

« La nouvelle version de l’accord de libre-échange nord-américain est officiellement entrée en vigueur mercredi et le gouvernement américain est déterminé à faire en sorte que les trois pays signataires — le Canada, le Mexique et les États-Unis — respectent leurs obligations.
Pour souligner le premier jour de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM), le secrétaire américain au commerce Robert Lighthizer a publié un communiqué marquant le coup et promettant que les règles et obligations du traité seront respectées.
Dans sa déclaration, M. Lighthizer célèbre l’ACÉUM comme une réalisation du président Donald Trump et un « changement monumental » à l’avantage des travailleurs américains et des producteurs agricoles plutôt qu’à l’avantage des multinationales.
Selon l’ambassadrice du Canada aux États-Unis, Kirsten Hillman, qui a joué un rôle majeur dans les négociations, l’ACÉUM a été conçu dans le but que plus de gens dans chacun des trois États membres profitent de ses retombées.
Dans la version précédente, connue sous l’acronyme ALÉNA, le principal défaut dénoncé aux États-Unis était un déséquilibre des avantages. On blâmait l’accord comme étant le principal responsable de la délocalisation d’usines américaines vers le Mexique.
La nouvelle entente prévoit des dispositions plus contraignantes en matière d’emploi qui exigent qu’une plus grande partie de la production soit effectuée par des travailleurs bien rémunérés afin que le produit puisse circuler librement.
« Une composante majeure de cette démarche était de donner un incitatif aux constructeurs automobiles nord-américains. Et c’était surtout de repositionner nos travailleurs sur le même terrain que nos compétiteurs nord-américains », a expliqué Mme Hillman en entrevue à La Presse canadienne.
« En tant que juridiction où les salaires sont élevés, nous voulions nous assurer que nos travailleurs puissent se battre à armes égales. Alors, je crois que le thème de l’accord se traduit par du commerce pour tous les Canadiens », a résumé l’ambassadrice. »
– L’ACÉUM entre en vigueur, le représentant américain est à la fête, La Presse canadienne

« L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) est entré en vigueur le 1er juillet. Il remplace le fameux Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Faut-il s’en réjouir ?
Le passage de l’ALENA à l’ACEUM est indissociable de l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche. Jusqu’alors, aucun des trois États parties à l’ALENA ne réclamait sa révision. Celle-ci ne fut envisagée que lorsque Trump déclara, à la surprise générale, que l’ALENA est « le pire accord commercial jamais conclu ». Il menaça même de se retirer de celui-ci s’il n’était pas revu. S’ensuivirent alors deux années de négociations intenses entre les trois pays. Lorsque l’ACEUM fut finalement ratifié, Trump fanfaronna qu’il s’agissait de « l’accord commercial le plus étendu, équitable, équilibré et moderne jamais conclu de l’histoire ».
On pourrait déduire de ces déclarations de Trump que l’ACEUM intègre davantage ses préférences politiques que ne le faisait l’ALENA. Or, ce n’est pas le cas. L’ACEUM est aux antipodes de ce que représente Trump sur quatre plans fondamentaux.
Continuité
Premièrement, Trump se présente comme celui qui fait voler en éclats les institutions établies. Pourtant, l’ACEUM s’inscrit dans la continuité. Il reprend les principales obligations de l’ALENA et ressemble à s’y méprendre à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste. Le système de gestion de l’offre canadien est maintenu, tout comme l’exception pour les industries culturelles. L’ACEUM prévoit bien quelques nouveautés, comme une révision des règles d’origine pour le secteur de l’automobile et de nouvelles restrictions sur les exportations de produits laitiers canadiens, mais elles sont loin d’être déstabilisatrices. En comparaison de l’onde de choc que l’ALENA a provoquée dans le système commercial des années 1990, l’ACEUM ne fera que des vaguelettes.
Libéralisation des échanges
Deuxièmement, Trump, qui s’est lui-même surnommé « Tariff Man », ne cache pas son penchant protectionniste. Néanmoins, l’ACEUM ne permet pas aux États-Unis de restreindre davantage leurs importations. Au contraire, cet accord poursuit la libéralisation des échanges dans une série de secteurs, dont le sucre et le commerce électronique. Il n’assure pas autant de garanties que les exportateurs canadiens d’acier et d’aluminium l’auraient souhaité, mais les tarifs imposés en 2018 sur ces produits sont à tout le moins levés. Pour le Canada, le principal recul sur le plan de l’accès au marché américain concerne la possibilité pour ses entreprises de soumissionner dans des marchés publics aux États-Unis. Devant des positions de négociations américaines jugées abusives, le Canada a préféré se retirer du chapitre consacré à cette question.
Règlement des différends
Troisièmement, Trump n’est pas connu pour son attachement à la règle de droit. Il préfère exploiter son rapport de force pour établir des ententes à la pièce plutôt que de s’appuyer sur les mécanismes juridiques et leur application générale. Or, l’ACEUM n’affaiblit pas l’État de droit. Le mécanisme de règlement des différends interétatiques est même renforcé grâce à des procédures plus directes, robustes et transparentes. L’ACEUM reconduit également le mécanisme d’examen des différends relatifs aux droits antidumping et compensateurs. Bien qu’imparfaite, cette procédure assure une certaine impartialité aux exportateurs canadiens, dont ceux des secteurs de l’acier, du blé et du bois d’œuvre.
Progressiste
Quatrièmement, Trump tourne quotidiennement en dérision les idées progressistes de ses rivaux démocrates. L’ACEUM n’est pourtant pas dépourvu d’éléments progressistes. Ses chapitres sur la protection de l’environnement et sur le droit des travailleurs incluent des obligations à la fois précises et contraignantes. L’ACEUM prévoit également une exception inédite permettant à un gouvernement de se soustraire à ses engagements commerciaux pour remplir ses obligations à l’égard des peuples autochtones. Enfin, le Canada s’est retiré du mécanisme permettant à des investisseurs étrangers de réclamer des compensations aux gouvernements qui adoptent des mesures qui leur sont défavorables. Dans le contexte canado-américain, ce mécanisme ne constituait pas un réel incitatif à l’investissement étranger, mais décourageait les initiatives réglementaires, notamment en santé publique et en environnement.
Certes, le Canada a dû faire des concessions : le commerce de détail canadien est maintenant plus vulnérable au commerce en ligne, le secteur laitier doit composer avec de nouvelles contraintes, l’accès à certaines inventions pharmaceutiques sera restreint, et le Canada est dorénavant contraint d’informer les États-Unis de ses éventuelles négociations commerciales avec la Chine. Il n’est même pas certain que l’ACEUM soit globalement plus avantageux que ne l’était l’ALENA, tant pour le Canada que pour les États-Unis et le Mexique. Il était cependant nécessaire d’assurer aux acteurs économiques une certaine prévisibilité dans les circonstances politiques que nous connaissons. Trump a provoqué la négociation de l’ACEUM, mais l’accord n’est pas à son image… et on peut s’en réjouir ! »
– Un homme et son traité, Jean-Frédéric Morin et Richard Ouellet
Respectivement professeur titulaire, Département de science politique, et professeur titulaire, Faculté de droit, Université Laval

La Commission européenne avait sommé la muntinationale de rembourser ces avantages fiscaux jugés indus. C’est une manche décisive remportée par Apple, et un revers majeur pour la Commission européenne. La justice européenne a annulé, mardi 15 juillet, la décision de la Commission, qui avait sommé Apple, à l’été 2016, de rembourser à l’Irlande 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux jugés indus. La Commission n’est pas parvenue à démontrer « l’existence d’un avantage économique sélectif », selon les juges européens.
Cet arrêt, très attendu, intervient la veille d’une autre décision dans un dossier tout aussi sensible, qui concerne cette fois Facebook et les transferts de données personnelles de l’Europe vers le reste du monde.
Apple et l’Irlande se sont tous deux « félicités » de la décision des juges européens. « Nous saluons le jugement de la Cour européenne », a souligné le ministère irlandais des finances, affirmant qu’il « n’y a jamais eu de traitement spécial » pour Apple.
La vice-présidente de la Commission européenne, Margrethe Vestager, a déclaré dans un communiqué qu’elle allait « étudier avec attention le jugement et réfléchir aux prochaines étapes », sans toutefois dire si Bruxelles allait faire appel de cet arrêt. « La Commission européenne maintient son objectif de voir toutes les entreprises payer leur juste part d’impôts », a expliqué Mme Vestager. Un traitement fiscal favorable accordé par Dublin
Généralement, lorsque les affaires font l’objet d’un pourvoi devant la Cour, la décision définitive intervient environ seize mois après. Donc, dans le cas d’Apple, la décision serait rendue au cours de l’année 2021.
L’affaire remonte au 30 août 2016, lorsque Mme Vestager, alors commissaire européenne à la concurrence, décide de frapper un grand coup contre la marque à la pomme. Selon l’enquête de la Commission, Apple a rapatrié en Irlande entre 2003 et 2014 l’ensemble des revenus engrangés en Europe (ainsi qu’en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde), car l’entreprise y bénéficiait d’un traitement fiscal favorable, grâce à un accord passé avec les autorités de Dublin.
Le groupe a ainsi échappé à la quasi-totalité des impôts dont il aurait dû s’acquitter sur cette période, soit environ 13 milliards d’euros, selon les calculs de la Commission. Un avantage qui constitue pour Bruxelles une « aide d’Etat » illégale, puisqu’elle se fait aux dépens d’autres entreprises soumises à des conditions moins favorables.
Pour Dublin, néanmoins, il n’y avait rien d’illégal. Connue pour ses positions « pro-business », l’Irlande a attiré sur l’île de nombreuses multinationales, pourvoyeuses d’emplois, grâce à une fiscalité avantageuse. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Irlande, comme Apple, avait fait appel de la décision de la Commission. « La Commission a outrepassé ses pouvoirs et violé la souveraineté » irlandaise concernant l’impôt sur les sociétés, avait affirmé Dublin. Quant au patron d’Apple, Tim Cook, il avait qualifié l’affaire de « foutaise politique ». Imposer davantage les GAFA
Cette affaire survient dans un contexte bien particulier, où plusieurs pays européens, dont la France, veulent parvenir à une meilleure imposition des géants du numérique, partout où ils réalisent des profits.
Cependant, dans une UE à vingt-sept, où toutes les questions fiscales se décident à l’unanimité, il n’est guère facile de s’entendre. « Outre l’Irlande, les Pays-Bas, Chypre, Malte et le Luxembourg mènent également des politiques fiscales favorables aux multinationales », observe Tove Ryding de l’ONG internationale Eurodad. « Avoir un système fiscal plein de failles et les combler ensuite en utilisant les règles sur les aides d’État n’est pas du tout efficace », ajoute l’experte.

« L’entrée en vigueur, le 1er juillet, de l’Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACÉUM) suscite relativement peu de réactions dans les médias, la plupart positives, presque avec des lunettes roses. Un bel exemple en est la lettre ouverte des professeurs Jean-Frédéric Morin et Richard Ouellet, publiée le 2 juillet dans Le Devoir. Les deux auteurs s’évertuent à donner le beau rôle au gouvernement canadien, comme si ce dernier avait réussi à tromper l’administration Trump avec un traité bien plus favorable au Canada qu’il n’y paraît. Ce point de vue, aussi défendable qu’il soit, ne repose que sur une perspective partielle, celle de la concurrence entre les pays.
DES ERREURS DE PERSPECTIVES
La première est de prendre les fanfaronnades de Donald Trump pour autre chose que du marketing politique. Ainsi, « le pire accord commercial jamais conclu » (l’ALÉNA), qu’il n’a pas négocié, ne peut devenir que son inverse quand il est aux commandes, soit « l’accord commercial le plus étendu, équitable, équilibré et moderne jamais conclu de l’histoire » (l’ACÉUM).
De même, décrire Trump comme un protectionniste est une erreur. C’est vrai qu’il n’hésite pas à imposer des tarifs prohibitifs sur différentes importations, mais il le fait dans le but d’obtenir un meilleur rapport de force dans les négociations d’un accord de libre-échange, pas d’un accord protectionniste. D’ailleurs, les auteurs sont les premiers à reconnaître que l’ACÉUM s’inscrit dans la continuité de l’ALÉNA. Or ils continuent à parler du « penchant protectionniste » de Trump sans voir que c’est un penchant temporaire, une arme pour lui dans la négociation et non une posture idéologique et économique solidement ancrée.
Une autre erreur est de considérer que ce sont des pays tout entiers qui s’affrontent lors des négociations de l’ACÉUM comme de tout autre traité. Ce sont plutôt des traités négociés en consultation avec les lobbyistes des entreprises transnationales qui, sans surprise, favorisent ces mêmes entreprises au détriment du reste de la population.
Si l’absence dans l’ACÉUM du chapitre sur la protection des investissements étrangers, que l’on retrouve depuis la signature de l’ALÉNA dans les accords de libre-échange, est une bonne nouvelle, elle est vite chassée par l’apparition d’un nouveau chapitre, celui sur les bonnes pratiques de réglementation (chapitre 28). Il est d’ailleurs surprenant que les deux savants professeurs n’en fassent même pas mention, eux qui disent du mécanisme permettant aux investisseurs étrangers de poursuivre des gouvernements « qu’il décourageait les initiatives réglementaires, notamment en santé publique et en environnement ». Ils n’ont de toute évidence pas poussé leur lecture de l’ACÉUM à fond parce que c’est précisément le but du chapitre sur les bonnes pratiques de réglementation. Malgré son nom, ce chapitre vise à rendre si compliquée la réglementation qu’il paralysera l’action des gouvernements et que la seule option sensée qui leur restera sera de déréglementer.
En effet, s’il est reconnu que ces bonnes pratiques de réglementation peuvent aider un pays à réaliser ses objectifs de politique publique, y compris en matière de santé, de sécurité et de protection de l’environnement, elles doivent d’abord faciliter le commerce et l’investissement internationaux et favoriser la croissance économique. En cas de conflit entre ces deux types d’objectifs, l’histoire du libre-échange nous indique que les seconds auront préséance.
Chacun des trois gouvernements doit aussi rendre publique chaque année la liste des réglementations qu’ils envisagent d’implanter dans l’année qui suit. De plus, ils doivent justifier le besoin d’une nouvelle réglementation et rendre publiques toutes les études scientifiques et toutes les données consultées. Tout cela représente un fardeau administratif considérable.
Si les gouvernements optent pour une étude d’impact de la nouvelle réglementation, ce qui est fortement recommandé, celle-ci doit comporter une explication de la nécessité de la nouvelle réglementation, de même que du problème qu’elle est censée régler, une liste de toutes les solutions réglementaires et non réglementaires qu’il aurait été possible d’appliquer, une analyse coûts/bénéfices de chacun de ces scénarios alternatifs et les raisons pour lesquelles la réglementation proposée a été retenue par rapport aux autres.
Enfin, dernière erreur et non la moindre : considérer l’ACÉUM comme un accord progressiste. C’est ce que dit la rhétorique du gouvernement canadien, or, pas grand-chose ne permet d’étayer l’affirmation. Oui, les chapitres sur l’environnement et sur le travail font partie intégrante de l’accord plutôt que d’être relégués dans des accords parallèles sans mordant. Mais leurs contenus demeurent très faibles. S’il peut paraître normal que le chapitre sur l’environnement ne fasse aucune mention de l’Accord de Paris étant donné que les États-Unis s’en sont retirés, comment expliquer qu’il ne contienne même pas les mots « réchauffement », « changements climatiques » ou « gaz à effet de serre », si ce n’est par la faiblesse des obligations à atteindre? Pour ce qui est du chapitre sur le travail, les violations alléguées des droits du travail doivent être récurrentes et avoir un « effet sur le commerce ou l’investissement entre les parties » signataires de l’accord. C’est donc dire qu’une violation grave, mais isolée ne pourra être sanctionnée, pas plus que les violations qui n’affectent pas le commerce ou l’investissement.
Peut-être que l’ACÉUM n’est pas à l’image de Trump, mais bien d’autres aspects de l’accord – dont quelques-uns sont exposés ici – devraient nous empêcher de le présenter comme une réussite pour le Canada. »
– LES BELLES HISTOIRES DU PAYS D’EN HAUT, Normand Pépin

« Pour échapper à la rigidité du point de vue qui a tendance à s’imposer comme étant le seul possible, il faut inventer des analogies et des comparaisons inédites, qui nous permettent de voir sous un nouveau jour, c’est-à-dire de recommencer à voir, les phénomènes apparemment les mieux connus.
J. Bouveresse, Essais I. Wittgenstein, la modernité, le progrès et le déclin, Agone, Marseille, 2000, p. 147″
– Lahire, B. (2006). Chapitre 6. Profils consonants, profils dissonants. Dans : , B. Lahire, La culture des individus: Dissonances culturelles et distinction de soi (pp. 175-207). La Découverte.


