Je suis un Pénis

by dave

J’ai un sexe, il est un pénis, je suis donc un homme, ce qui est absolument artificiel, cela est totalement inexact. Un pénis, un élément de ma composition physiologique ou même biologique, il n’est rien d’autre qu’une différentiation qui ne dit rien de plus que la différence (une particulière propriété ou simplement une particularité) par rapport à quelque chose d’autre (qui est tout autre). Si je suis un homme, c’est parce que c’est un construit que j’ai intégré, c’est-à-dire que la différence dite « naturelle » a été signifiée, traduite, déplacée ou inscrite dans une catégorie qui est (comme la signification, la traduction, le déplacement, l’inscription) le produit de l’esprit humain. Ce qui implique une construction avec des sens sur lesquels en tant que sujet je n’ai pas d’abord eu à discutailler (le sujet libre est avant tout et originellement un sujet passif, comme je l’ai souvent dit le « pourquoi » de l’enfant qui ingurgite des sens et significations – savoirs et connaissances – que l’on pourrait qualifier d’institutionnels ou de traditionnels – voire les régimes de vérité en vigueur dans la communauté dans laquelle il grandit – est le premier acte de la liberté car le « pourquoi? » possède une dimension critique).

Au fil de mes expériences, j’ai pu remettre en question cette « vérité » (remise en question produit de mon expérience de la diversité qui dit véritablement des expériences plurielles radicales qui peuvent être celles de ma confrontation avec d’objets multiples comme les arts, les littératures, les sciences, les rencontres humaines, les voyages dans les ailleurs, etc.), et peut-être j’ai amendé cette construction (produit de la mobilisation du « logos », du « mythos », des « rationalités », des « croyances », etc.) afin qu’elle réponde à mes propres besoins de tous ordres (psychologique, culturel, social, politique, etc.), donc j’ai reconstruit le construit, sans nécessairement que cette sorte de normativité vaille pour tous, elle m’est d’abord personnelle et ainsi particulièrement subjective.

En ce sens, des gènes X Y Z et Etc. ne me définissent pas en tant que sens et significations, en tant que « réalité », sans toutefois qu’ils ne puissent jamais sans doute avoir une quelconque influence ou incidence sur l’espace des possibles qui s’offre à moi. Je ne suis donc pas un homme, je suis un être humain (ce qui veut dire aussi que cette qualification n’est que le produit d’une traduction, d’une compréhension, d’une interprétation, etc., puisque elle est la résultante d’un double processus de réflexions sur l’hominisation – soit la réflexion sur le processus évolutif biologique – et sur l’humanisation – soit le processus de réflexion propre à l’évolution culturelle de l’homo sapiens en particulier : donc « être humain » n’est que la résultante de ce double processus de réflexion et veut dire en fait « hominoïde humanisé »).

Aucun gène, aucune biologie, aucune espèce de « logos », aucune sorte de « mythos », aucune rationalité, aucune croyance, aucune affirmation « scientifique » ou « intellectuelle » (« religieuse », « culturelle », « politique », etc.) ne pourra jamais me l’enlever. On pourrait me trancher la queue, que cela ne m’empêchera pas de revendiquer une identité genrée (ou non) ou sexuelle (ou non) qui découle de ma définition de moi-même (issue d’une négociation relative avec une diversité d’identifications ou d’influences, etc.), on pourrait m’émasculer que cela ne changera rien de cette « vérité » de ma personne en tant qu’être humain avec ses orientations et ses préférences de toutes sortes. « Homme » (ou « femme ») est simplement une construction issue d’une traduction (autant linguistique, culturelle, socio-politique, idéologique, etc.) de la différence « naturelle ». Est-ce si difficile à comprendre et à intégrer ? « Être humain » ou « humain » n’est rien qu’une construction, est-ce si compliqué à saisir?

La différence n’a pas en soi de sens, l’on est toujours différent par rapport à quelque chose d’autre et ce quelque chose ne veut rien dire en soi ou n’a aucune importance substantielle que lorsque l’on est capable de lui attribuer un sens et/ou une signification, voire une valeur (symbolique en l’occurrence). La différence n’est donc (au-delà de l’observation ou du constat de la phénoménalité de la chose ou du moi empirique, dans ses caractéristiques ou ses propriétés qui ne le sont que parce que nous les évaluons par rapport à quelque chose de dissemblable, dans une forme d’externalité référentielle toujours) que la prise de conscience ou l’intégration de la traduction de ce qui n’est pas semblable ou de l’absence de ressemblance. J’ai un pénis, je suis un homme, j’ai un pénis donc je suis un homme : cela n’a aucun sens, et cela tout petit enfant pourrait le confirmer. A un moment donné, il faudrait arrêter les arguties inutiles et autres byzantinismes stériles.

