« Saint Valentin est le patron des amoureux dans la culture occidentale. Sa fête, fixée le 14 février, encourage les déclarations, donnant à la vie amoureuse un jour augural et un calendrier spécifique, calqué sur celui des saisons. Symbolisée par le don du cœur, motif qui rappelle à la fois la place et la puissance de l’amour dans la pensée chrétienne, cette fête se rattache à un imaginaire venu de la poésie profane médiévale. Mais le lien de la Saint-Valentin au Moyen Âge et à la poésie vernaculaire ne s’en tient pas là. Conformément à une formule qu’auraient trouvée les troubadours, aimer, c’est le dire – en poésie, sinon en chanson : la lyrique médiévale, en posant l’équivalence parfaite du sentiment et du chant d’amour, fait non seulement de la déclaration le moteur par excellence du poème, mais donne de la tradition poétique une définition haute, concentrée sur l’excellence et l’exigence formelles. Se déclarer, c’est poétiquement (s’)inventer : tel est le sens exact de la fine amour et de son joi, jeu et joie qui font avant tout de l’expérience amoureuse une source d’expérimentation formelle.
« Finesse » dont se souviendront encore, en leur temps et leur nouveau monde, les poètes américains les plus novateurs : « very fine is my valentine, very fine and very mine », déclare Gertrud Stein, faisant sienne, dans une autre langue, l’érotique médiévale et son lien à l’expérience linguistique. La pensée de la poésie héritée du Moyen Âge, naguère théorisée par Paul Zumthor, resurgit donc en pointillés, mettant en évidence des filiations à grande distance, spatiale et temporelle, et une conception de la tradition qui vit au rythme, anachronique, de la mémoire.
On lira en ce sens les valentines des poètes modernes et contemporains dans la sélection ici proposée : poème qui sacrifie à la tradition, la valentine est aussi le lieu d’une invention qui profite de la circonstance pour jouer avec la tradition elle-même. Un court poème de Cummings associe le renouveau du cycle saisonnier et l’exclusivité de la relation amoureuse en formulant sur deux strophes leur double secret ; Edgar Poe invente une valentine qu’on pourrait qualifier de policière, dans laquelle le nom de sa bien-aimée, crypté comme un senhal ancien, conditionne l’écriture du poème et souligne sa double adresse. Chez Emily Dickinson, Elisabeth Bishop ou encore Sylvia Plath, les premiers poèmes ont été des valentines – apostrophe amoureuse qui se fond dans un héritage tout en encodant les prémisses d’une signature poétique, singulière pour chacune des trois poétesses. Au sein du corpus des valentines, l’œuvre de Louis Zukofsky occupe au xxe siècle une place à part. Le 14 février fut, pour lui, au fil des années, prétexte à la composition de plusieurs poèmes pour Célia, qui font série dans l’ensemble de l’œuvre du poète objectiviste : le sujet (I) explore la force de son regard (eye) sur le quotidien ; la circonstance amoureuse y est étroitement liée au surgissement d’un inattendu qui renouvelle chaque jour l’expérience du monde et du langage – restitués par le poème dans toute leur opacité.
[…]
Les valentines, héritières du grand chant, sont des poèmes d’amour. Si elles sont destinées à inaugurer un livre d’heures poétiques, elles sont néanmoins nées en temps de guerre, dans un contexte où la poésie, dissociée de la musique, ne se concevait plus comme un chant de célébration et revendiquait pour elle une autre « musique » possible, travaillée par l’ambivalence du signe linguistique et ouverte à la dissonance. De la fin du Moyen Âge à aujourd’hui, saint Valentin, patron des poètes, est surtout un prophète : en promettant le printemps en hiver, il incite à cultiver l’énigme et le suspens.
