Ce qu’il va le plus me manquer les prochains mois, c’est l’accès à la diversité des connaissances et des savoirs. Depuis plus de deux ans, j’ai accès à cette diversité du fait de mon appartenance à la communauté universitaire, comme membre de cette communauté je peux dans le cadre de mes recherches me connecter à divers univers ou multivers d’une grande pluralité sans avoir à débourser d’importantes sommes d’argent. Des livres, des ouvrages, des monographies, des revues, et tellement d’autres œuvres de l’esprit, à portée d’un clic. En temps normal, cet accès me coûterait les yeux de la tête, comme membre du peuple d’en bas, ce peuple de pauvrards et de crevards, je ne pourrais me le permettre, donc tout un pan des savoirs et des connaissances serait inexistant pour moi. Je ne saurais que ce qu’il m’est accessible de savoir, ce qui est relativement possible pour ma bourse, je serais ainsi incapable véritablement d’avoir accès à toute l’information plurielle substantielle me permettant de me faire une véritable idée des enjeux contemporains, de les analyser voire de les évaluer peut-être adéquatement. Et c’est à partir de cette insuffisance (dont je n’aurais jamais eu conscience) que je devrais dès lors me faire une opinion ou me positionner dans les débats publics, pour dire choisir sans être véritablement éclairé. Moi, le citoyen lambda, comme toi, comme nous tous.
Sans cette appartenance à la communauté universitaire, je n’aurais pu avoir accès à tout ce qui ici m’a permis dans certaines publications (varia et autres) de montrer la variété des opinions intellectuelles ou scientifiques sur des sujets contemporains, variété à partir de laquelle toi moi nous puissions nous en faire une idée, mais surtout qui nous oblige à avoir l’esprit critique si nécessaire dans le combat contre le dogmatisme l’endoctrinement le fondamentalisme idéologique conduisant tant : à l’ignorance, à l’aliénation, à l’aveuglement (presque suicidaire), à l’intolérance, à la stigmatisation, à la manipulation abusive, à l’assujettissement, à l’exploitation. Etc. Etc. Tous ces discours de vérité qui montrent à quel point rien n’est jamais vraiment aussi simple, discours qui causent ou provoquent – sans souvent en avoir l’intention – un certain scepticisme salutaire favorisant le questionnement du fond et de la forme des choses, des objets de telles vérités.
Ces discours de vérité qui obligent au nomadisme, c’est-à-dire à un quasi permanent déplacement dans des réalités légitimes et qui ont du sens (pour ne pas user de cet anglicisme populaire qu’est « faire sens »), quelques fois objectives dans le sens d’analyses critiques et nuancées, quelques fois propagandistes dans le sens le plus malhonnête intellectuellement parlant (et je fais ici référence à la malhonnêteté intellectuelle telle que formulée par popper), mais toutes toujours idéologiquement (et autres culturellement socialement politiquement etc.) enracinées quelque part. Ces discours de vérité ou ces propositions de vérité, contradictoires ou complémentaires, montrent à quel point toute pensée n’est neutre dans son saisissement (ou son entendement) du réel, toute pensée n’est à elle seule suffisante pour comprendre le réel, toute pensée n’est infaillible dans son raisonnement.
Toute œuvre de l’esprit, toute œuvre humaine, ne saurait être neutre (d’où l’impératif de l’objectivité). L’être humain est une biographie. L’être humain n’est pas un vide, une page blanche, il est pollué de valeurs et de sensibilités, de croyances et il est pétri de certitudes, il est un être normatif véhiculant et produisant des normativités, il est toujours localisé (ou enraciné culturellement et idéologiquement etc.) quelque part et ce qu’il pense (voit dit crée construit) ne peut échapper à cette réalité – cela se lit, s’entend, se voit, très bien. Par exemple, cela est observable dans la description que l’on fait de quelque chose.
Décrire quelque chose n’est pas neutre, l’écran linguistique et la perspective adoptée – entre autres choses – est chargé (voire surchargé) de sens et de significations, de symbolique et d’idéologie, de valeurs ou de sensibilités, de mémoires et d’expériences archivées, etc. Si on faisait l’exercice de demander à un groupe d’individus venant d’une diversité d’origines (à l’instar notamment du non-partage du même cadre cognitif) de décrire une montre, l’on serait (peut-être) surpris de constater que la façon de voir et de présenter les propriétés physiques ou matérielles de cette montre à travers le lexique le vocabulaire la syntaxe et autres est si diversifiée, on serait à peine surpris de constater que ces visions et ces présentations renvoient à une pluralité de représentations, etc, de la même chose (comme objet matériel). Ils parleraient de la même chose (ou du même objet) dans leurs diverses réalités, sans que celles-ci ne soient totalement dénuées d’objectivité. Objectivité : non pas comprise dans le sens d’impartialité ou d’approche impersonnelle, mais dans le sens de conformité à des exigences d’objectivité comme normes balisant les productions des savoirs / connaissances telles qu’édictées par une communauté particulière d’êtres pensants.
Décrire est toujours incarné (par celui ou celle qui décrit, par celle ou celui qui lit ou comprend la description). Cela ne peut être totalement impartial, dépersonnalisé ou absolument impersonnel (ce n’est pas parce que l’on évite de dire « je » dans une description que le sujet qui décrit n’est pas dans sa proposition ou qu’il ne soit pas possible de déterminer un tel sujet à partir des termes structurations constructions de sa proposition descriptive, il n’y a jamais d’action descriptive ou d’action analytique sans sujet réel, sans une visée particulière, sans un destinataire identifié préalablement, nous habitons toujours chacune de nos actions descriptives ou analytiques, nous construisons d’abord à partir de nous êtres très personnalisés et très personnels, etc.).
