Techno-Populisme : « simplement le monde des individus et ces abstractions, le peuple et l’expert »

by dave

« […]

Comment caractériseriez-vous la relation entre le déclin des formes traditionnelles de représentation et la montée en puissance des mouvements populistes ?

Le champ politique traditionnel, qui s’est imposé dans le courant du xixe siècle et au début du xxe siècle, est déterminé par certaines traditions politiques, certaines idéologies politiques en particulier. Pour simplifier, la gauche et la droite sont devenues les deux pôles structurants de ce champ politique, représentés par des partis.

Or, pour différentes raisons, l’espace politique aujourd’hui en Europe est recouvert par un second champ, que j’appelle « techno-populiste ». Dans ce champ, au lieu d’avoir la gauche et la droite, nous avons le populisme d’un côté, entendu comme discours de légitimation par référence à la volonté du peuple, et la technocratie de l’autre, entendue comme un discours de légitimation par référence à l’autorité des experts, du savoir, qui renvoie à une conception épistémique de l’autorité démocratique. Le champ politico-idéologique traditionnel n’a pas entièrement disparu, mais il entretient des rapports complexes avec ce nouveau champ techno-populiste. Dans certains cas, on a l’impression que le langage de gauche et de droite n’a plus de sens. Certains mouvements et partis, ceux qui incarnent les versions les plus « pures » du techno-populisme, affirment clairement que gauche et droite ne veulent plus rien dire, et s’identifient plutôt par référence au pouvoir des experts ou à l’autorité du peuple.

L’effritement du champ idéologique traditionnel est complexe. Pour l’expliquer, il faut sans doute faire intervenir une dimension externe : l’ouverture des marchés nationaux et la concurrence très intense, qui ont tendance à rendre plus difficile le travail d’une gauche traditionnelle, qui suppose de maîtriser les frontières nationales par rapport à la vie économique. Il faut aussi intégrer une dimension géopolitique : l’idée de gauche et de droite correspondait au xxe siècle à un conflit entre différents systèmes, qui était l’essence de la guerre froide. Avec la fin de la guerre froide, il n’existe manifestement plus de modèle alternatif à une société fondée sur les rapports du marché, ce qui rend le clivage gauche/droite moins pertinent. Il faut encore mentionner l’histoire de la classe ouvrière et de ses représentations et formes d’organisation, surtout syndicale : la dégradation, voire la destruction, de ce modèle corporatiste qui permettait aux syndicats d’avoir un rôle dans le processus de décision sur les enjeux macroéconomiques. Tout cela explique l’effritement du champ idéologique traditionnel et la montée en puissance d’un nouveau champ.

L’idée du techno-populisme, c’est de faire désormais référence à des abstractions. Le peuple dans son ensemble, sans définition sociale précise, correspond par exemple à la disparition d’un acteur concret, la classe ouvrière. L’idée de l’expertise, du savoir, de l’autorité et du pouvoir des experts, est aussi très abstraite. On assiste donc à une transition vers un champ politique plus abstrait, moins défini socialement. La société est moins différenciée : il y a simplement le monde des individus et ces abstractions, le peuple et l’expert.

Qui sont les acteurs emblématiques de ce nouveau paradigme techno-populiste ?

Avec Carlo Invernizzi Accetti, nous parlons d’« explosion techno-populiste ». Nous avons élaboré une typologie en identifiant trois mouvements emblématiques de trois variétés du techno-populisme. Le premier, c’est celui du Parti travailliste britannique entre 1997 et 2010, ce que l’on a appelé à l’époque le New Labour : c’est le techno-populisme qui se manifeste à travers la transformation du parti politique, en l’occurrence un parti assez classique de la gauche, qui a un siècle d’existence. Le deuxième, c’est le Mouvement 5 étoiles en Italie, en particulier l’époque de Beppe Grillo et les premières années du mouvement : c’est le techno-populisme de la base, des soutiens. C’est l’idée que les militants sont les porteurs d’un savoir particulier, qui a une importance politique. Le citoyen ordinaire est interpellé non pas comme citoyen, mais comme quelqu’un qui sait quelque chose, qui a des capacités cognitives particulières. Le troisième, c’est Emmanuel Macron en France et son mouvement En marche : c’est le techno-populisme d’en haut, la manifestation du dirigeant comme celui qui propose des solutions (problem solver), qui traduit les désirs du peuple en actions.