« Worldwide protests against police racism and brutality and the toppling of statues commemorating white supremacists have led to a public reckoning in the United States and many other countries—forcing citizens and governments to confront the historical legacy of systemic racism and the enduring inequalities it has created. A similar reckoning is long overdue within the academic discipline of international relations (IR).
Beginning with its creation as an academic discipline, mainstream IR has not been entirely honest about its ideological or geographic origins. It has largely erased non-Western history and thought from its canon and has failed to address the central role of colonialism and decolonization in creating the contemporary international order.
Foreign Policy asked nine leading thinkers in the field how IR has fallen short and how the research, teaching, and practice of it must change.
Forget Westphalia. The Modern State Was Born From Colonialism.
By Gurminder K. Bhambra, a professor of postcolonial and decolonial studies in the Department of International Relations at the University of Sussex. She is the author of Rethinking Modernity: Postcolonialism and the Sociological Imagination and Connected Sociologies.
Matters of race are usually addressed as domestic issues—that is, as questions of identity or in terms of stratification (the differential distribution of rewards and resources within a country). While both of these categories of analysis are of fundamental importance, they often neglect the international processes through which race and racial differences have also been produced.
Contemporary politics is generally viewed through the lens of the nation-state, which is widely, but erroneously, understood to have its origins in the system of sovereign states that came into being in Europe in 1648.Contemporary politics is generally viewed through the lens of the nation-state, which is widely, but erroneously, understood to have its origins in the system of sovereign states that came into being in Europe in 1648. The history of the modern state system, as it is often taught, focuses on the impact of the American and French Revolutions in the late 18th century. However, this is precisely the period of colonial expansion and settlement that saw some European states consolidate their domination over other parts of the world and over their populations, who came to be represented in racialized terms.
This external domination is rarely described or theorized as a constitutive aspect of the so-called modern state—which, then, is imperial as much as national. The racialized hierarchies of empire defined the broader polity beyond the nation-state and, after decolonization, have continued to construct inequalities of citizenship within states that have only recently become national.
Britain, for example, did not distinguish among the members of its imperial polity when legislating for citizenship in 1948, with common citizenship available for those in the U.K. and in its colonies. As empire receded, entitlement to citizenship narrowed along racial lines. In light of the subsequent so-called hostile environment policies, those who had moved legitimately to the U.K. from the nonwhite Commonwealth were required to demonstrate their entitlement to citizenship and, if they could not, were in many cases deported in what has come to be known as the Windrush scandal.
Race isn’t a factor that enters so-called nation-states from the outside. Rather, they are racialized from the very moment of their emergence as imperial polities and continue to reproduce racialized hierarchies to this day. Scholars and practitioners of international relations must take seriously the colonial histories that were constitutive of the formation of modern states. A failure to do so not only is an intellectual error but also has profound consequences for the nature and possibilities of politics—including the politics of race—in the present.
Africa Isn’t Rising. It Has Always Been at the Center of Global Politics.
By Yolande Bouka, an assistant professor in the political studies department at Queen’s University in Kingston, Ontario.
If the field of international relations is truly committed to wrestling with the history of racialized international political analysis and practices, it must first come to terms with the erasure of the roles non-Western political actors and societies have played in shaping global affairs. In the case of Africa, challenging that erasure also means questioning the recent “Africa rising” narrative, which seems to imply that Africa was, until very recently, at the margins of the global economy and politics.
From Mansa Musa’s role in Cairo’s decade-long economic crisis in the 14th century to a key 1764 battle near Atakpame, in what is present-day Togo—in which the Ashanti Empire suffered a devasting defeat against the Dahomey Kingdom and the Oyo Empire, leading to shifts in Ashanti foreign policy—it is clear that many pre-colonial African polities’ activities had important international implications.
IR must come to terms with the erasure of the roles non-Western political actors and societies have played in shaping global affairs.
Similarly, centuries of economic and diplomatic exchanges between China and various African polities before colonialism, and Africa’s role during both world wars, demonstrate the continent’s long-standing and well-documented relevance in world affairs.
Challenging racist analyses in the discipline also means being more curious about African actors’ agency at various levels of analysis. State-centric approaches tend to focus on state capacities and failures and ordinary Africans merely as bodies to be acted on and moved like pawns on a global chessboard, which obscures how their strategies, engagement, and resistance shape flows of power in the international system.
Today, any discussion about the so-called “new scramble for Africa”—in which countries like the United States, China, and Russia compete for market share, resources, and influence on the continent—divorced from a proper examination of local, national, and regional interests, power dynamics, norms, and practices will yield poor academic and foreign-policy analysis.
To properly understand the central role Africa has played and will continue to play in future debates about international relations and in world affairs, the field needs to remedy the African archive’s erasure and get comfortable looking race in the face.
Liberalism Didn’t Create Modern Democracy. It Emerged From the Activism of the Oppressed.
By Randolph B. Persaud, an associate professor of international relations at American University.
The last weekend of June closed off with some history-making events in three different institutions. In academia, Woodrow Wilson’s name was removed from the School of Public and International Affairs at Princeton University. In government, the Mississippi Legislature voted to remove the battle flag of the Confederacy from their own state flag. And in entertainment, a concerted effort got going to remove the name and likeness of the famed actor John Wayne from the airport in Orange County, California. These developments reveal a great deal about the domestic social order in the United States, and world order, more broadly. They also have resonances for IR theory, if indeed IR theorists were more attuned to the multitude of exceptions that accompanied foundational liberalism.
The core elements of what I shall call Euroliberalism include but are not limited to the right to life, liberty, and property; equality before the law regardless of any attribute or marker of identity; and toleration based on reason. In The Great Delusion, John Mearsheimer fleshes out the varieties of liberalism relevant to IR theory—as well as the catalogue of exceptions, many of them based on racism and civilizational bias.
Historically marginalized peoples are the ones who have pushed the international system to adopt whatever level of democratic governance exists.
Notwithstanding the brilliant disquisitions of European philosophers and pronouncements of presidents and prime ministers, democratic governance from India to South Africa to the American South has emerged principally through the activism and agency of subaltern populations—those subjected to the hegemony of a more powerful class or group, especially colonial subjects, and those victimized by anti-Black racism and other forms of discrimination.
The killing of George Floyd and the movement for change that it has sparked mark a historical moment in democratizing democracy. Police forces—a key institution in liberal democracies—are now being pushed to reform, to abandon the racial animus that has been central to their practices through much of American history. The movement against police racism and police brutality has already been globalized, and now social forces dedicated to democratizing democracy are rewriting the political and cultural content of citizenship. And thus, from Germany and France to Indonesia and Brazil, the marginalized are joining with progressive social forces in redefining what civic responsibility and popular agency look like in the making of democratic society.
I contend that the global subalterns and historically marginalized peoples are the ones who have pushed the international system to adopt whatever level of democratic governance exists. Numerous wars of liberation and anti-colonial/anti-racist struggles produced political independence and national sovereignty—the key foundations on which democracies are built. The subalterns have had to rectify the contradictions of global liberalism by transforming the idea of freedom for some into the practice of freedom for all.
IR Should Abandon the Notion of Aid, and Address Racism and Reparations
By Olivia U. Rutazibwa, a senior lecturer at the University of Portsmouth and a fellow at the Johannesburg Institute for Advanced Study. She is a co-editor, with Robbie Shilliam, of The Routledge Handbook of Postcolonial Politics.
When I decided to study international relations 20 years ago, I was not interested in which among realism or liberalism—or the new kid on the block, constructivism—was the proper theoretical approach.
Instead, I came to study IR because, as a second-generation Rwandan born and raised in Belgium, I could not wrap my head around what happened in 1994. Then a teenager, looking at the existential distress of my family members—rather than at my schoolbooks—I understood that something apocalyptic was unfolding in Rwanda. The United Nations, meanwhile, was retreating from the country, after 10 Belgian U.N. blue helmet paratroopers had been murdered on the eve of the genocide against the Tutsi.
In the Belgian media, apart from the death of the Belgian troops, the events were recounted vaguely like any other seemingly ethnic conflict in Africa—with Belgium’s and other Western involvement underplayed or erased. Many Belgians are still unaware of Belgium’s colonial ties to both Rwanda and Burundi, nor are they clear, if at all conscious, about who killed whom.
My interest in IR came from the fact that I could not make sense of the fact that the U.N.—which, according to my IR textbooks, was a Western-led beacon of hope and salvation and the cradle of human rights—left a million people to die in 1994.
I therefore set out to study what is known as “ethical foreign policy”: international (i.e., Western-led) actors showing up for the other peoples of the world with the well-being of the supposedly receiving others proclaimed as the driving force behind their presence. Building on mainstream IR, usually dead silent about racism and colonization, at the time, I viewed more involvement (financial, political, and technical) as an ethical given.
Yet, there is no historical evidence that Western presence has ever enhanced the well-being of the previously colonized world. It took me a solid decade—and exposure to post- and decolonial approaches—to change my doctoral research question from: “When do Western actors not show up?” to “Should they be there in the first place?”
Ever since I discovered—through the works of colleagues like Errol Henderson, Meera Sabaratnam, Siba Grovogui, and Robbie Shilliam—that one can include analyses of race, racism, colonialism, and paternalism in the study of the international and present-day North-South relations, I have come to the conclusion that we should get rid of the notion of aid and the related discipline of international development, which, like IR, is built on a profound whitewashing of history and the erasure of the contributions of previously colonized people to wealth and advancements in the West. Indeed, the entire notion of aid is obscene—and racist. International relations that do not reproduce the logic of colonialism must instead engage with ideas of repair, dignity, and even retreat.
Taking the problem of racism seriously in the field of IR means viewing it not merely as an issue of stereotypes or cultural insensitivities, but as a colonial technology of life and premature death built on ideologies of whiteness and white supremacy.Taking the problem of racism seriously in the field of IR means viewing it not merely as an issue of stereotypes or cultural insensitivities, but as a colonial technology of life and premature death built on ideologies of whiteness and white supremacy. It is also not just about adding a bit of racism and colonialism and stirring. It means fundamentally rethinking the purpose of the discipline: Do we make it a science of the status quo or a science of the possibility of life—starting with Black lives?
Earlier this week, on June 30, the king of Belgium expressed for the very first time in history his regret for the countless brutal acts committed during the colonial era in the Belgian Congo—60 years after formal independence.
IR scholars who place race, racism, and colonialism at the center of their analysis know that it is about more than acknowledging the past. The scholarly imperative is to study and question the current international system built on racial capitalism, and to imagine alternatives. At best, Belgium’s belated gesture is the start of a conversation about repair and reparations, not aid—a conversation that mainstream IR, as it exists today, has not been able to ignite.
The Field of International Relations Wasn’t Born Where You Think It Was
By Vineet Thakur, a lecturer at Leiden University and the current Smuts visiting fellow at Cambridge University, is a co-author of South Africa, Race and the Making of International Relations.
The established story runs that the IR discipline is a child of World War I. In a world weary of destruction, so the familiar founding myth goes, a new and supposedly scientific discipline was needed to mitigate the problem of war. Only a dispassionate, reasoned, and objective study could lead to new pathways out of it—leading to the founding of a department at Aberystwyth University in Wales and an institute of international relations on the sidelines of the 1919 Paris Peace Conference. This story is only half-true, however.
There is another war that was equally important to the founding of IR: the South African War, also known as the Boer War, of 1899-1902. The Union of South Africa, a racist state forged out of four warring proto-states and the constituents of the British Empire in 1910, became the model for how the institution of war could be tamed.
The men, the method, and the money involved in this mythmaking, as Peter Vale and I argue in a recent book, are crucial precursors to understanding the individuals, ideas, and the institutions involved in the founding of IR as an academic discipline.
The Round Table, perhaps the singularly most important network responsible for the creation of several early chairs, institutes, and journals in the IR field, drew almost entirely on the work of its core members in South Africa.
The Round Table, perhaps the singularly most important network responsible for the creation of several early chairs, institutes, and journals in the IR field, drew almost entirely on the early work of its core members in South Africa, then known as “Milner’s Kindergarten,” named after the British colonial administrator who was high commissioner of South Africa during and after the war.
They money for IR’s early initiatives, including its first institute, London’s Chatham House, and one of its first journals, the Round Table, came from the South African mining magnate Abe Bailey, a key ally of the imperialist politician Cecil John Rhodes. The Round Table’s racial ideas, developed first in South Africa, later served as templates for the interwar ideas of the British Commonwealth and the so-called World State. Indeed, the life and work of Chatham House’s founder Lionel Curtis is the thread that links the gold mines of Johannesburg to the Union of South Africa to the British Commonwealth to the idea of a world government.
This alternative origins story raises two crucial issues in thinking about race and the making of IR—as an academic discipline and as a field of practice. First, to analyze racial constructions of the world, scholars’ archival gaze must expand beyond the United States and Britain. Important as it is to understand race and its role in the making of IR from the American or British perspectives, studying only these contexts excludes the people of the rest of the world. Second, race almost always operates in conjunction with other categories—such as caste, class, civilization, and, in today’s context, the racialized Muslim.
The challenge for IR is to find a new language that is not confined to just one master concept or one corner of the world.
Race and Empire Still Haunt IR
By Duncan Bell, a professor of political thought and international relations at the University of Cambridge.
The global Black Lives Matter protests have amplified interest in the role played by ideologies of race in both the dynamics of world politics and the discipline of international relations.
IR was born in the age of empire, and for the first few decades of its history it was explicitly occupied with questions of colonial administration and the justification of racial supremacy.IR was born in the age of empire, and for the first few decades of its history it was explicitly occupied with questions of colonial administration and the justification of racial supremacy. Social scientists furnished legitimacy for a world structured by imperial exploitation and pernicious racial hierarchies. Race was often viewed as the basic unit of politics—more fundamental than state, society, nation, or individual.
The “religion of whiteness,” as the civil rights activist and scholar W.E.B. Du Bois termed it, was common (though not unchallenged) across the Euro-American world. As Robbie Shilliam of Johns Hopkins University argued recently in Foreign Policy, it was manifested in the “color line,” that Du Bois saw as an organizing principle of international politics. Yet many IR scholars today, Shilliam observes correctly, “have carefully avoided reflecting on the role race plays in our field.”
In a forthcoming book, Dreamworlds of Race, I scrutinize a white supremacist version of “racial utopianism” that was popular at the dawn of the 20th century—the fantasy that the “Anglo-Saxons” (or “English-speaking peoples”), if unified politically, could bring peace and justice to the earth. Many eminent individuals proselytized the idea, including Andrew Carnegie, who ended up creating the Carnegie Endowment for International Peace, and the arch-imperialist Cecil Rhodes.
Though the most extravagant versions of Anglo-utopianism were exhausted by the mid-20th century, the idea that the “English-speaking peoples” are destined to play a leading role in shaping world politics has proved remarkably durable. It has resurfaced in assorted conservative visions of the so-called Anglosphere and in projects for reorienting Britain’s post-Brexit foreign policy.
The intertwined histories of race and empire haunt the present. Yet the Black Lives Matter movement demonstrates the productive power of collective action and the possibilities for rethinking history in the service of a more equitable future. If mainstream IR is to play a part in this vital endeavor it needs to address questions of imperial and racial domination, past and present, far more seriously than it has done in recent years.
Eurocentrism in IR Is a Form of Intellectual Racism
By Karen Smith, a lecturer in international relations at Leiden University and an honorary research associate at the University of Cape Town, is the co-editor, with Arlene Tickner, of International Relations From the Global South: Worlds of Difference.
In the same way that international relations has neglected race, the discipline has been both ignorant and dismissive of alternative ways of thinking about the world that do not, according to a Eurocentric understanding of history, originate from the West.
Ideas from outside the West have been deemed inferior in the field of IR and lacking in value because of their geographic origin, because they are not couched in the theoretical language regarded as legitimate by the gatekeepers of IR or do not appear in forms—such as recognized academic journal articles or books—that are considered to be appropriate sources for the study of IR.
In addition, scholars from beyond the West have, in a way that reflects the global economy, been relegated to the role of providers of raw material—in the form of empirical evidence—while the transformation of these facts into more advanced, abstract forms of knowledge has been regarded as the prerogative of the West. For example, Western scholars often assess African states according to criteria developed by European theories of statehood and rely on local scholars to provide the relevant data, instead of considering alternative African understandings of the state.
As a consequence, the majority of what students read about in IR continues to be written by a minority of the world’s people. The presumption that all worthwhile ideas originated in the West is not only exclusionary but falseThe presumption that all worthwhile ideas originated in the West is not only exclusionary but false, as scholars such as Pinar Bilgin and Siba Grovogui have argued—and should be acknowledged as constituting a form of intellectual racism.
The exclusion of scholars and ideas from outside Europe and North America has resulted in a field that does not provide those who study it—and often go on to practice it as, for example, diplomats and politicians—with the necessary diversity of perspectives to fully grasp the dynamics of the contemporary global system. Perhaps most significantly, it has constrained the discipline’s ability to imagine a different world.
Feminist Foreign Policy Cannot Ignore Race
By Toni Haastrup, a senior lecturer in international politics at the University of Stirling and the co-author, with Jamie J. Hagen, of “Global Racial Hierarchies and the Limits of Localization via National Action Plans” in the book New Directions in Women, Peace and Security.
Across the world, countries are adopting new foreign-policy practices to redress inequalities within the global system. One of these is Sweden’s feminist foreign policy. Established in 2014, this approach to foreign policy was led by former Swedish Foreign Minister Margot Wallström, and it draws attention to the implications of discrimination based on gender and the absence of women in the field of international relations, including foreign-policy practice.
Feminist foreign policy has now gone beyond Sweden, to include countries like Canada and, recently, Mexico.
While these moves toward a foreign-policy approach informed by feminism is important, they can reinforce enduring blind spots within the field and practice of international relations by ignoring race. Feminist foreign policy often allows wealthy countries to focus attention on the plight of women in countries with developing economies. Wealthier countries, or developed economies, then position themselves as being better placed to respond to the challenges around gender discrimination.
The dominant brand of feminist foreign policy fails to consider seriously the racialized legacies of colonialism that lead to the conditions of gender discrimination in developing economies.
The assumptions encoded in the relationship between developed and developing economies are thus racialized. A country with a feminist foreign policy often invokes its own experiences as good practice elsewhere. Yet gender discrimination is universal, and often members of minority groups within the developed economies are significantly disadvantaged by endemic racism and xenophobia. Further, in emphasizing gender-based discrimination “elsewhere” as the core inequality, this dominant brand of feminist foreign policy fails to consider seriously the racialized legacies of colonialism that lead to the conditions of gender discrimination in developing economies.
For feminist foreign policy to provide a transformative alternative to the current practice of foreign policy, an explicit consideration of race is necessary. Race in IR is not new, so why treat it as irrelevant in the quest for more egalitarian and just societies? A movement of transnational feminists provides a way forward for reflection and thinking through how to challenge the structural violence—the harms caused by social structures to disadvantaged peoples—that upholds the dominant practices of international relations.
In accounting for structural violence, and thus acknowledging how an explicit consideration of race impacts foreign policy, the Feminist Foreign Policy Project—a group of activists, academics, and practitioners—has called on wealthier countries to halt the arms race; reconsider military interventions in developing economies; reverse the trend of increased militarism via increased military spending; and rethink the championing of economic policies that invariably increase inequalities. Paying attention to these systemic issues that originate in wealthier countries is a transformative plan that could begin to tackle the inequalities within international relations.
A different way of doing foreign policy that is people-led rather than state-led and emphasizes solidarity over interest is the only means toward justice for all.
The West’s Triumph Led to Racial Catastrophe. Its Decline Could Lead to Racial Justice.
By Seifudein Adem, a professor of global studies at Doshisha University.
According to the late political scientist Ali Mazrui, the first phase of global cultural encounters led to genocide in the Americas and the trans-Atlantic slave trade. This was the era of the West’s ascendance. The second phase was the period of colonialism and imperialism, through which the world has recently passed. This was the era of the West’s triumph. Both these phases resulted in racial catastrophes.
At a deeper level, what the world is witnessing today could be the third phase of cultural encounters. The pretention of Western culture to universal validity is being challenged from the angles of cultural relativism (what is valid in one society in the West was not valid in another); historical relativism (what was valid in the West at the beginning of the 20th century was not valid in the West at the beginning of the 21st); and empirical relativism (the West often failed to live up to its own standards, and occasionally those standards were better met by other societies).
Indeed, the rejection of the process that makes all of us look similar (homogenization) while making one of us the boss (hegemonization) seems to be well underway. This is the era of the West on the defensive.
For many around the world, the moral disease of racism needs to be confronted as vehemently as the physical disease now sweeping around the globe.
In recent months, COVID-19 emerged and spread globally. In response to the coronavirus pandemic, there have been noticeable lapses of standards in many Western societies, while those standards were better met by several non-Western societies. The world has also witnessed, more recently, the global spread of protests demanding justice for George Floyd, an African American man cruelly killed by police in the United States. Many of those who protested in different countries might not have known all that much about the specific issues and may not have even spoken English. But that so many knew about the incident at all and felt strongly about it to come out to protest is itself something.
The COVID-19 pandemic and the global protests against police brutality demonstrate that, first, the challenges to humanity transcend the territoriality of the state and the parochialism of race and, second, a transnational, if rudimentary, convergence of political sensibilities may be emerging at the grassroots level. For many around the world, the moral disease of racism needs to be confronted as vehemently as the physical disease now sweeping around the globe.
These shared sensibilities could, in the long run, become a catalyst for something bigger: the creation of a truly global village that is based not on cultural hierarchy but on what Mazrui called cultural ecumenicalism—a combination of a global pool of achievements with local pools of distinctive innovation and tradition. We should hope so. »
– Why Is Mainstream International Relations Blind to Racism?, GURMINDER K. BHAMBRA, YOLANDE BOUKA, RANDOLPH B. PERSAUD, OLIVIA U. RUTAZIBWA, VINEET THAKUR, DUNCAN BELL, KAREN SMITH, TONI HAASTRUP, SEIFUDEIN ADEM