Mais, formuler sa description peut être (doit être) un impératif d’impersonnalisation (ou dépersonnalisation) afin de pouvoir d’un répondre à l’exigence de généralisation et de deux à l’exigence démarcation de la simple croyance (subjective). Ces deux exigences sont inhérentes à l’obligation (scientifique ou intellectuelle) de formalisme (respect scrupuleux d’une forme épurée de nos subjectivités expressives, conformité aux règles du faire acceptable ou conventionnel distinguant les jugements de valeur des jugements de fait, etc.). En formulant donc objectivement, on dépouille l’excessive subjectivité, on se tient à distance de nos différentes sensibilités (inclinations, etc.), l’on se soumet à l’exercice critique des termes et constructions adéquates qui se rapprochent non seulement le plus près (précision) de l’objet tel que l’on le perçoit (ou tel qu’il est observable) mais aussi le plus proche possible du standard général de compréhension (de la communauté d’individus destinataires véritables de sa proposition descriptive ou je dirais de la banale personne). Il y a ainsi dans la description formalisée ou formelle de l’objet une obligation d’épuration, de précision, et de généralisation. C’est selon moi (et je puis me tromper) lorsqu’une description remplit cette (triple) obligation qu’elle est (ou peut seulement être) considérée comme objective, et l’esprit l’ayant produite vu comme objectif. Il s’est déplacé hors de soi ou a soumis sa perception de l’objet ou la chose à l’évaluation critique (épuration de ses propres inclinations), il a intégré dans son examen les éléments substantiels de l’objet en disqualifiant certains prédicats ou données non-nécessaires au véritable saisissement (épuration des faits ou données superflues), et cela dans le but qu’elle soit validée partagée et qu’elle s’inscrive dans un régime de vérité. C’est selon moi le sens fondamental de l’objectivité : le fait de se mettre à distance raisonnable de sa propre subjectivité sans toutefois que cette mise à distance critique et rigoureuse ne dise que l’esprit soit neutre (sans parti pris, sans être engagé d’un côté, sans se positionner ou être positionné quelque part, sans être vide de tout influence, etc.).
De la sorte, attendre ou exiger des individus la neutralité (ou l’absolue neutralité) est comme cette injonction du « connais toi toi même » ou cette prétention de la vérité (des choses et de soi), c’est-à-dire cela relève du surhumain. Ce qui en revanche est dans les capacités humaines, c’est au moins l’effort d’objectivité.
J’ai toujours vu en l’objectivité une des plus formidables inventions de nos esprits si partiaux et si souvent (inconsciemment d’ailleurs) prisonniers de nos représentations. L’invention de l’objectivité est l’invention même de l’être moderne – celui construit de toutes pièces en opposition à l’être primitif, cet être dit moderne a si souvent été historiquement et idéologiquement l’idéal référentiel hiérarchisant les êtres humains au-delà de la démarcation entre l’acceptable et le légitime. L’objectivité, c’est l’invention des limites de la tolérance face au pluralisme des sens subjectifs, l’invention d’une sorte de croyance rationalisée ou tout au moins passée par le régime de la mise sous critique. Au fil du temps, pour ne rien changer à notre nature humaine, nous avons fait de l’objectivité une arme de domination, d’exploitation, d’assujettissement de toutes autres formes de croyance en dehors de la nôtre propre.
De nos jours, il suffit de voir à quel point l’objectivité est mobilisée pour disqualifier toute contestation de la doxa, du dogme, du totalitarisme d’un savoir qui n’a plus de scientifique que sa qualification nominale et qui est de plus en plus de l’ordre du religieux le plus fondamentaliste. Une science qui prétend dire la vérité des choses est une religion (elle n’est donc plus de la science), une science qui prétend être d’une objectivité absolue est un mensonge ou a quelque chose d’extrêmement problématique dans sa capacité à se critiquer elle-même (et a progressé dans ses méthodes de découverte de connaissances ou de constructions du savoir), une science qui prétend être bonnement factuelle est un discours vide (de sens) et incompréhensible, une science qui prétend être imperméable à la faillibilité et à la subjectivité est une malhonnêteté et en ce sens ne vaut pas plus que les « mensonges » « illusions » « absurdités » et autres « fantasmagories » qu’elle a pour mission de dénoncer (car oui la science est une dénonciation du « n’importe quoi » avant même d’être un discours d’ordonnancement du sens et des significations des choses et des êtres). Une science qui ne peut remplir sa juste fonction de progrès (collectif) de l’humanité – c’est-à-dire qui ne puisse être susceptible de trouver une application concrète dans le développement de l’humanité – est une irresponsabilité doublée d’un savoir dangereux (au-delà d’être complètement inutile). La philosophie a tellement fait progresser l’humanité en réfléchissant sur des notions abstraites mais si propres à l’être humain à l’instar de la justice, de la dignité humaine, de la liberté, de la morale, de la démocratie, etc. Etc. La physique, la biologie, la sociologie, la science politique, etc., dans d’autres domaines, aussi. Les scientifiques et les intellectuel(le)s qui prétendent n’avoir rien à cirer de cette fonction de la science ou qu’ils la nient se racontent n’importe quoi ou bien plus grave sont parfaitement inutiles si ce n’est dangereux pour l’humanité. Et bien entendu, sans (jamais) être neutre, je le dis en toute objectivité (en m’appuyant sur les raisons nous ayant poussées à faire science et sur notre histoire humaine qui est aussi celle de ces épisodes dans lesquels faire science sans conscience de l’humanité a mis en péril l’humanité – eugénisme, colonialisme, armes de destructions massives, etc.).
