Qui est l’Homme (des Sciences Humaines) ? Un Lâche ou un Salaud (?)

 

« […]

la contemplation comme acte de l’intellect spéculatif en tant qu’il est choisi au préalable par la volonté : il s’agit de la contemplation qui « devient une affaire de vie » (contemplatio accipit rationem uite)

[…] »

– Oliva, A. (2012). La contemplation des philosophes selon Thomas d’Aquin. Revue des sciences philosophiques et théologiques, tome 96(4), 585-662.

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« Les significations explicites et conventionnelles ne sont jamais profondes ; seul est profond le sens tel qu’il est enveloppé, tel qu’il est impliqué dans un signe extérieur.

– Gilles Deleuze, Proust et les signes

[…] »

– Benrekassa, G. (1985). Marianne, l’histoire et les signes : l’horizon du réel. Dans : , G. Benrekassa, Fables de la personne (pp. 21-56). Presses Universitaires de France.

 

« « Le plus difficile à expliquer, c’est l’origine. »
Balzac, Discours sur l’immortalité de l’âme.

« En quelle obscurité se perd la raison humaine lorsqu’elle entend creuser ou même simplement deviner les origines ? »

– Kant, Anthropologie d’un point de vue pragmatique.

[…] »

– Pot, O. (2006). Les noces de la linguistique et de la littérature: Louis Lambert de Balzac. Le Genre humain, 45-46(1), 389-490.

 

« […]

On voudrait croire que nul n’ignore que du Speculum Quadruplex de Vincent de Beauvais, étrange et considérable encyclopédie du XIIIe siècle, émerge au sortir du Moyen Age ce volume imprimé du Miroir Historiai, qui répertorie et commente événements lointains et légendes des événements, élevant à une nouvelle contemporanéité tout un passé souvent fabuleux, et qui retire d’ailleurs de cette fabulosité même une dignité supplémentaire. Si on a choisi l’image et l’exemple du « miroir historial » pour ouvrir ce livre, c’est bien parce que se trouvait aussi déposé sur cette surface infranchissable quelque chose comme une substance temporelle. C’est aussi à cause de ces noces antérieures de la fable et de l’histoire, qui nous placent délibérément dans un temps premier, en deçà de ce que nous analysons ici comme la discorde de deux langages, celui du faiseur de fables et celui de l’historien, bien avant que l’historien de métier ne frappe de déni l’art et l’authentique savoir propres au raconteur d’histoires.

Miroir historial : on croit deviner assez bien ce qui a condamné à une certaine solitude et a fait disparaître cette majestueuse métaphore, même si les Specula Perfectionis et les Miroirs de la Vraie Pénitence ont assez longtemps prospéré en des domaines où, il est vrai, l’âpre dispute autour du « réel » et de sa représentation n’avait guère lieu de s’engager. L’avènement (jamais totalement achevé) de la mainmise « rationnelle » sur l’ordre des représentations conférant en principe à l’individualité qui en était supposée fondatrice un statut et une place incontestés, cet avènement eût dû ouvrir une voie royale au triomphe du langage du logos, exclusif, entre autres choses, de toute ambiguïté métaphorique et des pièges subversifs et imprévisibles de la parole communiquée. Eh bien, on n’a plus eu d’usage du miroir historial, mais cette opération n’a jamais représenté qu’une impensable limite ou un achèvement improbable, puisque de l’usage des fables peut venir faire retour, au moment où on veut vraiment les comprendre, un questionnement qui, pour le moins, la relativise irrémédiablement. Que le miroir reproduise l’h(H)istoire, et que l’h(H)istoire soit aussi miroir ; que le lecteur se « serve » du texte pour y voir à la fois le réel et lui-même, et aussi lui-même et quelque chose de tout à fait familier et en même temps de radicalement autre ; voilà ce qui, malgré l’injuste oubli du miroir historial, réémerge lentement avec son évidence ancienne, depuis que nous avons appris à deviner et à frapper de soupçon ce que cache ou ce qu’implique soigneusement la royauté des savoirs construits à prétentions cumulatives, qu’on croit faire partie de l’héritage des Lumières.

Le présent livre, précisément, établit son domaine d’investigation dans le champ de celles-ci. En fait, il entreprend de pousser cette investigation jusqu’aux limites où elles vacillent ou se sclérosent, et aussi jusqu’en des lieux où elles risquent leur clarté dans des compromissions avec les histoires et l’Histoire tout à la fois. On peut désigner à la fois sa manière et son origine : il rassemble une confluence et il n’est pas le développement d’un programme ; il est issu de la rencontre entre la nécessité inéluctable, dans le commerce culturel qui est le nôtre, de ce « savoir » à visées rationnelles et la magique étude ou l’apprentissage difficultueux d’une anthropologie étrange et familière à la fois, celle que nous propose cette littérature de l’individualité, fables personnelles ou discours en première personne apparus à ce moment de notre Histoire. Sans doute est-ce pour cela que nous nous sommes établis à l’occasion à la frontière énigmatique où essaient de coexister et de s’ajuster deux ordres de langage, dont la confrontation peut révéler, de façon inattendue, une vraie étrangeté historique. En essayant d’occuper à notre manière ce lieu de rencontre, nous voulons, après tant d’années de combat douteux pour la scientificité, restituer aussi quelque chose de l’incomparable pouvoir de la « littérature » : pouvoir qu’elle tire d’autre chose que d’une apologie imaginaire de la dépense individuelle, d’une mimésis langagière d’une liberté perdue ailleurs, ou d’une subversion toujours déjà logée à d’autres enseignes.

[…] »

– Benrekassa, G. (1985). Du texte à l’œuvre : le « Miroir Historial ». Dans : , G. Benrekassa, Fables de la personne (pp. 5-20).  Presses Universitaires de France.

 

« […]

Quel que soit le sujet d’étude choisi, et donc la branche des sciences humaines considérée, le chercheur s’inscrivant dans leur champ sera conduit à étudier un aspect de sa propre humanité. Certes, ce n’est pas nécessairement son propre fonctionnement qu’il tente à première vue d’objectiver. S’il est ethnologue, son étude porte sur des usages sociaux et des manières de vivre en société qui, sur bien des points, sont très éloignés de ceux dont il participe. C’est d’ailleurs l’une des raisons qu’il se donne pour en rendre compte. S’il est psychologue, de même, il tente de formaliser des processus qu’il découvre chez des personnes différentes de lui, dont il ne partage pas obligatoirement les représentations, les façons d’opérer ou les sentiments. Plus elles le confrontent à des modes d’organisation distincts, plus elles lui semblent alors enrichir sa recherche. Dans toutes ces occurrences, la mise à distance paraît se faire très naturellement, à travers la disparité des mœurs, mais surtout du fait de l’artifice qu’introduit dans la situation le registre de la profession en faisant inévitablement de l’un de ces protagonistes l’observateur et de l’autre, à l’inverse, l’observé.