Après, on peut étendre le concept de techno-populisme à de nombreux cas. Les débats sur le néopopulisme du début des années 1990 en Amérique latine (Menem en Argentine ou Fujimori au Pérou) font référence à une relation, jugée assez surprenante à l’époque, entre les populistes et le néolibéralisme. Quand on lit ces études de près, on se rend compte que le néolibéralisme est représenté par des experts. Même en sortant de la vague néopopuliste, Correa en Équateur, par exemple, a été décrit comme un techno-populiste. Mais dans son cas, il s’agissait d’une proximité avec les experts critiques du néolibéralisme, qui proposaient une autre vision de l’économie, mais toujours en tant qu’experts.

En ce qui concerne l’Europe, nous nous intéressons beaucoup à la République tchèque, où un personnage politique que l’on appelle « Babisconi » incarne une version tchèque de Berlusconi. Son mouvement s’appelle le mouvement des citoyens « mécontents » et son discours mêle des références à ses capacités en tant qu’expert, en tant qu’homme d’affaires, et un rapport direct avec le peuple. Aux États-Unis, Trump incarne cette forme de techno-populisme qu’on trouve chez Macron : à la fois ce rapport direct avec le peuple et cette capacité de trouver des solutions à tout, là où les autres présidents n’ont pas pu le faire. Mais il y a aussi chez Trump la dimension du populisme national. Le techno-populisme nous permet d’appréhender certains aspects du national-populisme qui ne sont pas bien compris.

Le populisme est-il une menace, un symptôme ou un traitement possible pour la démocratie ?

Si l’on veut prendre position, il faut le faire par rapport à un certain contexte, donc j’hésite à trop généraliser. Cela dit, je suis toujours méfiant vis-à-vis de ceux qui critiquent trop vivement le populisme, parce que j’ai le sentiment qu’on utilise le mot pour décrire quelque chose qu’on n’aime pas, tout simplement. C’est une façon de dénoncer son interlocuteur et de le discréditer lorsqu’il défend une conception relativement directe de la démocratie ou qu’il s’engage à honorer des positions prises vis-à-vis d’une partie tendanciellement exclue de la société. En réalité, le populisme est avant tout une façon de faire entrer un groupe dans la politique, alors qu’il en avait été longtemps exclu.

En même temps, d’un point de vue strictement intellectuel, je me situe plutôt du côté de ceux qui décrivent le populisme comme un symptôme. Si on considère la vie politique organisée autour de la représentation de certains corps intermédiaires – les partis politiques, mais aussi toutes les identités sociales qui s’expriment et qui s’organisent – et régie par des règles d’interaction entre ces groupes, alors le populisme est le symptôme de la disparition de cette capacité d’organiser la société autour de conflits entre acteurs sociaux qui s’autodéfinissent.

C’est le symptôme d’un individualisme croissant de la société, du déclin de ces formes collectives d’organisation et de représentation. L’appel au peuple est un appel à une abstraction. Mais historiquement, le peuple faisait aussi référence à quelque chose de très concret : des acteurs collectifs identifiables se réclamaient du peuple et un pluralisme s’établissait. Désormais, il n’y a plus cette dialectique entre le concret et l’abstrait : nous avons l’abstraction sans la forme concrète. Et c’est là le problème. Le populisme est le symptôme du déclin d’un élément essentiel à la vie politique : l’emploi par des acteurs particuliers de concepts universels.

[…] »

– « Le peuple et les experts », Esprit, 2020/4 (Avril), p. 61-68.

On sait qu’une politique monétaire activiste a des résultats en stop and go, dont la caractéristique principale est une croissance moyenne plus faible, mais qui, sur quelques mois, peuvent donner un effet d’accélération de la croissance avant que ne se déclarent les conséquences négatives en termes d’inflation. Pour éviter cela, il est donc plus qu’utile d’avoir une banque centrale indépendante, c’est-à-dire confiée à des responsables extérieurs aux cycles électoraux, qui ont l’œil rivé sur un objectif de plus long terme. Cette idée s’impose progressivement à l’échelle du monde.

