« Une intime conviction » d’antoine raimbault est une œuvre cinématographique percutante, tant au niveau du scénario (antoine raimbault, isabelle lazard, et karim dridi) remarquablement écrit que sur le plan de la réalisation exécutée avec retenue et subtilité.
C’est un film qui pose des questions, comme toute œuvre cinématographique d’intelligence qui se respecte elle évite d’apporter des réponses et laisse donc le spectateur seul juge. Celui-ci en fera ce qu’il voudra.
L’histoire est simple : un ancien membre d’un jury est convaincu de l’innocence d’un accusé, le film suit son implication à l’innocenter et toute sa détermination envers et contre tout.
Un tel engagement pour ce que l’on croit juste demande des sacrifices. Tout sacrifice de la sorte dit une déchirure (intérieure, psychologique), prendre le risque de tout perdre et même de se perdre.
La caméra saisit cette conviction qui prend par les tripes, rationnelle et intuitive, cela peut s’expliquer mais cela n’est pas toujours évident à comprendre pour les autres. Quand on ne l’a pas ou que ne la vit pas, l’intime conviction est difficile à comprendre. Ou même tout ce que cela demande, implication, engagement, sacrifices. L’intime conviction comme généralement la conviction relève beaucoup de la croyance, et c’est elle qui oblige.
Avoir l’intime conviction du juste, contrairement à la simple conviction, ce n’est pas seulement y croire dur comme fer, c’est n’être pas en mesure de vivre sans avoir tout fait pour que l’objet de cette intime conviction soit accompli pleinement. Quitte même à être perçu(e) comme fou ou folle, quitte à être marginalisé(e), quitte à être plongé(e) dans une insupportable solitude, quitte à y laisser la vie, et tous les restes. Marina foïs personnifiant cette intime conviction est exceptionnelle, c’est peu dire.
Dans cette quête de la justice, obstinée comme personne, elle va convaincre olivier gourmet (génialissime acteur) campant le personnage inspiré de l’avocat éric dupond-moretti – monsieur acquittator, sans doute le plus tsunamique des plaideurs français depuis me vergès.
Le duo improbable, formant un couple étonnant et détonnant, traversant comme tout couple des hauts et des bas, apprenant à se connaître et se découvrant entre admiration fascination et quelquefois révulsion ou trahison, va prendre la défense de laurent lucas (alias jacques viguier) et se battra corps et âme, oscillant entre les attendues crises de doute et les fermes certitudes d’avoir raison, pour que justice soit faite tout en étant certain de rien, le duo fera de son mieux puisque le reste n’étant pas entre ses mains.
C’est donc un film palpitant, le cas jacques viguier est typique non pas de l’erreur judiciaire mais de l’acharnement judiciaire. Voilà une affaire de disparition, la conjointe de jacques viguier s’évanouit dans la nature du jour au lendemain.
Jacques viguier devient rapidement comme dans ce genre de situation le premier et principal suspect. Celui-ci est professeur de droit (public), il enseigne à l’université, et on le soupçonne de s’y connaitre donc en « crime parfait ».
Comme par hasard, la disparition de sa conjointe relève du crime parfait : pas de corps, pas d’arme du crime, pas vraiment de mobile (la raison principale par laquelle peut s’expliquer un événement, une action), pas de preuves, pas d’aveux. Impossible ainsi de prouver que le crime a eu lieu, par conséquent il y a là une inexistence de la faute. Bref, comme le dirait un pénaliste : le dossier est vide.
Un crime inexistant ou impossible – difficile – à prouver, mais les enquêteurs, juges d’instruction, procureurs généraux, sont convaincus que ce crime a bel et bien eu lieu, il est soit un crime passionnel soit un crime crapuleux. Beaucoup d’hypothèses, d’intuitions, et oui d’intimes convictions contradictoires.
L’amant de la conjointe de jacques viguier joue un rôle très actif dans le renforcement de cette conviction de culpabilité partagée par les enquêteurs et autres acteurs judiciaires de l’accusation. L’amant de la disparue est intimement convaincu de la culpabilité du conjoint. La belle-famille de jacques viguier croit en la culpabilité de l’accusé, elle en a l’intime conviction; les enfants du couple viguier soutiennent leur père et sont certains de son innocence, ils en ont l’intime conviction. L’affaire viguier, une bataille d’intimes convictions.
