Champlain des Tropiques : Fin du Premier Chapitre

 

Depuis la fin de l’automne dernier, j’ai le sentiment ou l’impression que je suis arrivé à la fin du premier chapitre du drôle de roman qu’est « Champlain des Tropiques », le roman de mon existence. Ou dois-je dire d’un des fragments de mon existence commencé en ces nouvelles terres il y a plus de huit ans, précisément en mars prochain neuf années. Je crois être arrivé au bout d’un cycle, cette année me semble être transitoire ou de transition durant laquelle je vais récolter ce que ces dernières années j’ai semé en mal comme en bien. L’année prochaine me donne l’impression qu’elle sera celle d’un cycle nouveau du fragment de mon existence ici, j’ignore tout de ce qu’il adviendra, je ne saurais dire si les neuf prochaines années seront pour moi comme les neuf cercles de l’enfer ou pire encore, je ne sais pas ce qu’il m’attend, mais ce qu’il m’est possible c’est avoir la force d’y faire face en étant à la hauteur des valeurs que l’on m’a inculquées, d’avoir assez d’humanité pour résister à l’inhumanité enfouie en toute personne, d’avoir assez d’amour pour embrasser ce qui me fait horreur, d’avoir assez de sagesse pour voir dans chaque situation une opportunité d’apprentissage de quelque chose de bon, d’avoir assez de courage et donc de force pour continuer à avancer dans la nuit avec ses chemins de tous les dangers où autant les monstres et les magnifiques errent, avoir assez de peu de chose pour ne pas sombrer et me faire engloutir par toutes choses.

Depuis la fin de l’automne dernier, il y a en moi ce truc indicible, presque indescriptible, que ce chapitre se ferme doucement. Cette année, c’est l’heure de la tempête pour le semeur du vent, c’est l’heure du karma afin que mon âme débitrice rende gorge à tous mes créanciers et créancières de toutes sortes, c’est l’heure comme les lannister diraient de payer ses dettes, c’est l’heure de faire face et j’espère de le faire de mon mieux. Les dernières pages de ce chapitre sont écrites par d’autres et toutes sortes de choses, ce qui n’est pas très inhabituel puisque les romans de nos existences contiennent tant de pages dont nous ne sommes pas vraiment les auteurs sans cesser d’en être les personnages principaux. Ou me dira-t-on que nous en sommes : soit des auteurs indirects si l’on tient compte du fait qu’il ne s’agit que des moments de conséquences de nos actions, soit les principales sources d’inspiration des auteurs dans la mesure que nous sommes les sujets. Dans tous les cas, au fond, ce sont les autres qui tiennent la plume. Et généralement, on peut y apprendre beaucoup de choses, de nous surtout, d’eux aussi, des leçons à en tirer pour pouvoir (ou non) avancer autrement ou humainement autrement, voire autrement humain.

Cette année, les autres et les choses passées, qui reviennent réclamer que je me comporte comme un lannister, tiennent la plume. Les dernières pages du chapitre portent le titre de la nudité, de la mise à nu comme un dévoilement, dans une furie tempétueuse hivernale tropicale ou désertique – on verra bien, des dernières pages comme un roman choral qui exigent d’abord de moi l’écoute attentive, entre le crépuscule du tourment et le savoir perdre ou le qu’as-tu fait de tes rêves voire l’ouragan et peut-être la fuite en héritage au milieu des seules bêtes prisonnières inconscientes du sablier des âmes, des dernières pages comme un vitrail composite d’hétérogénéités reproduisant fidèlement mes actions posées et vitrail mis en forme tant bien que mal ou l’inverse par des artistes qui pour beaucoup s’ignorent, des dernières pages de disparition de ce qui manifestement devait ne plus être, des dernières pages de choses mortes qui ne devaient plus être, des dernières pages de mises à distance ou de déplacement au loin – loin de tout – de ce qui était proche ou pris comme tel, des dernières pages de révélations de ce qui était mal vu ou peu vu comme une reconnaissance juste ou une juste reconnaissance, des dernières pages de confirmation de ce qui était bien vu ou beaucoup vu comme une déception ou une tristesse mêlée d’un sentiment de gâchis, des dernières pages de colères et de rages de ce qui était aimé de toute force et qui n’a pas été vécu quand il le fallait ou comme il le fallait ou peut-être qui l’a été sans totalement pleinement l’être, des dernières pages de trahisons et de rancœurs de ce qui était estimé de tout son cœur et qui n’a pas été à la hauteur quand il le fallait ou comme il le fallait ou peut-être qui l’a été sans totalement pleinement le rester, des dernières pages de remords et de frustrations de ce qui était rêvé espéré de toute son âme et qui n’a pas été au rendez-vous quand on l’y attendait ou comme on aurait voulu qu’il se présente ou peut-être qui y a été sans totalement pleinement y être, des dernières pages d’espérance de ce que l’on désire du plus profond de soi et qui sera ou non quand il le faudra ou pas ou comme il le faudra ou pas ou peut-être qui le sera ou non sans totalement pleinement l’être. Je découvre, depuis la fin de l’automne dernier, plus encore ce début d’année, toutes ces dernières pages d’une fin de chapitre.