Note :
Les poèmes retenus ici sont pour la plupart inédits en traduction. Les textes anciens sont édités d’après leur tradition manuscrite. Toutes les traductions, versifiées, s’attachent à faire entendre dans la langue de l’autre les expériences formelles auxquelles le poème de circonstance a servi de prétexte. L’ensemble est extrait d’une anthologie en cours, qui suit la tradition poétique de la Saint-Valentin, d’une langue à l’autre, du Moyen Âge à aujourd’hui.
[… :
- Oton de Grandson, Le Songe de la Saint-Valentin : prologue.
- Geoffrey Chaucer, The Parliament of Fowles (Le parlement des oiseaux).
- Charles d’Orléans, Rondeau.
- Christine de Pizan, Virelai.
- John Gower, Ballade.
- John Lydgate, The Flour of Curtesy (La Fleur de Courtoisie, ballade).
- Charles d’Orléans, Vpon my bed hard of noyous thought (Sur le dur lit d’ennuieuse pensee, ballade).
- William Shakespeare, Hamlet : folie d’Ophélie…
- Robert Herrick, To his Valentine on St. Valentine’s day (À sa Valentine)
- Edgar Allan Poe, A Valentine : « To Her Whose Name Is Written Below » (Valentine : « À celle dont le poème cache le nom »).
- Gertrud Stein, A very Valentine (Valentine toute).
-
Louis Zukofsky, Happiest February (Bienheureux Février).
- Elisabeth Bishop, Three Valentines (Trois Valentines).
-
Robert Creeley, Valentine for You (Valentine pour Toi).
-
Anne Portugal, Caro leo.
…] »
– « La tradition poétique de la Saint-Valentin (xive-xxie siècles) », Po&sie, 2014/2 (N° 148), p. 68-87.
« Un étrange parfum flotte dans le sillage du bouquet de fleurs qu’on offre ou qu’on reçoit : celui du kérosène. Symbole d’amour et de beauté fugace, la rose coupée cultivée sous les tropiques par une main-d’œuvre bon marché gagne les pays riches par avion-cargo. Son cycle de vie illustre les ambiguïtés d’un culte commercial des produits naturels qui ruine l’environnement.
Qu’est-ce qu’une rose ? Un stratagème végétal pour inciter les insectes à colporter le pollen ? Une fleur parfumée ? Un objet de jouissance visuelle, fragment de nature dans l’artifice urbain ? C’est d’abord un produit que l’on achète pour l’offrir ; un symbole d’amour et de respect que l’industrie publicitaire s’emploie à entretenir lors d’événements comme la Fête des mères ou la Saint-Valentin. Cadeau prêt à consommer et qui n’exige quasi aucun soin de la part du destinataire, la rose, une fois flétrie, finit à la poubelle. C’est bien là qu’il faut la déposer, et non dans le compost, étant donné la charge chimique de ses tissus et de son eau.
Le cycle de vie d’une rose commence huit ans avant qu’une benne à ordures ne l’emporte vers l’incinérateur. Dans une roseraie allemande, néerlandaise ou française, les hybrideurs croisent pollens et pistils de plants différents pour marier leurs caractéristiques de résistance, de forme et de productivité. Cette dernière se mesure en nombre de tiges au mètre carré, indicateur crucial qui, pour une fleur de supermarché cultivée à basse altitude, monte jusqu’à 240. Le choix des formes et des couleurs dépend largement de la mode florale du moment, elle-même indexée sur la mode vestimentaire. Ainsi la filière renouvelle-t-elle régulièrement ses variétés. Comme le goût dans les tomates industrielles. le parfum des roses n’occupe que la dernière place dans la liste des critères de qualité. « Dans la sélection, l’émotion est au deuxième plan », reconnaît M. Matthias Meilland, important hybrideur français. Ce processus aboutit au dépôt d’un brevet, puis à la mise sur le marché de la nouvelle variété. […] »
– Zulma Ramirez & Geoffroy Valadon : « Allons voir si la rose… » Un mode de production moyennement romantique, Le Monde Diplomatique, février 2020.
