Femme(s) forte(s)

L’autre jour, j’ai assisté à une scène traumatisante, un jeune homme administrait une claque à une jeune fille. Cette image m’a fait penser à tous les épisodes de violence envers les femmes que j’ai vécus durant mon enfance. Aucun enfant qui assiste à ce genre de truc n’y survit vraiment.

Ma grand-mère se faisait battre par son mari qui n’était pas le père de ma mère. Marie avait épousé un homme comme on se réfugie dans un bunker, un abri de sécurité, ma grand-mère fuyait un passé compliqué, elle était en mode survie, trahie et exclue par son propre sang, marquée d’une stigmatisation qui humilie en permanence, elle est allée se mettre sous la protection du seul homme qui n’en avait rien à cirer de toute son histoire et de toute sa biographie. Son mari était ouvrier, la seule figure ouvrière de l’arbre généalogique, cela expliquait aussi pourquoi toutes les considérations de classe ou de statut social lui importaient peu et qu’il ait épousé une pestiférée.

En même temps, la pestiférée étant dans cette position ne pouvait rouspéter, elle devait donc être le paillasson sur lequel il viendrait essuyer ses grandes bottes de mâle dominant. Sauf que ce n’est pas ce qui s’est passé.

Ma grand-mère était une femme forte, elle ne se laissait marcher dessus par personne, elle le tenait de son père résistant assassiné, de ses ancêtres du clan des « Têtes brûlées ». Mon grand-père la frappait donc pour la dompter, à cause de ses « Non, Henri », pour qu’elle se plie et s’écrase, pour qu’elle serve d’essuie-bottes. Jamais ma grand-mère n’a ployé les genoux.

Quand il la frappait, le visage et le corps de ma grand-mère lui servait de punching-ball, il cognait et cognait, avec ses poings, avec tout ce qu’il pouvait mettre entre ses mains, et tout le temps le souci de ma grand-mère était de protéger son unique fille – ma mère. Ma mère n’a pas été reconnu son père, il était du même milieu social que ma grand-mère, il n’a pas voulu la reconnaître parce que ma grand-mère était une pestiférée.

La peste qui la recouvrait la rendait infréquentable, c’était la fille du résistant qui avait mis en danger tout le monde dans ce milieu, il a fallu beaucoup de concessions accordées au colon pour payer cet affront, personne ne le lui pardonnait.

Ma grand-mère a dû survivre sans rien, mais au fond comparé à d’autres comme son mari c’était (matériellement) beaucoup. Elle a apporté à son mari en dot une certaine sécurité matérielle, et lui en échange un abri sécuritaire indispensable pour sa fille. Cette situation offrait donc tous les droits à son mari, il les exerçait en la traitant de la sorte.

Quand il la cognait, on pouvait entendre les os de son visage craqué, elle a tenu quoi deux décennies, le temps que sa fille grandisse, aille poursuivre ses études ailleurs, qu’elle aille plus loin qu’elle n’avait eu la chance d’aller. Et elle l’a quitté.

Il s’est remarié avec une jeune demoiselle âgée de moins de trente ans que lui et de la même couche sociale que lui, il ne l’a jamais frappée, et il est mort d’un cancer de la prostate dans d’atroces souffrances.

La perte de mon grand-père fût une tristesse, malgré tout nous l’avons pleuré. D’où je viens, on ne s’acharne pas sur un cadavre, on a le devoir de respecter les morts qu’importe ce qu’ils étaient comme personne, devant le mort comme souvent devant la souffrance on fait silence et on apprend afin d’être non pas meilleur mais différent.

Ma grand-mère n’a jamais voulu avoir des enfants avec lui, c’était là l’un des grands pouvoirs qu’elle avait et qu’elle exerçait. Il en voulait, elle se débrouillait pour ne pas lui en donner, et il la cognait pour la faire céder. Il le faisait aussi parce que le temps passant, ma grand-mère était de moins en moins une pestiférée, elle retrouvait peu à peu ce que l’on lui avait enlevé, et donc un retour en grâce parmi les siens.

Et son mari, ouvrier de son état et ayant passé près d’un demi-siècle à bosser comme un nègre dans une usine esclavagiste, n’était pas acceptable, et on le lui faisait très ouvertement et brutalement comprendre. Ce qui le mettait dans une rage démentielle, bien entendu ma grand-mère en faisait les frais, il cognait, dur, très dur.

 

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Ma mère a été frappée dans sa vie. Frappée par des hommes. La première fois que j’ai assisté à une telle scène, c’était un jour dans son bureau, un collègue frustré par je-ne-sais-quoi est entré et a commencé à la traiter de pute et salope, et autres trucs du genre.

J’avais quoi neuf ans ou dix ans, j’étais assis en face d’elle.

A un moment, il s’est avancé et lui a filé une claque, puis des coups, il a fallu l’intervention d’autres collègues pour stopper la furie phallocrate s’abattant sur cet autre sexe à l’époque rien du tout.

On n’oublie jamais une telle scène, jamais. On grandit avec, et ça fait un homme.

Ma mère vira le bonhomme, elle porta plainte, et bien entendu comme il était normal à l’époque il s’en tira à bon compte, c’est-à-dire une plainte classée sans suite, c’était juste un homme qui tabassait une femme, pas de quoi en faire tout un plat.

La seconde fois que j’ai vu ma mère être frappée par un homme, c’était quelques années plus tard. Des gifles et des coups de poing d’un client faussement insatisfait. Ma mère a virevolté, tournoyé sur elle-même, elle s’est écroulée. Coups de pieds, crachats. La dame au sol, recouverte de tout ce qu’une personne peut balancer de mépris à une autre personne. J’avais douze ou treize ans. Je ne l’ai jamais oublié.

