The Blaze

 

Cela fait huit ans que je suis ici, huit ans que je n’ai pas vu ma famille, huit ans que je traverse les territoires de la destinée en me demandant très souvent à quoi tout ça rime et mène, et huit ans que je n’ai pas de réponse. Ce soir, j’ai en boucle dans le système sonore de chez moi le Territory de The Blaze, sur l’écran est projeté le clip de l’œuvre sonore, cela fait huit minutes que je me sens submergé d’émotions en regardant le personnage de ce clip vidéographique s’émouvoir du retour parmi les siens. On est un peu dans le césairien cahier d’un retour au pays natal, le cri révolté en moins, la force évocatrice en plus. C’est fort, bien joué, ça paraît si réel, le propre même du talent. Talent d’acteurs, d’actrices, de réalisateur ou de réalisatrice, je ne sais pas. Mais, ce que je sais, ce sont les émotions qui me submergent comme celles qui ébranlent le personnage principal, ce retour au bercail, cette vue des siens, ceux qui sont présents, ceux qui ont survécu, ceux qui sont absents, ceux qui sont partis – au loin et pour toujours.

Cela fait huit ans que je me suis construit un vide pour survivre dans cet exil un peu comme le désert d’atacama saisi avec justesse par un skarmeta sous les nordistes cieux chiliens, que j’ai choisi de presque rien ne plus ressentir pour rester vivant, que j’ai fait le choix de ne pas me souvenir pour espérer et construire l’avenir. Cela fait huit ans, déjà, que je ne me souviens plus si j’ai vraiment existé avant d’être ici, si tout ça ce passé ces origines n’étaient que dans mon imagination, si tous ces proches qui m’appellent quelquefois ne sont en fin de compte que des projections de mon imaginaire, si toute ma biographie avant l’exil en fin de compte n’est qu’un doux et nostalgique récit d’un passé qui n’a jamais été. Cela fait huit ans.

Hier, j’ai appris une nouvelle qui m’a surpris. Une bonne nouvelle qui m’a laissé un peu beaucoup de marbre, sur le coup. Princesse J. m’a dit : « Je n’arriverais jamais à te saisir ! Tu es si froid, indifférent, devant de bonnes nouvelles, et si sensible face au pire ! » J’ai voulu lui dire : « C’est comme ça que je suis. » Mais, tu le sais, je n’ai rien dit, j’ai souri à la place. Et dans son regard il y avait ce « Qui es-tu ? Es-tu vraiment normal ? » que je vois si souvent dans le regard des autres. Comme eux souvent dans le mien. Double questionnement que l’on s’échange dans cet espace si étrange qu’est l’intersubjectivité, où il y a quelque chose sauf la vérité, où il y a quelque chose qui a trait aux masques, où il y a quelque chose sauf nos nudités, où il y a quelque chose qui souvent ou trop souvent ne fait aucun sens ou a si peu de sens, où il y a quelque chose qui fait sens et a du sens et nous nous méprenons toujours un peu beaucoup sur lui, où il y a quelque chose qui se porte dans ce face à face dont la tension de la présentation ou de la confrontation nous prépare tant au pire. Double questionnement auquel généralement j’ai envie de répondre : « Veux-tu vraiment savoir ? » Mais, je me tais et je souris. Cela fait huit ans.

 

 

Cela fait huit ans, au fond pour te l’avouer, que je m’en contrefous éperdument. Je ne sais « qui » du « es-tu », mais je sais intuitivement que le je suis du « es-tu » comme toi aussi tu sais que « tu es ». Je sais ce que ça veut dire être normal, je sais ce que ça exige, et je n’en ai strictement rien à cirer. Qui décide du normal ? Qui décide que le normal n’est plus normal ? Sur celui-là ou celle-là, je pisse dessus. Cela fait huit ans, que je ne cesse de pisser. Que je ne m’arrête pas. Pisser, sur les histoires pissantes, sur les fleurs qui poussent dans les pissoirs. Pisser en jets d’une intensité libératrice, dans le silence et avec le sourire.

Hier, l’on m’a dit : « Je te vois (enfin) », j’étais dans le désert, je me suis déshabillé et mon corps mon esprit mon âme ont sous les cieux d’un soleil aussi incandescent qu’incendiaire été réduit en cendres, le vent balayant la fournaise s’est débarrassé des restes. A chaque fois, c’est la même histoire. C’est lorsque que l’on me voit que je disparais, le visible n’étant visible que quand il est invisible. Cela fait plus de trente ans que c’est la même histoire, et personne n’arrive jamais à la raconter à la lire à la comprendre comme il est adéquat, son auteur surtout, à l’instar de tous ces autres auteurs et autrices. Hier, l’on m’a dit : « Je te vois (enfin) », et le soleil m’a réduit en cendres.

Cela fait huit ans, que mon territoire n’est pas césairien, le retour aux origines n’est pas possible ; les origines n’étant qu’imaginaire et l’imaginaire une quête de réenchantement du réel, le réel un désert, le retour aux origines n’est possible. Il naît possible que dans l’imaginaire, ensuite le reste est l’œuvre que l’on en fait. Réenchantement ou désenchantement, comme le désert tout est ouvert. Cela fait huit ans que de ce tout est ouvert je n’ai aucune réponse. Et huit minutes que The Blaze m’émeut. Je n’arriverai jamais à (me) saisir. A saisir, tout court, tout simplement. Telle est au fond la question. Et le désert de me répondre (enfin) : « Veux-tu vraiment le savoir ? »

 

 

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« I got morals on Sundays, sometimes on Wednesdays
Really, it depends »

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