J’ai un pénis, et alors ? Suis-je un « mâle » ? Dans certaines cultures, on ne saurait toujours répondre à cette question, car cette différence ne renvoie pas à la même acceptation (définitoire, catégorielle, essentialiste, etc.) pour tous. Ai-je besoin d’aller (séjourner) au fin fond de l’amazonie ou dans une tribu amérindienne pour démontrer ou prouver ceci ? Non, simplement aller (séjourner) au fin fond de sa propre réflexivité, qui est un mouvement critique sur son identité (etc.). D’aller séjourner en moi, de me confronter aux sempiternelles mais jamais définitivement répondues du : qui suis-je ? Que suis-je ? Le sais-tu davantage que moi ? Et moi le sais-je davantage que toi ?

Tout ça pour dire : à un moment donné, faut arrêter le délire de cette inflation d’injonction présomptueuse péremptoire intellectuellement masturbatoire et autoritariste (bien plus que simplement autoritaire, « autoritariste » comme associé à fasciste et totalitariste) sur le « Je » (des autres).

D’où vient le « mâle », la « femelle », qui en a décidé ainsi, pourquoi, en quoi est-ce une dénomination ou une catégorisation (sémantique morale politique etc.) universelle ? Celui-là ou celle-là, je l’emmerde, pour qui se prend-t-il ? Pour qui se prend-t-il de venir me dire que je ne pourrais pas choisir qui/que je suis ? Un scientifique ? Un intellectuel ? Dois-je ici faire une thèse sur cette posture invalidée et mise à nu par nos transformations/évolutions de la connaissance et du savoir ? Par la diversité culturelle des savoirs et des connaissances ?

On me dira, mon propos est rhétorique, et oui c’est exact et puis quoi ? Quel intellectualisme ou « savanterisme » n’a pas une part de rhétorique ? Quel intuellectual-hystérisme ou « savantisme » n’a pas une part de jargon, de blabla boursouflé, de syntaxe branlante, ou que sais-je encore ? Cela a-t-il empêché l’esprit de saisir la substantifique moëlle du propos ? La rhétorique est une facilité comme argument d’élimination du fond d’un propos, l’accusation de « sophistiscisme » (faudrait encore savoir de quoi on parle dans ce « sophisticus logicus circus » véritable foutoir) est irrecevable quand la réfutation n’est pas une question de fond (de faiblesse du fond), la méthodologie est une facilité réfutatoire quand le fond peut être sauvegardé (surtout s’il a un apport heuristique), trop de mauvaise foi dans le discours scientifique et trop d’idéologie ou de politique trop de guerre (d’égo, de frustration, de complexe, ou de batailles de chapelles paradigmatiques et doctrinales) voire d’élitisme pour dire trop de conneries qui à eux seuls permettent de disqualifier définitivement toute « vérité ».

En fait, ce matin, en fumant ma clope matinale, je me suis dit que la « science » comme mon pénis ne veut rien dire. Il faudrait urgemment remplacer « science » par un signe de ponctuation : « ? » voilà qui serait approprié, exact, pertinent, honnête. Cela n’est pas nouveau, dans les ailleurs, dans les réalités ailleurs, cela est mathusalem.

Ce matin, en buvant mon café corsé et en tirant une clope, je me suis dit que nous arrivons à un moment de notre histoire globale où il est plus qu’urgent de sortir du vieux monde et d’embrasser le nouveau monde, celui qui assume son « ? » comme un espace de possible jamais circonscrit. On ne révolutionne rien dans le consensus mais en dehors (copernic en est l’exemple-type), on ne révolutionne rien en résolvant des énigmes mais en s’affranchissant des énigmes car la révolution des savoirs et des connaissances est d’abord un dépassement des irrésolutions de l’entre-soi qui tournent toujours en rond (très souvent un entre-soi phagocyté par des relations de l’inimitié, de la prétention, de dogmatisme, de fondamentalisme, de chapelles doctrinales, de carrière universitaire ou intellectuelle, de prestige universitaire ou intellectuelle, etc.). On ne remet pas en cause l’ordre établi seulement en pointant ses insuffisances (car cela serait simplement réaliser un progrès plus ou moins ordinaire) mais en proposant un autre (satisfaisant, disruptif, suffisant, etc.) dépassant les insuffisances de l’ancien (c’est aller au-delà du progrès ordinaire, c’est pousser plus loin le progrès subtil).  Notre contemporanéité est un ordre de progrès ordinaire dans le meilleur des cas, un progrès subtil mais ô combien limité ou insignifiant dans la réalité.