– Noyer, C., Jouahri, A., de Boissieu, C. & Frank, R. (2016). Chapitre 25 / Les banques centrales, les Nations et les États aujourd’hui. Dans : Olivier Feiertag éd., Les banques centrales et l’État-nation (pp. 645-660). Presses de Sciences Po.

« Cet après-démocratie est comme le souligne Robert Joumard dans son article « Gouvernance et Citoyens » : « un mode de gouvernement particulier, par des groupes de personnes particulières, dirigeant ou possédant des entreprises, ou secondairement organisées en puissantes ONG, qui ont un pouvoir important d’orientation de la société. […] Mais la gouvernance affirme que le simple citoyen est incapable de comprendre la grande complexité de la réalité sociale et économique et doit se contenter de déléguer son pouvoir de décision à des experts. »

Une « gouvernance » par des particuliers (des intérêts particuliers, individus et groupes d’individus particuliers, d’organisations particulières, clamant leurs expertises) au nom de la collectivité sans posséder cette légitimité « populaire » propre à la démocratie.

Portraituré comme ça, cette « gouvernance » a tout d’un système de castes, un gouvernement oligarchique composé à la fois de d’autoritarisme de technocratie de ploutocratie de népotisme et d’aristocratie.

« Depuis une trentaine d’années les électeurs contestent de plus en plus souvent la légitimité des élus et des hommes politiques en général. Les explications avancées, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne cherchent pas à raviver la démocratie, mais plutôt à nous convaincre que l’on est rentré dans une période de « postdémocratie » :

Avec la mondialisation, les choix politiques ne sont plus opérés au niveau démocratique habituel, c’est-à-dire celui de l’Etat-nation, mais dans instances supranationales (ONU, Commission Européenne, FMI, OMC…).

On assiste à la mise en place d’une gouvernance globale par des élites transnationales constituées d’avocats, d’experts, de juges, de membres d’ONG, de dirigeants d’entreprises multinationales, de hauts fonctionnaires… L’opacité des prises de décision rend celles-ci quasiment irréversibles.

Les contraintes (la mondialisation, l’Union Européenne) n’offrent plus de marges de manœuvre pour la politique souhaitée par les citoyens.

Certaines questions sont jugées trop complexes pour la compréhension des électeurs ordinaires (appel à des experts).

L’augmentation de l’abstention est banalisée et trouvée normale dans nos sociétés modernes.

La résignation face à de telles explications est annonciatrice d’une remise en cause de la démocratie puisqu’elle ne fait plus du citoyen un acteur de la vie politique, mais un spectateur passif.

Face à ce fatalisme de l’environnement économique, les citoyens s’estiment mal représentés et ne se reconnaissent plus dans des élites politiques qui considèrent savoir ce qui est bon pour l’ensemble des citoyens et où se trouve l’intérêt général. Les hommes politiques peuvent alors être tentés de baisser les bras face à ces contraintes externes car, pour eux, répondre aux aspirations du peuple serait verser dans le populisme.

Il arrive parfois aux hommes politiques de s’en prendre à ceux qui pratiquent l’abstention. Ils peuvent même considérer un vote sanction comme l’expression d’une émotion, compréhensible certes, mais n’ayant pas vraiment d’importance politique. Il s’instaure une méfiance du vote des classes sociales les plus défavorisées, vote qui ne peut être celui d’une participation sereine à la démocratie et qui se manifeste parfois dans la violence.

Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire la dilution de la démocratie n’est pas liée aux circonstances, mais résulte d’une évolution des idées et des références philosophiques qui consiste à dénigrer la chose politique. »

L’on pourrait même trouver qu’elle va plus loin que la « post-démocratie » (définie par Serge Latouche dans son Vers une société d’abondance frugale comme une « fausse démocratie caricaturale manipulée par les médias et les lobbies, que nous connaissons aujourd’hui »), dans la mesure où cette gouvernance ne s’encombre plus de l’apparence démocratique et de la caricature pour enfin s’assumer (de façon décomplexée) comme une non-démocratie, s’assumer comme une oligarchie purement et simplement (et le tout au nom de l’intérêt du peuple ou au nom du marché, c’est selon). »

Gouvernance : le Mépris & la Haine du Peuple.

