots incontestablement le plus doué d’entre nous.

Dans le communiqué final, il y a toujours les mêmes mots : re-définir le sens des mots, re-signifier les réalités, par exemple en regardant des édifices y voir des textes et des phrases bien que simplement des constructions de pierres. Voilà en quoi Luc est aussi cette imposante super-puissance pour laquelle je voue un amour et un respect infinis. Il m’ébranle toujours. Et à chaque fois je me dis : être Luc ou mourir, en essayant.

 

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Être Luc, ce n’est pas cesser d’être ce que je suis, cela est impossible, ce n’est l’imiter car cela serait inauthentique, ce n’est pas le déifier ce qui serait le déshumaniser et donc foncièrement immoral. Être Luc, c’est dans la mosaïque de mon identité avoir toujours en tête non seulement sa perspective des choses mais surtout comme balises ou référents ses principes et ses valeurs.

Être n’est pas une dissolution de soi dans un autre que soi, ce n’est pas une exportation de soi dans un autre cadre symbolique, c’est faire des allers-retours entre soi et l’autre en dehors de soi, processus de médiation et de espaces d’imaginaires autant dans certains aspects entremêlés que distincts, et ce radicalement.

Il y a des personnes comme ça dans la vie qui nous inspirent si profondément que sans elles nous sommes un peu perdues, elles nous révèlent à nous-mêmes et elles nous guident, ce sont donc des Me Jedi.

Quelquefois, souvent, elles n’en ont même pas conscience, souvent et généralement nous n’en avons même pas conscience, mais elles incarnent un modèle d’être dont nous avons besoin pour nous comprendre d’abord comme réalité et comprendre le réel. C’est en les incorporant dans notre cadre symbolique composé d’autres sens et significations produits par d’autres personnes que nous posons un regard original sur nous-mêmes et sur le réel. Luc fait partie chez moi de telles personnes.

 

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Luc et moi nous avons en âge trente ans d’écart, je suis le jeune dans l’affaire, le p’tit frère, ou je dirais un peu lui il y a une trentaine d’années, à une époque de rolling stones et de beattles. Mais en fait, il n’y a pas d’âge entre nous, ceci est un peu sans intérêt, comme il a l’habitude de le dire : tout se passe ailleurs. Luc fait partie des deux amis que j’ai ici. Marielle est cet autre.

Avec Marielle, c’est totalement autre chose, une autre dynamique, d’autres univers et mondes, elle est très loin de ceux de luc, et ils ont les deux presque le même âge. J’ai plus d’affinités avec des personnes d’un certain âge qu’avec ceux de mon âge et plus jeunes.

Avec ces derniers, je m’ennuie, je me lasse très rapidement, je trouve que cela ne mène jamais quelque part, que cela tourne en rond, que c’est très souvent beaucoup d’immaturité et de superficialité.

Les individus de mon âge sont très souvent dans des réalités que je trouve vraiment infantilisations ou infantiles, trop de considérations pour la vacuité, trop d’énergie pour le dérisoire, trop d’eux dans tout, trop d’horizons limités aux sensations des objets et des choses, trop de regards tournés sur soi, trop de jouissances et de légèreté, trop d’insécurité d’eux-mêmes, trop d’anxiogène et d’hystérie, trop de trop, trop de trop même quand c’est rien. Je m’emmerde avec eux, et très souvent ils m’épuisent, juste en les voyant faire et être et simplement en les écoutant. Ils m’emmerdent, solide.

 

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Pour les plus jeunes, c’est la même chose que les précédents mais en plus amplifiée.

Mais comme le disait l’autre : « C’est sans doute toé le problème ». Ce à quoi j’ai répondu : « Beh, d’abord ce n’est pas un problème, ou il n’y a pas de problème, ensuite oui effectivement t’as raison ça vient de moé, so on va laisser faire hein ». Ça s’est terminé là. En automne dernier, durant un séminaire, une collègue m’a demandé si je pourrais devenir ami avec une personne plus jeunes que moi, elle n’a pas apprécié ma réponse et m’a dit : « Tu sais que j’ai 23 ans ? » J’ai fait : « Ah, non, tu ne les fais pas, tu as l’air plus mature, c’est très étonnant d’ailleurs ».

Elle a enchaîné : « Pourquoi tu as ce préjugé sur les plus jeunes que toi ? » « Peut-être parce que je vous côtoie dans ce séminaire. Vos crises sur du n’importe quoi, vos nombrils toujours, votre je-m’en-foutisme congénital, votre dédain pour tout ce qui est autre que vos grandes certitudes, vos attitudes d’enfants souvent trop gâtés, votre indifférence sur ce qui est en dehors de votre p’tit cercle, votre obsession de vous-mêmes, des émotions et des sentiments, du cul surtout, vos enfantillages permanents, votre incapacité à vous décentrer, etc., etc., veux-tu que je poursuive ? En fait, c’est vraiment moi le problème, je n’ai pas vos codes ni votre langage, tu sais avec les gens de mon âge aussi ils parlent alien et moi l’alien de l’alien, cela m’épuise de tout le temps m’assurer de comprendre et d’être bien compris, cela demande trop d’énergie pour des personnes qui ne comprennent jamais ou se barricadent dans des tours inaccessibles puis se plaignent de ne pas être comprises ; ou bien ne posent pas les bonnes questions parce que bon bref chacun sa vérité, comme si le chacun sa vérité a déjà mené l’humanité quelque part, on évacue la complexité donc pour finalement toujours évolué dans le compliqué même s’il se prétend simplicité et clarté, tout ça m’épuise c’est une perte de temps et c’est proprement à la fois stérile et inutile. » Nous ne sommes pas devenus amis.

