

« Dans ce premier roman publié sous le pseudonyme d’Eza Boto, le lecteur découvrira, tracés avec une force qui s’accomplira exemplairement dans les œuvres postérieures, fort célèbres, de Mongo Béti, les drames d’une Afrique dominée, ceux qui opposent les humbles, les simples, les paysans, aux différents types d’exploiteurs du monde politique, économique et religieux. »
– Ville cruelle, Eza Boto.
Ville Cruelle (extraits) :
- Toutes sortes de souvenirs lui affluaient à la mémoire… Les cours de catéchisme… si tu voles… un franc à une vieille femme qui n’avait que ce franc pour toute fortune… péché grave… péché mortel… tandis que si tu voles cent mille francs à… une milliardaire, tu ne commets peut-être même pas un péché véniel…
- Dans la vie, songeait-il, ce qu’il faut, c’est ne jamais se décourager; il faut toujours lutter; nul ne sait où est fourrée sa chance; un jour, il la découvre par hasard, en fouinant.
- Avant de pénétrer dans le bureau du commissaire, il revit une dernière fois l’image de sa mère, une pauvre chose, maigre, noire, misérable, dégoûtante, inhumaine et digne de pitié, qui gisait sur un lit de bambou.
« Journaliste politique dans une capitale africaine, Zam traverse l’enfer de l’existence avec l’élégance de ceux qui abusent de l’alcool et du jazz.
Il ne dérange personne. Nul ne se soucie de sa liaison tapageuse avec la superbe Bébète et personne ne prend au sérieux les articles virulents qu’il s’obstine à publier contre la dictature au pouvoir. Alors, pourquoi lui vole-t-on sa collection de CD de jazz ? Pourquoi lui colle-t-on un cadavre dans son appartement ? Pourquoi veut-on le tuer ? Dans un monde où l’inertie le dispute à l’absurde, où les policiers sont prêts à payer leur supérieur pour n’avoir jamais à enquêter, où la corruption est le seul moyen de survivre, où l’intensité des cris d’indignation des sociétés occidentales est indexée sur le prix des matières premières qu’il reste à piller, les aventures désopilantes et baroques de Zam, le journaliste poète, révèlent avec une cruauté cinglante le destin tragique d’un peuple africain au bord du gouffre. »
– Trop de Soleil Tue l’Amour, Mongo Beti
Trop de Soleil Tue l’Amour (extraits) :
- Il faut dire que, si, après une longue période de dictature, des exilés, que favorise une circonstance imprévue, reviennent en masse au pays, ce n’est pas rassurant pour le pouvoir ; mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire a priori, ce n’est pas tellement plus rassurant non plus pour l’ensemble de la société en place, trop bien façonnée par le temps et les habitudes, trop résignée à ce qu’on appelle la force des choses. […] Les nouveaux venus ont des aspirations, un langage, un comportement non seulement étrangers, mais incompréhensibles, voire odieux. Le contraste de leurs façons de vivre avec les us traditionnels n’est-il pas un miroir où la société majoritaire lit nécessairement son arriération et sa décrépitude ? […] De même que la cellule humaine se positionne de manière à s’accoutumer à l’imprégnation alcoolique pour en devenir finalement un artisan involontaire, de la même façon les populations sédentaires avaient dû s’accommoder des exactions, des turpitudes des autocrates ; elles en avaient pris le pli. Presque plus rien ne les blessait ni ne les étonnait, bien au contraire ; elles en étaient même arrivées à applaudir aux extravagances de la dictature. Là où le peuple a été trop longtemps tenu à l’écart des lumières du droit, le vice devient la norme, le tortueux la règle, l’arbitraire la vertu. L’arrivée massive des exilés causa un choc aux populations, en les contraignant à un brusque réveil. On se réjouissait en public du retour des enfants prodigues ; en privé, on les blâmait de ne pas agir en sentir comme tout le monde. S’indignaient-ils de la corruption ? on leur répondait : « Il faut bien que tout le monde mange », oh, le vilain mot ! S’abstenaient-ils de courtiser les puissants ? Le peuple sermonnait : « Dieu a dit : obéissez aux supérieurs. » S’acharnaient-ils au travail ? on les en blâmait, sous prétexte que l’homme n’a qu’une vie et qu’il faut la gâcher le moins possible. Se scandalisaient-ils des financements dérisoires de l’éducation et de la santé des populations ? Priorité au remboursement de la dette, leur rétorquaient la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Prêchaient-ils la révolution, comme c’est la manie chez les exilés revenus au pays ? on levait les yeux au ciel en invoquant la fatalité. Les exilés étaient de retour, et c’est bien vrai que rien ne serait plus jamais comme avant. Mais, en attendant, le fleuve impavide des résignations mesquines et des turpitudes furtives continuait de couler, et c’est ce qui désespérait Eddie, trop attaché à son indépendance pour nourrir la moindre ambition politique à vrai dire, mais trop écorché dans sa dignité d’Africain par un long exil au milieu de populations racistes pour laisser courir les choses, et c’était là son drame.