Toutefois, s’en tenir à ce type de considération serait profondément naïf. L’observateur, bien que physiquement distinct de celui qu’il étudie, est psychiquement proche : il participe en effet des mêmes processus humains que lui, même si cela ne se traduit pas dans une homogénéité des comportements. Il est donc, en tant qu’observateur, nécessairement présent dans l’observation : à travers son objet d’étude, en tant qu’il est un homme au même titre que lui, c’est lui-même qu’il analyse également. L’homme qu’il s’est donné comme objet d’étude met en œuvre, comme lui, des comportements que nous qualifierons de culturels ; il le confronte, par conséquent, à des caractéristiques que, de ce point de vue, il partage avec lui. On peut donc soutenir que, par-delà les différences d’usages immédiatement observables, l’observateur se retrouve dans celui qu’il observe, quelle que soit par ailleurs la procédure d’objectivation qu’il a mise en œuvre et dont il peut penser qu’elle garantit de toute forme de confusion. Plus encore, du fait qu’il participe des mêmes processus humains que lui et bien qu’il les fassent fonctionner différemment, il va nécessairement se projeter en lui et risquera donc d’abord et avant tout de se trouver confronté à lui-même…

[…]

Ne voir dans la différence de l’autre que le masque d’une ressemblance avec soi-même n’est, certes, qu’une illusion. Pourtant, n’est-ce pas tout aussi illusoire de prétendre pénétrer l’altérité de l’autre en tant que telle ?

[…]

Tous ceux qui s’inscrivent dans le champ des sciences dites « sociales » connaissent ce problème. L’historien ne saurait y échapper : comment se départir de sa vision actuelle d’homme d’une époque donnée pour expliquer le comportement de ceux qui ont vécu en un autre temps ? Lui est-il possible d’éviter une approche rétrospective, qui ne donne sens aux événements retenus qu’en fonction des préoccupations présentes de la société dont il participe ? Plus encore, il lui apparaîtra qu’il n’est en fin de compte nul autre que lui au principe du choix des événements eux-mêmes qu’il va relater et tenter d’expliquer en les mettant en rapport avec d’autres événements. Quel type d’histoire va-t-il dès lors produire ? Les historiens agitent ouvertement ces questions depuis fort longtemps. Quant au sociologue, dont l’investigation ne se fonde plus sur une sorte de dépaysement dans l’espace, comme l’ethnologue, ou dans le temps, comme l’historien, mais, dirons-nous, dans la stratification sociale, il sait, de la même façon, qu’il ne lui est pas possible de sortir de lui-même et de prétendre atteindre une forme d’extra-territorialité qui le garantirait de toute projection dans ses observations. Tout comme l’historien, il est pris dans une situation et produit nécessairement ses observations d’un certain point de vue.

Il n’est cependant pas que les spécialistes des sciences dites « sociales » à se trouver concernés par un tel problème de circularité. Toutes les disciplines qui s’inscrivent dans le champ des sciences humaines participent de telles interrogations, en tant que la mise en place de leurs problématiques passe par une forme de relation avec autrui. Pour ne prendre qu’un exemple, le psychologue, ou le psychanalyste, ne pourra faire l’économie de la question de sa propre implication dans sa compréhension des phénomènes qui le retiennent. Lui aussi se demandera ce que c’est que « comprendre » et le psychanalyste Jacques Lacan, à l’aube de son enseignement, ne cessait ainsi de mettre en garde ses élèves : « Nous comprenons toujours trop, spécialement dans l’analyse. La plupart du temps, nous nous trompons. » Et d’en tirer l’enseignement suivant, adressé à ses disciples : « Commencez par ne pas croire que vous comprenez. Partez de l’idée du malentendu fondamental. C’est là une disposition première, faute de quoi il n’y a véritablement aucune raison pour que vous ne compreniez pas tout et n’importe quoi. » Tout à fait paradoxale, à première vue, la conclusion sera pourtant à retenir et nous soulignerons particulièrement cette idée d’un malentendu premier.

Cependant, contrairement à ce que beaucoup croient encore, la circularité, dans le domaine des sciences humaines, ne se limite pas à l’aspect relationnel ; elle dépasse très largement le fait que l’observateur ne pourra éliminer de son observation sa singularité propre, qu’elle constituera même son seul point d’appui, et qu’il opérera dès lors, qu’il en soit ou non conscient, une forme de projection sur celui qu’il observe. Le point de vue qu’épouse nécessairement l’observateur vaudra dans tous les registres de la vie psychique, quoi qu’il en soit du type de rapport dans lequel par ailleurs il entre avec « l’objet » qu’il se donne. En d’autres termes, la relativité dans laquelle son observation s’inscrit n’est pas simplement historique, au sens où elle est, certes, datée, mais où, surtout, elle est obligatoirement liée à une manière particulière de poser les problèmes. Pas plus que l’homme ne saurait faire abstraction de la société dans laquelle il s’inscrit, donc des usages dont il participe, il ne saurait s’exclure de son propre psychisme (« sortir de sa tête » en quelque sorte…) et prétendre analyser le fonctionnement de l’homme sans en référer immédiatement au sien propre. Encore faut-il, pour saisir la portée d’un tel argument, n’avoir pas identifié d’emblée les sciences humaines aux sciences sociales.

[…]

En effet, expliquer, nous le savons, suppose nécessairement l’usage du langage et de ses propriétés, quel que soit l’objet qu’on se propose de rendre intelligible. Par conséquent, expliquer le langage revient à tenter de rendre compte par des mots de ce qui rend possible le fait même d’utiliser des mots ! Allons plus loin encore : l’entreprise consiste ni plus ni moins, à ce niveau, qu’à expliquer… ce qui nous rend capable d’explication. Il ne peut exister de meilleure illustration de ce qu’est la circularité dans le champ des sciences humaines que celle que fournit ici la linguistique ! Et l’on saisit en même temps les limites d’une démarche qui se contenterait de s’appuyer sur les possibilités que le langage fonde en nous pour expliquer ses propriétés. Ordinairement, et pour autant que le langage constitue effectivement une réalité qui n’est aucunement homogène, c’est plus précisément à propos de la logique qu’un tel argument a été moult fois développé. Il est certain qu’il faut non seulement souligner une telle circularité, inévitable dans l’ensemble des sciences humaines, mais se montrer capable de l’assumer véritablement en ne cultivant pas ce qui serait une simple aporie.

[…] »

– Quentel, J. (2007). Circularité et objectivité. Dans : , J. Quentel, Les fondements des sciences humaines (pp. 61-80). ERES.

 

« J’avoue que j’ai un peu perdu l’habitude, dans les fonctions que j’exerce aujourd’hui, de ces difficiles questions comme celle de ce soir : les sciences humaines sont-elles des sciences de l’homme ? Je parlerai peut-être comme quelqu’un pour qui ces questions sont toujours associées à beaucoup de plaisir, plaisir de la jeunesse, mais finalement qui n’est pas féru des débats contemporains.

