Brutal(isme)

« Toutes les sphères de l’existence sont désormais pénétrées par le capital, et la mise en ordre des sociétés humaines s’effectue dorénavant selon une seule et même directive, celle de la computation numérique. Mais alors que tout pousse vers une unification sans précédent de la planète, le vieux monde des corps et des distances, de la matière et des étendues, des espaces et des frontières, persiste en se métamorphosant. Cette transformation de l’horizon du calcul se conjugue paradoxalement avec un retour spectaculaire de l’animisme, qui s’exprime non sur le modèle du culte des ancêtres, mais du culte de soi et de nos multiples doubles que sont les objets.

Avec le devenir-artificiel de l’humanité et son pendant, le devenir-humain des machines, une sorte d’épreuve existentielle est donc engagée. L’être ne s’éprouve plus désormais qu’en tant qu’assemblage indissociablement humain et non humain. La transformation de la force en dernier mot de la vérité de l’être signe l’entrée dans le dernier âge de l’homme, celui de l’être fabricable dans un monde fabriqué. À cet âge, Achille Mbembe donne ici le nom de brutalisme, le grand fardeau de fer de notre époque, le poids des matières brutes.

La transformation de l’humanité en matière et énergie est le projet ultime du brutalisme. En détaillant la monumentalité et le gigantisme d’un tel projet, cet essai plaide en faveur d’une refondation de la communauté des humains en solidarité avec l’ensemble du vivant, qui n’adviendra cependant qu’à condition de réparer ce qui a été brisé. »

Achille Mbembe, Brutalisme, La Découverte (2020). 

 

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Achille Mbembe :

  • « Il n’y a d’histoire que dans la circulation des mondes, dans la relation avec Autrui. C’est l’autre, le lointain, qui m’octroie mon identité. » 
  • « C’est dans le passage que réside le propre de l’humanité. Nous sommes des passants dans le sens où l’histoire des humains est est bien plus courte que celle du monde. Nous sommes une parenthèse dans cette histoire. Si l’humanité arrive un jour à son extinction, le monde lui survivra. Le monde a une histoire avant nous et en aura une après nous. Nous grande illusion, c’est d’avoir cru que nous étions maîtres et possesseurs de ce monde. »
  • « La culture , c’est ce qui nous survit, ce qui nous permet d’inscrire la fragilité de l’humain dans la durée , d’entrer dans une forme de permanence alors que tout n’est que précarité.C’est ce qui nous permet d’imaginer ce qui n’existe pas encore, et donc de comprendre que nous ne sommes pas condamnés à ce qui existe. »
  • «  »Nous vivons un « arrangement avec le monde » qui « consiste à tenir pour rien tout ce qui n’est pas soi-même. Ce procès à une généalogie et un nom : la course vers la séparation et la déliaison. Celle-ci se déroule sur fond d’angoisse et d’anéantissement. Nombreux sont en effet ceux qui, aujourd’hui, sont frappés d’effroi. Ils craignent d’avoir été envahis et d’être sur le point de disparaître.
  • « La colonisation moderne était l’une des filles directes des doctrines qui consistaient à trier les hommes et à les diviser en deux groupes : ceux qui comptent et que l’on compte, d’une part, et le «reste»; d’autre part, ce qu’il faut appeler les «résidus d’hommes» ou encore les «déchets d’hommes. »
  • « L’humanité de l’homme n’est pas donnée. Elle s’arrache et se crée au fil des luttes. »
  • « La décolonisation sans la démocratie est une bien piètre forme de reprise de possession de soi, fictive. »
  • « Avoir un passé en commun ne signifie pas nécessairement l’avoir en partage. »

 

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