- Ce discours, prétendument inspiré de la négritude, philosophie inventée par le grand poète antillais Aimé Césaire, est toujours accueilli avec enthousiasme, soulagement et reconnaissance par les dictateurs africains et leurs séides, souvent aussi dans les rassemblements populaire que flatte sa basse démagogie. Il faut croire que le vent avait tourné ; cette fois, la basse démagogie suscita une mémorable bronca faite de huées, de sifflets, de ricanement, d’apostrophes outrageantes, du genre : « Les ivrognes aux chiottes ».
- C’était très imprudent. Il y a un propos qu’un Africain ne doit jamais tenir devant un Français désormais, celui qui consiste à l’accuser de recolonisation. Ce soupçon met les toubabs français dans un état d’exaspération proche de la rage. Et si c’était vrai que seule la vérité blesse ?
- C’était très imprudent. Il y a des gestes qu’un Blanc ne devrait plus jamais faire en Afrique devant un Noir. Le grand flandrin ne put résister à la tentation d’allonger son interminable bras jusqu’à l’épaule du petit Blanc et d’y exercer une pression qui se termina en une poussée inverse de celle décrite par le célèbre principe d’Archimède.
« Ecrivain camerounais, Alexandre Biyidi Awala, est plus connu sous le nom Mongo Béti. Il est également l’écrivain Eza Boto. Mongo Béti est né le 30 juin 1932 à Akométam, petit village situé à 10 km de Mbalmayo, une ville distante de 45 km de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Et il nous a quittés le 7 octobre 2001, à l’âge de 69 ans, à Douala. Professeur, journaliste, libraire, Mongo Béti a toujours été perçu comme un écrivain contestataire et intransigeant.