La première remarque que je me suis faite en essayant de comprendre ce que pouvait vouloir dire le sujet est que je croyais que la question des sciences humaines avait disparu. Dans les années 60 et 70, on s’interrogeait avec beaucoup de sérieux sur l’existence des sciences humaines, sur le département des sciences humaines dans les facultés. Mais aujourd’hui a-t-on encore besoin de lier la psychologie à la sociologie, à l’économie, à une sorte de programme commun du gouvernement des sciences ? La psychologie ne peut-elle pas mener sa vie de son côté, la sociologie du sien, sans qu’il y ait ce grand rêve, très bien formulé par quelqu’un comme Braudel, de l’interscience, de la science commune, de la science qui serait l’échangeur de toutes les sciences humaines ? A la question posée, il y a une très belle réponse allemande, celle qu’a fournie Wolf Lepentes dans son livre Les trois cultures : qu’est-ce que c’est les sciences humaines ? de la mauvaise littérature. Sa thèse consiste à dire que la science, comme la littérature et les sciences humaines, ne sont jamais que des discours. Il y a des discours bien écrits, des discours qui sont bien construits et des discours qui ne le sont pas. La science est bien construite dans son domaine, la littérature peut l’être dans le sien ; il y a une espèce d’entre-deux douteux : les sciences humaines, qui ne sont ni de la science ni de la littérature ; c’est de la mauvaise science et de la mauvaise littérature.

Une seconde remarque : la question de la science est importante, mais la question de l’objet peut aussi poser des questions. En modifiant un peu la question posée, on peut aussi se demander si les sciences qui se donnent l’homme pour objet sont des sciences humaines. La biologie est une science qui se donne l’homme pour objet, la médecine aussi, la psychanalyse, la sociologie, le marketing est une science de l’homme… Est-ce que ces sciences-là, qui ont bien l’homme pour objet, sont des sciences humaines ? On répondrait plutôt qu’elles n’ont jamais l’homme comme objet. La biologie, par exemple, sous la forme génétique qu’elle a prise, pose la question de savoir si l’objectivation génétique de l’homme a encore quelque chose à voir avec l’homme ; la législation sur la génétique essaye de rappeler que la génétique est l’homme, parce que, précisément, cette objectivation le fait disparaître. L’objectivation médicale actuelle fait aussi disparaître l’homme, c’est pourquoi on essaie d’humaniser les hôpitaux, on développe toute une réflexion d’éthique médicale : comment va-t-on, à travers les techniques médicales, avoir toujours affaire à l’homme ?

On peut dire que la psychanalyse, l’ethnologie, l’anthropologie, le structuralisme en un certain mot, avaient déjà expliqué que les sciences humaines n’étaient pas faites pour reconstituer un homme, mais le divisaient au contraire, et le faisaient tomber hors de sa subjectivité.

Les sciences humaines sont donc des sciences où l’homme est toujours impossible à saisir, car il est toujours ailleurs, dans la science d’à côté. On peut toujours rêver, en rassemblant toutes les sciences humaines, de retrouver l’être perdu.

Mais pourquoi tient-on absolument à ce que l’homme soit l’objet d’une science ?

Quel est l’homme dont se saisissent les sciences de l’homme ? Dominique Lecourt a très bien décrit tout à l’heure l’argumentation de Michel Foucault dans Les mots et les choses. Mais dans l’explication entre Foucault et les sciences de l’homme il n’y a pas que Les mots et les choses.

Les mots et les choses présentent l’aspect archéologique, c’est-à-dire quelles sont les conditions de possibilité d’une connaissance, d’une science qui se donnent l’homme pour objet, mais il y a aussi l’aspect généalogique, qui obéit d’ailleurs à une chronologie un peu différente, qui se trouve dans Surveiller et punir et dans La volonté de savoir.

Dans ces textes, les sciences de l’homme apparaissent comme un élément d’un dispositif de pouvoir. Les sciences de l’homme relèvent d’un dispositif de pouvoir contemporain s’appliquant sur les corps et prenant la forme de la discipline. C’est à travers les sciences de l’homme que le pouvoir disciplinaire donnerait une âme au corps. Cette question du pouvoir dans les sciences de l’homme, du pouvoir qu’elles servent, ou dont elles prétendent être indépendantes, avait été posée par Foucault dans ses textes sur la psychologie des années 50 et aussi par Georges Canguilhem qui, dans un texte fameux des Cahiers pour l’analyse, expliquait que la sortie du laboratoire de psychologie de la Sorbonne dirigeait soit vers la préfecture de police soit vers le Panthéon.

Quel est-il cet homme des sciences humaines dans Surveiller et punir ? C’est à la fois l’homme travaillant, l’homme des disciplines au travail, l’homme des disciplines à la guerre, l’homme des disciplines à l’école. Mais c’est surtout le délinquant. Selon une division intéressante, Foucault explique que dans l’exercice de la punition, il y a deux lignes de pouvoir qui s’exercent. Une ligne d’ordre juridique et judiciaire qui est en principe la ligne décisive, la ligne qui commande le reste, celle en fonction de laquelle s’effectue la condamnation ou est censée s’effectuer la condamnation pour des effractions ; mais cette ligne est en fait perpétuellement doublée avant même le jugement de l’infraction et de la liaison de l’infraction avec un criminel éventuel ; ou une autre ligne, indépendante, la ligne pénitentiaire ou la ligne policière-pénitentiaire. La thèse de Foucault est que, dans cette opposition et ce jeu permanent entre le judiciaire et le pénitentiaire, les sciences de l’homme ne sont pas du côté du juridique mais du côté du politique-police-pénitenciaire ; les sciences de l’homme servent précisément à organiser tout cet espace, qui est l’espace de la punition, qui est l’espace où on passe de l’acte à punir à l’homme à guérir. C’est aussi caractéristique de l’analyse foucaldienne des sciences humaines, l’homme des sciences humaines est toujours un homme malade ; c’est un homme qui se joue entre le normal et le pathologique. Le développement des sciences humaines appartient ou relève d’une histoire de la médicalisation autour du normal et du pathologique. L’homme des sciences humaines est l’homme normal, saisi à partir de ses écarts, de ses infractions, de sa pathologie.

On peut compléter cette description par La volonté de savoir. Dans La volonté de savoir, Foucault complète les descriptions précédentes en expliquant que le pouvoir moderne a aussi la forme du contrôle des populations, a la forme d’un bio-pouvoir. Dans cette figure, l’homme n’est guère plus attrayant puisqu’il est raciste et eugéniste.