 

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Oui, j’ai ce préjugé facile et stupide. Il est construit à partir d’une pluralité d’expériences, les exceptions sont comme toute exception rares. C’est pourquoi mon approche est d’abord celle de la découverte, et en bout de ligne la découverte généralement confirme et renforce le préjugé, malheureusement ou ironiquement. D’où le fait que je n’ai ni d’amis de mon âge ni d’amis moins âgés que moi.

Il faut comprendre, la différence entre relations connaissances et amis. Les relations sont des individus avec qui l’on interagit au quotidien ou occasionnellement sans partager quoi que ce soit d’autres que les raisons qui sous-tendent cette interaction (exemple : le travail, les clients, les activités collectives du type hobby, etc.). Les connaissances sont des individus qui ne sont pas que des relations, on les connaît plus, on a partagé des moments avec, on est en découverte d’eux, c’est moins formel que les relations. Les amis sont dans la sphère intime (intime dans le sens de plus intérieur, ou de l’intériorité, dans la profondeur de l’être), les liens sont plus enracinés dans cet intime, ils sont solides (puisqu’ils ont été maintenus malgré les crises ou autres divergences, conflits, ils ont été enrichis de ceux-ci), il y a de la confiance dans l’amitié, de la loyauté et de la solidarité. On est donc au-delà de la connaissance qui est en fait une espèce d’effleurement de l’autre, on est au-delà de la superficialité de la connaissance, on est au-delà de la simple obligation d’interaction qu’est la relation, dans l’amitié il y a un besoin plus fort d’interaction.

Pour être amis, cela peut prendre du temps (se construire au fil des expériences partagées, de la découverte, de la médiation) ou se faire de façon très spontanée (un peu comme si on rencontrait un alter ego). Le temps, les années, ne font pas nécessairement les amitiés, tout est une question de fluidité, d’approfondissement, d’interconnexions entre des mondes à part, du fait d’avoir l’impression que l’autre peut voir et ressentir comme nous sans qu’il y ait besoin de prononcer d’expliquer de justifier quoique ce soit. Quand l’autre dit « Je » il y a un et deux, soi et l’autre soi connectés à une même réalité et soi avec l’autre soi voyant chacun dans sa réalité un réel dont on partage les mêmes sens et significations. Ce n’est donc pas simplement une simple question de plaisir, ou du « on se ressemble » ou du « on a des choses en commun », c’est bien plus profond. L’amitié ne se décrète pas, elle n’est pas le fait d’avoir en commun quelques aspects pareillement signifiés des choses. L’amitié va au-delà.

J’ai donc très peu d’amis, j’en ai ici deux. J’ai comme tout le monde beaucoup de relations et autant de connaissances, mais elles ne sont pas des amis et la plupart d’entre elles n’ont non seulement pas vocation à devenir autre chose mais aussi ne pourraient l’être car nous n’avons pas ce « truc » qui permettrait d’envisager une amitié. Ce qui n’est ni mauvais ni triste, c’est juste comme ça. Il ne faut pas non plus dramatiser, certaines connaissances peuvent être jouissives et certaines amitiés moins.

 

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Luc est donc mon ami, Marielle aussi. Et ils ont un certain âge. Avec Marielle, nous avons aussi notre rituel, c’est un G2 sans être un G2 à la luc, avec Marielle c’est une dégustation, avec luc c’est une fusion. Deux amis, deux dynamiques et deux natures de l’amitié absolument différentes sans qu’une n’ait plus de valeur que l’autre. Supplémentaires et complémentaires, elles le sont. Je crois que dans la vie, les amitiés sont très rares, nous sommes saturés de relations et de connaissances, et chaque amitié a un truc singulier qu’une autre n’a pas.

Le G2 avec luc est donc un truc singulier. Pour une fois, celui d’hier, j’étais en avance. Luc est arrivé et notre accolade s’est faite cœur contre cœur, j’embrassais mon frère. La fraternité est l’étape suprême de toute amitié, le lien de solidarité de l’amitié est une union totale de deux Je qui n’en forment qu’un, l’on sait que les deux nous ne formons plus qu’un. Il ne s’agit donc pas d’amour, c’est de l’ordre du fusionnel. On n’est plus dans la simple solidarité qui dit altérité-responsabilité, on est dans le chaque partie forme un tout inextricable.

Hier, le G2 a tenu ses promesses, impossible de le narrer, trop de rythmes, de cadres, d’ébranlements, impossible d’en dire un mot ou deux. Ce matin, Marielle m’a informé d’une dégustation en asie mineure. Comme avec luc, le voyage sera d’une toute autre dimension, l’amitié et pas simplement que. Pour dire, un Je = 2. 

Bande sonore : Ruby Tuesday – Rolling Stones.

2 réflexions sur “Je = 2

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