La carrière d’écrivain de Mongo Béti commence dans les années cinquante et avec trois premiers titres, il se fait une place dans le monde littéraire africain. Sans haine et sans amour, en 1953 ; Ville cruelle (publié sous le pseudonyme Eza Boto), en 1954 ; et Le pauvre Christ de Bomba, en 1956. Le troisième titre, Le pauvre Christ de Bomba, est une dénonciation féroce de la société coloniale française. Dénonciation qui a fait scandale. La décolonisation n’a pas épuisé la capacité d’indignation de Mongo Béti. La preuve, Main basse sur le Cameroun : autopsie d’une décolonisation, paru en 1972. Ce livre a été censuré à sa parution par un arrêté du ministre de l’Intérieur français. »
« Le 7 octobre 2001, disparaissait, à l’âge de soixante-neuf ans, Alexandre Biyidi-Awala, dit Mongo Beti. Il laissait, en guise d’héritage, une œuvre littéraire conséquente : douze romans publiés entre 1954 (Ville cruelle) et 2001 (Branle-bas en noir et blanc), quatre essais, un dictionnaire et un nombre important d’articles et de textes divers. C’est dire si la vie de Mongo Beti est indissociablement liée à l’écriture sous toutes ses formes : fictionnelle, journalistique, pamphlétaire, didactique, polémique…
L’œuvre betienne est placée sous le double signe de l’engagement, et ce de manière viscérale, indéfectible, et de l’ostracisme, certains critiques n’hésitant pas à prononcer l’excommunication. Considéré tantôt comme un agitateur marxiste à surveiller de près, tantôt comme un anarchiste incontrôlable, toujours comme un extrémiste, Mongo Beti a vu son œuvre mise à l’index… ou superbement ignorée. Elle n’a pas eu, notamment à Paris où se concentrent les instances francophones de légitimation littéraire, l’audience qu’elle méritait. Or, aujourd’hui, les publications récentes en témoignent, la parole betienne trouve, de manière posthume, un réel écho et une audience plus favorable. En 2005, les éditions Homnisphères publient, sous le titre Africains, si vous parliez, une sélection des articles que Mongo Beti avait rédigés, entre 1978 et 1991, pour sa revue Peuples noirs – Peuples africains. La même année, Philippe Bissek compile, dans Mongo Beti à Yaoundé. 1991-2001, les écrits journalistiques que le romancier avait donnés à la presse camerounaise. En 2007, André Djiffack présente en trois volumes un autre florilège de textes betiens.
Outre cette volonté de redonner vie à une production abondante mais méconnue, se manifeste le désir d’une (re)lecture, d’un (ré)examen critique de l’œuvre romanesque. Dès 2003, Ambroise Kom avait édité un ouvrage à la mémoire de l’écrivain disparu, dans lequel les contributions d’amis et de proches de Mongo Beti côtoient celles d’universitaires. En 2008, Auguste Owono-Kouma publie Mongo Beti et la confrontation. Rôle et importance des personnages auxiliaires, version remaniée d’une thèse de doctorat. La même année, sous la direction de Frédéric Mambenga, paraît un numéro de la revue Interculturel francophonies entièrement consacré à l’écrivain. Et il serait aisé de prolonger cette liste tant sont nombreux les articles scientifiques qui, aujourd’hui, étudient tel ou tel aspect de l’œuvre betienne. En France et au Cameroun, bien sûr, mais également au Canada et aux États-Unis où une riche production critique voit le jour au sein des centres de recherche sur les sociétés postcoloniales.
Incontestablement, les écrits de Mongo Beti suscitent un regain d’intérêt après une longue période de défiance due essentiellement à l’approche idéologique que l’on avait de l’œuvre et à la réticence que provoquaient les interventions, souvent rudes, de l’écrivain. Car jamais la qualité littéraire des romans n’a été mise en débat. C’est donc bien l’engagement du romancier, ses prises de position politiques qui dérangeaient et contribuaient à marginaliser son œuvre littéraire. Le regard neuf que la critique, universitaire mais aussi journalistique, porte sur les romans de Mongo Beti signifie-t-il que nous assistons, en littérature, à un retour du politique, après une ère de soupçon envers tout ce qui pouvait ressembler à un texte engagé ?
Le fait marquant de la dernière décennie du xx e siècle a été l’annonce officielle de la mort des idéologies. Novembre 1989 était, prophétisait-on, un moment charnière de notre histoire : une page se refermait, celle des affrontements idéologiques, et une autre s’ouvrait sur le triomphe du libéralisme, entendu dans ses acceptions politiques et économiques. En d’autres termes, l’humanité était parvenue à la fin de son histoire. Il fallait se rendre à l’évidence, déposer les armes et accepter l’ordre du monde tel qu’il était proposé. Dans un tel contexte, les écrits betiens dénonçant les « protonations » africaines semblaient d’un autre âge, tout juste bons à être lus comme le témoignage folklorique d’une époque révolue. Or, l’actualité récente prouve, si besoin était, que les sociétés ont plus que jamais besoin de vigies, d’intellectuels qui, à l’instar de Mongo Beti, ont la capacité d’alerter les peuples sur les dérives, les excès, les abus dont se rendent coupables les hommes au pouvoir. De ce fait, la mort annoncée des idéologies n’a-t-elle pas fonctionné comme un leurre destiné à anesthésier les populations au moment même où triomphait une doctrine présentée comme un horizon indépassable, la seule perspective offerte à notre attente ?