« La Saint-Valentin est-elle une catastrophe écologique, humaine et menace-t-elle votre santé ? C’est bien possible, et on vous explique pourquoi.
Chaque année autour de la mi-février, c’est la même fièvre qui s’empare de nous : celle de la Saint-Valentin. La Fête des Amoureux entraîne chaque année un vent de cadeaux, de fleurs, de chocolats et d’amour. Le problème, c’est que cette fête est aussi devenue un vrai désastre pour l’écologie, pour les droits humains et pour votre santé. On vous explique.
Des fleurs pour la Saint-Valentin : importées, industrielles et riches en pesticides.
La Saint-Valentin rime presque toujours avec fleurs. Chaque année en France, ce sont près de 30 millions d’euros qui sont dépensés au moment de la Saint-Valentin pour acheter des fleurs et en particulier des roses.Le problème, c’est que le 14 février, en plein hiver, les roses sont un produit rare dans la nature. Alors que dans le domaine alimentaire, les consciences commencent à évoluer avec des habitudes d’achats de plus en plus connectées à la saison, en matière de fleurs, le problème reste entier : nous continuons tous à offrir des roses en plein hiver, alors que celles-ci fleurissent plutôt vers le mois de mai en général sous nos latitudes.
Forcément, cela signifie que les roses que nous achetons le 14 Février ne viennent pas de France. Selon les estimations, 85% des fleurs coupées vendues en France (notamment pour la Saint-Valentin) proviennent de l’étranger. Certaines viennent de pays avec un climat plus favorable comme le Kenya ou l’Équateur, d’autres viennent des Pays-Bas, pays réputé pour sa culture des fleurs. Le problème c’est que dans les deux cas, cela implique d’énormes impacts écologiques. Les roses importées du bout du monde sont transportées en avion, dans des emballages complexes constitués de célophane et de structures de protection destinées à préserver la qualité esthétique des fleurs. Celles qui sont cultivées aux Pays-Bas poussent sous serres chauffées, ce qui implique des consommations d’énergie importantes.
Résultat, l’impact carbone est très élevé : une étude menée aux Etats-Unis montre que l’ensemble des roses vendues à la Saint-Valentin dans le pays émettent environ 9000 tonnes de CO2 (soit l’équivalent de la pollution générée par 2500 automobilistes en un an). C’est plutôt logique, quand on sait qu’une rose cultivée aux Pays-Bas émet environ 3 kg de CO2 pendant sa production, ou qu’une rose cultivée au Kenya (qui n’émet que 0.5 kg de CO2 pour sa production) peut parcourir jusqu’à 8000 km en avion pour arriver jusqu’à vous. Sans compter que dans tous les cas, ces monocultures industrielles ont des impacts très importants sur les écosystèmes locaux : au Kenya par exemple, les zones de cultures sont réparties autour du lac Naivasha, qui est aujourd’hui pratiquement asséché à cause de la culture industrielle de la rose…
De plus, une étude menée par l’UFC Que Choisir montre que les roses vendues pour la Saint-Valentin contiennent de nombreuses substances phytosanitaires, notamment des pesticides. Quand vous prendrez votre bouquet de rose de la Saint-Valentin pour en humer le parfum, gardez donc à l’esprit que vous respirez surtout des substances chimiques nocives.
La solution ? Offrir des plantes de saison, ou des plantes en pot, vivaces et si possible cultivées sans pesticides. Certes, elles n’auront pas la même portée symbolique qu’une rose rouge, mais au moins, vous éviterez plusieurs kilos de CO2 dans l’atmosphère et la présence de substances phytosanitaires dans votre logement. Pour plus d’informations voir : « Comment choisir des fleurs coupées de saison ».
Les chocolats de la Saint-Valentin : esclavage, déforestation et corruption
Chocolat changement climatique
Le deuxième grand symbole de la Saint-Valentin, ce sont les chocolats. Et là encore, ce cadeau peut avoir un goût assez amer quand on connait ses conditions de production.