Je suis rhétorique, je suis un enfant d’une tradition orale, une oralité un peu comme socrate qui n’a jamais pondu le moindre livre ou essai (etc.) et qui maniait très bien l’art rhétorique et le logos (d’après l’apologie écrite par son discipline platon, dont nous ne saurons jamais avec certitude absolue la part de « vérité » attribuable à son maître socrate et la part de platon). La rhétorique est dans mes gènes ou dans mon artificiel voire mon construit (les débatteurs intello-académiques rayeront les mentions inutiles, ce qui ne m’empêchera pas de leur démontrer qu’ils ont tort). Je ne m’en excuserai jamais, comme je n’ai pas vu beaucoup d’excuses de tous « ces grands illustres » pullulant dans la « bibliothèque savante » qui sont ad nauseam cités partout (sans toujours que cela soit pertinent ou même indispensable). Je suis rhétorique, celui qui n’est pas content se mouche. Je suis sans doute sophiste, comme tous les « non-sophistes » autoproclamés qui racontent simplement n’importe quoi (comme j’ai souvent essayé de le montrer ici dans les « varia« ), à la différence que je n’ai la prétention de rien (c’est-à-dire je veux simplement comprendre, et de ce fait pouvoir agir profondément, substantiellement, dans les limites de mes modestes capacités).

Je suis rhétorique, petit-fils d’une griot, je ne renierai pas cet héritage, je ne me renierai jamais. Autant que je ne saurais nier le pénis qui est mien, ou qui je crois ou ce que je crois être. Et je ne transférai jamais à qui que ce soit, ni à aucun autoritarisme (qu’il soit social, culturel, naturaliste, intellectuel, académique, politique, etc.) le pouvoir de me définir, donc de me faire renoncer à ce qui constitue de façon substantielle un des éléments de mon « Je », de mon « Soi », de mon « Moi », etc. Personne.

Je suis mythos et une variante de logos, je suis muntu, etc. Je suis un pénis, pas un homme mais un être humain. Pas besoin de la verbosité de la littérature scientifique, de ces masturbations de l’entre-soi, ces guerres imbéciles, ces critiques pas toujours fondées ou nécessaires, etc., pour me définir. A un moment donné, il importe que le « ? » qu’est la science arrête de se prendre pour ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire un « ! », la science c’est un « ? » qui sous-entend un « … » comme une suite à venir (avenir) sans lequel il n’est rien (ou il n’est plus ce qu’il veut / prétend vouloir / prétend être). Et même, je te dirai il pourrait continuer, personnellement, en buvant mon café et en fumant ma clope, je suis passé au « ? », le nouveau monde. Avec mon pénis, qui ne veut rien dire.

Terre plurielle et disséminée, aussi bien historique qu’onirique ou fantasmée, destination imaginaire ou espace du retour impossible, l’Afrique est ce royaume perdu, cette utopie où s’origine la vibration qu’on finira par nommer « jazz ». Cette vibration enfouie au fond de la cale, au creux du souffle des esclavagisés, déportés aux Amériques, a été un scintillement, une luciole au sens où l’entend Didi-Huberman que l’ordre colonial n’est pas parvenu à éteindre, et qui a fini par questionner l’Occident de l’intérieur comme l’explique Christian Béthune. Cette vibration avant tout créative et artistique qui participe du salut, c’est l’esprit jazz, suspendu entre l’Afrique et les Amériques, comme un pont de lianes tressées, surgi dans la profondeur de la nuit, un pont immatériel qui a permis la résistance face à la réification et la déshumanisation héritées de l’esclavage, mais aussi la reconstruction de soi.

Les Afriques du jazz autour desquelles nous souhaitons nous retrouver cette année 2020, ce sont tous ces fils conducteurs, ces racines aériennes, pour reprendre la belle image d’Edouard Glissant, qui ont conservé une capillarité artistique avec le Continent dans l’ensemble des arts. Ce sont tous les liens que l’esprit jazz tisse avec les Afriques (du Nord, de l’Ouest, de l’Est, du Sud… des diasporas et d’ailleurs) et que les Afriques tissent à leur tour avec les Amériques (du Nord, du Sud et des Caraïbes) par le jazz. Il ne s’agira pas seulement de penser le jazz en Afrique ou les représentations de l’Afrique dans le jazz, mais de voir surtout comment les Afriques inspirent l’esthétique jazz dans la musique, les arts plastiques, la littérature, sur la scène, au théâtre comme au cinéma.

Les Afriques du jazz, Esthétique(s) Jazz #8

Lectures supplementaires / complémentaires :

  • Piot, C. (2008). Isolément global: La modernité du village au Togo. Editions Karthala.
  • Houdard, S. & Thiery, O. (2011). Humains, non-humains: Comment repeupler les sciences sociales. La Découverte.
  • Chabot, P. (2015). L’Âge des transitions. Presses Universitaires de France.
  • Heintz, C. & Claidière, N. (2011). Chapitre 40. Les darwinismes contemporains en sciences humaines. Dans : Thomas Heams éd., Les mondes darwiniens: L’évolution de l’évolution. Volume 2 (pp. 1177-1212). Editions Matériologiques.
  • Chabot, P. (2011). Progrès utile et progrès subtil. Le Philosophoire, 36(2), 53-64.
  • Claidière, N. & Guillo, D. (2016). Comment articuler les sciences de la vie et les sciences sociales à propos des relations humains / animaux ? Un modèle interactionniste et évolutionniste. L’Année sociologique, vol. 66(2), 385-420.

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