« Wittgenstein n’a jamais dissimulé son antipathie pour la civilisation contemporaine. Il n’en a jamais tiré de philosophie.
Mais on peut dire que son hostilité au monde d’aujourd’hui s’est manifestée avant tout dans un besoin de simplification systématique et dans la volonté de ne s’attacher qu’au très petit nombre de choses qu’il considérait comme essentielles. »
– Bouveresse, J. (2000). Essais I: Wittgenstein, la modernité, le progrès & le déclin. Agone.

« Race is not a perspective on international relations; it is a central organizing feature of world politics. Anti-Japanese racism guided and sustained U.S. engagement in World War II, and broader anti-Asian sentiment influenced the development and structure of the North Atlantic Treaty Organization. During the Cold War, racism and anti-communism were inextricably linked in the containment strategy that defined Washington’s approach to Africa, Asia, Central America, the Caribbean, and South America. And today race shapes threat perception and responses to violent extremism, inside and outside the “war on terror.” Yet mainstream international relations (IR) scholarship denies race as essential to understanding the world, to the cost of the field’s integrity.
Take the “big three” IR paradigms: realism, liberalism, and constructivism. These dominant frames for understanding global politics are built on raced and racist intellectual foundations that limit the field’s ability to answer important questions about international security and organization. Core concepts, like anarchy and hierarchy, are raced: They are rooted in discourses that center and favor Europe and the West. These concepts implicitly and explicitly pit “developed” against “undeveloped,” “modern” against “primitive,” “civilized” against “uncivilized.” And their use is racist: These invented binaries are used to explain subjugation and exploitation around the globe
While realism and liberalism were built on Eurocentrism and used to justify white imperialism, this fact is not widely acknowledged in the field. For instance, according to neorealists, there exists a “balance of power” between and among “great powers.” Most of these great powers are, not incidentally, white-majority states, and they sit atop the hierarchy, with small and notably less-white powers organized below them. In a similar vein, raced hierarchies and conceptions of control ground the concept of cooperation in neoliberal thought: Major powers own the proverbial table, set the chairs, and arrange the place settings.
Constructivism, which rounds out the “big three” approaches, is perhaps best positioned to tackle race and racism. Constructivists reject the as-given condition of anarchy and maintain that anarchy, security, and other concerns are socially constructed based on shared ideas, histories, and experiences. Yet with few notable exceptions, constructivists rarely acknowledge how race shapes what is shared.
Despite the dominance of the “big three” in the modern study of IR, many of the arguments they advance, such as the balance of power, are not actually supported by evidence outside of modern Europe. Consider the democratic peace theory. The theory makes two key propositions: that democracies are less likely to go to war than are nondemocracies, and that democracies are less likely to go to war with each other. The historical record shows that democracies have actually not been less likely to fight wars—if you include their colonial conquests. Meanwhile, in regions such as the Middle East and North Africa, democratizing states have experienced more internal conflicts than their less-democratic peers. Yet leaders in the West have invoked democratic peace theory to justify invading and occupying less-democratic, and notably less-white, countries.
This is a key element of IR’s racial exclusion: The state system that IR seeks to explain arises from the 1648 Peace of Westphalia, which ended the Thirty Years’ War and established European principles of statehood and sovereignty. Far from 17th-century relics, these principles are enshrined in the United Nations Charter—the foundation for global governance since 1945. But non-European nations did not voluntarily adopt European understandings of statehood and sovereignty, as IR scholars often mythologize. Instead, Europe, justified by Westphalia, divided the world between the modern, “civilized” states and conquered those which they did not think belonged in the international system.
IR scholar Sankaran Krishna has argued that, because IR privileges theorizing over historical description and analysis, the field enables this kind of whitewashing. Western concepts are prioritized at the expense of their applicability in the world. Krishna called this “a systematic politics of forgetting, a willful amnesia, on the question of race.”
Importantly, IR has not always ignored race. In the late 1800s and early 1900s, foundational texts invoked race as the linchpin holding together colonial administration and war. Belief in white people’s biological and sociological supremacy offered a tidy dualism between the civilized and the savage that justified the former’s murderous exploitation of the latter. Paul Samuel Reinsch, a founder of modern IR and foreign policy, christened the 20th century as the “age of national imperialism.” He concluded that states “endeavor to increase [their] resources … through the absorption or exploitation of undeveloped regions and inferior races.” Yet, he assured readers that this was “not inconsistent with respect for … other nationalities” because states avoid exerting control over “highly civilized nations.”
Thinkers’ attention to race in the late 19th and early 20th centuries spread into academic journals and research institutions. For example, the Journal of Race Development—the first academic IR journal, established in 1910—advanced racist treatises, including on the inability of “native races” to develop states without colonialism. Nonetheless, the journal’s pages also included sharp critiques from W.E.B. Du Bois and other scholars who were critical of European mercantilism. In 1919, the journal was rebranded as the Journal of International Relations without substantive changes and, in 1922, its successor, Foreign Affairs, was born.
The mid-20th century brought about some shifts in IR thinking and in foreign policy. Black IR scholars, primarily working out of Howard University, developed a strong theoretical tradition that resists white-supremacist privileging of U.S. and European empires. Anti-colonial revolutions in the 1950s, 1960s, and 1970s further problematized the promise of empire built into realist frameworks and the idealism of paternalist cooperation integral to liberal thought.
Mainstream IR theory, however, did not adapt or evolve its position on race. Most IR scholars just stopped engaging with the subject altogether. Between 1945 and 1993, among the five major IR journals of the period—International Organization, International Studies Quarterly, Journal of Conflict Resolution, Review of International Studies, and World Politics—only one published an article with the word “race” in the title. Another four articles included “minorities” and 13 included “ethnicity.” Since then, mainstream IR has neglected race in theorizing, in historical explanation, and in prescription, and shuttled race (and gender) to the side as “other perspectives.” When IR scholars do engage with race, it is often in discussions of outwardly raced issues such as colonialism.
Yet one cannot comprehend world politics while ignoring race and racism. Textbooks that neglect historical and modern slavery when explaining development and globalization obscure the realities of state-building and deny the harms committed in the process. Similarly, when scholarship fails to call attention to the role that race plays in Western nations’ use of international law as a pretext for military intervention, it provides cover for the modern-day equivalent of “civilizing missions.” Likewise, studies of trade and dispute settlement almost always overlook modern arbitration’s deep roots in the transatlantic slave trade. This history is often lost in analyses of wins and losses in negotiations.
Race and the racism of historical statecraft are inextricable from the modern study and practice of international relations. They are also not artefacts: Race continues to shape international and domestic threat perceptions and consequent foreign policy; international responses to immigrants and refugees; and access to health and environmental stability.
Because mainstream IR does not take race or racism seriously, it also does not take diversity and inclusion in the profession seriously. In the United States, which is the largest producer of IR scholarship, only 8 percent of scholars identify as black or Latino, compared to 12 percent of scholars in comparative politics and 14 percent in U.S. politics. And that’s despite the fact that the issues that IR scholars study, such as war, migration, human rights, development, and climate change, have a disproportionate impact on black people, indigenous people, and people of color.
There are a number of reasons for this imbalance. First, there is a pervasive and corrosive tendency among white scholars to assume that scholars of color study race, ethnicity, and identity politics in the United States or in an area-studies context. Though scholars of color do work in these areas, there is no intellectual reason to expect that they all do so. This tendency to presume, even assign, where different people belong communicates to IR scholars of color that they are not welcome.
The International Studies Association (ISA), the main professional association for IR scholars and practitioners, does not offer a research or conference section on race. Nor do any of its organized sections mention race in their descriptions. While ISA does have several identity-related caucuses, including the Women’s Caucus for International Studies, there is no caucus for scholars of color. Scholars of color also experience overt racism within ISA and other professional associations. In 2018, Meg Guliford described her experience as a black scholar at an ISA conference, where three separate attendees assumed she was hotel staff and one asked when she planned to bring out more food.
How IR is taught also perpetuates the research and professional inequalities we detail above. In a 2014 survey of IR professors, nearly 40 percent reported organizing their courses by the traditional paradigms of IR studies. Since much paradigmatic work is dominated by white men and is guided by Eurocentrism, women, nonwhite people, and issues of race and racism are displaced in course syllabi.
Interestingly, how professors organize their courses does not necessarily reflect their own approach to studying IR. In that same survey, 26 percent of respondents reported that they do not use paradigmatic analysis. This casts even more doubt on the paradigms as core, yet exclusionary, frameworks.
IR scholars cannot cast off the field’s intellectual history. But neither can scholars accept it uncritically. Western dominance and white privilege permeate IR scholarship, teaching, and professional associations, to the cost of the field’s integrity, and to the cost of the relevance and appropriateness of our advice to policymakers. To help remedy these problems, IR scholars should focus their efforts on three initiatives.
First, those who teach IR must address race and racism in the field and acknowledge the usefulness of critical approaches. This means integrating scholarly works on race in undergraduate and graduate courses, and not as a segregated “week on race” at the end of the term. Despite the field’s overarching exclusion in this area, there are excellent scholars working on race in IR.
Introductory courses could also be organized around issues—for instance, interstate conflict, human rights, environmental politics—in order to create more points of entry for relevant scholarship and for nonwhite students. Second, universities must improve representation among scholars and increase diversity in intellectual thought. IR programs should strive to recruit, train, and retain diverse graduate and faculty candidates who can offer new perspectives and drive innovation. Third, IR professional associations must become more inclusive. One concrete step would be for ISA and other IR hubs to organize sections on race.
These steps are straightforward and feasible. Those in positions of power and influence must simply have the will and do the work. »
– Why Race Matters in International Relations, KELEBOGILE ZVOBGO, MEREDITH LOKEN


