

« Avec une brutalité rarement égalée, doublée d’une superbe indifférence au scandale, il y exprimait sa révolte contre la société américaine, le pouvoir, l’argent, la famille, la morale. L’alcool, le sexe, les échos d’une vie marginale et souvent misérable y étaient brandis comme autant de signes de rupture… Depuis lors, l’auteur des Contes de la folie ordinaire, d’Au sud de nulle part, de Pulp, disparu en 1994, est devenu célèbre. Ce Journal, ici édité dans une nouvelle traduction et dans sa version intégrale, n’est pas seulement un des sommets de son oeuvre, c’est un classique de la littérature contestataire, qui conserve, aujourd’hui encore, toute sa fraîcheur. »

« La différence entre une démocratie et une dictature, c’est qu’en démocratie tu votes avant d’obéir aux ordres, dans une dictature, tu perds pas ton temps à voter »

« Toutes les histoires de Bukowski sont aussi vraies qu’infectes et, en cela, font honneur à la littérature : il raconte ce que les autres enjolivent et dissimulent. Le sexisme, la misère du quotidien, la violence et les sentiments de ceux qui se curent le nez. Et c’est pour ça qu’il gêne : il parle à tout le monde.Jean-François Bizot.Bukowski est un écrivain considérable. Un homme en marche. Un homme étincelant. Avec l’énergie du désespoir, il secoue comme un vieux sac notre civilisation fin XXe siècle. Et ce qui tombe n’est pas joli, joli. »
« Figure emblématique de la contre-culture, Charles Bukowski marqua les jeunes esprits et les moins jeunes de son époque par son humour mordant et son langage « torcheculatif », comme dirait Rabelais. Son époque fit de lui une vedette littéraire et ses lectures publiques avaient l’atmosphère électrique d’un concert rock. Deux œuvres en prose font la gloire, mais aussi la mauvaise réputation de Bukowski : un recueil de chroniques et un recueil de nouvelles.
D’abord, la publication du Journal d’un vieux dégueulasse lui vaut une première renommée -nationale- dans l’underground qui admire la posture du « vieux dégueulasse »; elle établit sa gloire et sa mauvaise réputation. Ensuite, celle des Contes lui vaut une seconde renommée – internationale – chez le grand public qui est partagé entre l’admiration et le dégoût.
Erections, Ejaculations, Exhibitions and General Tales of Ordinary Madness confirme la gloire et la mauvaise réputation de l’écrivain. C’est l’envers de la médaille : côté pile, il devient un écrivain-culte de l’underground, côté face, une persona non grata, un mauvais écrivain, pour l’institution littéraire.
L’année même de la publication française des Contes, en 1978, Philippe Sollers publie un compte-rendu intitulé « Bukowski ou le Goya de Los Angeles » dans Le Nouvel Observateur, puis une quinzaine d’années plus tard, à la publication française de Pulp, l’ultime roman de Bukowski, dans Le Monde, en 1995, il fait paraître un autre compte rendu, « Bukowski ou la folie ordinaire », où il fait de celui-ci rien de moins que l’inventeur de la littérature mauvaise : «Bukowski, c’est très reprehensible, a inventé la littérature mauvaise. »
Sollers jette les bases de sa définition de la littérature mauvaise à partir de l’œuvre de Bukowski, la dédicace de Pulp, to a bad writing, n’étant pas étrangère au concept même :
La littérature « mauvaise » a ses lois : démasquer la folie ordinaire, pointer la vérité désagréable en direct, forcer sur les détails scabreux qui révulsent l’hypocrisie générale, être lyrique avec ce qui n’a pas l’air de le mériter. Pas de naturalisme : la nature est un piège. Pas de populisme non plus, cette blague des nantis quand ils travestissent la déchéance. L’expérience personnelle, point. Le plus étrange est que la vraie bonté ne puisse venir que de là. Toute autre prédication est obscène .