Quel est donc l’homme des sciences humaines ? Je me suis un peu intéressé à un autre auteur qui s’est beaucoup occupé de l’homme et ses facultés. Je veux parler d’Adolphe Quételet. Chez Quételet l’homme a comme caractéristique non pas d’être normal mais d’être moyen. Toute la problématique de Quételet porte sur l’homme moyen, c’est une idée très intéressante qui illustre bien l’homme des sciences humaines. C’est un artifice intellectuel aussi intéressant que brillant qui contient deux caractéristiques. La première consiste à dire que l’homme ne peut jamais faire l’objet d’une science individuelle ; il n’existe comme un objet scientifique qu’en masse, qu’en population sous forme statistico-probabilitaire. L’homme n’existe qu’en masse. Il y a là un thème indissociable de l’objectivation démocratique. Quételet est vraiment un penseur de la démocratie : l’homme n’existe qu’en masse, comme une fraction de population. Il faut, pour penser l’homme, penser la population à laquelle il appartient ; chacun, nous ne sommes jamais qu’une fraction, qu’une probabilité d’une population. Quelle différence y a-t-il entre un homme et un autre ? Une différence qui n’est qu’accidentelle, comme la taille et la poitrine des conscrits. Dans la notion de moyenne, il y a cette autre idée que, grâce au type d’objectivation statistico-probabilitaire, les hommes en société ont les moyens d’avoir un jugement perpétuellement actuel sur eux-mêmes. Jusqu’alors, l’homme s’était donné deux types de référence : soit par rapport à sa nature, soit par rapport à un idéal à atteindre, un projet d’utopie. A travers les sciences humaines, il y a l’idée qu’il est possible d’avoir une sorte de jugement contemporain du groupe sur lui-même et que c’est cette mesure-là qui est la bonne mesure. Dans la sociologie de Quételet, cette norme qu’est l’homme moyen est à la fois une norme normative et une norme positive. Elle a les deux caractéristiques. Elle est à la fois une référence pour se comparer et un pur fait qui ne cesse d’évoluer en même temps que les hommes changent. L’homme moyen n’est pas l’homme vulgaire. La force de l’argumentation de Quételet est d’expliquer qu’il est possible d’avoir un jugement normatif sur soi qui soit purement positif et qui fasse l’économie de toute métaphysique. L’ensemble des événements que les hommes produisent dans leur vie sont susceptibles, par pure notation, et correctement combinés, de fournir une référence, une mesure commune, permanente. C’est à cela que servent les projets. L’étude de l’homme consiste à produire cette norme.

Selon cette perspective, on comprend qu’on ne puisse guère adhérer au thème selon lequel les sciences humaines sont des sciences de la libération de l’homme. Pourquoi fallait-il étudier la psychologie, la psychanalyse, etc. ? C’est parce qu’on se libérait. Dans les critiques récentes des sciences humaines, il y a l’idée que cette libération-là est illusoire parce qu’elle reconduit le pouvoir qui s’exerce à travers elles.

D’où l’idée que, pour se libérer, la première chose à faire est de se libérer des sciences humaines. Foucault n’est pas le seul à avoir mené cette critique : il y a toute une tradition au XXe siècle pour s’affranchir des sciences humaines. C’est la tradition phénoménologique française en tout cas. Husserl dans sa critique de tous les « isme » – psychologisme, historicisme, etc. – , mais surtout Sartre.

  • Chez Sartre on a une critique extrêmement violente et virulente de l’objectivation de l’homme dans les sciences humaines et même du projet de sciences humaines comme le projet de libération puisque pour Sartre tout ce qui relève des sciences humaines ne saisit strictement rien de l’homme, mais seulement des éléments de sa situation.

Vous savez comment Sartre donne à l’homme des sciences humaines le double choix : d’être soit un lâche soit un salaud.

Chez Foucault on a une autre version d’un projet qui n’était peut-être pas si éloigné et qui passe par une autre ligne qui est une ligne d’individualisation, une ligne où il s’agit précisément de se produire indépendamment de cette objectivation des sciences humaines comme une subjectivité distincte différenciée, ceci relevant d’une éthique.

Pardon. Je ne me suis pas penché sur la scientificité des sciences humaines. C’est que je ne peux y croire un instant, connaissant trop la nature de l’homme dans les sciences humaines. »

– Ewald, F. (1998). Humain, trop humain. Dans : François Ewald éd., Les Sciences humaines sont-elles des sciences de l’homme (pp. 19-26).  Presses Universitaires de France.

 

« […]

Reprenons par conséquent le problème tel qu’il se pose à l’intérieur même du champ des sciences humaines. Il s’agit d’abord de comprendre que si rien n’échappe au déterminisme, à chaque fois différent, que mettent en avant aussi bien la sociologie que la psychanalyse, voire une certaine linguistique, tout l’humain ne peut s’expliquer à partir du point de vue que chacune d’elles emprunte. Ensuite, il s’agit de bâtir, si possible, une conception cohérente des différents angles d’attaque de l’humain qui satisfasse à cette double exigence. Il est vrai que chacune de ces disciplines porte un regard sur la totalité de l’humain et que rien de ce qui est humain n’échappe à ses compétences ; toutefois, il ne saurait être question de leur concéder un regard exclusif, ni surtout d’accréditer leur tendance à l’unidimensionnalité. Sinon, elles se neutralisent les unes les autres et disparaissent toutes ensemble. À l’inverse, donc, si chacune d’entre elles fait valoir un déterminisme qui n’est pas du même ordre que celui que met en avant sa voisine, il lui faut admettre que cette voisine a un mot à dire de la réalité dont elle pourrait s’imaginer avoir l’apanage. Le sociologue et le psychanalyste ont ainsi quelque chose à dire d’un langage qui paraît de prime abord être l’objet de la seule linguistique ; de même du sociologue et du linguiste à propos de ce dont traite le psychanalyste, à travers la loi par exemple.

Il est en fait possible de produire un schéma cohérent de l’articulation des diverses approches relevant des sciences humaines, schéma qui ne sacrifie ni à l’unidimensionnalité, ni à la pluridimensionnalité sous son versant pluridisciplinaire (de juxtaposition) ou interdisciplinaire (de synthèse). Il faut pour cela introduire une différence entre un déterminisme spécifique et un déterminisme incident. Une explication spécifique, quel que soit le domaine auquel elle s’applique, a pour caractéristique de rendre compte de ce qui particularise la réalité à laquelle elle s’attaque. Elle fait état, à son niveau, d’un principe d’immanence causale : ce dont elle traite, sous l’aspect que son point de vue définit, ne saurait être expliqué par un autre déterminisme que celui qu’elle fait valoir. Le sociologue peut ainsi dénier à quiconque, à la suite de Durkheim, non seulement le droit, mais la compétence à traiter du social dans ce qui le fonde en tant que tel. De même, le psychanalyste contestera à tout chercheur s’inscrivant dans le cadre d’une autre discipline la capacité à rendre compte de ce qui installe véritablement l’homme dans un rapport à la satisfaction qu’il est le seul à connaître parmi les espèces vivantes. De même encore, l’analyste du langage récusera toute prétention d’une autre discipline à expliquer le langage dans ce qui le caractérise comme langage.

À chaque fois, il s’agira de faire remarquer qu’une définition tout à la fois homogène, interne et cohérente du phénomène dont on traite est possible et que nulle autre approche ne satisfait à ces exigences méthodologiques. Jamais un psychologue ou un linguiste ne sera ainsi en mesure d’expliquer ce qui fait que l’homme est capable de créer du lien social dans ce qui fait la caractéristique même du lien social. Et de même pour les autres disciplines lorsqu’elles dévoilent leur objet spécifique. En revanche, la compétence de chacune de ces disciplines ne se superpose pas au champ concret duquel elle extrait son objet. Ceci permet au sociologue de produire des analyses pertinentes du langage ou du désir et de l’éthique saisis dans l’acception la plus large, au psychanalyste de faire de même à propos du langage et du social, enfin à l’analyste du langage – celui qu’on appelait naguère le linguiste – de se mêler de la même façon aussi bien du social que de l’éthique et du désir. Lorsque le sociologue montre que la langue est une question qui relève de son champ d’étude, il met en évidence l’incidence du déterminisme du social sur le langage ; lorsque le psychanalyste prouve que l’étude de l’expression par le langage relève de sa compétence, il établit l’incidence du déterminisme du désir sur le langage, sans pour autant prétendre, pas plus que le sociologue, avoir épuisé explicativement ce dernier.