« Puisque le consentement (qu’il soit éclairé ou négocié) se formule comme une activité langagière, on se permettra de poser quelques questions relatives à cette aventure langagière en nous aidant du schéma que nous indique le linguiste Jakobson s’agissant du langage. Pour rappel, Jakobson distingue six fonctions du langage : la fonction expressive, relative au locuteur; celui qui émet le message (destinateur), la fonction conative tourne autour de la réception du message (le destinataire du message), la fonction référentielle (qui est relative au contexte du message), la fonction métalinguistique qui s’occupe du code partagé ou non entre les interlocuteurs du message, la fonction phatique, chargée, au cours des échanges, de maintenir le contact, et enfin, la fonction poétique qui est centrée sur le message lui-même. On pourrait comprendre, par analogie, le circuit des consentements comme comportant ces divers moments du langage et par conséquent du pouvoir. Qu’il s’agisse des acteurs de la communication que sont ceux qui émettent ou ceux qui reçoivent les consentements, que ce soit la chaîne des divers milieux qui distribuent les places, les rôles et dont on peut évaluer les capabilités des auteurs, que ce soit la substance des codes qui nourrissent les énoncés et leurs intérêts, qu’il s’agisse enfin de la forme des consentements eux-mêmes, la trajectoire de ceux-ci est à la fois linguistique (il y va d’un certain type de message), politique (les milieux et les intérêts cohabitent), anthropologique (il y est question de revoir la relation à l’autre dans un contexte de recherche et de fragilité), et économique (la recherche engage beaucoup de moyens matériels et indique parfois des disparités des niveaux de revenus et de vie).
[…]
Le consentement négocié pourrait, si certaines conditions de transparence et d’équité étaient réunies, devenir une forme de recherche et de quête d’un type particulier d’universel dans cet échange. Mais cet universalisme n’est pas celui arrogant au nom duquel les cultures occidentales dominantes définissaient leur rapport hégémonique au monde. Cette sorte d’universalisme impérial et condescendant, qui fixe le cadre et érige les hiérarchies et les priorités étant en lui-même son fondement et sa finalité, a été qualifié par Merleau-Ponty d’universalisme de surplomb. Et on pourrait dire, dans la situation coloniale et postcoloniale, que c’est un universalisme chape de plomb qui vous tombe dessus. Cet universalisme avec ses bons sentiments, ses indignations conventionnelles et ses objectifs indiscutés, a été la pierre d’angle d’une conception patriarcale de la relation au soin. Le consentement négocié a donc le mérite de promouvoir ce que j’appellerais à la suite de Merleau-Ponty un universalisme latéral. « L’appareil de notre être social peut être défait et refait par le voyage, comme nous pouvons apprendre à parler d’autres langues. Il y a là une seconde voie vers l’universel : non plus l’universel de surplomb d’une méthode strictement objective, mais comme un universel latéral dont nous faisons l’acquisition par l’expérience ethnologique, incessante mise à l’épreuve de soi par l’autre et de l’autre par soi » (Merleau-Ponty, 1960, p. 132-133). Le consentement négocié nous rappelle deux choses. Tout d’abord, malgré la différence de cultures, nous avons l’exigence de bâtir un monde commun. De cette exigence, découle le devoir de produire des normes, des pratiques discursives et des utopies sociales qui mettent en mouvement des personnes, des communautés, des intérêts, des malentendus, des pensées, des mesures, des paroles et des décisions qui portent et interpellent. Le consentement négocié, comme dans toute négociation, est l’art des possibles thérapeutiques. Comme le dit Gadamer, « il ne fait à présent aucun doute que la médecine clinique qui sert en grande partie de fondement à la médecine moderne, ne représente qu’un infime secteur comparé à l’étendue du problème auquel l’ensemble de l’art médical est censé répondre… » (Gadamer, 1998, p. 104). Cet humanisme qui découlera des négociations doit aussi prévoir l’hypothèse du refus pure et simple des populations d’accepter – après examen (des données géopolitiques, commerciales et des risques humains) ou non – les essais thérapeutiques. Ensuite, le dernier des problèmes reste la viabilité du consentement négocié. Il faudrait que les populations africaines à qui on propose ces essais puissent bien examiner les arcanes des multiples corruptions entre leurs élites et certaines firmes pharmaceutiques. Elles doivent également penser au fait que la question des essais thérapeutiques est liée aux enjeux de « santé globale » (Global Health). Terminons en reprenant le schéma jakobsonien du début de notre intervention : l’émetteur du message du consentement, les destinataires des messages, les canaux de ces messages, les codes de reconnaissance et d’interprétation des messages, les contextes du message de la négociation et le maintien du contact entre les messages sont les divers moments des pouvoirs. Ces pouvoirs – osons l’utopie – ne seront pas des pouvoirs des uns sur les autres mais, comme le veut Arendt, le pouvoir de faire ensemble quelque chose dans ce monde qui nous est étrange et pourtant si commun.
En attendant la réalisation de ce vœu de Hannah Arendt, les questions de pouvoir se posent encore en termes de domination et de lutte, et pour que le consentement négocié soit vraiment « un universalisme latéral », osons nous tourner vers ceux des pays du Nord qui le proposent aux pays du Sud. On demandera toujours à ceux qui viennent du Nord avec un nouveau « produit » dans le négoce de décliner la traçabilité du produit « consentement négocié » et les conditions de sa mise à l’étalage. Puisque nous sommes dans le « négoce », il faudrait décliner les intérêts économiques qui accompagnent et peut-être initient la pratique du « consentement négocié ». Que négocie-t-on ? Qui organise la négociation et pour quel intérêt ? Qui parle ? qui ne parle pas ? Qui organise les coulisses de la négociation ? Qui écrit la partition ? Qui organise la scène, la mise en scène, la narration et les dénouements ? Qu’est-ce qui est en jeu ici ; l’argent, les profits ou la vie humaine ? Qui a intérêt à occulter la dimension économique du consentement négocié ? Une réponse ou un début de réflexion autour de ces questions enlèvera au « consentement négocié » l’éventuel soupçon de n’être qu’une mise en scène économique avec le vernis d’éthique. »
– Godefroy Bidima, J. (2018). Du consentement éclairé au « consentement négocié » en Afrique : points de suspension, ouvrons les guillemets…. Revue française d’éthique appliquée, 5(1), 81-94.


« Negro. Un mot, une catégorie, le signifiant d’une altérité ineffable. Negro est le nom que Nancy Cunard choisit de donner à l’anthologie qu’elle édite en 1934, aujourd’hui republiée en fac-similé par les Nouvelles Éditions Place. Alors que le monde se fissure en ce début des années 1930, ce nom est jeté à la face d’un Occident qui ne veut pas se préoccuper de ses autres racisés. Negro est une déclaration et une déclamation. C’est une vocifération qui veut déssiller les yeux, faire surgir des existences et raconter des histoires composées au gré des migrations forcées entre l’Afrique et les Amériques et des voyages retour vers l’Afrique. Au-delà des rémanences africaines, il s’agit de faire apparaître un en-commun noir.
La Negro Anthology est un vacarme : un concentré de paroles, d’opinions, d’imaginaires aussi, de ce que serait un monde meilleur pour les populations noires ; un ensemble de discours depuis et sur ces périphéries qui transforment l’Atlantique en creuset d’une modernité noire africaine et afro-descendante. On y entend des échos de Belgique, du Brésil, de Cuba, du Nigéria, des États-Unis, de Trinidad, de Finlande, de la Barbade, de Hongrie, du Ghana, d’Allemagne, de Porto Rico, d’Haïti, d’Angleterre et même de Nouvelle-Zélande. Les voix résonnent de toutes parts : ce sont celles de militants, de musiciens (dont le joueur de banjo Vance Lowry), de sportifs, d’écrivains (comme Norman Wicklund Macleod), de cinéastes (comme l’écossais Kenneth McPherson), d’universitaires (dont le sociologue finlandais Edvard Westermarck, l’ethnomusicologue américaine Helen Heffron Roberts et l’historien kroo, Thorgues Sie). Entre cartographie et polyphonie – voire cacophonie –, la Negro fait émerger des récits de vie, des espoirs et des ambitions pour une humanité réconciliée, capable de dépasser la ligne de couleur. Point d’angélisme mais plutôt la confirmation d’un combat commun pour la dignité qui passe par la reconnaissance des diversités politiques, historiques et culturelles noires. La Negro saisit un moment, au premier tiers du siècle, où des auteurs, des militants, des artistes exposent des mondes noirs toujours en mouvement et perpétuellement en débats. La Negro est un vertige qui nous happe et nous entraîne dans l’instable de ces mondes, entre discriminations permanentes, solidarités inévitables, circulations transatlantiques inattendues et contradictions féroces.
La Negro apparaît aussi comme un scape, selon la notion forgée par Arjun Appadurai, soit une géographie visuelle, textuelle et sonore de la condition noire. On y entre par la brutalité de l’oppression raciale, construite à travers des invariants : l’exploitation conjointe des hommes, des femmes et de la terre, l’usage de la race pour nier l’humanité des populations noires et la contrainte du corps pour annihiler l’être. Du préjugé de couleur à Cuba à l’invention du privilège blanc en Europe , en passant par les effets pervers de la section 1 du 13e amendement aux États-Unis, l’anthologie expose les mécanismes qui créent la figure de Nègre.
Au fil des pages, on découvre des communautés et des vies méconnues, on saisit des similitudes culturelles et on assiste aux discussions sur le devenir-nègre du monde qui ont agité les milieux intellectuels et artistiques de l’époque. On rencontre les « stars noires » (p. 291-344) qui, derrière les désormais connus Cab Calloway, Duke Ellington et autres Louis Armstrong, ont fait connaître la culture africaine-américaine, à l’instar des danseuses de la revue Blackbirds (1928). On plonge dans les yeux des comédiens Tim Moore, Stepin Fetchit et Rose McClendon dont les portraits rappellent que le théâtre classique africain-américain existe depuis la fin du xixe siècle. On découvre la poésie voyageuse de Jacques Roumain, celle sombre et mystique de T. Thomas Fortune Fletcher et l’intemporel des proverbes africains qui évoquent les liens entre l’humain, la terre et le ciel.
[…]
Déborder pour subvertir
Malgré ces limites, on peut reconnaître que cette anthologie répond à ce que Cunard souhaitait certainement faire : produire un document engagé, loin des projets encyclopédiques en vogue à l’époque. Rien à voir avec l’Encyclopédie noire (Encyclopedia of the Negro) dont W. E. B. Du Bois avait lancé le projet en 1932 et qui devait représenter un panorama des mondes noirs, à l’instar de la future Encyclopédie Africana. La Negro est un corpus construit comme un instrument de subversion de l’ordre du monde. Il ne faut pas s’y tromper : l’ouvrage n’était pas destiné à un public néophyte désireux de découvrir l’Atlantique noir (même si cela a pu être le cas) ; la Negro est une utopie, l’expression d’une aspiration à ébranler le monde pour que ne résonnent plus les sons d’un colonialisme triomphant qui s’étend alors en Afrique, de l’Algérie à l’Afrique du Sud, et pour que, aux États-Unis, cesse une ségrégation qui se renforce et se répand, de lynchages en lois Jim Crow. Comme toute utopie, l’anthologie Negro déborde car elle incarne un surplus de l’humanité en 1934. Elle est un trop-plein d’idées et d’images qui sort du cadre d’une histoire mondiale où, trop souvent, les populations noires apparaissent dans la position de subalternes rendus muets et statiques par le jeu dominant / dominé. La Negro saisit le réel des cultures et histoires noires et montre des hommes et des femmes, acteurs de leurs destins, circulant entre les continents, entamant des discussions sur l’efficacité du marxisme pour les Noirs (Will Herberg), sur l’intersectionnalité d’une oppression de race, de classe et de genre et sur le préjugé de couleur.
Cette anthologie déborde parce qu’elle porte leurs pensées en mouvement et l’exubérance de leurs propositions. Elle déborde parce qu’elle représente à la fois les élites et le vernaculaire. Elle déborde aussi de mots (le slang africain-américain, les créoles, les langues africaines, etc.), creusets de cette rythmique de l’exutoire et du débat qui traverse les cultures noires. Tout se mêle et fait écho d’un texte à l’autre, d’une histoire à l’autre, comme pour illustrer les analyses de Zora Neale Hurston qui, dans « Characteristics of Negro expression » (p. 39), évoque l’appropriation de la langue anglaise par les Africains-Américains : les mots que ceux-ci inventent visent à la fois l’objet décrit et son usage. C’est peut-être également un autre trait de la Negro : la langue est une forme de prise de possession du monde, une action à la fois politique et artistique, sociale et esthétique. Tous les textes réunis ici reflètent cette qualité. La langue n’est pas seulement description ou véhicule d’une pensée ; elle est le mouvement vers l’autre, de l’autre côté de l’Atlantique et aussi vers un futur. Enfin, la Negro déborde parce qu’elle est à la fois une « riposte » (Frioux-Salgas, p. 19) viscérale à l’immédiat de la ségrégation et de la colonisation et une réponse construite au temps long d’une oppression pluriséculaire. Le tranchant des mots et des images réplique à la violence de la domination et dit l’impossibilité de l’accepter. L’anthologie est un site où la représentation des identités et des cultures noires doit servir à leur reconnaissance dans une « compétition des modernités » (Diouf, p. 11) qui, au fil des pages, expose un champ des possibles noirs.
La Negro est une archive exceptionnelle tant pour les spécialistes des mondes noirs que pour le grand public. Elle est une plongée dans une période riche où les germes de la Négritude croisent des panafricanismes en recomposition, où des localités culturelles se répondent de part et d’autre de l’océan atlantique. Mal connues, les années 1930 sont pourtant une période importante des histoires africaines et afro-descendantes connectées. Comme le note Mamadou Diouf, elles sont le temps de « visions parallèles ». D’un côté, un désarroi face à un monde qui bascule vers le conservatisme et le fascisme, et de l’autre, un « bouillonnement » (Diouf, p. 9), signe d’un nécessaire renouveau qui passe par la réévaluation des relations humaines et des horizons possibles. La Negro reflète tout cela. Elle expose les interrogations, les contradictions, les errements et les espoirs d’un temps saisi par les populations noires.
Les années 1930 font écho aux années 2010 car nous sommes à nouveau, aujourd’hui, dans un moment marqué par des « visions parallèles ». La discrimination raciale, les attaques contre les corps noirs, soumis à la violence policière ou abandonnés aux portes de l’Europe, réactivent une indispensable réflexion sur la figure du Nègre au xxie siècle. De même, nous assistons à un bouillonnement similaire de formes artistiques, politiques et culturelles célébrant un en-commun noir autant que les multiplicités africaines et afro-descendantes. Les interrogations sur la place de l’Occident dans un monde globalisé, sur les Suds globaux, sur la race comme catégorie du délaissement de l’Autre sont autant de pistes de réflexion amorcées dans la Negro que nous pouvons reprendre.
Republier cet ouvrage en 2018, dans une version augmentée et contextualisée, est donc autant un engagement qu’en 1934. C’est se servir du passé pour saisir les continuités de l’oppression raciale mais aussi, de manière plus positive, affirmer la prégnance globale de l’histoire atlantique noire dans la construction du monde contemporain. L’engagement premier est celui de Sarah Frioux-Salgas qui a redécouvert cette source et en a fait un objet de réflexion, de recherche et de savoir. Engagement également des Nouvelles Éditions Place, qui ont pris le risque de publier un document inclassable, coûteux à produire et destiné à inaugurer une série de rééditions issues de l’Atlantique noir. On ne peut qu’espérer que cet ouvrage suscite d’autres engagements. Celui, peut-être, d’une anthologie noire des années 2010. »
– Fila-Bakabadio, S. (2020). « Déborder ! »: La Negro Anthology de Nancy Cunard. Critique, 876-877-878(5), 471-481.