Lorsque l’on entend partout parler dans nos actualités d’objectivité afin de bâillonner tout sens alternatif et légitime du réel, de censurer toute signification pertinente du réel, afin de justifier et naturaliser un certain récit de vérité faisant les intérêts (peu nobles) de certains groupes ou individus, c’est simplement un acte de domination et un autoritarisme. C’est simplement une instrumentalisation de l’objectivité à des fins de relations de pouvoir, et c’est en soi une facilité qui permet d’écarter un peu de façon condescendante des arguments qui ne font pas notre affaire.
Cela se voit se lit partout ces derniers temps, on considère qu’une femme voilée ne peut être féministe car objectivement dit-on le voile est antinomique au libéralisme (dont le féminisme est une variante puisqu’il s’agit de l’égale liberté d’être ou de pouvoir être avec le respect de soi par autrui qui lui est inhérent) ou à l’être véritablement libre (alors qu’objectivement, il n’existe pas un seul libéralisme ou un seul sens de libéralisme et que fondamentalement / formellement en tant que faculté / capacité d’auto-détermination moralo-empirique ou critère nécessaire à la phénoménalité du moi la liberté ne saurait être substantiellement définie – le cas échéant ce n’est plus la liberté). On brandit un rapport d’experts que l’on présente comme objectif pour dire neutre (sans parti pris, sans influences) et dépersonnalisé, on s’appuie sur une « vérité » de scientifique(s), on bâtit la propagande sur la soi-disant objectivité des faits (donc par un certain glissement ou une habile confusion sur la pseudo neutralité analytique ou descriptive, ce qui signifie ainsi la « vérité » des choses). Et quand tu lis le fameux rapport, tu prends le temps de lire les rapports critiques de ce rapport, tu découvres que leur vérité dite objective est hautement problématique scientifiquement et intellectuellement (méthodologie par exemple), tu découvres que les dits experts sont payés par un certain consortium aux intérêts bien spécifiques ou que le rapport a été commandité par certains groupes économiques, tu découvres que la « vérité » si « objective » de scientifique(s) est dans le rapport beaucoup plus nuancée que ce qu’ils disent (hors du rapport, par exemple dans les médias) ou ce que les médias en disent, tu remarques dès lors que tout ça est en réalité une question ou un enjeu politique – dans le sens d’affrontements de pouvoirs.
Trop d’instrumentalisation de l’objectivité en notre ère, ce qui n’est pas nouveau, la supposée objectivité scientifique ou intellectuelle a si souvent été historiquement au service de l’hégémonie, du totalitarisme, de l’obscurantisme, de l’impérialisme, etc. Etc.
De nos jours, je crois, ce n’est pas tant l’ignorance ou la manipulation abusive des faits qui constituent la plus grande menace pour l’humanité pensante mais l’instrumentalisation de l’objectivité dite scientifique ou intellectuelle. Et celle-ci questionne avant tout l’honnêteté et la transparence intellectuelles voire scientifiques (éléments essentiels du pluralisme des savoirs et des connaissances, éléments fondationnels de la confiance – pour emprunter le terme fondationnel cher à mon inestimable Me Jedi Ryoa).
On le voit partout, du changement climatique au féminisme en passant par tous ces enjeux à l’instar des crises de l’immigration, de la lutte contre la pauvreté (ou précisément des pauvretés) ou des injustices (sociales, etc.) qui sont déjà en soi d’importance sans qu’il faille en rajouter, sans que cela ne soit transformé en dogmatisme fondamentaliste qui dans une dynamique fascisante fasse taire la moindre critique ou tout travail objectif d’évaluation critique. Notre plus grande menace, qui elle aussi n’est pas nouvelle sans cesser d’être d’une importance vitale, elle est là.
L’objectivité (des faits) donc, toujours accolé comme tant d’autres trucs à la justification moralo-éthique du « bien faire » ou « faire le bien » et qu’importe si cela est foncièrement injuste (voire peu justifiable au regard des idéaux de justice), l’objectivité donc comme arme du totalitarisme, notre contemporanéité indubitablement est créative et originale ou tout au moins a poussé la créativité et l’originalité à son paroxysme. Sainte objectivité de la pensée, nous sommes donc sommés de dire « Amen ». Sainte neutralité (de la pensée) à l’aura mystique, nous sommes donc sommés de hurler « Alléluia ». Comme si le savoir est le produit d’un néant et sans influences, comme si la connaissance est une vérité infaillible, comme si les intellectuel(le)s ou les scientifiques sont des surhumains en lévitation au-dessus de ces vils sentiments que sont l’orgueil l’égocentrisme le matérialisme le narcissisme le dogmatique et toutes sortes de convictions inhérentes à la condition humaine.
Tu entends des personnes te dire : « Il faut être objectif », ce qui se traduit en fait par un « Tu dois accepter ce que je te dis » dans le sens le plus alléluia du truc. Tu entends des gens parler de « fake news » parce que ce n’est pas « objectif », ce qui revient très souvent à dire : « J’ai le monopole de la vérité, donc tu dois penser comme moi ». Tu entends des individus se scandaliser de la radicalisation voire du radicalisme des « alternative facts » devant « l’évidence des faits objectifs » qui au fond n’est simplement rien d’autre qu’une identification et une traduction de ce qui est identifié valable seulement dans un système normatif de validation ou un univers symbolique de compréhension. L’objectivité comme synonyme à « ferme ta gueule », l’objectivité comme synonyme de « la vérité, c’est moi ! ».
Encore une fois, l’objectivité a souvent été et est dans notre contemporanéité une arme dans les guerres un peu imbéciles et dérisoires (comparativement non seulement à l’essentiel et à la réalité relativiste, mais aussi à la nature même du savoir qui est celle d’une quête permanente de la proposition temporaire de sens et de significations la plus suffisante et satisfaisante susceptible d’expliquer de façon générale – et plus ou moins simplificatrice – la complexité du réel).