Pour toutes ces raisons, il importe aujourd’hui de (re)lire l’œuvre de Mongo Beti.
[…] »
– Aït-Aarab, M. (2013). Introduction. Dans : , M. Aït-Aarab, Mongo Beti: Un écrivain engagé (pp. 11-22). Editions Karthala
« Dans les milieux littéraires, intellectuels et politiques africains, Mongo Beti (1932-2001) est entré dans l’histoire tant son écriture et ses opinions ont suscité et suscitent encore débats et controverses. Reconnu dès 1954 comme l’un des écrivains de langue française les plus importants, il fut cependant censuré à la fois en France et dans de nombreux pays africains pour ses dénonciations de toutes les formes de colonisation, du néocolonialisme, des dictatures et de la Françafrique.
Polémiste redoutable, pamphlétaire infatigable, romancier renommé et travailleur acharné, il fut pendant plus de 30 ans un écrivain exilé. Par crainte légitime des pièges et persécutions dont il pouvait être l’objet, il avait instauré une distance entre lui et quiconque cherchait à l’approcher, ce qui n’a pas facilité le travail des chercheurs autour de son oeuvre.
« Mongo Beti parle », recueil de discussions et d’entretiens avec Ambroise Kom, est le testament d’un intellectuel hors norme qui, par son engagement total en faveur de la liberté en Afrique en général et au Cameroun en particulier, a inspiré plusieurs générations de leaders. C’est aussi et surtout un ouvrage de réflexions d’un libre penseur, avec ses ambiguïtés, ses paradoxes mais également son attachement viscéral à l’Afrique, au Cameroun et à son coin de pays natal. »
« […] Ce livre conclut une oeuvre disparate, où fiction et politique s’entrecroisent en permanence, et dont, pourtant, l’unité profonde est évidente. Reconnu dès 1954 (date où sortait son premier roman, Ville cruelle, sous le pseudonyme Eza Boto) comme un des pionniers de la littérature africaine francophone, le Camerounais Mongo Beti n’a cessé, sa vie durant, de provoquer débats et controverses dans les milieux intellectuels et politiques africains, mais aussi français.
L’un de ses essais les plus célèbres, Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation, fut interdit à sa sortie (1972) par le ministre gaulliste de l’Intérieur Raymond Marcellin à la demande du gouvernement camerounais, démarche qui lui avait été soufflée par Jacques Foccart, l’inspirateur du néocolonialisme à la française. Le livre connut néanmoins une diffusion non négligeable organisée sous le manteau, que son auteur paiera de longues années d’interdiction de retour au pays.
La revue qu’il créait quelques années plus tard, avec son épouse Odile Tobner, Peuples noirs, peuples africains (1978-1991), ne fit rien pour arrondir les angles, pas plus envers Yaoundé que par rapport à la cellule élyséenne. De même que sa Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobé (leader de l’UPC, fer de lance du mouvement indépendantiste, ce dernier avait été exécuté en 1958 par les troupes coloniales françaises) publiée en 1986. Dix ans plus tard, il récidivait avec une Lettre ouverte au Parti socialiste français dénonçant l’accueil réservé par François Mitterrand au dictateur affairiste Paul Biya. Prolongée deux ans après par un ouvrage au titre dépourvu d’ambiguïté : la France contre l’Afrique. Jusqu’à sa mort, le 7 octobre 2001, Mongo Beti maintint le même cap, alternant créations littéraires et pamphlets politiques.