En d’autres termes, et pour reprendre toujours cet exemple des trois disciplines de la sociologie, de la psychanalyse et de la linguistique, la réalité dans laquelle chacune se plonge électivement se révèle hétérogène et multidéterminée. C’est vrai du langage en général, du social saisi dans sa plus grande acception et de l’éthique au sens large. Non seulement, donc, chacune d’entre elles ne saurait prétendre expliquer, à elle seule, tout l’humain, mais elle ne peut prétendre régner en seul maître sur le champ d’étude qu’elle s’est donnée. Autant elle se révèle capable de produire à l’intérieur de ce champ une analyse spécifique que nulle autre discipline ne produira en l’état actuel des connaissances, autant cette analyse n’épuise pas le champ en question et les autres disciplines peuvent sans difficulté prouver qu’il relève incidemment de leurs propres compétences. Le champ de compétences (qui n’est ni plus ni moins qu’une certaine réalité concrète) n’est donc pas identifiable au registre explicatif que produit un modèle théorique. De ce champ de compétences, chaque modèle explicatif extrait un objet d’étude qui lui appartient, ou bien en faisant ressortir la spécificité de son approche, ou bien en mettant cet objet d’étude en relation avec d’autres objets qui débordent le champ en question et qui sont tous ensemble rapportables à un autre déterminisme spécifique.

Chaque discipline projette, un peu à la manière d’un prisme par rapport à la lumière, une explication sur l’ensemble du psychisme, ou du culturel, en faisant valoir que les différentes dimensions qu’il recouvre participent toutes du déterminisme qu’elle met en avant, l’une d’elles seulement de manière spécifique, les autres de manière incidente, mais réelle. Telle est la seule façon de résoudre le problème que soulève l’existence de points de vue explicatifs différents à l’intérieur des sciences humaines et d’ordonner de manière cohérente la co-occurrence des déterminismes en même temps que la concurrence des disciplines et des modèles explicatifs sur lesquels elles se fondent. »

–  Quentel, J. (2007). L’homme pluridimensionnel. Dans : , J. Quentel, Les fondements des sciences humaines (pp. 129-153). ERES.

 

« Après une fin de xxe siècle difficile pour elles, les sciences humaines devraient à leur tour, au cours du xxie siècle, connaître un plein épanouissement. Les objections majeures qui leur ont été adressées, et qui paraissaient empêcher leur développement, se révèlent toutes réfutables, arguments à l’appui. Elles peuvent se prévaloir d’une démarche scientifique au même titre que les autres sciences qui les ont précédées. Encore faut-il, pour l’admettre, disposer d’un recul sur ce qu’une telle démarche suppose et ne pas l’avoir d’emblée réduite à son application à un domaine particulier, quel qu’il soit. La démarche scientifique, il faut y insister, n’est la propriété d’aucune discipline en particulier, ni d’aucun ensemble de disciplines, même si certaines peuvent incontestablement faire état d’un passé plus riche et par conséquent d’un plus grand prestige. Deux formes d’opposition aux sciences humaines demeureront malgré tout pendant un long moment encore. La première émane de ceux qui ne peuvent dépasser une position humaniste qui interdit en tout état de cause de conjoindre les termes de science et d’homme. La seconde provient de ceux qui témoignent d’un rationalisme borné, restreignant la visée scientifique au domaine d’application qu’ils connaissent et qualifiant d’irrationalisme tout ce qui prétend ne pas en relever.

Des arguments invoqués par ailleurs par ceux qui réfutent la prétention à la scientificité des sciences humaines, celui de la circularité dont elles témoignent est incontestablement le plus solide en apparence. Il semble irrécusable, conduisant à interdire apparemment toute démarche d’objectivation dans le champ de l’humain. Or, cette circularité qui paraît à beaucoup constituer un obstacle majeur se trouve précisément revendiquée et assumée par les sciences humaines. L’anthropocentrisme de leur démarche se révèle effectivement indépassable, car c’est bien de caractéristiques spécifiquement humaines qu’elles ont à rendre compte. Il serait toutefois illusoire de s’imaginer que les sciences de la nature sont, de leur côté, parvenues à évacuer tout anthropocentrisme, même si elle tendent à cet objectif : l’homme ne peut pas plus là que dans les sciences humaines échapper à lui-même, comme observateur et comme théoricien. Néanmoins, dans les sciences humaines, il doit être encore moins dupe de son implication dans l’observation. Car non seulement il est présent dans l’observation, mais, contrairement à ce qu’il en est dans les sciences de la nature, il s’observe lui-même. Cette sorte d’effet-miroir dans lequel le chercheur se trouve pris le voit tenter de mettre à jour des processus à partir de l’exploitation qu’il en effectue.

[…]

En d’autres termes, les sciences humaines rendent l’homme responsable de son fonctionnement, au sens où elles le saisissent comme étant au principe des processus spécifiques qu’il exploite dans des domaines divers. Utilisateur de capacités qu’on ne retrouve dans aucune autre espèce vivante, il est en même temps producteur de ces capacités et c’est cet homme producteur qui intéresse les sciences humaines, ses réalisations ne prenant sens que dans leur rapport à cette créativité dont il témoigne. Il est certain, dès lors, que certaines conditions historiques devaient être réunies pour que les sciences humaines fassent leur apparition dans le concert des sciences. Avant la fin du xixe siècle, ces conditions n’étaient pas remplies et il n’était pas possible d’imputer à l’homme lui-même la responsabilité de son fonctionnement. Les sciences humaines ont eu à assumer la rupture avec le registre du transcendant au niveau de l’homme lui-même, alors qu’elle n’était jusque-là effective qu’en ce qui concernait les phénomènes naturels. D’une part, cette assomption supposait que la rupture ait été préalablement effectuée par les sciences naturelles : l’ordre dans lequel ces registres d’étude scientifique sont apparus ne semble pas pouvoir être inversé. D’autre part, au-delà des conditions valant dans le domaine du savoir, des conditions sociales particulières devaient être réunies.

Si les sciences humaines ont eu à se prémunir de toute référence à un transcendant, quel qu’il soit, elles ont en même temps dû écarter l’immanentisme naturaliste auquel l’étude de l’homme paraissait devoir être dès lors livrée. En définitive, en refusant tout à la fois la transcendance et la transdescendance qu’évoque Georges Gusdorf, les sciences humaines rendent caduque la fameuse dichotomie du corps et de l’esprit dont nous héritons depuis Descartes. En d’autres termes, elles réalisent véritablement le dépassement de l’opposition entre le matérialisme et l’idéalisme, opposition dans laquelle l’ensemble de la réflexion sur l’homme s’est jusqu’à elles fourvoyé. Cette réflexion a pris fait et cause, tantôt pour l’un des aspects de cette dichotomie, tantôt pour l’autre, et elle a invariablement vu se succéder les refus matérialistes aux annexions transcendantales comme les réactions spiritualistes aux rabaissements matérialistes de l’homme et de son étude. Une orientation ne vaut en fait que dans son opposition à l’autre et l’on ne s’étonnera pas de ce continuel jeu de renvoi, chacune d’elles secrétant aussitôt son contraire qui prétend, à son tour, en rectifier les abus. En dernier lieu, le dualisme, quelle que soit la figure qu’il vient prendre, se révèle au sens strict inhumain : il fait valoir des processus qui occultent la spécificité de l’humain.