Ma mère s’est relevée, elle a attrapé les testicules du mec, les a tordus avec toute la colère qu’elle ressentait, et lui a rendu ses claques et ses coups. Ses employés l’ont arrêtée avant d’émasculer l’animal. J’étais là, près d’elle, je braillais, parce que j’avais la rage. Et j’étais si fier de ma mère, une tête brûlée, la digne fille de sa mère.

Ma mère ne l’a pas eu facile dans la vie. Mère monoparentale dans une société et une époque qui ne pardonnaient pas qu’une femme célibataire seule éleva des bambins. Elle traînait la réputation de pute et de salope, c’était comme ça à l’époque, le sort réservé à ce type de femmes.

D’où le fait que j’étais traité de « fils de pute » au collège jésuite – d’autant plus que les autres ne digéraient pas que cette mère pute et salope soit la seule femme à siéger au conseil d’école.

Quand les autres n’ont pas d’arguments autres pour vous affronter, quand ils ne savent plus quoi faire pour vous terrasser, ils ne restent que ça : l’insulte, le caniveau, l’humiliation.

J’ai été souvent très humilié parce que les autres n’avaient rien d’autre à part ça à sortir, pour m’écraser. Je suis donc un peu beaucoup immunisé contre l’humiliation et j’ai appris en m’inspirant de ma mère à être impitoyable dans ce genre de situation. J’émascule, je détruis, et je m’en fous complètement.

 

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C’est aussi pourquoi je suis si attiré par les femmes fortes. Celles qui ne sont pas un paillasson pour hommes et pour tout autre. Elles sont fortes tout en ayant du savoir-vivre, elles n’ont pas besoin de vociférer comme beaucoup de féministes de nos jours qui aboient pour montrer les couilles qu’elles ont et qui n’impressionnent pas grand monde.

Être une femme forte ne signifie pas gueuler à tout va, ne signifie pas dire « non » à tout et n’importe quoi, ne signifie pas être atteint d’un trouble de l’opposition. Être une femme forte c’est autre chose : savoir encaisser et rendre les coups. Beaucoup de femmes de nos jours ne le comprennent pas, et confondent tout.

Je suis effectivement attiré par des femmes fortes. Des femmes qui ne se laissent pas marcher dessus, qui ne ploient pas les genoux et qui rendent les coups reçus. Des femmes qui n’ont pas besoin d’être validées par d’autres comme quelque chose, qui osent et assument d’être ce qu’elles sont. Elles ont du caractère, elles sont à mes yeux ma grand-mère et ma mère.

Ma mère s’est mariée quand nous ses bambins avions quitté le nid familial. Nous étions des hommes, de jeunes hommes, et aucun mâle ne pouvait plus se targuer d’avoir été son abri sécuritaire ou autre.

Elle a épousé un homme de son milieu, avec une généalogie compatible, une union des forces et du pouvoir. Elle me l’a dit un jour : « Toutou tu me connais plus que les autres, je ne me suis pas mariée seulement par amour ».

J’ai acquiescé. Je comprenais ma mère plus que mes frères, étant son fils cadet j’étais plus proche d’elle. J’ai appris plus d’elle que mes frères, et quand elle prenait des décisions que personne ne comprenait elle savait qu’elle pouvait compter sur mon soutien car je voyais ce qu’elle envisageait.

Mes frères n’ont pas connu mes humiliations, ils n’ont pas vécu ce que j’ai vécu. Ils n’ont jamais compris le lien que j’avais avec elle, ils n’ont jamais saisi tout ce qui me rattache à elle. J’ai environ dix ans d’écart avec charly, presque six ans avec chrispy, non seulement nous ne faisons pas partie de la même génération mais nous n’avons pas les mêmes expériences, nous sommes donc très très très différents.

Les gens sont souvent étonnés par ces différences, mais c’est aussi pourquoi nous trois réunis nous sommes une force. Ma mère s’en est assurée.

 

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Je suis la fille de ma mère, celle qu’elle a toujours voulu avoir.

J’ai été très longtemps la copie caractérielle de ma grand-mère et elle avait souvent envie de m’étriper, personne n’est toujours heureux de faire face à sa propre image, d’entendre son propre écho, cela nous confronte à tout ce que l’on est et ce n’est pas toujours plaisant.

Charly a toujours été son « p’tit mari », et chrispy son « associé » – une façon de dire son complice, son confident. Nous, les trois mecs, nous sommes leurs produits, chacun ayant acquis des traits particuliers de chacune d’elles. Charly a pris le côté scientifique et analytique de ma grand-mère, chrispy le côté businesswoman de ma mère et ce génie des affaires, et moi la personnalité rebelle de ma grand-mère.

Mais tous les trois nous avons en commun les caractéristiques de ces deux femmes fortes : nous ne ployons pas les genoux, nous encaissons et rendons les coups. Pour ainsi dire, nous sommes à nous trois des femmes fortes.

J’ai regardé avec une rage terrible le mec ayant filé une gifle à sa blonde dans la rue. Plusieurs passants se sont interposés, un lui a servi un coup de poing, je n’aurais sans doute pas fait moins. Les flics ont débarqué, le mec a été embarqué, et je me suis rendu compte à quel point les époques ont changé.

J’ai repensé à ma grand-mère et à ma mère en voyant cette jeune fille en larmes. J’ai pensé à ma fille. Et je me suis juré que le pauvre connard qui s’hasarderait à lui infliger ça, à la traiter de pute et de salope, je l’émasculerais, le détruirais, complètement.

 

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