« Dans sa sobriété de substantif sans article, le titre ne peut qu’interpeller l’architecte : Brutalisme. Elle est révolue depuis longtemps l’époque où « Tara Plage » grouillait, incontournable point de chute de l’anticonformisme en week-end. Seul à cette véranda assis, il n’y a que moi et le sourd mugissement incessant de la houle. Je vais me plonger dans le nouvel opus d’Achille Mbembe. C’est une façon absolument inédite de clôturer cette escapade kribienne. De quoi est-ce que cette tête pensante de la réfutation postcoloniale, sollicitée aux quatre coins du monde pour ses éclairages halogènes, va cette fois entretenir son lectorat et l’intelligentsia à l’écoute ? J’ai toute la nuit emmoustiquée devant moi pour le découvrir, après une longue sieste, et tout ce qu’il faut sur la table aussi pour que ce moment par pleine lune, face à la mer et ces risées phosphorescentes, soit agréable au possible. Des crevettes, bien entendu, avec à la clé quatre litres de jus d’ananas artisanal 100 % bio et de la weed cinq étoiles, en guise de viatique light pour ce marathon. Plus acquis que mézigue à la dissolution des clivages entres disciplines on ne fait pas et ça se sait si bien dans mon entourage que deux complices au long cours et enseignants à la HEAR ont décidé que je suis, une fois pour toutes, un trapéziste de la pensée. Comment donc va s’y prendre le Mbembe pour accréditer une notion empruntée à l’architecture dans le périmètre de réflexion qui est le sien ? Quid du potentiel heuristique de cet arraisonnement ? Munis de ces préoccupations et de leurs résonances, l’exercice vaut assurément le détour et mes neurones frétillent d’excitation. Elle est la même depuis le premier livre sans images dans lequel je suis tombé à mon tendre âge, au bord de l’avenue du général de Gaulle à Douala, L’homme qui venait du froid de John le Carré. Je n’avais pas encore dix ans.
Prémonitoire de la suite ? L’entame du texte propose d’emblée une redéfinition de la politique vue comme une « prise sur les éléments de tous ordres auxquels l’on s’efforce de donner une forme, au besoin par la force » (p. 7). Cette « prise », c’est celle du béton qui dans le jargon « prend » en ceci que le mélange liquide sable-ciment se solidifie à la température ambiante. Telle quelle et sachant l’inertie du béton, matériau d’urgence, cette acception du politique s’oppose à toutes celles qui font place à la manœuvre et à la ruse en vue de conquérir le seul pouvoir qui vaille dans la Cité, faire la pluie et le beau temps. Quels sont d’ailleurs ces « éléments de tous ordres » justifiables d’une intervention extérieure ? Nous ne le saurons pas ou on est supposé le savoir. Du moment que c’est dit, c’est fait et acquis, le schmilblick, lui, avance.
Me voilà comme fixé d’entrée de jeu sur ce qui m’attend au cours de cette randonnée nocturne de deux cent quarante pages dans une cogitation en haute fréquence. Par pleine lune et firmament constellé. Au bord de la mer et de son sourd mugissement ininterrompu, à Kribi, dans le plus creux du poissonneux golfe de Guinée, siège d’un upwelling qui suscite des convoitises halieutiques et acérées. Cette phase préalable de nécessaire mise au point conceptuelle, indispensable avant de s’élancer dans la dissertation as such, convoque une sémantique fichtrement prométhéenne à l’ère d’Hermès. Anachronique ? Il est question de « concassage », « forçage », « saccage », « mutilation », « dissection », « fissuration », « fracturation », « forage », « extraction », « éviction », « évacuation », signes verbaux d’une éminente praxis historique. Laquelle est amplement documentée depuis la révolution industrielle et pour partie même avant, de très loin venue donc sous ces substantifs carrément contondants. Au vu de ces prémisses et logiquement, je devrais m’en tenir à ces accrocs initiaux, laisser là ce bouquin pour passer à autre chose fissa. « Accroche-toi, Jeannot ! » souffle la petite voix qui m’escorte et se manifeste dans les situations indécidables. Pas question donc de jeter l’éponge maintenant. Car, c’est arrivé au bout de ce pensum que je saurai alors exactement à quoi m’en tenir de cette sortie du chantre de la négrification du monde. Le jus d’ananas est exquis et velouté, suave à souhait. Quant aux crevettes en fricassée, ma foi, il n’y a pas de péché mignon aussi succulent…
III
Le projet de l’essai est précisé : opérer des coupes qui permettent de dessiner une fresque, poser les questions différemment, dire sur ce qui fait le propre de cette époque un mot (p. 9). Vaste programme, indeed, que notre héraut des tiers-patients se donne là. Il entend décrire une « époque saisie par le pathos de la démolition » et dans laquelle le pouvoir « se constitue, s’exprime, se reconfigure et agit » désormais comme une force géomorphologique (p. 8). Mes oreilles sifflent ici. Avant tout le monde dans la corporation des compassés rats de bibliothèque aka Amis de la Sagesse qui lui tinrent la dragée haute longtemps, du fait de son ancrage originel dans les sciences dites dures, Michel Serres avait déjà mis le doigt sur la nouveauté, en l’occurrence notre omnipotence qui fait une somme. « Jamais sans doute nous n’avons disposé, écrivait-il, de moyens aussi efficaces et universels pour changer le monde et nous-mêmes, l’air souillé ou pur, la terre amendable ou désertifiée » et ce n’est rien de le dire.
[…]
Tandis qu’entre crevettes, nectar d’ananas et weed, j’avance dans l’avant-propos comme à travers un taillis épineux, l’inquiétude peu à peu, voire un lourd doute me gagne et plombe ma randonnée qui se veut smart. Dans notre profession, le courant brutaliste tient d’une époque révolue et même muséifiée déjà. N’est-ce pas épistémologiquement risqué d’en reprendre le concept pour en faire une « image-pensée » (p. 11) censée contenir et fournir une représentation pertinente de l’état du monde à l’âge des algorithmes, du génie génétique, de l’IA, du big data, du calcul quantique, de l’impression 3D/4D, des nanotechnologies, des drones et du trading à haute fréquence ? Dans notre pratique routinière d’architectes, jamais le so called brutalisme n’eut trait à une quelconque brutalité, sinon l’aspect brut d’une pièce de béton dans sa matérialité, extraite de son coffrage au terme du temps de prise et mise en œuvre sans aucun apprêt cosmétique supplémentaire, telle quelle donc. L’inflexion phénoménologique hardie qu’opère Achille Mbembe pour « peindre les contours d’une scène matricielle » (ibid.) produit en filigrane, presque d’emblée, une ténue et grinçante stridence, dont je suis loisible de me demander si ses coreligionnaires de la chapelle postcoloniale et ses laudateurs en tout genre la perçoivent.
Ces « pertes excessives » et ce « profond syndrome d’épuisement » (ibid.) des capacités organiques que le théoricien répute caractéristiques de la négrification du monde, qu’est-ce d’autre que les symptômes d’une entropie battant son plein dans la Zone des Incommodités ? Le capitalisme mutant vers un régime de plus en plus immatériel et post-fordiste, emmené par une ploutocratie transnationale, a opportunément transféré dans les zones du monde ouvertes (ont-elles le choix ?) à l’échange inégal, la part crasseuse, bruyante et polluante des processus industriels dont l’exigence verte des Weird.
La mondialisation n’est-elle pas la chronique de ces déménagements vers les pays où le faible coût de la main d’œuvre booste les profits, lesquels ont désindustrialisé moult territoires américains naguère prospères ? Effet boomerang, le dépit de ces compatriotes laissés sur le bord du chemin par la froide logique financière des investisseurs XXL a installé Donald Trump à la Maison Blanche. Autant la démolition systématique de la vie quotidienne des gens ordinaires sous les cieux est documentée, autant en être hanté me semble frayer la voie à une surreprésentation du dark side of things. Ce pic dans le détriment dont témoigne sans aucun doute la multiplication de « réserves d’obscurité », ne signe-t-il pas le crépuscule d’une séquence historique ouverte il y a plus de deux siècles par la révolution industrielle, sinon même les feux de sa fin actée ?
« Tout lieu empirique à la surface de la Terre, avance Peter Sloterdijk, devient potentiellement une adresse du capital, qui considère tous les points de l’espace sous l’aspect de leur faculté à être atteints par des mesures économiques et techniques. »
C’est leur nomenclature, à ces dernières, que l’avant-propos du livre dresse sous les traits de la fissuration et autres vocables contondants, sur un registre on ne peut plus prométhéen. Comme quoi et à cet égard, il n’y a rien sous le soleil de neuf requérant, as such, l’adjonction d’un « isme » de plus à la panoplie de ceux existant déjà. Superflu. Si couper les cheveux en quatre ne rend pas toujours le réel plus saisissable que dans un énoncé compréhensif, ce principe canonique de l’analyse extensive dilue les enthousiasmes et disperse ce faisant les énergies néguentropiques. Aux dépens, hélas, de la lutte contre les ogres ravageurs et impudents de la vie, en l’occurrence la clique mixte et néolibérale qui se réunit à Davos en janvier chaque année, pour faire le point sur son empire et son emprise. Soit la bande du fonds BlackRock, les Cargill et leurs pairs de tout calibre qui accourent en jets privés des quatre coins de la planète, pour prendre part à cette grand-messe des agents et actionnaires principaux du détriment. Foin de bilan carbone pour ce gotha du capitalisme, puisqu’en être n’a pas de prix.
[…]
Au cœur du Um logée, une maxime assure que le monde est une chute de chimpanzé, il se perturbe et il se restaure. Se trouvent ici condensées / signifiées, en cette seule proposition compréhensive, un bouquet de théories de la complexité. Sa forme pronominale pointe vers les systèmes auto-organisés dont le vivant est l’exemple cardinal, pour ne pas dire paradigmatique. Qui la prenant à la lettre et la visualisant ne saisit pas la non-linéarité et le non-équilibre traduits dans une métaphore puissante ? Le primate se balance de liane en liane à travers l’enchevêtrement sylvestre et constamment au bord de la rupture, il se rattrape. Descartes y perdrait certainement son Cogito. Ce milieu-là n’est pas celui, aussi lisse que continu, de ses hypothèses sur l’acte de connaître. En fait d’organisme jouissant d’une masse relative à la gravité terrestre, le chimpanzé n’est pas loin de se comporter comme une onde dans un champ. Quelqu’un a-t-il noté et pris acte que depuis le 20 mai 2019, la métrologie réfère le kilogramme étalon à la constante de Planck ? Cette articulation de l’inconsistance et du consistant désavoue le principe de disjonction qui court l’épistémè moderne des Faustiens. Voire elle proclame sa caducité et une page nouvelle s’ouvre.
Je veux bien moi brandir un « signe africain » présentant ce faciès épistémologique, faisant montre de l’ancrage des poétiques d’antan dans la complexité et ses subtilités fascinantes. Peu me chaut, en revanche, la « patternisation » du dark side of things. Est-ce que fixer longtemps la noirceur, à la prendre pour objet de méditation intellectuelle sous tous ses contours plausibles et accessibles, reste sans conséquences sur la perception de la réalité ? L’Afrique n’a guère le monopole de « l’expérience des limites », pas plus que de la re-création « du vivant à partir de l’invivable », puisque les Japonais peuvent parler de la bombe atomique vitrifiante. Inscrit dans la tradition nippone, l’art du kintsugi les aura aidés dans la réparation et le dépassement du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. À cette Afrique contemporaine subjuguée par des mirages, par ces fétiches si éblouissants et aliénants de Weirdland, il aura définitivement manqué de disposer d’une telle ressource symbolique, capable de prendre en charge le processus de cicatrisation de ses multiples blessures mentales depuis la pénétration arabe par le Sahara.
Nous savons désormais, grâce à l’émergence de l’épigénétique et aux résultats de ses recherches, que les traumas se transmettent. Même que le gène marqueur de la maltraitance infantile si présente sur le continent est identifié : NR3C1. La cartographie de la vie émotionnelle de ses patients que dresse le Dr Giacobino ressemble à s’y méprendre au tableau que les cliniciens du cru font des leurs qu’ils reçoivent en consultation psychiatrique au Cameroun. Stress, éthylisme, difficultés relationnelles, c’est tout pareil, au contexte près. L’Afrique ne pourra pas faire l’économie d’une catharsis collective. L’engouement constaté participe d’un exotisme 3.0 qui ne dit pas son nom. Si ce renouveau vient compenser le désenchantement ambiant en Zone de Commodités, l’explosion des cotes au second marché du district de l’art contemporain provoque des remous au bercail, 6000 km plus loin au Sud. Donc c’est possible et les néophytes subsahariens ne voient que les chiffres astronomiques pour eux. Qui alors endossera la responsabilité de conduire la restauration, à l’instar de Koba dans le mythe éponyme du peuple bassa évoqué tantôt avec la chute du chimpanzé ?
Le jour est levé maintenant. Il a effacé la torchère que la nuit et le clair de lune tiraient de la distance. Je croise sur la plage des femmes allant en devisant à la rencontre des pêcheurs qui regagnent la terre ferme avec les prises de la nuit et le marchandage va bon train autour des bossus, bars, crabes, moules, etc., qui vont peut-être finir chez les braiseuses de poisson du Beach. J’ai déposé à mon tour Brutalisme sur le plus éminent d’un groupe de rochers jouxtant plus loin une épave d’embarcation déchiquetée et rouillée. Pour la curiosité peut-être d’un autre flâneur traînant demain ses guêtres par-là, la feuille de papier format A4 que j’ai trouvée glissée entre les pages en moins. Une photo d’Achille Mbembe de pied en cap y était imprimée et barrée d’une funeste croix rouge. Comme celle que les municipalités apposent de ce côté du monde sur des édifices à détruire pour non-respect des règles d’urbanisme. Bon… »
– Manga, L. (2020). Le saut de l’ange. Critique, 876-877-878(5), 575-590.