Plus généralement, les sciences humaines ont rencontré et rencontrent encore les mêmes difficultés que celles qu’ont connues avant elles les sciences de la nature. Elles ont d’abord à faire entendre, outre le fait qu’elles ne peuvent subordonner leurs recherches à une visée socialement utilitaire, que l’objet qu’elles se proposent d’étudier n’est pas directement donné et qu’il n’est pas immédiatement accessible. Il est, sinon caché, du moins construit par le point de vue qu’elles adoptent, comme c’est également le cas en physique et en biologie. Les sciences humaines ont à faire comprendre, ainsi qu’il en a été et en est toujours chez ses aînées les sciences de la matière et les sciences de la vie, l’abstraction que suppose l’élaboration des objets qu’elles se donnent : somme toute, personne n’a jamais touché du doigt l’atome, ni l’équateur ou le méridien de Greenwich et il n’y a pas plus insaisissable, plus abstrait en son principe, que la loi de la gravitation. Il en va de même dans ce dont traitent les sciences humaines ; elles ont à faire valoir méthodologiquement les mêmes exigences et à combattre le même type de préjugés. Elles ont également en commun avec la biologie, mais déjà auparavant avec la chimie, de s’inscrire contre ce dérèglement de la méthode, conduisant à une fermeture dogmatique et à une clôture de la réflexion, que constitue le scientisme.

On ne peut comprendre la situation dans laquelle les sciences humaines se trouvent actuellement si l’on ne parvient pas d’abord à apercevoir cette dimension de répétition dans laquelle s’inscrivent les résistances qu’elle rencontre. Somme toute, Freud l’avait déjà fait apparaître à propos de la psychanalyse, et l’on ne s’en étonnera pas étant donné l’importance qu’il confère à ce concept de répétition dans son modèle. Il est mieux placé que quiconque pour faire ressortir la dimension de perte que chaque avancée de la recherche scientifique entraîne, depuis la révolution copernicienne jusqu’à la psychanalyse, et en fin de compte l’ensemble des sciences humaines. Il y va chez l’homme de son narcissisme, insiste Freud, qui à chaque fois doit en rabattre. Il a dû admettre de n’être plus physiquement au centre de l’univers, de n’être physiologiquement qu’un maillon de la chaîne des espèces, fût-il le plus évolué : accepter d’être dessaisi de lui-même constitue une étape supplémentaire, sans nul doute moins acceptable encore dans la mesure où le petit « moi » de l’homme semblait constituer le refuge ultime de ses illusions. Il n’est finalement pas certain, quand on prend un recul historique sur l’ensemble de ces événements, que la résistance qui s’affirme à notre époque vis-à-vis des sciences humaines soit plus importante qu’elle ne le fût, en leur temps, pour les autres champs du savoir scientifique.

[…]

Il est cependant certain que les résistances déclenchées par les sciences humaines ont également leur particularité. Les certitudes qu’elles ont à vaincre concernent doublement l’homme : non seulement ce sont les siennes, mais elles ont pour objet son être même. La conscience qu’il a de lui-même ne peut que s’opposer à la mise en évidence de processus qui sont en lui et se soustrairaient à sa souveraineté. Comment l’explication du langage pourrait-elle lui échapper puisqu’il ne cesse de le mettre en œuvre ? Comment, de même, pourrait-il ignorer ce qu’est le désir puisqu’il l’éprouve constamment ? Il en va ainsi de toutes ses capacités .

L’humaniste spontané qui réside en tout homme ne peut s’accommoder de l’idée qu’il pourrait ne pas être transparent à lui-même et qu’il lui faudrait admettre de se faire objet de l’investigation de disciplines ayant en outre la prétention de rendre compte de son fonctionnement réel.

  • Le projet des sciences humaines s’assimile à cet égard à une véritable entreprise de démolition ; à le trouble qu’il provoque se révèle d’autant plus grand que l’homme ne peut dorénavant se prévaloir d’aucun garant extérieur à lui-même et qu’il lui arrive effectivement, de plus en plus souvent semble-t-il, d’éprouver des problèmes dits « existentiels ».

La résistance particulière que constitue de nos jours le cognitivisme ne constitue, quant à elle, qu’un épisode supplémentaire de cette répétition que connaît l’histoire des idées. Elle se comprend comme la persistance d’un dualisme que les théories cognitivistes prétendent pourtant la plupart du temps dépasser. Le cognitivisme, dans son projet général, ne constitue jamais qu’un nouveau physicalisme ; avec des moyens techniques nouveaux, d’une opérationnalité sans commune mesure avec ce qui existait jusque-là, il s’imagine remplir en fin de compte les conditions de réalisation d’une nouvelle « physique de l’âme ».

Un tel mouvement, qui connaît évidemment des tendances plus radicales que d’autres, témoigne avant tout de cette obstination à tout naturaliser qui est la signature même du scientisme, tel qu’il a pris corps dans notre civilisation en s’appuyant sur la préséance de la physique. Il traduit en même temps une remarquable occultation de l’histoire et de ce qu’elle introduit d’original dans l’étude de l’homme en insistant sur la dimension de son arbitrarité. À cet égard, le cognitivisme, qui se veut un mouvement d’avant-garde, constitue non seulement un frein au développement des sciences humaines, mais une incomparable régression dans l’histoire des idées : il saute à pieds joints pardessus le xixe siècle pour reprendre à son compte les objectifs du physicalisme du xviiie siècle.

En même temps que les sciences humaines ont à affirmer leur place et à montrer que leur prétention à la scientificité est légitime, elles ont à définir le plus précisément possible leur objet. Le xixe siècle leur a tracé la voie avec l’histoire qui obligeait à saisir que les réalités humaines ne répondaient pas aux critères scientifiques tels qu’ils étaient définis jusque-là par la physique et par la biologie. Ces réalités apparaissaient, au regard de ces critères, comme « arbitraires », c’est-à-dire en fait comme irrationnelles. Pourtant, l’histoire avait aussi sa raison, et celle-ci ne pouvait donc se réduire à celles qui permettaient d’expliquer les phénomènes physiques et les phénomènes biologiques. Lorsqu’il devint impossible de continuer à référer les événements historiques à des raisons extérieures comme la Providence ou un mystérieux « sens de l’histoire », il fallut les imputer à l’homme lui-même et à une raison en lui qui répondait à ses propres critères, même s’ils se révélaient difficiles à définir. Tous les pionniers des sciences humaines sont partis de cette arbitrarité des phénomènes humains dont, dans leurs domaines d’investigation respectifs, ils prétendaient traiter. Ils observaient alors que les phénomènes qu’ils tentaient de cerner n’étaient justement pas livrés au hasard et répondaient en fin de compte à une nécessité.