Lorsque les sympathisants d’un homme politique parlent de faits alternatifs, la question de l’objectivité n’est pas celle des faits qui parlent d’eux-mêmes (car les faits ne parlent jamais d’eux-mêmes) mais de leur soumission à une analyse critique donc intégrative de l’objection (que l’on croit posséder le sens « vrai » des faits ou le « sens alternatif » des faits). Comme j’ai essayé de le présenter plus haut, chacun a le droit (voire même le devoir) de contester un savoir et une connaissance, de présenter sa propre description (compréhension) des choses, mais pour qu’elle soit objective ou qualifier comme telle cette proposition n’a d’autres choix que d’être soumise à une mise sous critique – c’est-à-dire d’épuration, de précision, de généralisation. Elle n’a d’autres choix que de pousser celui ou celle qui pense à se déplacer hors de soi et à pénétrer voire envisager d’autres réalités. Elle n’a d’autres choix que de se formuler dans un langage minimalement intelligible et d’être une production issue d’un processus formaliste. Ainsi, autant les « faits alternatifs » et les « true facts » ne peuvent se présenter comme objectifs sans cette mise sous critique (sans qu’ils ne perdent de leur légitimité).
On ne peut dire qu’un fait est vrai parce qu’il est objectif : l’objectivité n’est qu’un critère de la véridicité, elle n’est pas toujours relative à la logique ni formelle ni naturelle, elle est comme processus critique de formation / production du savoir nécessaire à la dialectique. En outre, on ne peut dire qu’un fait est vrai simplement parce qu’il découle d’une longue tradition d’acceptation (que ce fait est vrai ou considéré comme vrai parce que traditionnellement accepté ainsi), qu’il est communément considéré comme vrai (parce qu’il relève du sens commun), qu’il découle d’un consensus intello-scientifique (un état des savoirs et des connaissances – dans ce cas précis on dira plutôt : « ce qui fait consensus jusqu’à présent c’est… » ou « ce que l’on sait jusqu’à date, et qui est partagé par un certain nombre significatif de…, c’est… »), qu’il est solidement enraciné dans les savoirs et les connaissances (avant copernic et autres « révolutionnaires » du savoir certaines inexactitudes étaient « solidement enracinées » dans les savoirs et les connaissances). Mais, surtout, je crois, l’on ne peut parler d’objectivité sans une adéquate description, simplement en argumentant que ce fait est évident puisse qu’il est observable et identifiable, etc. Etc.
Exemple : « Monsieur Trou-du-cul a été élu président en perdant le vote populaire« . Ce fait (descriptif d’un état de choses bien avant d’être informationnel) n’est pas objectif, il est même tendancieux puisqu’il laisse entendre (et c’est là l’information véritable qu’elle communique ou veut communiquer) que ledit président est en soi illégitime (selon bien entendu une perspective particulière de ce qu’est une légitimité politique ou démocratique) voire mal-élu. Il serait objectif s’il décrit adéquatement la réalité qu’il veut présenter (l’état véritable des choses), c’est-à-dire dise que oui trou-du-cul a été élu en conformité du système électoral qui a ses spécificités propres (collège électoral), système électoral historiquement pensé comme tel pour être représentatif d’un équilibre de pouvoirs entre les grands centres urbains (ou les grands états) et les zones rurales (ou les petits états), trou-du-cul n’est pas le premier président élu par un tel système (et même pas le premier à l’être en perdant le vote dit populaire qui on se doit de le préciser est un vote totalisant le choix majoritaire des citoyens pour une personnalité-candidate), etc. Etc. Épuration – précision – généralisation. Mise sous critique. La plus possible adéquation de l’idée et de l’objet. Si un fait ne se soumet pas à une telle objectivité, il n’est rien d’autre qu’une « fake news » pour dire une désinformation. On aura beau dire, crier, argumenter, que « Monsieur Trou-du-cul a été élu président en perdant le vote populaire » qu’il s’agisse-là de « true fact », ce serait un peu beaucoup malhonnête intellectuellement parlant.
Je pourrais multiplier à l’infini les exemples tirés directement de nos actualités contemporaines. Comme le cas des changements climatiques dans lequel le phénomène est généralement décrit en tant que conséquence des sociétés productivistes et industrielles (voire post-industrielles), c’est-à-dire comme phénomène anthropique (engendrées par les activités humaines). Cette description n’est pas objective, selon ma conception de l’objectivité présentée ici, car elle manque de précision et elle est d’une fragile généralisation. Le changement climatique est une « modification durable des paramètres statistiques du climat global de la terre ou de ses divers climats régionaux » qui peut avoir pour cause « des processus intrinsèques à la terre, à des influences extérieures ou aux activités humaines ». Ainsi, une description objective pousserait plus loin la précision en soulignant que les causes du réchauffement climatique peuvent être naturelles (impacts de météorites, variations solaires, activités solaires, etc.) et humaines (activités industrielles). Cette description qui se voudrait encore plus précise spécifierait que le giec entend par changements climatiques « tout changement dans le temps, qu’il soit dû à la variabilité naturelle ou aux activités humaines » et que la convention-cadre des nations unies sur les changements climatiques ne retient que la cause humaine quand elle parle de « changements climatiques » et la cause naturelle lorsqu’elle parle de « variabilité climatique ». Cette description objective est celle de wikipédia (cette encyclopédie tellement snobée par les intellos). Les sources sont disponibles, je les ai vérifiées et comparées aux données du giec et de la convention onusienne avant de sélectionner cet exemple. Dès lors, lorsqu’il est dit que « changements climatiques » est un « true fact » sans une telle précision c’est un fait vide de sens, et si l’on dit que « changements climatiques est anthropique » sans autre précision afin d’en faire un « true fact » opposé au climato-scepticisme et aux « alternative facts » une telle affirmation n’est pas objective, elle est de la désinformation.