Sollers trace ici les grandes lignes du programme des Contes, lequel demande selon moi vérification et approfondissement. En effet, qu’entend-on par « littérature mauvaise » ?
Est-ce synonyme de mauvaise littérature ? Voilà le genre de questions que soulève cette critique de Sollers, questions qui ont alimenté ma réflexion sur l’œuvre de l’auteur controversé.
Mon mémoire s’intéressera à l’œuvre de cet écrivain états-unien d’origine allemande autoproclamé le dirty old man, plus précisément à son livre le plus connu dans le monde francophone, Les Contes de la folie ordinaire.
Il s’agira d’opérer par cette recherche e renversement du statut du mauvais écrivain attribué à Bukowski à celui d’écrivain mauvais pour constater le projet en cours dans les Contes. Bref, cette étude montrera que ce que certains, tels que Pétillon, considèrent comme des défauts est plutôt la manifestation de l’originalité de Bukowski.
La problématique de mon mémoire peut se formuler de la sorte : comment se construit la figure de l’écrivain mauvais, mais d’abord, qu’est-ce que ledit écrivain mauvais ? Il ne faudrait pas le confondre avec le mauvais écrivain, c’est-à-dire le cacographe. Par « mauvais », il faut plutôt entendre selon la définition générale du terme : « qui est contraire à la loi morale », « qui ne suit pas les règles », « qui ne remplit pas correctement son rôle », « qui déplaît».
Mon hypothèse est que la figure de l’écrivain mauvais se construit d’abord par la désacralisation de l’écrivain-type. Bukowski désacralise l’écrivain en général, l’ennemi étant sans visage, et l’autre, l’écrivain en particulier, mettant un nom à l’ennemi. Il déchire à belles dents les représentants de l’institution littéraire, ayant une position officielle ou en voie d’en avoir une. D’un côté, on retrouve les prosateurs, Burroughs, Kerouac, Fitzgerald, Faulkner, Mailer, Henry Miller, etc. et de l’autre, les poètes, T. S. Eliot, Frost, Ginsberg, Pound, Robert Lowell, William Carlos Williams, etc.
Il procède non seulement à la désacralisation des dieux olympiens de la littérature états-unienne, s’attirant du même coup les foudres de la critique littéraire officielle, mais à la désacralisation des deux prix littéraires les plus prestigieux, se moquant à maintes reprises du Pulitzer et du Nobel. Il entreprend de manger un « ragoût » de culture états-unienne, savante ou populaire, de son époque et nous livre en quelque sorte sa digestion dans les Contes. De plus, la désacralisation de l’écrivain, mais aussi de l’homme, se manifeste selon moi sous deux formes : le rabaissement et la permutation du haut et du bas.
Chez Bukowski, le bas matériel et corporel prédomine : images du corps, du manger et du boire, de la satisfaction des besoins naturels, de la vie sexuelle.
Bref, nous avons là l’incarnation exemplaire de l’écrivain mauvais, lequel n’a pas la tête dans les nuages, mais les deux pieds sur terre. Avec une approche lecturale, le recueil, composé de soixante-quatre contes, peut se lire selon moi à la fois comme une entreprise de disqualification de l’image d’Épinal de l’écrivain-type made in USA (la société), préfabriquée, et de légitimation de la figure de l’écrivain mauvais, imaginée par Bukowski. Tel est l’effet de reticulation. Une telle lecture se légitime selon moi par le degré d’homogénéité dans les contes : le recueil s’homogénéise par le style et la récurrence des thèmes et des figures. Ayant retenu les leçons d’Hemingway et de H. Miller, Bukowski a un style dépouillé et aborde des thèmes tels que l’alcool, le sexe, la violence et la misère. »
– Éric Maltais, La Figure De L’écrivain Mauvais Dans Les Contes De Charles Bukowski, Automne 2012.