 

 

Il y a peu d’attente, chez moi. J’ai appris durant ce cycle à accepter de ne pas pouvoir être le maître des horloges, la maîtresse qu’est la destinée, voire à comprendre que vouloir l’être n’était d’aucun véritable intérêt. Cela est au-dessus de mes capacités humaines, cela est au-dessus de mes forces humaines, et même si cela ne serait pas le cas je ne crois pas que cela soit essentiel ou indispensable pour vivre pleinement humainement – ce qui est la seule exigence ou le seul devoir consubstantiel à mon existence. Je n’ai pas d’attente par rapport à ce qui s’écrit dans les dernières pages, à ce qui vient, à ce qu’il adviendra, mon existence d’humain attend en revanche que je vive l’immédiateté du mieux et du plus fort de l’humanité. Il y a peu d’angoisse, chez moi. J’ai appris durant ce cycle à accepter les choses comme elles viennent se présentent passent crèvent ressuscitent, j’ai appris à accepter la mort et l’éternellement recommencement des choses, voire à ne pas m’attacher à la déchéance et la renaissance de la matérialité des choses parce que cela est épuisant ou épuise mes capacités et forces humaines qui ne sont plus dès lors pleinement disponibles pour l’essentiel : l’humanité. Let it go, non pas comme un désinvestissement mais davantage comme un non-investissement excessif. Les morts ne sont jamais morts, comme l’on dit d’où je viens, ou comme l’autre le dirait rien ne se perd tout se transforme. Cela ne laisse pas beaucoup de place à l’angoisse, cela exige d’être simplement attentif à ce qui n’est jamais mort ou à ce qui n’est jamais perdu. Je l’ai appris durant ce cycle d’existence, dans ce fragment d’existence.

En fin de compte, je ne sais pas ce qu’écriront les autres et toutes ces choses dans ces dernières pages de fin de chapitre, depuis la fin de l’automne dernier et depuis le début de cette année je le découvre et j’en apprends beaucoup, autant sur moi que sur eux, cela en ce sens a du bon. Je n’ai aucune idée de ce que contiendra le prochain chapitre de ce roman qu’est l’existence de ce drôle de champlain des tropiques ayant débarqué de presque nulle part et ayant choisi ces nouvelles terres comme un promesse d’espérance. Ce champlain des tropiques en ces terres inconnues et vues comme cet inespéré espace des possibles. De tous les possibles. J’ignore ce que j’écrirai dans ce prochain chapitre qui relatera mon prochain cycle d’existence, ce fragment d’existence à venir. J’ignore qui et quoi en seront à la fois les personnages et les sujets, l’intrigue et les histoires, les récits et les imaginaires. Sera-t-il misérable, mortifère, pitoyable, pathétique, médiocre, et presque rien du tout ? Sera-t-il poussières et cendres ? Sera-t-il cauchemardesque et sombre comme l’encre de ma plume ? Sera-t-il seulement ? Je n’en ai aucune idée.

 

 

Si j’ai appris une chose fondamentale depuis mon enfance, c’est que je ne puis me permettre ni de rêver ni vraiment d’espérer, car toutes les fois que je me suis laissé tenter par le rêve et l’espoir voire l’espérance j’ai reçu le dystopique le cauchemardeux la déception la tristesse, j’ai reçu la violence du scenario catastrophe, j’ai reçu le déluge et beaucoup de ce qui en intensité de toutes sortes relèverait presque de l’apocalypse biblique. Depuis mon enfance, en toute franchise, je refuse de rêver et d’avoir espoir, de m’autoriser l’espérance ou les espérances. Depuis mon enfance, j’ai appris à ne pas me laisser tenter par le rêve et l’espoir, à simplement faire du mieux de mes capacités et forces humaines et à laisser la destinée ou que sais-je prononcer son jugement et exiger de moi que j’y fasse face. Tenter, tu noteras sans doute dans ce choix de terme toute l’influence de mon éducation jésuite. Tentation, comme l’épreuve fondatrice de notre condition humaine ou notre humanité que les premiers êtres fantasmagoriques – qu’étaient adam et ève vivant dans ce lieu d’un édénique invraisemblable – ont lamentable échoué ou remarquablement réussi (tout dépendamment d’où l’on regarde les choses et comment on les voit). J’ai appris à ne pas céder à cette tentation du rêve et de l’espoir, par expériences et peut-être par crainte presque irrationnelle de violer un interdit.

Ainsi, si j’ignore ce que contiendra ce prochain chapitre qui s’ouvre à la suite de celui qui se ferme depuis peu, ce que je sais c’est que la plume qui l’écrira plongera dans un encrier sans rêve ni espoir. Et pour le reste, les restes, comme il se dit d’où je viens : on verra bien.

 

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