Il est possible de souligner que ma conception ou conceptualisation de description tend à la confondre avec définition, et j’en ai conscience. Je m’explique (ou je nuance) : une description est d’abord une singularisation (différenciation de quelque chose, quelqu’un, par rapport au commun), elle met fin à l’anonymat, et dans bien des cas elle met fin à l’inconnu, dans d’autres cas elle met fin à l’ambiguïté. Plus généralement, la description est une présentation des propriétés d’une chose, d’un objet, d’un phénomène, d’une personne. En soi, la description répondant à la question « comment ? » est une proposition des caractéristiques particulières de ce qui en est l’objet. Une description qui ne singularise pas n’en est pas une, dans la mesure que la définition passe par la précision qui elle détache l’objet de la masse anonyme des objets. Par exemple, tu me décris ton vêtement, ce que tu fais réellement c’est que tu singularises ce quelque chose en me présentant ses caractéristiques (particulières), par rapport à d’autres choses ou par rapport à une ou plusieurs classes de choses (d’objets). Je peux dire par exemple avec ta description que ce vêtement est (effectivement d’abord un vêtement – confirmation) une chemise ou un chandail et pas autre chose (ou n’appartenant pas à une autre classe de choses ou d’objets), et si je suis à même de le faire c’est parce que notamment tu as fait preuve de précision dans ta description (tu as fait ressortir les éléments caractéristiques ou essentiels distinctifs de l’objet que tu portes de façon que je puisse me les représenter). De même, si je dois décrire (donner ou présenter les caractéristiques ou propriétés de quelque chose) la lune je dois préciser ses éléments essentiels qui en font quelque chose de singulier par rapport au soleil, à mars, à venus, à la terre, etc. Dans ce cas, ma description de la lune construit une représentation de ce qu’est la lune et celle-ci n’est pas assimilable à celle de mars etc., et si jamais toi et moi devions discuter de la lune nous saurions préalablement qu’est-ce que la lune (non pas seulement comme objet identifié ou que l’on puisse être en mesure de l’identifier comme phénomène mais comme sens défini ou tout au moins comme objet essentialisé). Si toi et moi devrions discuter du chandail ou de la chemise que tu portes, ce chandail singularisé ou cette chemise particularisée par ta description aura dans notre échange un sens défini partagé. Ainsi, ma description (ou la tienne) bien qu’elle ne vise pas à définir l’objet présenté a un effet définitoire.
Décrire n’est donc pas définir, mais décrire peut avoir un effet définitoire. Définir dans son double sens explicatif et compréhensif ayant pour effet d’essentialiser l’objet en le déterminant ontologiquement, au-delà de la simple identification. Je décris la lune à partir de ma simple observation comme un astre en orbite autour de la terre, cette description construit la représentation de la lune comme quelque chose de naturel tournant autour de la terre, l’effet définitoire de cette description soutenu par cette représentation (rendre sensible – sensible dans son sens phénoménologique) est celui d’un objet naturel en mouvement autour de notre terre, à partir de cet effet définitoire d’autres observations peuvent être effectuées afin de préciser davantage ou d’invalider cette description – description qui en réalité a défini un objet. On pourrait ainsi en arriver à décrire-définir généralement la lune comme le satellite naturel de la terre (et plus spécifiquement criblé de cratères etc.). Par ailleurs, une description romantique ou poétique de la lune sera une présentation plus symbolique que matérielle des propriétés particulières de l’objet qui aura pour un effet définitoire de cette lune symbolisée ou romantisée. Mais, cela n’est possible, d’après moi, que si et seulement si la description est une activité / processus de précision. C’est donc la précision qui est la condition sine qua non d’un effet définitoire de l’objet. Cet effet définitoire tend à essentialiser son objet. Et définir, c’est essentialiser, c’est mettre fin à l’anonymat et la banalité de quelque chose, c’est singulariser ce quelque chose par rapport au commun (à la masse). Définir est ainsi une affectation de singularité dans la mesure qu’il s’agit de déterminer quelque chose.
Ainsi, en définissant une montre comme un instrument portatif composé d’un boîtier contenant un mécanisme qui fonctionne en permanence et qui est destiné à indiquer l’heure, je le singularise à travers une telle précision par rapport à une horloge qui (bien qu’appartenant à la même classe / famille ou catégorie d’objets) est un grand appareil fixé ou accolé à un mur (ou fixé à un poteau, ou inséré dans une tour et servant à indiquer l’heure). Une montre n’est donc pas une horloge, une montre ne saurait être autre chose (essentialisation), à chaque fois que l’on dira « montre » on pourra s’attendre à ce que ce dont je parle se présente sous cette forme particulière (déterminisme ontologique : conformité d’un être ou d’un objet avec son idéal type). C’est aussi dans cette dimension qu’une description est prescriptive (en inférant un devoir-être d’un être) : la montre est, dès lors la montre doit être (si on veut parler effectivement de montre, qu’il n’y ait pas de quiproquo par exemple). Décrire c’est également produire une normativité (au moins comme effet de l’acceptabilité ou de la plausibilité d’une description). Sans cette dimension prescriptive (du fait même de la nature normative de la description – tout au moins intégrée), il n’y aurait pas de communication possible, de compréhension entre des locuteurs d’une langue ou des individus partageant sémantiquement un même mode référentiel, etc. Etc. En répondant à la question « qu’est-ce que ? » on laisse entendre le « ça doit être » non pas seulement comme une possibilité (ou même une éventualité) mais comme un ordonnancement, une convention, une balisation (en même temps qu’une banalisation) de l’être.