« L’histoire de l’Afrique est faite d’itinérances et de mouvements, que ce soit vers le continent ou hors du continent. Cette « circulation des mondes » a donné lieu à une culture riche et multiple, souvent passée sous silence et aujourd’hui menacée par un discours nativiste.
Qu’il s’agisse de la littérature, de la philosophie ou des arts, le discours africain a été dominé, pendant près d’un siècle, par trois paradigmes politico-intellectuels qui, au demeurant, ne s’excluaient pas mutuellement.
Il y a eu, d’une part, diverses variantes du nationalisme anticolonial. Celui-ci a exercé une profonde influence sur les sphères de la culture, du politique et de l’économique, voire du religieux. Il y a eu, d’autre part, diverses relectures du marxisme desquelles ont résulté, ici et là, maintes figures du « socialisme africain ». Venait, enfin, une mouvance panafricaniste qui accordait une place privilégiée à deux types de solidarité – une solidarité de type raciale et transnationale, et une solidarité de type internationaliste et de nature anti-impérialiste.
À l’orée du siècle, l’on peut dire que cette carte intellectuelle n’a pas fondamentalement changé alors même qu’en sous-main, d’importantes reconfigurations sociales et culturelles sont en cours. Cet écart entre la vie réelle des sociétés d’un côté et, de l’autre, les outils intellectuels par lesquels les sociétés appréhendent leur destin n’est pas sans danger pour la pensée et la culture. Les trois paradigmes politico-intellectuels mentionnés ci-dessus se sont en effet institutionnalisés et se sont ossifiés à un point tel qu’ils ne permettent plus aujourd’hui d’analyser avec un tant soit peu de crédibilité les transformations en cours. Les institutions qui les portent fonctionnent, presque sans exception, à la manière de véritables « rentes de situation ». Elles bloquent, en outre, toute forme de renouveau de la critique culturelle et de la créativité artistique et philosophique et amenuisent nos capacités de contribuer à la réflexion contemporaine sur la culture et la démocratie.
La circulation des mondes
De toutes les reconfigurations en cours, deux en particulier risquent de peser d’un poids singulier sur la vie culturelle et la créativité esthétique et politique des années qui viennent. Il y a d’abord celles qui touchent aux réponses nouvelles à la question de savoir « qui est Africain » et qui ne l’est pas.
Nombreux sont, en effet, ceux aux yeux desquels est « africain » celui qui est « noir » et donc « pas blanc », le degré d’authenticité se mesurant, dès lors, sur l’échelle de la différence raciale brute. Or, il se trouve que toutes sortes de gens ont quelque lien ou, simplement, quelque chose à voir avec l’Afrique – quelque chose qui les autorise ipso facto à prétendre à la « citoyenneté africaine ». Il y a, naturellement, ceux que l’on désigne les Nègres. Ils sont nés et vivent à l’intérieur des États africains dont ils constituent les nationaux. Mais si les Négro-Africains forment la majorité de la population du continent, ils n’en sont ni les uniques habitants, ni les producteurs uniques de l’art et de la culture.
Venus d’Asie, d’Arabie ou d’Europe, d’autres groupes de populations se sont en effet implantés dans diverses parties du continent à diverses périodes de l’histoire et pour diverses raisons. Certains sont arrivés en conquérants, marchands ou zélotes, à l’exemple des Arabes et des Européens. Fuyant toutes sortes de misères, cherchant à échapper à la persécution, simplement habités par l’espoir d’une vie paisible ou encore mus par la soif des richesses, d’autres se sont installés à la faveur de circonstances historiques plus ou moins tragiques, à l’exemple des Afrikaners et des Juifs. Mains-d’œuvre pour l’essentiel servile, d’autres encore ont fait souche dans le contexte des migrations de travail, à l’exemple des Malais, des Indiens et des Chinois en Afrique australe. Plus récemment, Libanais, Syriens, Indo-Pakistanais et, ici ou là, quelques centaines ou milliers de Chinois ont fait leur apparition. Tout ce monde est arrivé avec ses langues, ses coutumes, ses habitudes alimentaires, ses modes vestimentaires, ses manières de prier, bref, ses arts d’être et de faire. Aujourd’hui, les rapports qu’entretiennent ces diverses diasporas avec leurs sociétés d’origine sont des plus complexes. Beaucoup de leurs membres se considèrent comme des Africains à part entière, même s’ils appartiennent également à un ailleurs.
Mais si l’Afrique a longtemps constitué un lieu de destination de toutes sortes de mouvements de population et de flux culturels, elle a aussi, depuis des siècles, été une zone de départ en direction de plusieurs autres régions du monde. Ce processus de dispersion, multiséculaire, s’est déroulé à cheval sur ce que l’on désigne généralement les Temps modernes et a emprunté les trois couloirs que sont le Sahara, l’Atlantique et l’Océan Indien. La formation de diasporas nègres dans le Nouveau Monde, par exemple, est le résultat de cette dispersion. L’esclavage, dont on sait qu’il ne concerna pas seulement les mondes euroaméricains, mais aussi les mondes arabo-asiatiques, joua un rôle décisif dans ce processus. Du fait de cette circulation des mondes, des traces de l’Afrique recouvrent, de bout en bout, la surface du capitalisme et de l’islam. Aux migrations forcées des siècles antérieurs se sont ajoutées d’autres dont le moteur principal a été la colonisation. Aujourd’hui, des millions de gens d’origine africaine sont des citoyens de divers pays du globe.
Lorsqu’il s’agit de la créativité esthétique dans l’Afrique contemporaine, voire de la question de savoir qui est « Africain » et qu’est-ce qui est « africain », c’est ce phénomène historique de la circulation des mondes que la critique politique et culturelle a tendance à passer sous silence.
Dispersion et immersion
Vu d’Afrique, le phénomène de la circulation des mondes a au moins deux faces : celle de la dispersion que je viens d’évoquer, et celle de l’immersion. Historiquement, la dispersion des populations et des cultures ne fut pas seulement le fait d’étrangers venant s’implanter chez nous. En fait, l’histoire précoloniale des sociétés africaines fut, de bout en bout, une histoire de gens sans cesse en mouvement à travers l’ensemble du continent. C’est une histoire de cultures en collision, pris dans le maelström des guerres, des invasions, des migrations, des mariages mixtes, de religions diverses que l’on fait siennes, de techniques que l’on échange, et de marchandises que l’on colporte. L’histoire culturelle du continent ne se comprend guère hors du paradigme de l’itinérance, de la mobilité et du déplacement.
C’est d’ailleurs cette culture de la mobilité que la colonisation s’efforça, en son temps, de figer à travers l’institution moderne de la frontière. Rappeler cette histoire de l’itinérance et des mobilités est la même chose que parler des mixages, des amalgames, des superpositions. Contre les fondamentalistes de « la coutume » et de l’« autochtonie », l’on peut aller jusqu’à affirmer qu’au fond, ce que l’on appelle « la tradition » n’existe pas. Qu’il s’agisse de l’islam, du christianisme, des manières de s’habiller, de faire du commerce, de parler, voire des habitudes alimentaires – rien de tout cela ne survécut au rouleau compresseur du métissage et de la vernacularisation. C’était le cas bien avant la colonisation. Il y a, en effet, une modernité africaine précoloniale qui n’a pas encore fait l’objet d’une prise en compte dans la créativité contemporaine.
L’autre aspect de cette circulation des mondes est l’immersion. Elle toucha, à des degrés divers, les minorités qui, venant de loin, finirent par faire souche sur le continent. Le temps s’écoulant, les liens avec leurs origines (européennes ou asiatiques) se compliquèrent singulièrement.
Au contact de la géographie, du climat et des hommes, ils devinrent des bâtards culturels même si, colonisation oblige, les Euro-Africains en particulier continuèrent de prétendre à la suprématie au nom de la race et à marquer leur différence, voire leur mépris à l’égard de tout signe « africain » ou « indigène ». C’est en très grande partie le cas des Afrikaners dont le nom même signifie « les Africains ». On retrouve la même ambivalence parmi les Indiens, voire les Libanais et Syriens. Ici et là, la plupart s’expriment dans les langues locales, connaissent, voire pratiquent certaines coutumes du pays, mais vivent dans des communautés relativement fermées et pratiquent l’endogamie.
Ce n’est donc pas seulement qu’il y a une partie de l’histoire africaine qui se trouve ailleurs, hors d’Afrique. Il y a également une histoire du reste du monde dont nous sommes, par la force des choses, les acteurs et dépositaires, ici même, sur le continent. Au demeurant, notre manière d’être au monde, notre façon « d’être-monde », d’habiter le monde – tout cela s’est toujours effectué sous le signe sinon du métissage culturel, du moins de l’imbrication des mondes, dans une lente et parfois incohérente danse avec des signes que nous n’avons guère eu le loisir de choisir librement, mais que nous sommes parvenus, tant bien que mal, à domestiquer et à mettre à notre service.
La conscience de cette imbrication de l’ici et de l’ailleurs, la présence de l’ailleurs dans l’ici et vice-versa, cette relativisation des racines et des appartenances primaires et cette manière d’embrasser, en toute connaissance de cause, l’étrange, l’étranger et le lointain, cette capacité de reconnaître sa face dans le visage de l’étranger et de valoriser les traces du lointain dans le proche, de domestiquer l’in-familier, de travailler avec ce qui a tout l’air des contraires – c’est cette sensibilité culturelle, historique et esthétique qu’indique bien le terme « afropolitanisme ». »
– Mbembe, A. (2006). Afropolitanisme. Africultures, 66(1), 9-15.