Quelle que soit l’emprise que l’histoire a pu exercer sur lui, quelle que soit l’importance que la dimension sociale en général tient dans sa modélisation théorique, Ferdinand de Saussure est ainsi parvenu à montrer non seulement que le signe linguistique constituait une réalité sui generis, au même titre que le social pour Durkheim, mais qu’il répondait à une raison qui n’était pas assimilable à celle de l’histoire.

De son côté, Freud découvrait l’inconscient et le rapportait à une raison différente de celle du signe, en insistant sur le fait que les processus qui en régissent le fonctionnement se révèlent « Zeitlos », intemporels, hors du temps et donc de l’histoire. En d’autres termes, Saussure et Freud mettaient à jour deux déterminismes de l’humain irréductibles aux lois des sciences de la nature, définissant deux dimensions distinctes de la rationalité, et ils montraient en même temps qu’il fallait les dissocier du registre de l’histoire dont aucun d’eux ne relevait. Ainsi, il apparaissait clairement que la spécificité humaine ne se manifestait pas qu’à travers l’histoire. Aujourd’hui, les sciences humaines n’ont pas fini, loin de là, de tirer les conséquences d’une telle découverte, entre autres en ce qui concerne la distinction des sciences sociales et des sciences humaines, et donc de leurs places respectives.

Qu’il s’agisse d’histoire – ou de social –, de signe ou d’inconscient, à chaque fois le déterminisme mis à jour aura une portée générale. La visée ne peut s’affirmer scientifique, y compris donc dans le registre de l’humain, qu’à cette condition de découvrir des processus généraux. Toutefois, dans ce registre particulier des sciences humaines, il faut être en mesure d’opérer une distinction nouvelle, non pertinente dans le champ des sciences de la nature, entre ce qui relève d’une analyse générale, en tant qu’elle s’oppose au particulier, et ce qui renverrait à un universel partagé par l’ensemble des hommes répartis sur la planète. Il n’est en fait jamais d’universaux chez l’homme, précisément parce qu’il se trouve toujours pris dans l’histoire et dans le social et que s’observent nécessairement de ce point de vue, à travers ses usages, de l’arbitrarité et de la contingence. Pourtant, cette impossibilité d’atteindre des universaux n’empêche nullement de tenter de définir des processus généraux, y compris lorsqu’il s’agit d’expliquer la capacité (générale) qu’à l’homme de se singulariser (et donc d’échapper à l’universel) en deçà de la diversité sans limites de ses manières de se différencier. Une telle distinction des registres du général et de l’universel se révèle fondamentale pour les sciences humaines ; ce n’est qu’à partir d’elle qu’elles peuvent approfondir leur objet.

[…]

Il demeure toutefois un problème d’envergure, celui de la place respective des différentes disciplines à l’intérieur des sciences humaines en fonction des objets qu’elles se donnent. Chacune d’entre elles a en effet une fâcheuse tendance, non seulement à ignorer ce que font ses consœurs, mais à réduire la totalité du champ de l’humain à sa propre approche et à occulter du même coup le déterminisme que les autres font, de leur côté, valoir.

On ne saurait s’en étonner : la définition même de la discipline (comme, plus généralement, du métier) se fait toujours de manière négative et l’affirmation d’une compétence se révèle nécessairement conflictuelle.

Il faut par conséquent pouvoir disposer d’une réflexion d’ensemble permettant de situer l’apport réciproque de chacune de ces disciplines, de telle sorte que l’homme ne soit pas traité, plusieurs fois et concurremment, de manière unidimensionnelle. Une telle situation contradictoire (elle aboutit en effet à prôner une unidimensionnalité multiple) ne peut être logiquement maintenue ; par ailleurs, la confrontation des disciplines et la prise en compte de leurs points de vue différents (qui, malgré tout, ne parviennent pas à s’annuler les uns les autres) obligent à saisir que tout phénomène humain est nécessairement pluridéterminé. La réflexion d’ensemble à laquelle nous en appelons suppose en fait l’élaboration d’un modèle cohérent.

Dans un chapitre de son ouvrage sur La raison intitulé « La raison expérimentale dans les sciences humaines », Gilles-Gaston Granger, s’interrogeant précisément sur la notion de modèle, souligne d’emblée que, dans le champ des sciences humaines, « le modèle vise […] à figurer le fonctionnement d’un secteur localisé de l’ensemble des phénomènes ». D’où un « pluralisme déconcertant des modes d’explication », ajoute-t-il. Et Gilles-Gaston Granger de poursuivre : « Nous possédons quelques cartes partielles de ce pays mal connu, mais aucun carton d’assemblage permettant d’entreprendre un cheminement prolongé ». Ce constat, déjà daté, vaut toujours en ce début de xxie siècle. Du moins, c’est ce que l’on croit. Beaucoup ne se posent d’ailleurs plus ce type de question et s’ils se la posent, ils réagissent bien souvent comme Gilles-Gaston Granger qui voyait en fin de compte dans un modèle unifiant un danger de totalitarisme.

Un tel modèle existe en fait déjà. Insuffisamment connu, il est dû à Jean Gagne-pain, linguiste et épistémologue qui a enseigné toute sa vie à l’Université de Rennes. Son créateur lui a donné le nom de « théorie de la médiation ». Il s’agit en fait d’un modèle anthropologique qui, historiquement, a pris acte des contradictions apparemment insurmontables existant entre les diverses disciplines à l’intérieur des sciences humaines et a proposé des solutions cohérentes pour les dépasser.

Le modèle de la médiation est ouvert, proposant une grille d’analyse des phénomènes humains qui reste à exploiter et non des solutions toutes faites. Il se révèle par ailleurs incontestablement heuristique. Sa force première réside précisément dans l’incomparable mise en ordre qu’il propose ; il offre un tableau cohérent de l’ensemble des sciences humaines permettant de reconnaître l’apport de chacune d’entre elles et de les situer en même temps les unes par rapport aux autres. Pour y parvenir, Jean Gagne-pain pratique paradoxalement « l’indiscipline », c’est-à-dire le refus des tiroirs disciplinaires figés faisant obstacle à l’élaboration d’un problème qui suppose précisément leur dépassement. En d’autres termes, la visée de Jean Gagne-pain est épistémologique, au sens où elle s’inscrit dans une approche constamment renouvelée du savoir et des institutions qui en garantissent l’élaboration et la diffusion ; cette visée épistémologique, bousculant donc l’actuelle répartition (tout à fait relative historiquement) des disciplines, s’oppose à une visée « idéologique », conservatrice du savoir. Elle pourra incontestablement heurter les usages familiers, en n’accordant par exemple aucun statut spécifique à la psychologi.

Toutefois, nous l’avons vu, la psychologie ne peut se prévaloir d’aucune homogénéité scientifique, ni même d’un objet spécifique.