En revenant à la distinction définition / description, la définition répond de la sorte à la question « qu’est-ce que ? ». On voit bien qu’en répondant à la question « comment ? » dans certains cas on répond (mécaniquement ou fatalement) aussi à celle de « qu’est-ce que ? », mais là où l’effet définitoire de la description se saisit le plus c’est dans le passage de la précision à la généralisation. C’est au cours de ce passage que la singularité ou le particulier subit une espèce de banalisation (dans un mouvement de mise dans le connu ou d’insertion – ajout – dans le connu) issue d’une acceptation partagée de la description propositionnelle ; et la généralisation est l’aboutissement d’un processus d’intégration de ladite description propositionnelle à un ensemble de savoir ou de connaissance servant de modèle référentiel en termes de compréhension et d’identification (de la chose, de l’objet, etc.). C’est l’intégration – comme le fait de faire rentrer dans un ensemble ou de faire de quelque chose une part de l’intégralité (cohérente) du connu et du su (plus ou moins harmonieux) – qui naturalise une telle description ou l’universalise. La référence récurrente (par un groupe significatif d’individus) à une telle description lui confère une autorité (au moins normative), alors que l’intégration à elle seule lui reconnaît une véridicité (inscription dans un régime de vérité).
Dans cette perspective qui est la mienne, dans certains cas comme je l’ai souligné, description et définition sont des questions posées distinctes tout en étant intimement ou même solidairement liées (ou il est fort difficile dans les réponses de maintenir avec satisfaction leur distinction). Lorsque l’on décrit le monde comme anarchique, ce que l’on fait réellement c’est le définir comme anarchique, lorsque l’on décrit l’être humain comme est loup pour autrui ce que l’on fait réellement c’est définir cet être humain, lorsque l’on décrit une société comme celle de la culture du viol ce que l’on fait effectivement c’est que l’on la définit comme celle de la culture du viol, lorsque l’on décrit le capitalisme le néolibéralisme comme liberté et progrès ce que l’on fait concrètement c’est les définir comme liberté et progrès. Etc. Etc. Ces descriptions-définitions ne sont pas neutres, tant qu’elles ne sont pas passées par l’épreuve de l’objectivité elles ne sont que pures désinformations, dogmatismes et fondamentalismes, etc., etc.
Aussi, l’on pourra noter que décrire comme je le conçois est indissociable de quatre actions distinctes : identifier (discerner un étant parmi d’autres étants), traduire (énoncer cet étant dans une langue compréhensible ou formuler l’étant dans un champ / système sémantique partagé), interpréter (expliquer cet étant et le sens que l’on lui confère ou attribue), comprendre (prétendre avoir pu accéder au sens de cet étant ou prétendre avoir saisi selon son entendement le sens propre de l’étant). Ce sont effectivement, précisément, quatre compétences nécessaires (selon moi) pour décrire. Les descriptions ici de la montre et de l’horloge sont les résultats de ces quatre actions, les fruits de l’exercice de ces quatre compétences.
En résumé, la description par son effet définitoire peut se confondre à la définition et la définition incorpore une part substantielle de description, la description a une certaine dimension prescriptive (ou normative) notamment quand elle est intégrée, la description dite objective partant de l’épuration passe nécessairement par la précision et s’inscrit dans la généralisation. J’ignore si toutes les nuances apportées à mon propos sont saisissables avec netteté et clarté, j’ignore si tu me suis, j’espère ne pas avoir fait trop d’erreurs de raisonnement (etc.) tu me pardonneras et tu me rectifieras.
Mais, en fait, ce que je souhaite vraiment dire en m’attardant sans doute outre mesure sur tout ça, c’est que : se cantonner à « ce n’est pas objectif » est intellectuellement d’une certaine infécondité, stérile et improductif (car les gens ne vont pas cesser de « croire » ce qu’ils veulent bien croire ou de penser ce qu’ils veulent bien penser), sans parler que cette posture est très souvent utilisée contre ceux et celles qui l’adoptent afin de souligner leur incapacité à comprendre la légitimité des réalités autres et en effet de se questionner eux-mêmes. Cette incapacité : c’est cela le dogmatisme, l’aveuglement, le fondamentalisme. La plaie de notre contemporanéité.
Il y a quelques semaines, un magazine de vulgarisation scientifique réputée s’interrogeait sur l’aspect « sectaire » des savants et intellos devenus de sorte de « gourous » sur l’enjeu du changement climatique. Le but de ce dossier était de montrer comment en prétextant l’objectivité l’on pouvait être profondément prélats – donc cesser d’être critique, c’est-à-dire scientifique. Le changement climatique est devenu l’exemple même du sectarisme et du totalitarisme dans notre contemporanéité, l’exemple presque parfait de comment un problème universel peut devenir l’objet d’un discours sectaire, fasciste, autoritaire, totalitariste, par la simple exagération des faits interprétés avec peu de rigueur et dans une approche non-critique ou l’exclusion des nuances de l’objectivité dite scientifique. Toute analyse rigoureuse questionnant certaines exagérations d’un tel discours (eschatologique) est vite réduite à toute sorte d’accusation (irresponsabilité, inconscience, etc. etc. etc.), et l’ironie (ou le paradoxe) veut que de telles façons de faire nourrissent les pires délires opposés à cette acceptation du problème que sont les climato-sceptiques radicaux, puisque c’est un « Regardez, ils mentent ! » balancé à la figure des « gourous ».