Regroupant une série d’entretiens réalisés à l’initiative d’Ambroise Kom, Mongo Beti parle constitue, à tout point de vue, ce que le sous-titre appelle le « testament d’un esprit rebelle ». Sa publication fait suite à celle d’un autre ouvrage posthume, Africains, si vous parliez (même éditeur), qui, lui, reprenait une série de textes parus dans la revue Peuples noirs, peuples africains. Dans les deux cas, on y retrouve le refus de tout prêt-à-porter intellectuel et la lucidité décapante qui font l’originalité et la force de cette oeuvre sans équivalent. Et expliquent sa valeur de référence aux yeux des militants progressistes camerounais comme du continent dans son ensemble. »
– Mongo Beti, La lucidité d’un esprit rebelle, Jean Chatain
« Trop de soleil tue l’amour, du Camerounais Mongo Beti (1932-2001), est l’un des romans policiers africains les plus connus. Les thèmes qu’il aborde, superficiellement ou de manière approfondie – la dictature, les politiciens véreux, l’injustice sociale, l’insécurité, la violence, la débauche, l’alcoolisme, l’exploitation, les trafics divers… – servent de toile de fond à des aventures échevelées mettant en scène Zam, un jeune journaliste idéaliste, un peu alcoolo et féru de jazz, sa petite amie Bébête aux mérites peu reconnus et Eddie, « émigré sans papiers rapatrié de force par charter », pseudo juriste fort en gueule mais plein d’intelligence et de ressources…
Zam n’a pas de chance. Alors qu’il prépare une série d’articles sur la déforestation et les spoliations foncières dont sont victimes des communautés villageoises, il est surveillé, filé, accusé de tous les maux et de tous les crimes. Ceux qui lui en veulent vont jusqu’à dynamiter l’immeuble dans lequel il a trouvé refuge avec sa belle! Ce qui ne suffira pas à lui faire rendre les armes, car, tout comme Rosa Parks refusant de laisser sa place à un blanc dans un bus de Montgomery, si on ne fait pas quelques chose, rien ne se passe.
- Mais alors, qu’est-ce qu’on t’a dit ?
- Rien, seulement : tu vas faire des enquêtes et ça va te changer.
- Ça va te changer ? Pourquoi ça va te changer ?
- Parce que, nous, dans notre police, on ne fait jamais d’enquête ; c’est même interdit.
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Non mais c’est dingue. C’est interdit aux policiers d’ici de faire une enquête ? C’est vrai, ce mensonge ?
- C’est vrai monsieur.
- Est-ce possible ?
- Si, si, c’est vrai, monsieur. Chaque fois qu’on fait une enquête, on tombe immanquablement sur un grand.
- Un homme puissant, c’est ça que tu veux dire ?
- Oui, monsieur. C’est pour ça que c’est interdit de faire des enquêtes. © Julliard 1999
La charge est forte et l’auteur laisse peu de place aux espoirs de démocratie dans un pays où la corruption, le clientélisme et le népotisme sont la norme et où prévalent parti unique et Président élu à vie (pour mémoire, Paul Biya dirige le Cameroun depuis 1982 après avoir été Premier ministre de 1975 à son élection). Zam, en subira les conséquences et paiera cher, tout comme Eddie, son ami « avocat », épris de grands idéaux mais rapidement devenu cynique. On retiendra également quelques personnages secondaires, plus ou moins reluisants, comme PTC, le directeur du journal, Norbert, « flic amateur d’extras », Georges, le toubab néo-colonialiste manipulateur et pervers, enfin un « grand », un politicien haut placé servant de courroie de transmission aux pratiques locales. Seule Bébête, personnification de la femme africaine à qui l’éducation a fait défaut et que la pauvreté a réduite au rang de victime, émerge de façon positive.