« Les catins ont quelque chose de romantique et de terrible et, bien entendu, c’est toujours un bon sujet pour un écrivain. De mon temps, j’avais essayé d’en sauver une ou deux. Ainsi que de transformer une nymphomane en quelque chose d’autre. Et une lesbienne en femme. Évidemment, ces tentatives avaient échouées. Pourquoi on s’embête avec ça ? Tout ce que j’essaie de faire aujourd’hui, c’est me sauver moi-même. »

» La beauté n’existe pas, la beauté ne dure pas. Toi, tu es laid, et tu ne connais pas ta chance : au moins, si on t’aime, c’est pour une autre raison. »
« Le public ne retient d’un écrivain, ou de ses écrits, que ce dont il a besoin.«
« La merde, on y était tous ensemble, là, au beau milieu de l’énorme cuvette des chiottes de la vie. Une fois la chasse tirée, on en serait tous évacués. » – (Extrait de Souvenirs d’un pas grand-chose).

« Une de ces nuits-là, et alors que toutes les lumières étaient éteintes et que, moi-même, j’étais noir, je me suis réveillé en sursaut, et soudain tout est devenu clair, si vous voyez ce que je veux dire. à savoir que j’ai clairement vu le foutoir. Son absence de perspective. et la grande tristesse qui s’en dégageait. m’appuyant sur le coude, j’ai alors laissé errer mon regard, mais tout le monde paraissait avoir mis les voiles. éclairées par un rayon de lune, il ne restait plus que des bouteilles de vin vides. avec en arrière plan un matin impitoyablement dégueulasse qui attendait de faire son entrée. »

« Ces foutus révolutionnaires de mes deux, qui traînent chez moi à boire ma bière et à piocher dans ma bouffe, tout en exhibant leurs nanas, doivent comprendre que la révolution se fait d’abord à l’intérieur de nous-même. »
« Avec brutalité et vulgarité, mais une vulgarité qui n’est jamais gratuite. Il faut avoir touché le fond pour risquer ce type d’écriture. Et le fond, on le côtoie à chaque page, tout ici n’est qu’alcoolisme, sexe, meurtres, débauches…. L’auteur nous raconte ses aventures de nomade, errant de ville en ville à la recherche de petits boulots ingrats et surtout de bars où il aime à passer le reste de son temps.Une promenade dans un monde crade et glauque.
Bref, à travers Bukowski, c’est un peu l’histoire d’un certain marginalisme américain qui nous est contée. Ces chroniques, désespérées et désespérantes, se veulent aussi contestataires. C’est une révolte contre la famille, la société américaine, l’argent, le monde du jeu,…
Mais malgré cette vulgarité, on continue de lire jusqu’au bout et on apprécie car, comme le disait si bien Sorcius dans une autre critique consacrée à cet auteur, Bukowski envisage sa triste situation avec un humour noir certes, et corrosif et une certaine autodérision. Il agrémente également ses chroniques de quelques traits d’esprit savoureux. Un style donc, mais je n’irais pas à le comparer à Céline comme certains l’ont fait par ailleurs! »

« La solitude me nourrit, sans elle je suis comme un autre privé de nourriture et d’eau. Chaque jour sans solitude m’affaiblit. Je ne tire pas de vanité de ma solitude; mais j’en suis tributaire. »
« Chez Bukowski, l’ivresse est joyeuse et la tendresse ronchonne. Avec mauvaise humeur, humour et crudité – une liberté de ton telle qu’elle stupéfia à l’époque Raymond Carver et Tom Waits -, il chronique la tragi-comédie du sexe, ses galères, sa passion pour la picole, ses gueules de bois à répétition, ses rencontres hasardeuses, sa détestation de la pantomime sociale.
Oubliez les cadavres de bières qui ont fait sa réputation d’écrivain destroy, sa prestation de rock star avinée sur le plateau d' » Apostrophes » en 1978, oubliez aussi Barfly (1987), le film de Barbet Schroeder qui l’a fait redécouvrir aux Etats-Unis.
Et avalez cul sec ces nouvelles où la fanfaronnade le dispute au ridicule, les emportements colériques aux transports érotiques. Oui, il y a du grotesque chez Bukowski. Mais un grotesque assumé. »

« J’ouvris la bouche, et mes dents apparurent. Quelle invention diabolique que les dents! On s’en sert pour manger. Manger et remanger. Nous sommes vraiment des être répugnants, programmés pour nous épuiser, notre vie durant, à accomplir de sordides petites tâches. Se remplir le ventre et lâcher des pets, nous gratter l’échine et nous souhaiter de joyeuses fêtes avec le sourire de circonstance. »
« Il n’y avait pas de vainqueurs. Ce n’était que de la poudre aux yeux. On ne cavalait qu’après le néant. Jour après jour. On se contentait de survivre. »
« Je ne suis pas un homme de réflexion, je fonctionne aux sentiments et mes sentiments vont aux estropiés, aux torturés, aux damnés, aux égarés, non par compassion mais par fraternité, parce que je suis l’un des leurs, perdu, paumé, indécent, minable, apeuré, lâche, injuste, avec de brefs éclairs de gentillesse ; salement atteint et conscient de l’être, cette lucidité ne m’est d’aucun secours, au lieu de me guérir elle me plombe. »
« Cette fille aimait tout ce qui m’ennuyait, et tout ce que j’aimais l’ennuyait. Nous étions le couple parfait: ce qui sauvait notre relation, c’était cette distance à la fois tolérable et intolérable entre nous. On se retrouvait chaque jour-et chaque nuit-sans avoir rien résolu et avec zéro chance de résoudre quoi que ce soit. La perfection. »
« Je lisais, parlais au public entre les poèmes, et buvais beaucoup de vin parce que c’était gratuit. Être payé pour boire, c’était encore plus miraculeux que d’être payé pour baiser. J’ai continué à lire et à boire. »
« Tout ce que la plupart des gens demandent, c’est trois bons repas par jour et un peu de baise et, sur la plus grande partie de la planète, au cas par cas, ces désirs élémentaires ne sont pas satisfaits. Et moi, le prolo inculte, bientôt soixante berges, assis dans le train de Paris avec une femme sublime, j’angoissais, je flippais, je maudissais mon sort. Quel petit crapaud, quel têtard j’étais devenu ! Et merde, quoi, je voulais le beurre et l’argent du beurre. »