Finalement, l’on en vient à la question essentielle de l’objectivité : l’honnêteté, la transparence. Être objectif, c’est d’abord une éthique d’honnêteté et de transparence. Sans celle-ci tout le reste est irrécupérable. La science, de socrate à durkheim en passant par comte et einstein est une activité de la connaissance encadrée par une telle éthique, et si les pensées de ces théoriciens et des théoriciennes ont eu un tel succès au point d’être prises pour « vérité » c’est d’abord parce qu’elles découlaient de cette exigence éthique qui construisait / permettait la confiance. C’est cette éthique qui permet, je crois, de sauvegarder l’idée d’objectivité dans la mesure que l’on sait qu’elle a intégré en elle la conscience de la non-neutralité de tout esprit humain et qu’elle découle d’une mise sous critique (descriptive, évaluative, interprétative, explicative, justificatrice, etc.) de la diversité des influences de l’esprit humain. L’objectivité n’est effectivement rien d’autre. C’est s’ouvrir et intégrer dans sa réflexion tout un ensemble de vérités évaluées rigoureusement, de les présenter de façon transparente et critique. En fait, de présenter sa faillibilité.
Nous vivons une époque d’infaillibilité ou de culte de l’infaillibilité (dans une réalité paradoxale où tout est désormais vulnérabilité et sentimentalité exacerbées), tout le monde croit savoir et revendique l’absolutisme de la certitude. Du changement climatique au féminisme en passant par le racisme et autres, et en usant des subterfuges du vulnérabilisme du sentimentalisme et du sensationnalisme pour convaincre et faire de son propos la seule vérité qui vaille. L’on dit et l’on demande à chacun de l’intérioriser que la vérité est celle que l’on a démontrée c’est-à-dire factuelle, or ce que l’on ne dit pas c’est que le factuel est d’une nature morte et que s’il a sens (c’est-à-dire qu’il relève du vivant) c’est parce que nous le traduisons (voire nous l’interprétons), nous nous l’approprions. Et cette traduction ou cette interprétation exprime un processus qui n’est en rien universel sans cesser d’être général et découlant ou en accord avec l’état actuel des connaissances possibles. Et quand viendra une « révolution » de cet état, les gens n’en seraient pas normalement étonnés puisque nous avons clairement été transparent et honnête dans notre faillibilité et notre impossibilité à atteindre la certitude (la vérité certaine ou absolue), mais ce n’est pas historiquement le cas puisque le factuel interprété et traduit est présenté comme neutre c’est-à-dire dépouillé vide d’influences – d’où les fameux « chocs » des savoirs dits « révolutionnaires ». Le factuel est présenté comme objectif comme une espèce d’émanation d’une rationalité infaillible. Combien de théoriciennes et théoriciens ont été massacrés pour préserver l’ordre du régime de vérité du factuel en vigueur à leur époque, et qu’aujourd’hui leurs propositions de vérité nous paraissent « naturelles » ou « évidentes » en termes de « vérité » ou de véridicité ? Entre temps, on les a crevés, sur le bûcher ou autres.
La science, selon moi, quitte à le répéter encore une fois, n’est pas la non-neutralité mais l’exigence d’objectivité, c’est-à-dire l’intégration des nuances critiques dans sa réflexion (qui se doit être philosophiquement parlant dialectique, car la dialectique est une confrontation frontale voire brutale avec le contraire intellectuellement solide de la thèse que l’on défend, c’est une obligation de nomadisme pour les personnes insulaires dogmatiques fondamentalistes et bunkérisées sédentaires dans le sens d’absence réelle de curiosité que nous sommes si souvent) et la justification (rationnelle ou dans le régime logico-rationnel de sa communauté d’appartenance) acceptable par rapport à la norme établie d’analyse rigoureuse de ce que l’on avance. Voilà la différence fondamentale entre l’académie des sciences et le vatican (précisément la congrégation pour la doctrine de la foi).
Qu’est-ce qu’une montre ? Une horloge ? Le changement climatique ? L’élection démocratique légitime ? Cela dépend (de).. quoi tu me parles vraiment.. Car si le relativisme est affaibli par l’objectivité c’est avant tout parce que nous savons précisément de quoi nous parlons (nous partageons la même description-définition des choses), dans quel cadre nous parlons, et quels processus (analytiques, évaluatifs) voire outils encadrent notre discussion, etc. Etc. En dehors de cela, tout est effectivement possible. On pourrait remplacer « montre » par toute autre chose ou phénomène. Par exemple, « pluie », qui dans une description dite objective serait entendue comme « un phénomène atmosphérique consistant en une chute abondante de gouttes d’eau qui tombent des nuages », si cette description est dite objective ce n’est pas parce qu’elle est neutre mais parce qu’elle est le produit d’un consensus dit scientifique, intégré dans un dictionnaire occidental de langue française, elle est prescriptive sémantiquement parlant. Ce consensus est en fait plus ou moins une atténuation de la part de croyances subjectives et d’arbitraire formé à partir des sensibilités dans l’observation et la formulation d’un tel phénomène. Ce consensus est partagé par une communauté particulière d’individus et cette description a dans celle-ci un statut de vérité, pour dire elle est inscrite dans un régime de vérité. Cette description dite objective montre en réalité le poids accordé à certaines convictions / croyances au détriment d’autres. La conviction / croyance que l’esprit humain soit en mesure par différents processus de validation ou d’invalidation logico-rationnelle et expérimentale de dégager une vérité supposée objective à partir de l’observation et la définition (compréhension interprétation) des choses, cette « vérité » étant dès lors celle qui s’impose aux subjectivités. Cette simple conviction / croyance, en soi, exclut toute forme de neutralité. Observer décrire et définir le réel c’est