Trop de soleil tue l’amour souffre d’un rythme irrégulier et d’une écriture qui hésite entre le français académique et un argot – celui d’Eddie en particulier – un peu incongru. Comme si l’auteur avait souhaité éviter la couleur locale du « français africain » que certains privilégient. On retiendra par contre une galerie de portraits saisissants et de belles digressions sur la réalité africaine d’aujourd’hui. »
« Après avoir publié (chez le même éditeur) en 1994 L’Histoire du fou où il montre que ce qu’on a appelé un peu vite l’ère des démocratisations en Afrique est une farce permettant aux dictateurs d’organiser des simulacres d’élections pour se maintenir au pouvoir, Mongo Beti revient avec un roman décrivant un continent à la dérive.
L’action du livre se déroule quelque part dans un pays africain , qui pourrait être le Cameroun. Son intrigue est simple. Zamakwe, un journaliste politique engagé se retrouve un jour avec un cadavre dans son placard. Ses C.D. qui sont ses plus belles richesses sont par la même occasion dilapidés. Au fil du récit, sa maîtresse, la belle Élisabeth, est enlevée par des « Escadrons de la mort ». Zamakwe, narrateur et protagoniste du roman, accompagné de son ami Eddie, décide de mener une enquête qui débouche sur un cauchemar. Car à la fin, il est à son tour enlevé par un chef de bande armée qui prétend être son fils…
Ce roman au ton juste et d’une lecture aisée est à la fois un livre de continuité et de rupture au regard de l’oeuvre de Mongo Beti. Continuité parce qu’il évoque les thèmes chers à l’auteur : l’importance de la question politique, la remise en question des rôles que la société impose aux individus, la problématique de la parenté et du remords présente dans Perpétue ou l’habitude du malheur (1974). Rupture parce qu’il est avant tout un livre d’amour écrit dans une langue essentiellement populaire. »
« […] Tout comme à l’apogée de la colonisation, l’absolutisme de la langue française était un humus empoisonné sur lequel poussaient nécessairement des plantes malsaines : l’apprentissage jamais achevé de ses raffinements retenait dans l’infantilisme ; l’exclusion inévitable ou calculée hors de ce paradis de l’immense majorité des populations produisait l’obscurantisme, la stagnation sociale et politique, ainsi que la frustration des masses. La rareté infinitésimale des élites, ces élus qui, surmontant tous les handicaps, parvenaient à la conquête d’un diplôme, en faisant un arbuste malingre qu’on enfermait dans la serre chaude des quartiers séparés où elles se laissaient déposséder d’elles-mêmes. L’assujettissement sans espoir faisait lever des moissons de révolte. Décidément, se persuadait le frère de Perpétue, l’Afrique est ravagée par trois grands fléaux, la dictature, l’alcoolisme et la langue française, à moins que ce ne soient trois visages d’un même malheur. […] »
– Perpétue et l’habitude du malheur, Mongo Beti.
« A dater de ce jour-là, de ce moment-là, deux convictions se sont solidement installées en moi et n’ont pas bougé : la première, c’est qu’il n’est rien au monde qui ait plus mauvais goût que le whisky américain ; la seconde, qu’il n’est rien au monde comme une boisson alcoolisée pour vous mettre à l’aise dans n’importe quel milieu.
Le drame dont souffre notre notre peuple, est celui d ‘un homme laissé à lui-même dans un monde qui ne lui appartient pas, un monde qu ‘il n ‘a pas fait, un monde où il ne comprend rien. »
– Mission terminée, Mongo Beti.
« Je vous en supplie, frères, laissez-moi écraser cette sale vermine sous mon seul pied gauche et vous n’en entendrez plus jamais parler. Qu’est-il venu ficher dans notre pays, je vous le demande? Il crevait de faim dans son pays, il s’amène, nous le nourrissons, nous le gratifions de terres, il se construit de belles maisons avec l’argent que nous lui donnons; et même nous lui prêtons nos femmes pendant trois mois. »
– Le Pauvre Christ de Bomba, Mongo Beti.