« Ernest-Marie Mbonda ose. C’est le moins que l’on puisse dire. « La pauvreté comme violation des droits humains : vers un droit à la non-pauvreté » voilà qui en ces temps des fêtes ne facilite pas la gloutonnerie gargantuesque de nos célébrations. L’article paru dans la Revue internationale des sciences sociales en février 2004 commence par montrer à quel point la notion de pauvreté dont presque tout le monde parle est en fait un peu plus compliquée à définir.
En effet, pour définir la pauvreté encore faut-il mobiliser ou tenir compte d’une pluralité de facteurs qui s’imbriquent les uns les autres. Par exemple, être pauvre est-ce l’état d’une personne privée de moyens de subvenir à ses propres besoins naturels et nécessaires (satisfaction des besoins élémentaires comme manger, s’habiller, se loger, se soigner, etc.), ou au-delà du fait de « se maintenir en vie » il est aussi question de décence ?
La décence comme le souligne Mbonda ne saurait être évaluée que dans un « contexte précis qui lui donne sens ». Ainsi, il ne s’agit plus simplement de se maintenir en vie, mais de se maintenir en vie décemment, ce qui fait déborder la notion de pauvreté de son enclos traditionnel de satisfaction de besoins physiologiques ou de subsistance pour une considération relevant d’une « affaire sociale ». Car, la perception de la pauvreté est aussi une question de perception sociale, de convention sociale, qui diffère donc d’une société à une autre.
Par exemple, lorsque des Occidentaux vont faire un tour au Laos, il arrive qu’ils regardent avec beaucoup d’empathie ces « crevards » qui n’ont pas le « standing » social minimal occidental, sauf qu’il est possible qu’au Laos les « crevards » ne se sentent pas ou ne se considèrent pas « crevards » du moins dans le sens que donneraient des « crevards » de la banlieue parisienne (je pense notamment à ceux des quartiers dits difficiles ou sensibles).
Cette perception non seulement diffère donc d’une société à une autre, elle diffère aussi « au sein d’une même société » en plus d’évoluer dans le temps selon Mbonda. Et l’auteur de citer le théoricien des « capabilités » Amartya Sen : « […] il n’est pas aisé de tracer une frontière nette [entre] les soi-disant « besoins nutritionnels minimaux » et les « variations entre groupes et régions ». Tracer une telle frontière relève purement de l’arbitraire, un arbitraire d’ailleurs auquel sont accoutumés certains économistes en évaluant la pauvreté par la quantité de dollars ou d’euros qu’un individu indifféremment de son contexte et de sa situation à dans ses poches.
C’est avec de telles considérations que l’on a pu dire que la pauvreté a reculé depuis la mondialisation capitaliste néolibérale. D’ailleurs, Mbonda pose la question : « le contexte en question doit-il se limiter à la communauté et à l’État où vivent les pauvres, ou bien peut-il être étendu à la sphère internationale ? Le niveau de pauvreté doit-il être évalué à l’aune des normes locales ou internationales ? »
A cette question de définition de la pauvreté ou du pauvre, Mbonda est en citant Narayan (pas le dieu du panthéon de l’hindouisme mais de l’auteur de « Voice of the poor : poverty ans social capital in Tanzania ») laconique : « Il suffit de comprendre qu’« être pauvre, c’est souffrir. » C’est à mon avis un peu court, un peu trop… simpliste, facile. Mais l’auteur rajoute : « Les pauvres souffrent dans leur corps parce qu’ils n’ont pas assez à manger et qu’ils travaillent dur ; ils souffrent dans leur âme, parce que leur dépendance et leur impuissance leur valent des humiliations quotidiennes ; et ils souffrent dans leur conscience, car ils doivent choisir, par exemple, entre sauver la vie d’un parent malade et nourrir leur enfants ».
Là, il me semble-t-il l’on touche à quelque chose d’important et de substantiel, la pauvreté c’est évidemment souffrir, mais c’est une souffrance qui va au-delà du simple fait de souffrir de famine ou de labeur ou etc., c’est aussi être dans un état d’incapacité de vivre dignement c’est-à-dire d’avoir accès aux ressources (sociales, économiques) permettant de s’en sortir vraiment et qui font en sorte que l’on ne puisse faire face au dilemme ou choix cornélien de laisser crever un parent pour sauver son enfant (ou vice-versa).
C’est cette double réalité (incapacité de s’en sortir, d’avoir la possibilité de se choisir réellement une destinée, et de devoir choisir entre le détestable et l’inacceptable) qui caractérise me semble-t-il le pauvre. Contrairement au riche qui a les capacités d’accès aux ressources, qui même s’il fait face à des choix cornéliens n’aura pas du fait de l’absence de moyens économiques à choisir entre son enfant et un parent. Contrairement à un non-riche qui peut avoir un crédit ou être admissible à un prêt, avoir un réseau de soutien à même de lui tendre la perche ou de lui faciliter la voie. Le pauvre est un immobilisé socialement. Sa souffrance découle de cette double réalité.
A la question de savoir si la pauvreté est une violation des droits humains, l’auteur commence par dire une chose simple mais qui montre toute la complexité de la question : d’un, parler de violation de droits signifie de mobiliser deux notions cardinales du droit que sont l’opposabilité et l’imputation (ou l’imputabilité), alors dans le cas de la pauvreté s’il y a une violation des droits humaines qui est le débiteur du créancier (ici le pauvre), qui est responsable de l’état de pauvreté, de deux sur quel fondement juridique voire moral une telle violation s’appuie-t-elle ?
Avant de se lancer dans une réponse attendue impatiemment et qui tient en haleine, Mbonda en bon philosophe du droit et de philosophie politique, fait un détour par Euthydème qui définissait le pauvre comme celui n’ayant pas assez pour les dépenses nécessaires, bifurque en invoquant Socrate qui « insiste sur la nécessité de considérer la pauvreté comme une question de vertu », s’arrête un instant sur Platon et Aristote qui « associent la pauvreté au désir, en l’envisageant comme une source potentielle du vice » au point que « l’homme pauvre peut facilement basculer dans la faute, la corruption et l’envie », passe par Grégoire le Grand et son Le Pastoral qui souligne que « le manquement au devoir d’aider les pauvres est assimilé à un homicide » – ce qui pointe « bien la responsabilité des riches » puisque « S’il y a des pauvres, c’est que les riches s’accaparent toutes les ressources, en se servant plus qu’ils ne devraient et en refusant de se plier à un devoir de partage avec les plus démunis », pour finir – en esquivant pas la conception religieuse (judéo-chrétienne notamment) de la pauvreté qui « devient une question téléologique et eschatologique [c’est-à-dire] pas un problème de justice en soi » – sur la philosophie libérale et néolibérale qui fait de la pauvreté « un problème individuel, qui se manifeste dans des circonstances dont la société ne peut être tenue pour responsable ».
Et c’est Friedrich von Hayek, l’auteur de La Route de la servitude (1944) critiquant l’interventionnisme de l’État accusé de conduire indirectement au totalitarisme et qui a été un des ouvrages favoris (l’un des livres de chevet) du Consensus de Washington, qui est sorti de l’ombre thatchérienne et reaganienne pour dire que « La pauvreté n’est pas un problème de justice, puisque personne n’en est responsable [dès lors] on ne saurait parler de pauvreté en termes de droits ou de violation de droits dans la mesure où ceci présupposerait l’existence d’une entité capable de garantir ces droits ».
Mbonda présentant la pensée philosophique de von Hayek ajoute : « Le politique est impuissant à établir la justice et le droit du fait de son incapacité à comprendre et contrôler la complexité des mécanismes de transaction qui s’opèrent dans la société » et « Toute interférence dans ces mécanismes aboutit à des effets contreproductifs qui prennent la forme d’une violation des libertés ou d’une catastrophe économique ».
Donc, que propose la pensée néolibérale : « Plus on donne aux pauvres, moins il en reste pour les pauvres […] la politique du laisser-faire est considérée comme plus efficace en termes de productivité, étant donné qu’elle favorise l’initiative privée qui est la seule façon d’accroître la richesse au bénéfice de tous […] La pauvreté n’est donc pas un effet ^pervers des mécanismes sociaux ; elle est un élément de cette harmonie ». Cela résonne comme un air contemporain très familier, et nous sommes en 1944, dans les années 1970-19780, et dans la décennie 1990.
En 2018, une telle pensée, c’est une catastrophe sociale, un véritable génocide, et je pèse mes mots. Les pauvres n’ont pas les opportunités des riches ou de ceux qui appartiennent à la classe moyenne supérieure, ni en termes d’éducation ni en termes de culture encore moins en termes de réseaux, entre autres choses. Les pauvres ne connaissent pas l’égalité des chances. Ils peuvent bien se démerder comme ils peuvent, il n’en reste pas moins qu’ils sont délimités à un espace social bien circonscrit, certes nous avons des exceptions sauf que je pose la question : depuis quand les exceptions sont la règle ?
Mbonda retrace la reconnaissance des droits des pauvres jusqu’au droit à l’assistance et au travail qui faisait en sorte que ceux-ci n’avaient plus besoin de mendier pour survivre. Un droit d’assistance qui fait interroger l’auteur en tant que « solution au problème du droit de ne pas être pauvre ». L’assistance s’enracine dans une idéologie religieuse, dans la tradition judéo-chrétienne c’est l’aide ton prochain comme toi-même parce que « Dieu te le rendra », dans la tradition musulmane c’est le Allah vient en aide au serviteur tant que ce dernier vient en aide à son frère.
Seulement, c’est formidable d’aider son prochain, mais c’est peut-être plus vertueux de le rendre autonome et émancipé de notre aide. Ce qui implique dans le cas d’espèce de mettre en place des structures (sociales) et de lui permettre d’avoir accès à des opportunités. Ce que je veux dire, signer un chèque c’est bien – surtout devant les caméras, la philanthropie de millionnaire ou de milliardaire à la Une du journal ou en direct sur une chaîne télé c’est formidable pour son ego et pour son entreprise – question sans doute de relations publiques, mais payer ses impôts par exemple c’est mieux. Ou payer ses employés au-dessus du salaire minimum reflétant ainsi une rémunération décente en temps d’inflation galopante, ne pas délocaliser dans les ateliers de la misère. Etc.
Mbonda ne le dit pas, pour le philosophe la question de l’assistance touche aussi la dignité de ceux qui la reçoive, ce n’est pas toujours plaisant d’être dans une position de demandeur ou de détresse. La main qui donne comme le dirait ma grand-mère est très souvent au-dessus de celle qui reçoit.
Il vaut sans doute me semble-t-il soulager répondre à l’urgence d’une situation, soutenir le temps qu’il faut l’âme à la détresse, et ensuite offrir les moyens à l’assisté de se prendre en main. Comme le rappelle Mbonda : « […] le problème de la pauvreté ne [peut] être résolu pour l’essentiel par l’assistance, même si l’assistance est considérée comme une obligation sociale. […] L’assistance peut donc devenir un moyen subtil d’enfermer les pauvres dans l’identité qui leur a été forgé par la pauvreté […] ». Il ajoute : « Pour les pauvres, le fait d’avoir la certitude d’une assistance de l’État peut être considéré comme une garantie positive. Mais l’état de pauvreté en lui-même, que ce soit avec ou sans la garantie d’assistance, peut aussi être perçu comme la violation d’un droit à la non-pauvreté. »
Être pauvre n’est pas naturel, être riche non plus, ce qui l’est c’est vivre dignement et décemment. La pauvreté n’est pas un problème insoluble. Ce n’est pas une fatalité. La pauvreté n’est pas seulement une question de manque de ressources, c’est je crois une question de distribution de la richesse, une question de justice, une question de mépris du contrat social qui exige que chacun puisse « tirer plus de bénéfices de cette association qu’il ne tirerait de » sa solitude.
Le contrat social implique (en reprenant un des principes de la théorie de la justice de Rawls cité par Mbonda) « une distribution des richesses […] indépendante des contingences naturelles ou sociales [et] qu’elle vise l’amélioration de la situation des moins privilégiés. » Une telle distribution de la richesse passe nécessairement par la garantie des « services sociaux tels que l’éducation, la santé et autres infrastructures [et] que [ces services publics] fonctionnent correctement », c’est là d’après ma lecture le droit à la non-pauvreté : l’existence de ressources et l’accès aux ressources. La violation de ce droit dit la violation du principe d’équité.
En conclusion, Mbonda termine en disant que la pauvreté n’est pas qu’une question nationale dans la mondialisation contemporaine à « l’idéologie libérale », elle incite à la mise en place d’un « système de répartition [des richesses] globale » et en l’absence d’une telle action de la communauté internationale c’est une violation du « droit à la non-pauvreté ».
Pourquoi la communauté internationale devrait-elle instaurer et assurer un tel système de répartition globale des richesses ? Parce que c’est simplement une question de solidarité. Vous savez ce mot étrange qui est devenu si archaïque dans notre vocabulaire, ce mot alien dans notre entendement, ce mot qui nous horripile dès que nous l’entendons et que nous associons à communisme (ce qui fait penser à Cuba, Venezuela, tout ce qui nous fait horreur, je veux dire les etc., en oubliant bien sûr la violence en millions de mort du capitalisme, du néolibéralisme, bien entendu toujours en etc.).
Pour Mbonda (citant Sassier), la solidarité ce sont « les relations entre personnes ayant conscience d’une communauté d’intérêts qui entraîne, pour un élément du groupe, l’obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance ». En même temps sur le plan international, il est « contradictoire de former une communauté des « nations unies » et de fermer les yeux sur des situations aussi dramatiques que la pauvreté, les famines et la faim, qui compromettent gravement jusqu’à l’humanité des plus pauvres ». Argument de l’auteur qu’il m’est difficile de contester.
Alors le droit à la non-pauvreté comme un droit humain ? Une utopie ? Un idéalisme ? Si vous répondez par l’affirmative à la dernière question, je vous demanderai de bien regarder autour de vous, de regarder au-delà de votre entourage immédiat, de votre propre situation, et de vous demander si « souffrir physiquement et psychologiquement » parce que dépourvu de moyens et de capacité(s) et sans dignité humaine vous semble acceptable, moral, et même réaliste.
Si en dégustant les jouissances de ces fêtes de fin d’année vous vous attardez sur ceux qui n’ont pas eu l’opportunité d’avoir la bouche pleine et la panse bien remplie, et que vous vous imaginiez à leur place, dans leur situation, dans leur contexte, peut-être que vous l’avez déjà vécu ou connu, alors vous conviendrez avec Mbonda que « c’est un devoir global [d’éradiquer la pauvreté] afin de permettre à tout un chacun de jouir du droit à la non-pauvreté ». Formulé autrement, que chacun puisse dire « Bonne année ! » »

« When Steven Pinker insists that the world is getting better and better, much of his case is based on claims about declining global poverty. But a new report from the UN’s top poverty expert dismantles that argument, showing that global poverty has gone nearly unchanged over the last forty years.
The world isn’t getting better.
This might be surprising to hear, given the army of writers and thinkers telling us otherwise, pointing to various metrics and insisting pessimism about the world is the result of, for instance, addled elder nostalgia. First among them is Harvard psychology professor and Jeffrey Epstein buddy Steven Pinker, who insists such gloom is “flat-earth wrong,” a product of “the sin of ingratitude,” and points in part to the world’s “tremendous progress against extreme poverty” to make the case that people these days simply “bitch, moan, whine, carp and kvetch” too much.
The only problem is, this isn’t true. Pinker and the optimism industry he represents are put in the crosshairs of Philip Alston’s latest and final report as UN Special Rapporteur on extreme poverty, who, in a statement that accompanied the report, condemns the “misplaced triumphalism blocking the very reforms that could have prevented the worst impacts of the [coronavirus] pandemic,” and assailing officials, pundits, and the UN itself for pushing “a self-congratulatory message of impending victory over poverty” not borne out by the data.
Central to Alston’s case is a thorough dismantling of the World Bank’s international poverty line (IPL), the chief measure used by global institutions and writers like Pinker to make the claim for the world’s unbridled march of progress, set at $1.90 per day in purchasing power parity dollars from 2011. As both Pinker and Alston note, according to this line, the number of the world’s people in extreme poverty has fallen from 36 percent in 1990 to 10 percent in 2015. But this measure is “scandalously unambitious,” says Alston.
A flat, unbending average of national poverty lines from the world’s poorest countries, the IPL sits far below the national poverty lines of many different countries, states the report. Using the IPL, Thailand has a 0 percent poverty rate; under its national line, that number is 9.9 percent. Even starker disparities can be found in countries like South Africa (18.9 percent vs. 55 percent), Mexico (1.7 percent vs. 41.9 percent), and, of course, the United States (1.2 percent vs. 12.7 percent).
“The IPL is explicitly designed to reflect a staggeringly low standard of living, well below any reasonable conception of a life with dignity,” writes Alston. “Under the measure, one can ‘escape’ from poverty without an income anywhere near that required to achieve an adequate standard of living, including access to healthcare and education.”
Besides this, the IPL flattens and even erases a host of other inequities within this astonishing inequality, including glaring gender disparities and the hundreds of millions of people who are homeless, refugees, migrant workers, and other groups who disproportionately feel the sting of poverty. Incredibly, Alston notes that the World Bank — one of the leading foisters of economic misery on poor, downtrodden countries — rejected its own Commission on Global Poverty’s recommendation that it adopt a basic needs-based estimate, instead of the one it now uses that was chosen by fifteen poor countries, because “it would be paternalistic and disrespectful to question the choices” of those nations. You can only laugh.
Misplaced Triumphalism
Moving off the line, the image of a world only getting better and better dissolves in air. Raising it to a mere $5.50 a day, writes Alston, means the head count of people in poverty fell from 3.5 billion to 3.4 billion in that same twenty-five-year period. Taking the World Bank’s own “societal poverty line,” developed in 2018 to measure poverty relative to different countries’ consumption, the number fell only 0.25 billion over those years, leaving it at 2.1 billion — a little under a third of the world’s population at the time. But even going by the generous measure of the IPL, things still don’t look especially great: 700 million people surviving on less than $1.90 a day, and 140 million more people in the Middle East and Sub-Saharan Africa doing so over that time span.
“The poverty decline [the IPL] purports to show is due largely to rising incomes in a single country, China,” says Alston.
Ominously, the report warns that even the meager reasons to hope poverty is being gradually eradicated are soon to be obliterated. The coronavirus pandemic “will erase all poverty alleviation progress over the past three years,” the report states, and climate change, which almost all of the world’s governments are ignoring, “will make a mockery” of the World Bank’s already discouraging projections for the next decade.
Neither Blind Optimism Nor Despair
There is nothing inherently wrong with optimism. Despair is, after all, often the cousin of inaction and surrender. But the style of optimism pushed by thinkers like Pinker is designed to lead to these exact same ends, assuring people they needn’t struggle or even worry because things are inexorably on the right track.
There are, nonetheless, reasons to be optimistic: from the historic wave of global and now US protest that has forced a sea change in attitudes on race and neoliberalism, to the fact that poverty and problems like it are solvable if we can simply muster the political will. As Oxfam is fond of reminding us, the trillions of dollars stashed away in tax havens alone could be taxed to eradicate extreme poverty multiple times over.
To that end, Alston outlines a set of recommendations any regular reader of Jacobin should be familiar with: reject reliance on private capital and pro-market policies, heavily tax big business and the rich and redistribute their wealth, embark on large-scale debt forgiveness, and move away from a myopic focus on a simplistic conception of “growth” as the engine of poverty reduction. This isn’t much different from the policy prescriptions put forward as recently as April by, of all things, the Financial Times.
The world isn’t getting better. But it could. And the ideas of the Left are increasingly viewed as commonsense solutions to make it so. »
– BRANKO MARCETIC, It’s Official — Steven Pinker Is Full of Shit