Ce n’est ici ni le lieu, ni l’objet de présenter ce modèle ; d’autres se sont chargés de le faire, à commencer par son fondateur. Nous nous en tiendrons au dégagement de quelques axes de réflexion permettant de saisir en quoi ce modèle représente en quelque sorte la synthèse que vise l’ensemble de ce travail, synthèse évidemment provisoire et toujours à poursuivre. Le concept le plus important, ou en tout cas le plus original, de ce modèle théorique est vraisemblablement celui de « déconstruction ». La déconstruction de Jean Gagne-pain suppose un travail d’analyse logique, dégageant des identités substitutives et des unités décomposables et recomposables au même titre que n’importe quel travail d’analyse scientifique. Cette analyse prend dans le modèle une portée particulière dans la mesure où elle conduit à une dissociation des registres de l’humain et met ainsi en évidence des déterminismes différents, le tout dans un schéma d’ensemble cohérent. En conséquence, toute réalité humaine sur laquelle on s’interroge devra être « déconstruite » et sera analysée sous des angles différents, dès lors qu’elle se situe à l’entrecroisement de déterminismes distincts : aucun des points de vue sous lesquels on l’appréhendera ne suffira, à lui seul, à en épuiser la portée explicative, et la mise en œuvre d’une analyse supposera, au moins par la négative, la présence des autres et donc l’assomption d’une perte de pouvoir.

La théorie de la médiation fait en fin de compte éclater la rationalité : elle oblige à rompre avec le logocentrisme qui imprègne la pensée occidentale depuis les Grecs. Contrairement à ce qui se trouve constamment affirmé, le langage ne constitue pas le seul critère de l’humain. Pour le prouver, le modèle s’appuie sur la pathologie, aussi bien neurologique que psychiatrique ; elle y joue du reste un grand rôle, permettant de confirmer ou d’infirmer les dissociations théoriques dont on fait l’hypothèse.

Autre aspect profondément novateur du modèle, il refuse également l’ontocentrisme, le registre de l’être – au sens de l’être social – ne constituant à ses yeux, ainsi que le prouve la clinique, qu’une dimension de l’humain au même titre que les autres. Ce refus de l’ontocentrisme va de pair avec le fait qu’aucun des registres de détermination de l’humain mis à jour par le modèle n’a de prééminence sur les autres : il n’existe aucune hiérarchie entre les modalités de la rationalité ainsi éclatée. Ce refus de l’ontocentrisme permet par ailleurs de conférer à l’histoire et au social sa juste place et de ne pas ramener l’ensemble des sciences humaines aux seules sciences sociales : ainsi s’explique le fait que les déterminismes mis à jour par Saussure et par Freud n’aient que faire de l’histoire dans ce qui fonde leur spécificité. En d’autres termes, avec la théorie de la médiation, les sciences humaines sortent pour de bon du xixe siècle en récusant le primat de l’histoire.

Deux registres de déterminismes originaux sont par ailleurs mis à jour par la théorie de la médiation. Nous ne ferons ici qu’en signaler l’existence. Le premier, tout juste évoqué dans ce travail, se révèle, si l’on peut dire, vierge du point de vue de la recherche : il s’agit de la technique. Certes, les considérations sur la technique ne manquent pas, de même qu’on évoque beaucoup la technologie, mais nous ne disposons d’aucune réelle théorisation de ce domaine saisi dans sa dimension spécifique. Or, le modèle de la médiation montre qu’il n’est plus possible de continuer à subordonner la technique au langage (ni a fortiori de la réduire à ce que peut énoncer la physique des matériaux) : elle implique une autre forme de rationalité, celle de l’« outil ». L’homme vit dans un univers technicisé, sans la plupart du temps s’apercevoir de l’importance qu’il prend pour lui, ni surtout du fait qu’il en est lui-même au principe, comme il est au principe de la logique, du social et – nous allons y venir ensuite – de l’éthique. La structuration technique du monde à laquelle tout homme procède suppose une abstraction implicite et le dépassement du lien immédiat entre moyen et fin auquel en restent les autres êtres vivants. De cette fabrication sous-jacente à toute production technique, la pathologie de l’atechnie, en tant qu’elle se distingue de l’apraxie, vient par ailleurs témoigner.

Le second registre définit ce que Jean Gagne-pain a proposé d’appeler l’éthique. Ce champ-là est déjà bien labouré ; il constitue d’une certaine façon le domaine de prédilection de la psychanalyse. L’originalité de l’approche de la médiation réside en fait dans la claire dissociation introduite entre ce registre et celui du social auquel il demeure toujours lié dans la pensée occidentale, y compris paradoxalement pour les psychanalystes. L’homme, par sa capacité à structurer son désir, à le « normer », se situe au principe de la répartition du bien et du mal.

Il introduit dans son rapport à l’univers une autre forme encore d’abstraction ou de négativité, à travers ce que Jacques Lacan appelle « le manque » et Jean Gagne-pain « l’abstinence ». Surtout, cette capacité à prendre de la distance par rapport à la satisfaction immédiate ne doit rien au social dans ce qui la fonde comme capacité. Dès lors, la relation n’a plus ici le rôle que beaucoup continuent à lui conférer ; elle n’explique pas l’analyse spécifique que l’homme opère dans ce domaine, quelle que soit par ailleurs l’importance de l’éducation à laquelle il se soumet et la prégnance du code social qu’il peut connaître. Une telle façon de comprendre l’éthique, confortée ici aussi par la clinique, en l’occurrence celle du désir, achève d’une certaine manière le projet de Freud qui cherchait incontestablement à autonomiser ce registre par rapport à celui du social.

Quoi qu’il en soit, il est possible de conclure, à l’issue de cette enquête sur les fondements des sciences humaines, que la raison dont l’homme témoigne se révèle très probablement une dans son principe, mais qu’elle opère dans des secteurs différents de la vie psychique qui fondent autant de champs que s’arrogent les diverses branches des sciences humaines. Ainsi s’expliquent les analogies que recèlent leurs différentes problématiques, ainsi que les similitudes que nous n’avons cessé de souligner lorsque nous avons cherché à mettre à jour les caractéristiques générales de l’humain. Nous devons toutefois demeurer modestes : nous n’en sommes encore qu’à ouvrir les voies d’une recherche approfondie concernant cet « homme de raisons » saisi dans la spécificité de son fonctionnement. »

– Quentel, J. (2007). Conclusion. Dans : , J. Quentel, Les fondements des sciences humaines (pp. 229-243).  ERES.

 

Lectures supplémentaires / complémentaires :

  • Benrekassa, G. (1985). Fables de la personne. Presses Universitaires de France.
  • Sabot, P. (2006). Lire Les mots et les choses de Michel Foucault.  Presses Universitaires de France.
    • Sabot, P. (2006). 4. La contestation des « sciences humaines ». Dans : , P. Sabot, Lire Les mots et les choses de Michel Foucault (pp. 149-183). Presses Universitaires de France.
  • Quentel, J. (2007). Les fondements des sciences humaines. ERES.
    • Quentel, J. (2007). La réalité humaine. Dans : , J. Quentel, Les fondements des sciences humaines (pp. 105-128). ERES.
    • Quentel, J. (2007). Le général et l’universel. Dans : , J. Quentel, Les fondements des sciences humaines (pp. 81-103). ERES.
    • Quentel, J. (2007). Un fonctionnement dialectique. Dans : , J. Quentel, Les fondements des sciences humaines (pp. 205-228). ERES.
  • « Théorie, concepts et politique, avant et après 68 », Esprit, 2008/5 (Mai), p. 131-166.

 

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