essentiellement le traduire. Et la traduction n’est jamais absolument désincarnée ni dépersonnalisée, faite dans le vide ou le néant. Dans nous habitons nos traductions, nous sommes dans nos traductions. Dans nos descriptions, il y a nos influences et nos positionnements. Toutes ces réalités font de l’objectivité d’abord (voire essentiellement) une question de rigueur et d’honnêteté intellectuelles et une exigence fondamentale de démonstration conforme aux différents processus de validation ou d’invalidation communément acceptés dans une communauté particulière (scientifique, intellectuelle, etc.). En soi, cette description de « pluie » que dit sa définition ne saurait jamais être universelle (dans le sens un peu autoritaire de partager par tous et valable pour chacun) bien qu’elle devienne générale (par acceptation, par intégration, par assimilation, par naturalisation, par un certain nombre significatif d’individus ou une communauté d’êtres pensants). Ce qui ne change rien au fait que pour tous « pluie » renvoie à un phénomène universellement identifiable et que l’on puisse l’entendre ainsi – c’est-à-dire comme état de variation du temps qu’il fait caractérisé par l’écoulement naturel d’eau tombant du ciel. Dès lors, le phénomène est existant ou un étant pour tous, mais tout le monde ne le définit pas ou ne le décrit pas de la même manière sans que cette pluralité ne le rende inidentifiable – voire inobservable, incompréhensible, ne nous mette sur les chemins périlleux d’une quête de vérité (tout au moins pour ceux et celles qui le revendiquent). Il est aussi là le paradoxe de la description : traduire le réel à la fois de manière précise et générale, traduire le réel à la fois par son altération et par l’adéquation idée-objet (afin d’en arriver au plus près de sa « vérité » ou de la « vérité »). En fin de compte, l’on convient que si un objet ou un phénomène ne saurait être nié en tant qu’étant ou existant, toute la question de son saisissement introduit aux grandes problématiques de son saisissement à la fois descriptif, interprétatif et compréhensif. La pluie est une évidence, une réalité, mais encore une fois nous ne la saisissons pas tous de la même manière. Une montre est un étant que nous pourrions ne pas décrire de la même manière sans que nos descriptions ne soient sans intérêt et sans pertinence, au contraire elles sont des opportunités d’enrichissement des savoirs et des connaissances. Et je ne parle même pas d’interprétation de ce que veut dire une montre.
Je n’invente rien, la longue et diversifiée histoire des savoirs et des connaissances l’illustre parfaitement. Les incessants et sempiternels débats intello-scientifiques sur l’être-vrai des choses et des êtres (humains, éprouvants ou non) le montrent assez clairement. De l’autre côté, personne ne peut jamais être neutre, toute pensée est susceptible d’une affectation de position dans ce champ de bataille ou de confrontations d’opinions qu’est la « vérité » comme « certitude absolue » ou « l’être-vrai ». En effet, l’on peut prétendre être neutre, mais il est possible que les autres en analysant nos propos descriptifs (ou non) identifient selon leurs propres perspectives (analytiques) ou expériences (cognitives) voire connaissances toutes nos influences et là où nous sommes localisés, enracinés, même quelle est notre position dans le débat ou la discussion.
Durant des mois, du fait de mon appartenance à la communauté universitaire, j’ai eu accès à une diversité de positionnements et de propositions de vérité. J’ai essayé de te les présenter de façon équilibrée, honnête, en toute transparence. J’ai voulu que tu aies accès comme moi à cette connaissance plurielle et ce savoir éclectique afin que tu puisses comme moi et sans doute avec moi y réfléchir et peut-être te faire une idée éclairée sur les enjeux contemporains. J’ignore si cela t’a été d’une certaine utilité, mais tu me pardonneras d’avoir fait de mon mieux. Dans les prochains mois, je ne pourrais plus le faire, je n’appartiendrais plus à cette estimée communauté universitaire, et je n’ai pas les moyens – pauvre de mon état – de me procurer toute cette diversité.
La connaissance et le savoir c’est aussi une question d’argent, le citoyen éclairé dans nos si belles démocraties très pognon c’est aussi cette réalité. L’esprit critique est également une question de fric. La recherche (scientifique ou universitaire) est de plus en plus simplement une question d’argent, de financement, ce qui implique d’avoir généralement des objets de recherche à la mode ou mainstream d’où cette profusion de sujets de recherche sur le populisme les changements climatiques les féminismes etc. Etc. C’est une recherche de prostitution, en fin de compte. Comme l’autre dirait : « Personne ne s’intéresse à une recherche sur les escargots, cela n’intéresse pas la société, personne ne va lire ça ! » Seulement l’autre ne le dit pas c’est qu’une recherche sur les escargots nous permettrait sans doute de mieux nous comprendre en tant qu’espèce et pourrait éventuellement se trouver des applications sur nos sociétés, ce qui nous permettrait de réaliser un certain progrès en tant qu’humanité. La science c’est aussi cela : la pluralité véritablement soutenue par des moyens financiers conséquents (et dans l’idéal des mondes : publics) tout en préservant la liberté de penser, c’est l’utilisation de toute recherche dans les progrès de l’être humain, de la société, de notre planète et de tous nos écosystèmes.
Bref, « Knowledge is Money », et l’objectivité n’y échappe pas quand l’on voit tous les intérêts pognon-pognon qui sont (ou rentrent) en jeu dans certains enjeux contemporains, sans parler de ces vils sentiments humains qui font de nous ce que nous sommes. J’espère toutefois que tu auras tiré comme moi tout le profit ou le bénéfice de ces beaux mois de partage du savoir et de la connaissance, si c’est le cas j’en suis pleinement satisfait, grâce à toi je me sens vraiment utile. Merci.