« Décrire quelque chose n’est pas neutre, l’écran linguistique et la perspective adoptée – entre autres choses – est chargé (voire surchargé) de sens et de significations, de symbolique et d’idéologie, de valeurs ou de sensibilités, de mémoires et d’expériences archivées, etc. Si on faisait l’exercice de demander à un groupe d’individus venant d’une diversité d’origines (à l’instar notamment du non-partage du même cadre cognitif) de décrire une montre, l’on serait (peut-être) surpris de constater que la façon de voir et de présenter les propriétés physiques ou matérielles de cette montre à travers le lexique le vocabulaire la syntaxe et autres est si diversifiée, on serait à peine surpris de constater que ces visions et ces présentations renvoient à une pluralité de représentations, etc, de la même chose (comme objet matériel). Ils parleraient de la même chose (ou du même objet) dans leurs diverses réalités, sans que celles-ci ne soient totalement dénuées d’objectivité. Objectivité : non pas comprise dans le sens d’impartialité ou d’approche impersonnelle, mais dans le sens de conformité à des exigences d’objectivité comme normes balisant les productions des savoirs / connaissances telles qu’édictées par une communauté particulière d’êtres pensants.

Décrire est toujours incarné (par celui ou celle qui décrit, par celle ou celui qui lit ou comprend la description). Cela ne peut être totalement impartial, dépersonnalisé ou absolument impersonnel (ce n’est pas parce que l’on évite de dire « je » dans une description que le sujet qui décrit n’est pas dans sa proposition ou qu’il ne soit pas possible de déterminer un tel sujet à partir des termes structurations constructions de sa proposition descriptive, il n’y a jamais d’action descriptive ou d’action analytique sans sujet réel, sans une visée particulière, sans un destinataire identifié préalablement, nous habitons toujours chacune de nos actions descriptives ou analytiques, nous construisons d’abord à partir de nous êtres très personnalisés et très personnels, etc.).

Mais, formuler sa description peut être (doit être) un impératif d’impersonnalisation (ou dépersonnalisation) afin de pouvoir d’un répondre à l’exigence de généralisation et de deux à l’exigence démarcation de la simple croyance (subjective). Ces deux exigences sont inhérentes à l’obligation (scientifique ou intellectuelle) de formalisme (respect scrupuleux d’une forme épurée de nos subjectivités expressives, conformité aux règles du faire acceptable ou conventionnel distinguant les jugements de valeur des jugements de fait, etc.). En formulant donc objectivement, on dépouille l’excessive subjectivité, on se tient à distance de nos différentes sensibilités (inclinations, etc.), l’on se soumet à l’exercice critique des termes et constructions adéquates qui se rapprochent non seulement le plus près (précision) de l’objet tel que l’on le perçoit (ou tel qu’il est observable) mais aussi le plus proche possible du standard général de compréhension (de la communauté d’individus destinataires véritables de sa proposition descriptive ou je dirais de la banale personne). Il y a ainsi dans la description formalisée ou formelle de l’objet une obligation d’épuration, de précision, et de généralisation. C’est selon moi (et je puis me tromper) lorsqu’une description remplit cette (triple) obligation qu’elle est (ou peut seulement être) considérée comme objective, et l’esprit l’ayant produite vu comme objectif. Il s’est déplacé hors de soi ou a soumis sa perception de l’objet ou la chose à l’évaluation critique (épuration de ses propres inclinations), il a intégré dans son examen les éléments substantiels de l’objet en disqualifiant certains prédicats ou données non-nécessaires au véritable saisissement (épuration des faits ou données superflues), et cela dans le but qu’elle soit validée partagée et qu’elle s’inscrive dans un régime de vérité. C’est selon moi le sens fondamental de l’objectivité : le fait de se mettre à distance raisonnable de sa propre subjectivité sans toutefois que cette mise à distance critique et rigoureuse ne dise que l’esprit soit neutre (sans parti pris, sans être engagé d’un côté, sans se positionner ou être positionné quelque part, sans être vide de tout influence, etc.).