L’affaire viguier devient un grand feuilleton médiatique, emballement médiatique avec courses au sensationnalisme dit journalistique – comme il est coutume d’observer dans ce genre de cas.
Une bonne partie de l’opinion publique a déjà condamné jacques viguier à la potence. Les politiciens, les chroniqueurs et commentateurs médiatiques, les journalistes d’investigation, les éditocrates, bien entendu s’en mêlent et se positionnent. L’intime conviction partagée par la majorité est la culpabilité de jacques viguier.
Cette portion de faiseurs de culpabilité (et d’innocence) que sont ces influenceurs médiatiques, ces « représentants » de l’opinion publique, et cette large partie de l’opinion publique, exigent que le couperet de la guillotine s’abatte sur ce « monstre froid » qu’est jacques viguier – qui a su si bien exécuter le crime parfait, ce qui signifie qu’il est indéniablement d’une grande intelligence.
« Coupable », jacques viguier avant même le procès en première instance, exit donc la présomption d’innocence – « Je crois qu’il est coupable », « Il a une tête de coupable », « Je ne lui fais pas confiance », « Il n’est pas un saint », etc.
Jacques viguier passera neuf mois d’incarcération, subira une mesure de détention provisoire, et durant presque une décennie vivra dans des conditions de coupable avec tout ce que cela puisse impliquer jusqu’au premier procès durant lequel il sera acquitté par des jurés.
Le procureur général interjettera appel du verdict de la cour d’assises de la haute-garonne, et un second procès aura lieu.
Le film qui relate donc cette histoire rocambolesque. Un film d’intimes convictions de part et d’autre. Il commence à la veille du second procès et se prolonge jusqu’au second verdict de non-culpabilité prononcé par d’autres jurés.
Jacques viguier sera ainsi définitivement acquitté des charges pesant contre lui (le procureur général face à cette deuxième affirmation de la non-culpabilité de jacques viguier par les jurés, devant cette « vérité judiciaire » confirmée en appel, refusera de former un pourvoi en cassation, ce qui marquera la fin du feuilleton judiciaire qu’est l’affaire viguier après une décennie de diffusion et autres).
La scène selon moi la plus marquante de cette œuvre est la plaidoirie d’olivier gourmet jouant le rôle de dupond-moretti. C’est un frisson, un coup de poing.
Comme l’autre dirait : plaider, c’est bander; convaincre, c’est jouir.
Il y a quelque chose de la possession physique dans l’éloquence. Dans ses moments de lyrisme, mon maître s’exclamait : Plaider, c’est bander. Convaincre, c’est jouir. – L’Exécution (1973), Robert Badinter.
Le jeu d’acteur est extraordinaire (pour ne rien changer avec olivier gourmet), la puissance du verbe est une vague tsunamique rasant toutes les absurdités de ce procès devenu comme le dira dupond-moretti : « un concours lépine de l’hypothèse ».
Après, il n’en restera plus rien. Cette scène de la plaidoirie de l’avocat de la défense devrait sans doute être projetée aux étudiants en droit qui voudraient devenir des plaideurs ou des avocats plaidants, il y a tout ce qu’il faut en termes d’art rhétorique, oratoire : logos, ethos, pathos.
Il y a tout ce qu’il faut en termes de discours : charisme, souffles, vibrations.
Après la plaidoirie de l’avocat de la défense, on le voit bien à travers la caméra de raimbault que tout le monde dans la salle d’audience est désarçonné, les « Je crois que » « Je pense que » « J’ai senti que » « J’ai eu l’impression que » « Je l’ai vu dans ses yeux » – toutes les hypothèses – soufflés et balayés par la puissance du verbe.
Même le juge qui n’était pas si neutre que ça semble déstabilisé dans sa conviction, les jurés ébranlés, l’injustice est criarde. Tout le monde semble s’en rendre compte assez violemment. Il y a même si j’ose dire la prise de conscience de l’immoralité de ce qu’il serait approprié de qualifier de foutoir.
Cette scène est le grand moment de ce film qui dans son ensemble est clairement un des meilleurs qu’il m’ait été donnés de voir cette année. Un sacré coup de poing.