« « C’est une femme que j’accompagne depuis deux ans. Aujourd’hui, elle est contrariée. La fixité de son regard transperce l’espace qui nous sépare, son poing se serre et se desserre sur sa cuisse, elle se tient droite, tellement droite, comme forcée à la plus stricte verticalité par une colère qu’elle se refuse à exprimer par la parole, qu’elle contrecarre sitôt qu’elle apparaît dans son discours, notamment lorsqu’elle me décrit l’épreuve qui en est la cause : « J’ai découvert que mon compagnon me trompait. Cela fait six mois. Ce n’est pas un coup d’un soir mais une liaison. Ça a commencé quelque temps après la mort de notre fille. Je pourrais être en rage ! Vous imaginez ? Coucher avec une autre… alors que notre petite venait d’être mise en terre. On pourrait penser que je suis fâchée, j’aurais de quoi mais non. Non, non, pas du tout ! Je ne lui en veux pas du tout. Je le comprends. Je pense que c’était une façon pour lui de gérer son chagrin. »
Le procédé qui s’exerce ici, Freud l’a nommé la dénégation. Un fantasme, un affect inconscient affleure à la surface du conscient mais se voit bien vite démenti, évacué par la censure du moi. Lorsqu’on le connaît, on identifie souvent ce mécanisme de défense au quotidien ! Je pense à tous ceux qui déploient une énergie considérable pour expliquer que l’homme ou la femme dont ils parlent depuis des semaines leur est indifférent, ou encore à ceux qui argumentent inlassablement pour convaincre leur interlocuteur que tout va bien quand plus rien ne va, qu’ils n’éprouvent pas d’angoisse quand celle-ci aspire chacun de leurs souffles.
Néanmoins c’est en séance d’analyse qu’il s’observe avec le plus d’aisance, notamment lorsqu’un patient se dédie soudainement et avec ardeur d’une interprétation que lui propose son analyste. Pourquoi tant d’empressement à contredire un propos s’il lui paraît inexact ? Le sujet ne s’aperçoit pas de la mesure répressive qu’il exerce sans qu’on lui fasse remarquer et encore, l’intervention de l’analyste peut se solder par une consolidation de la résistance.
La découverte freudienne de ce stratagème inconscient est précieuse. Elle influence considérablement l’écoute du psychanalyste, qui peut, à travers cette parole renversée, se faufiler jusqu’au désir qu’elle s’emploie à réprimer. Bien sûr, il ne s’agit pas de faire valoir qu’un patient ressent toujours le contraire de ce qu’il prétend et que la moindre objection aux propositions du clinicien relève de la dénégation authentique. Qu’il soit interrompu, brusqué puis retenu ou qu’il s’écoule comme un fleuve limpide, le contexte général de l’énonciation et le vécu contre-transférentiel doivent toujours peser dans l’interprétation du propos.
Ici, cependant, la posture de ma patiente, son ton et ce que je connaissais de son passé ne laissaient que peu de place au doute : elle tâchait de réprimer l’agressivité que lui inspirait l’infidélité de son époux, qui réactivait également toutes les angoisses et toutes les pulsions destructrices causées par le décès de sa fille, et que son esprit s’acharnait à tenir à distance. Pour « demeurer une bonne personne ». Pour éliminer la haine face à la mort, inacceptable pour la société et intolérable pour le surmoi qui en stipule les règles dans la psyché. Pour que ne meure pas une fois encore son enfant. Pour ne pas lui en vouloir d’être décédée. D’être partie si tôt. » »

« Samuel Dock décrit le rôle de la psychanalyse dans la société et confronte la science de Freud au monde contemporain : développement personnel, médias, société de consommation, réseaux sociaux, genre, pornographie… Ces nombreux thèmes, exposés dans une langue précise et délicate, sauront à la fois initier le néophyte à la psychanalyse et questionner le psychanalyste chevronné.
Le lecteur est invité à découvrir l’envers d’une scène rarement dévoilé, mais surtout à partager la conviction que la cure analytique demeure un espace unique pour revivre son histoire intime et explorer les voies de sa transformation. »