De la sorte, attendre ou exiger des individus la neutralité (ou l’absolue neutralité) est comme cette injonction du « connais toi toi même » ou cette prétention de la vérité (des choses et de soi), c’est-à-dire cela relève du surhumain. Ce qui en revanche est dans les capacités humaines, c’est au moins l’effort d’objectivité.

J’ai toujours vu en l’objectivité une des plus formidables inventions de nos esprits si partiaux et si souvent (inconsciemment d’ailleurs) prisonniers de nos représentations. L’invention de l’objectivité est l’invention même de l’être moderne – celui construit de toutes pièces en opposition à l’être primitif, cet être dit moderne a si souvent été historiquement et idéologiquement l’idéal référentiel hiérarchisant les êtres humains au-delà de la démarcation entre l’acceptable et le légitime. L’objectivité, c’est l’invention des limites de la tolérance face au pluralisme des sens subjectifs, l’invention d’une sorte de croyance rationalisée ou tout au moins passée par le régime de la mise sous critique. Au fil du temps, pour ne rien changer à notre nature humaine, nous avons fait de l’objectivité une arme de domination, d’exploitation, d’assujettissement de toutes autres formes de croyance en dehors de la nôtre propre.

De nos jours, il suffit de voir à quel point l’objectivité est mobilisée pour disqualifier toute contestation de la doxa, du dogme, du totalitarisme d’un savoir qui n’a plus de scientifique que sa qualification nominale et qui est de plus en plus de l’ordre du religieux le plus fondamentaliste. Une science qui prétend dire la vérité des choses est une religion (elle n’est donc plus de la science), une science qui prétend être d’une objectivité absolue est un mensonge ou a quelque chose d’extrêmement problématique dans sa capacité à se critiquer elle-même (et a progressé dans ses méthodes de découverte de connaissances ou de constructions du savoir), une science qui prétend être bonnement factuelle est un discours vide (de sens) et incompréhensible, une science qui prétend être imperméable à la faillibilité et à la subjectivité est une malhonnêteté et en ce sens ne vaut pas plus que les « mensonges » « illusions » « absurdités » et autres « fantasmagories » qu’elle a pour mission de dénoncer (car oui la science est une dénonciation du « n’importe quoi » avant même d’être un discours d’ordonnancement du sens et des significations des choses et des êtres). Une science qui ne peut remplir sa juste fonction de progrès (collectif) de l’humanité – c’est-à-dire qui ne puisse être susceptible de trouver une application concrète dans le développement de l’humanité – est une irresponsabilité doublée d’un savoir dangereux (au-delà d’être complètement inutile). La philosophie a tellement fait progresser l’humanité en réfléchissant sur des notions abstraites mais si propres à l’être humain à l’instar de la justice, de la dignité humaine, de la liberté, de la morale, de la démocratie, etc. Etc. La physique, la biologie, la sociologie, la science politique, etc., dans d’autres domaines, aussi. Les scientifiques et les intellectuel(le)s qui prétendent n’avoir rien à cirer de cette fonction de la science ou qu’ils la nient se racontent n’importe quoi ou bien plus grave sont parfaitement inutiles si ce n’est dangereux pour l’humanité. Et bien entendu, sans (jamais) être neutre, je le dis en toute objectivité (en m’appuyant sur les raisons nous ayant poussées à faire science et sur notre histoire humaine qui est aussi celle de ces épisodes dans lesquels faire science sans conscience de l’humanité a mis en péril l’humanité – eugénisme, colonialisme, armes de destructions massives, etc.).