« Écrire est une forme de survie, une nourriture, une vitamine, une boisson, une baise torride (…) Tout ce dont j’ai besoin c’est du papier, des rubans de machine à écrire, quelque chose à bouffer et un endroit où squatter – avec de préférence une fenêtre qui donne sur la rue, pas de chiottes sur le palier et une proprio avec de belles jambes qui lui font chuinter les cuisses et derrière laquelle on peut se glisser de temps en temps, elle contre moi, ici et là. »
« Des milliers de millions d’écrivains et leurs mots, leurs mots ne touchent même pas le papier. Mais Céline, il m’a donné honte du pauvre écrivain que je suis, j’ai eu envie de tout jeter par la fenêtre. Un foutu maître chuchotant dans ma tête, dieu, l’impression d’être redevenu un petit garçon.Tout ouïe. Entre Céline et Dostoïevski il n’y a rien, si ce n’est Henry Miller. »
« L’autre soir j’ai reçu la visite d’un éditeur et d’un auteur ( Stanley Mac- Nail de The Galley Sail Review accompagné d’Alvaro Cardona-Hine ) et le fait qu’ils m’ont trouvé négligé , la tête dans le cul , ne peut pas être entièrement de ma faute : le caractère de leur visite était aussi impromptu qu’un lâcher de bombe atomique .
Ma question est la suivante : Est-ce qu’un auteur à partir du moment ou il est publié devient une propriété publique susceptible d’être fouillée sans préavis ou bien détient-il encore quelques droits à une vie privée en tant que citoyen qui paye ses impôts ?
Serait-ce vulgaire de dire que le seul avantage à être artiste reste ( encore ) la possibilité de prendre ses distances vis-à-vis d’une société sur le déclin , ou s’agit-il simplement d’un concept tombé en désuétude ?
Il ne me semble pas que ce soit ignoble ou pédant d’exiger quelque liberté par rapport à l’esprit de clan malsain et la fraternité collante qui sévit dans beaucoup de nos soit-disant publications d’avant-garde . »
« On n’est pas écrivain parce qu’on a écrit des livres. On n’est pas écrivain parce qu’on enseigne la littérature. On est écrivain seulement si on peut écrire aujourd’hui, ce soir, dans la minute. Il y a trop de pseudo-écrivains en activité. Les livres me tombent des mains. C’est de la merde totale. On a juste laissé les vents puants balayer la moitié d’un siècle. »
« Je pense qu’on écrit beaucoup trop de poésie pour faire genre au lieu de penser au concept. Je veux dire par là qu’on essaie trop de faire sonner ces trucs comme des poèmes. C’est Nietzsche qui a dit un jour alors qu’on l’interrogeait sur le sujet : « Les poètes ? Les poètes mentent beaucoup trop ! » La forme du poème, par tradition, nous autorise à dire beaucoup en peu de mots, mais la plupart du temps on parle plus qu’on ne ressent, et quand on n’arrive pas à voir ou sculpter des mots, on s’en remet à la diction poétique, sur laquelle le mot ÉTOILE règne en nabab et en directeur général. »

« Comment un type qui ne s’intéresse à presque rien peut-il écrire sur quoi que ce soit ? Eh bien, j’y arrive. J’écris sur tout le reste, tout le temps : un chien errant dans la rue, une femme qui assassine son mari, les pensées et les sentiments d’un violeur à l’instant où il mord dans son hamburger ; la vie à l’usine, la vie dans les rues et dans les chambres des pauvres, des invalides et des fous, toutes ces conneries, j’écris beaucoup de conneries dans le genre… »