Plusieurs ONG et de nombreuses études ont révélé ces 10 dernières années les graves dérives de l’industrie du cacao. En Afrique de l’Ouest, notamment au Ghana et en Côte d’Ivoire, d’où proviennent plus des deux tiers de la production mondiale, la production de cacao est marquée par les phénomènes de corruption. Mais il y a plus grave : d’après l’organisation Food Is Power, la filière cacao est globalement structurée autour de pratiques esclavagistes. Les enfants seraient notamment très présents sur les chaînes de récolte et de production.
D’autre part, l’industrie du cacao est responsable d’une bonne partie de la déforestation de ces régions tropicales : pour faire pousser plus de cacao, les industriels détruisent les écosystèmes locaux afin de planter des plans de cacao, ce qui contribue à détruire la biodiversité locale. Bref, le tableau est loin d’être green.
Les responsables, ce sont les grands industriels qui se livrent une vraie guerre des prix et tirent les conditions de production vers le bas. La solution, c’est donc d’éviter ces grandes marques et de se tourner vers des chocolatiers ayant des pratiques responsables : certains possèdent des certifications, d’autres contrôlent leurs chaînes de production de la fève à la tablette (comme c’est le cas de certains grands chocolatiers français). Bref, il y a des alternatives respectueuses des droits humains et de l’environnement, mais il faut accepter d’y mettre un prix supérieur, nécessaire pour rémunérer correctement les producteurs locaux et leur assurer des conditions d’exploitation viable. Pour plus d’infos voir : Comment choisir un chocolat éthique et écologique ?
Les bijoux, les bougies, la lingerie : les cadeaux empoisonnés de la Saint-Valentin
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Du côté des cadeaux, c’est la même chose. Parmi les stars des cadeaux offerts à la Saint-Valentin ou trouve des bijoux, des bougies parfumées, de la lingerie, des produits cosmétiques… La Saint-Valentin est une période privilégiée de surconsommation pour ce type de produits. Le problème c’est qu’ils sont loin d’être tous écolo et durables. Les bijoux par exemple posent de gros problèmes concernant l’origine des métaux. Les filières de l’or et de l’argent son régulièrement marquées par des scandales concernant les conditions de travail sur les chaînes d’extraction. Même chose pour les pierres précieuses, régulièrement pointées du doigt (les diamants de sang sont l’un des exemples les plus emblématiques).
Pour les autres cadeaux, c’est la même chose : la lingerie fabriquée à l’autre bout du monde dans des conditions insalubres, à partir de coton industriel issu des cultures d’Asie Centrale où ce sont les enfants qui travaillent au champ… Les bougies, fabriquées à partir de cire minérale issue du pétrole, n’est pas le parfait exemple d’accessoire écolo. Et quand elles sont parfumées, elles s’accompagnent de substances chimiques parfois nocives, dont des perturbateurs endocriniens.
En bref, comme dans tous les types de production, il faut être attentif aux conditions de fabrication pour connaître l’impact écologique et humain de ses achats. La Saint-Valentin, où l’on tend à consommer beaucoup et parfois sans réfléchir à ces enjeux, peut donc rapidement devenir une petite catastrophe. Un seul conseil donc : pour la Saint-Valentin, continuez à être attentif à l’origine des produits que vous souhaitez offrir. Il existe aujourd’hui des bijoux certifiés avec des labels pour l’or éthique comme Fairminded, ou des alliances comme l’Alliance for Responsible Mining. Certaines marques se sont même fait une spécialité de faire des bijoux éthiques et plus écologiques, comme Paulette à Bicyclette par exemple. Pour la lingerie, c’est la même chose : il faut regarder les conditions de production du coton, et pas seulement le lieu de fabrication du vêtement. Choisissez si possible des marques qui font du Made in France ou celles qui utilisent du coton bio. »
« […]
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté. »
– Pierre de Ronsard (1524 – 1585), Mignonne, allons voir si la rose.