Lorsque l’on entend partout parler dans nos actualités d’objectivité afin de bâillonner tout sens alternatif et légitime du réel, de censurer toute signification pertinente du réel, afin de justifier et naturaliser un certain récit de vérité faisant les intérêts (peu nobles) de certains groupes ou individus, c’est simplement un acte de domination et un autoritarisme. C’est simplement une instrumentalisation de l’objectivité à des fins de relations de pouvoir, et c’est en soi une facilité qui permet d’écarter un peu de façon condescendante des arguments qui ne font pas notre affaire.

Cela se voit se lit partout ces derniers temps, on considère qu’une femme voilée ne peut être féministe car objectivement dit-on le voile est antinomique au libéralisme (dont le féminisme est une variante puisqu’il s’agit de l’égale liberté d’être ou de pouvoir être avec le respect de soi par autrui qui lui est inhérent) ou à l’être véritablement libre (alors qu’objectivement, il n’existe pas un seul libéralisme ou un seul sens de libéralisme et que fondamentalement / formellement en tant que faculté / capacité d’auto-détermination moralo-empirique ou critère nécessaire à la phénoménalité du moi la liberté ne saurait être substantiellement définie – le cas échéant ce n’est plus la liberté). On brandit un rapport d’experts que l’on présente comme objectif pour dire neutre (sans parti pris, sans influences) et dépersonnalisé, on s’appuie sur une « vérité » de scientifique(s), on bâtit la propagande sur la soi-disant objectivité des faits (donc par un certain glissement ou une habile confusion sur la pseudo neutralité analytique ou descriptive, ce qui signifie ainsi la « vérité » des choses). Et quand tu lis le fameux rapport, tu prends le temps de lire les rapports critiques de ce rapport, tu découvres que leur vérité dite objective est hautement problématique scientifiquement et intellectuellement (méthodologie par exemple), tu découvres que les dits experts sont payés par un certain consortium aux intérêts bien spécifiques ou que le rapport a été commandité par certains groupes économiques, tu découvres que la « vérité » si « objective » de scientifique(s) est dans le rapport beaucoup plus nuancée que ce qu’ils disent (hors du rapport, par exemple dans les médias) ou ce que les médias en disent, tu remarques dès lors que tout ça est en réalité une question ou un enjeu politique – dans le sens d’affrontements de pouvoirs.

Trop d’instrumentalisation de l’objectivité en notre ère, ce qui n’est pas nouveau, la supposée objectivité scientifique ou intellectuelle a si souvent été historiquement au service de l’hégémonie, du totalitarisme, de l’obscurantisme, de l’impérialisme, etc. Etc.

De nos jours, je crois, ce n’est pas tant l’ignorance ou la manipulation abusive des faits qui constituent la plus grande menace pour l’humanité pensante mais l’instrumentalisation de l’objectivité dite scientifique ou intellectuelle. Et celle-ci questionne avant tout l’honnêteté et la transparence intellectuelles voire scientifiques (éléments essentiels du pluralisme des savoirs et des connaissances, éléments fondationnels de la confiance – pour emprunter le terme fondationnel cher à mon inestimable Me Jedi Ryoa).

On le voit partout, du changement climatique au féminisme en passant par tous ces enjeux à l’instar des crises de l’immigration, de la lutte contre la pauvreté (ou précisément des pauvretés) ou des injustices (sociales, etc.) qui sont déjà en soi d’importance sans qu’il faille en rajouter, sans que cela ne soit transformé en dogmatisme fondamentaliste qui dans une dynamique fascisante fasse taire la moindre critique ou tout travail objectif d’évaluation critique. Notre plus grande menace, qui elle aussi n’est pas nouvelle sans cesser d’être d’une importance vitale, elle est là. »

– « Knowledge Is Money »

Lectures supplémentaires / complémentaires :

  • Hermet, G., Kazancigil, A. & Prud’homme, J. (2005). La gouvernance: Un concept et ses applications. Editions Karthala.
  • Feiertag, O. & Margairaz, M. (2016). Les banques centrales et l’État-nation. Presses de Sciences Po.
  • Nemo, P. (2013). Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains. Presses Universitaires de France.
  • Cabanel, P. (2015). La question nationale au XIXe siècle. La Découverte.
Publicité

Les commentaires sont fermés.

Un site Web propulsé par WordPress.com.