At least at first. Then came the analysis: to supporters of Pinker, Johnstone Family Professor of Psychology at Harvard University, his ties to Epstein are an aberration in an otherwise commendable life as a public intellectual — one based on reason and truth, even when that’s unpopular. Increasingly, Pinker’s work centers on the notion that life is good — better than it’s ever been — and that we don’t appreciate it enough. As Pinker wrote in 2018’s Enlightenment Now: The Case for Reason, Science, Humanism and Progress, “People seem to bitch, moan, whine, carp and kvetch as much as ever,” despite reams of data on how humans’ quality of life continues to improve.
Pinker’s detractors, meanwhile, take the revelation that he knew Epstein and contributed to his legal defense as proof that the professor is a fraud, has lost his way, or both. Just as critics have accused Pinker of glossing over inequality and the continued suffering of individuals in praising progress, they’ve asked how he could have patinated a predator’s defense.
“At a certain point, if you’re playing Dr. Pangloss to people who administer a monstrous social order, then at some point you’re going to rub shoulders with and do favors for actual monsters,” said Patrick Blanchfield, a scholar of politics and violence and an affiliate faculty member at the Brooklyn Institute for Social Research. Joel Christensen, chair of classical studies at Brandeis University, said that “however forced, or tepid or merely transactive” Pinker’s interaction with Epstein was, it “confirms for many what has been clear for years.” Pinker, he said, “is a reactionary who is moving from the center to the right because he refuses to engage critically with new voices or to entertain honestly the criticisms his work has produced.”
Pinker, who has said publicly that he regrets helping Epstein, told Inside Higher Ed this week that he’s used to being “criticized and attacked, and I have a long paper trail of debates, replies and letters.”
“I don’t always enjoy it but have always accepted that it’s the way things have to be,” he said. “If I take a strong position, I can’t expect people to bow down and agree with it, but they’ll take [their] best shot at me, and I’ll defend it as best I can.”
‘According to Dr. Pinker’
Epstein was previously convicted on just one count of prostitution, in 2008. But what he was accused of before he brokered a most unlikely plea deal was monstrous: trafficking dozens of underage girls in a scheme whereby they recruited each other for sexual abuse. And Pinker did rub shoulders with him, before and after Epstein’s first indictment, in 2006. (He’s facing similar charges today.) Pinker was included in the flight log for Epstein’s plane, which was dubbed the “Lolita Express,” for example, in 2002. He was photographed with him at a gathering in 2014. And he shared an affidavit from the case via Twitter in 2015. But it’s the favor that Pinker did for Epstein that’s caused him the most trouble of late: in 2007, Epstein’s attorneys — including Harvard legal scholar Alan Dershowitz — submitted a letter to federal prosecutors arguing that their client hadn’t violated a law against using the internet to lure minors across state lines for sexual abuse.
“To confirm our view of the ‘plain meaning’ of the words, we asked » Pinker, « a noted linguist, to analyze the statute to determine the natural and linguistically logical reading or readings of the section,” the letter said. “We asked whether the statute contemplates necessarily that the means of communication must be the vehicle through which the persuading or enticing directly occurs. According to Dr. Pinker, that is the sole rational reading.”
It’s impossible to know how much that analysis helped Epstein land his deal, if at all. But it clearly didn’t hurt him. In any event, with Epstein now facing new federal charges, everyone in his orbit has come under new scrutiny. And Pinker has tried to defend himself against those who find his involvement with Epstein indefensible and part of a larger pattern of problematic statements.
Questioning Pinker’s Record
Kate Manne, an associate professor of philosophy at Cornell University, for example, has posed her own outstanding questions about Pinker’s discussions of feminism, gender-based violence and the nature of rape. In particular, she’s noted that Pinker on Twitter called the idea that the 2014 murders near the University of California, Santa Barbara, were about a larger pattern of hatred against women “statistically obtuse.” She also took issue with arguments in his 2011 book, The Better Angels of Our Nature: Why Violence Has Declined. In it, Pinker wrote that rape is « not exactly a normal part of male sexuality, » but that « the theory that rape has nothing to do with sex may be more plausible to a gender to whom a desire for impersonal sex with an unwilling stranger is too bizarre to contemplate. »
Others have pointed out, anew, that Pinker wrote a blurb for Heather Mac Donald’s polemic The Diversity Delusion: How Race and Gender Pandering Corrupt the University and Undermine Our Culture. (He also quotes Mac Donald in The Better Angels.) There have been reminders, too, that Pinker has fans within the alt-right — though some of that fan base was built on a misleading clip of him discussing how some young white men find their way to the alt-right over the internet.
Pinker’s definitive response to the recent criticism was posted to the blog Why Evolution Is True by moderator Jerry Coyne, an evolutionary biologist at the University of Chicago.
Coyne wrote on the blog, “I see articles where, on no evidence at all, scientists and atheists are tarred because they either knew Epstein or associated with him.” Such “innuendo is meant to imply that those people knew about Epstein’s crimes and either ignored them or, perhaps, even participated in them. In other words, they’re complicit. I could reproduce several examples, but I suspect readers have already seen them, and I’m not going to highlight and send traffic to miscreants involved in slander or character assassination.”
It’s unclear who, exactly, Coyne was referring to, beyond Pinker. But Lawrence Krauss, a physicist who accepted $250,000 in funding from Epstein, was not renewed as head of Arizona State University’s Origins Project last year amid separate harassment allegations, which he denied.
Pinker and Krauss weren’t the only thinkers to hobnob with Epstein, who had an affinity for Harvard and donated millions to it. Former Harvard president Larry Summers rode on Epstein’s plane, as did Bill Clinton, for instance.
Pinker Responds
Pinker’s response begins with what he calls an “annoying irony” about Epstein: that “I could never stand the guy, never took research funding from him and always tried to keep my distance.”
“I found him to be a kibitzer and a dilettante — he would abruptly change the subject, ADD-style, dismiss an observation with an adolescent wisecrack and privilege his own intuitions over systematic data.”
Still, he said, because “Epstein had insinuated himself with so many people I intersected with,” and since “I was often the most recognizable person in the room, someone would snap a picture; some of them resurfaced this past week, circulated by people who disagree with me on various topics and apparently believe that the photos are effective arguments.” He said that most joint engagements were before Epstein’s arrest, but one was after he served his sentence.
Regarding the 2007 letter, Pinker wrote that Dershowitz is a friend, “and we taught a course together at Harvard. He often asks me questions about syntax and semantics of laws, most recently the impeachment statute.” While he was representing Epstein, Dershowitz “asked me about the natural interpretation of one of the relevant laws, and I offered my opinion; this was cited in a court document.”
He added, “I did it as a favor to a friend and colleague, not as a paid expert witness, but I now regret that I did so. And needless to say, I find Epstein’s behavior reprehensible.”
Since some of the related social media “snark insinuates that I downplay sexual exploitation, it may be worth adding that I have a paper trail of abhorrence of violence against women, have celebrated efforts to stamp it out and have tried to make my own small contribution to this effort,” Pinker continued.
Citing The Better Angels, he said, “As far as I know, I’m the only writer who has documented and celebrated actual progress in reducing violence against women and argued that this progress shows that the effort is not futile and should embolden us to press for greater reductions still.”
Coyne wrote, “There you have it. If people are going to tar Pinker by flaunting his association with Epstein, then Pinker deserves a reply. This is his reply, and any further discussion should take it into account.”
Adia Benton, an assistant professor of anthropology at Northwestern University, said that beyond Pinker and Dershowitz, “I think there’s a tendency for men to overlook the foibles of their acquaintances and colleagues. The shunning of assholes and creeps is just not done. Especially when it comes to sexual misconduct and misogyny.”
‘A Polite Canadian’
Pinker said via email that he’s a political liberal, « a polite Canadian » and a member of the academic mainstream. Even so, « since I was a graduate student, I’ve been in thick of intellectual controversies and have always had critics. »
During cognitive psychology’s imagery debate in the 1970s and 1980s, for example, Pinker said, he argued with his graduate adviser, Stephen Kosslyn, that mental images are represented in the brain as picture-like arrays of pixels. He was also an advocate of Noam Chomsky’s controversial hypothesis that language is “an innate human faculty,” while simultaneously opposing Chomsky and Stephen Jay Gould in holding that language is an evolutionary adaptation for communication.
His 2002 book, The Blank Slate: The Modern Denial of Human Nature, brought a series of controversies. Writing for The New Yorker at the time, literature scholar Louis Menand of Harvard respectfully condemned the book — and the field of evolutionary psychology. (Pinker was teaching at the Massachusetts Institute of Technology then.)
“Evolutionary psychology is therefore a philosophy for winners: it can be used to justify every outcome,” Menand wrote. “This is why Pinker has persuaded himself that liberal democracy and current opinion about women’s sexual autonomy have biological foundations. It’s a ‘scientific’ validation of the way we live now.”
Echoing Menand, Christensen, of Brandeis, said Pinker’s public support of last year’s Sokal Squared hoax authors, for example, is “connected to his faith in evolutionary psychology and his basic overreliance on nature in nature-versus-nurture debates.” And Enlightenment Now “is a broadside in defense of Western civilizations when serious scholars of color” are arguing that the very idea of Western civilization “relies on and reinforces structural racism.”
It’s true: criticism of Pinker is nothing new. It was, however, perhaps best summed up by this May headline from Current Affairs: “The World’s Most Annoying Man.”
Pinker “doesn’t think he has an ideology,” Nathan Robinson wrote in that article, partially quoting Pinker. “He insists that his conclusions simply follow from data, contrasting his own work with the ‘statistical obtuseness’ common among journalists and humanities professors, who use ‘Anecdotes, headlines, rhetoric,’ and the ‘highest-paid person’s opinion.’ If you look through his work though, you’ll find anecdotes, headlines, rhetoric and appeals to authority abound.”
Pinker, meanwhile, maintains that “Too many leaders and influencers, including politicians, journalists, intellectuals and academics, surrender to the cognitive bias of assessing the world through anecdotes and images rather than data and facts.” So he told The Harvard Gazette in June.
How ‘This Round of Attacks’ Is Different
What is different now is that “this round of attacks comes from the rowdy cage fight of social media rather than academic, literary and intellectual forums, which — however verbally pugilistic — have some version of Marquess of Queensberry rules,” Pinker said this week.
Everyone can take a shot now, even based on a single tweet or other “small part of my controversy portfolio.” So “lots of people have lots of bones to pick.” And, as they say, “friends come and go, but enemies accumulate.” Pinker’s “bad luck in repeatedly finding myself in the same place as Jeffrey Epstein” has given openings to those who want “slime me,” he added.
“If someone is determined to discredit me by any means necessary, then no means will be sufficient to change that person’s mind,” Pinker said. Going forward, his policy will be the same as it’s always been: to “advance arguments that I think are too interesting, important and supported by data for people to ignore, even if they disagree with them.”
That Pinkerism probably won’t do much to quiet his critics.
Christensen said it’s important to contextualize Pinker in the ever-growing “economy of intellect” — think TED Talks and thought influencers.
Comparing Pinker to University of Toronto psychologist and quasi-guru Jordan Peterson, Christensen said Pinker “courts public attention and controversy after years of creating and publicizing work that is interdisciplinary and outward focused.” Over the past few years especially, he said, Pinker has joined “a cadre of older, mostly white male academics who espouse a purist view of free speech and debate » that « ignores significant scholarship from women and scholars of color about how free speech and academic freedom as traditionally construed overweight and privilege already privileged voices” — meaning mostly white, older men.


The lengthy, alphabetized list includes the ways in which some of those on it have tried to distance themselves from Epstein. The attempts, when they’re made, range from plausible to doubtful to outright silly, with a lot in between.
One such attempt, by famous Harvard psychology professor Steven Pinker, caught my eye. It seems to me as if it may have some plausibility. Whether it does or not, however, it certainly offers an insight into the relationship between existing or would-be givers and those in the “smart set” of intellectuals whose company they seek.
Pinker says he was “involuntarily placed next to” Epstein “for a picture at Lawrence Krauss’s Origins Project’s annual conference in 2014,” according to New York’s Matt Stieb.
“If I had more wherewithal, I would not have indulged my friend in sitting with him,” Stieb quotes Pinker as saying.
Despite what various friends and colleagues all said about what a genius he was, I found him tedious and distasteful. Even before I knew about the criminality, I found it irritating to talk to him, all the more so because the reason he was in the conversation was because he had given money to these various projects. He likes schmoozing with smart and intellectual people, but he couldn’t really or had very little interest in exploring an issue. He’d wisecrack, change subjects, or get bored after a few seconds. He’s a kibitzer more than a serious intellectual.
The pretense of Epstein in that telling, if true, sure seems plausible—as does the resentment of Pinker at having to sit next to and humor the guy. Both the pretense and the resentment would be borne of arrogance, of course, which one can suppose might be a little more common overall in these elite circles. While perhaps unfairly so, at core, it’s really the arrogance which might make Pinker’s whole scene so plausible.
Maybe he’s right.



“Given my longstanding distaste for everything Epstein, it’s galling to be publicly associated with him based on some photos and mutual associates.”

« Dans quelle mesure le paradigme du don peut-il éclairer la démarche d’une anthropologie appliquée aux violences sexuelles dans les situations humanitaires ? Ainsi posée, la question se construit à l’interface de deux enjeux. Heuristique, d’une part, car il s’agit en quelque sorte de mettre le don à contribution – et peut-être contre-intuitivement – dans l’analyse d’un ensemble de contextes particuliers dominés par l’hyperviolence, c’est-à-dire en première analyse hors du don. Opérationnel, d’autre part, car, engagé depuis dix ans comme anthropologue référent de Médecins sans frontières, l’enjeu de l’analyse que je souhaite porter est aussi de contribuer à la réflexion sur un défi complexe. »
– Véran, J. (2020). L’extension du domaine du don à l’anthropologie des violences sexuelles en situation humanitaire. Revue du MAUSS, 55(1), 93-114..
« Inaugurer la longue marche vers la Terre sans Mal, ce n’est pas seulement se mettre à parcourir l’espace jusqu’à atteindre le lieu supposé de la terre promise, c’est, bien plus, vouloir s’arracher au poids trop humain de la collectivité. »
– Clastres, H. (2020). La longue marche vers la Terre sans Mal. Revue du MAUSS, 55(1), 51-52.

« Globalement, l’intérêt des anthropologues pour l’anthropophagie reste à la fois faible et trop fort, pour une raison assez limpide : comme presque tout Occidental, on se surprend fasciné et vaguement horrifié par cette pratique insolite que les diverses formes des religions du Livre – lesquelles ont aujourd’hui imposé leur axiologie générale au monde entier – présentent, depuis des millénaires, comme une monstruosité absolue. Aussi l’anthropophagie, ignoble arbre cannibale cachant la forêt de pratiques sociétales plus aimables à quoi elle paraît pourtant liée, possède-t-elle à peu près partout, dès longtemps déjà, un statut quasiment aussi négatif que l’inceste. Mais ce dernier, interdit de référence, reste rare comme événement particulier – souvent tenu pour signe de désordre mental – et plus rare encore comme institution (exemple classique : union – réelle ou symbolique – de certains pharaons avec leur sœur, voire leur fille, nécessitée par leur nature divine ; quasiment une exception confirmant la règle). Par contraste, si l’anthropophagie demeure exceptionnelle dans les nombreuses cultures la prohibant, elle s’avère, lorsqu’institutionnalisée, beaucoup plus fréquente qu’il paraît, et semble attestée de façon homogène en l’espace et le temps : d’Europe en Océanie, d’Asie en Afrique, dans toutes les Amériques, et les cas paléontologiques (depuis Homo antecessor au moins – remontant à plus de 800 000 ans –, puis Neanderthalensis) annoncent les occurrences les plus actuelles.
En d’autres termes, l’institution anthropophagique, bien que peut-être minoritaire dans l’ensemble des cultures, se révèle pratique humaine assez banale : dès leurs grandes découvertes, les chrétiens européens se trouvèrent confrontés à cette évidence ethnographique, avertissement initial de ce que peut parfois impliquer la notion, en fait assez vague, de différence culturelle. Malgré quoi l’ouverture mentale de la Renaissance poussa les meilleurs esprits du temps s’efforcer de décrire sans trop la juger cette anthropophagie, dont André Thevet, Hans Staden, Jean de Léry et quelques autres donnaient alors des descriptions ethnographiques sûres et précises. Toutefois, on sent bien que, sous nos cieux et jusqu’à aujourd’hui, toute évocation de cette pratique ne se fait que sur fond d’une réprobation plutôt stupéfaite. Pour la bien péjorer, on souligne qu’elle surgit facilement dans la plupart des situations de désordre intense (et ce, y compris en les plus récentes : guerres civiles et « ethniques », conflits internationaux, famines sans issue…) avec effondrement provisoire des valeurs qui la prohibent. On l’amalgame volontiers avec les actes singulièrement repoussants qui l’accompagnent souvent (viols, écorchements sur le vivant, démembrements, ragoûts innommables, etc.), et, non sans artifice, le personnage – à peine – imaginaire d’Hannibal Lecter concentre les aspects physiquement et moralement les plus répugnants de l’anthropophagie, contribuant ainsi de facto, et fortement, à l’aversion culturelle pour cette pratique. Aussi revient-il à l’anthropologue de tenter de débarrasser l’anthropophagie du costume tératologique imposé à celle-ci par notre axiologie. En un article assez peu connu, Claude Lévi-Strauss a voulu montrer que nous sommes tous anthropophages puisqu’entre ingestion de chair humaine et injection de sang ou d’hormone hypophysaire d’autrui (sans oublier les greffes d’organes), il n’y a que différence de moyens d’incorporation : certes, mais bien qu’utile pour illustrer l’intensité du relativisme éthique, la démonstration, très intellectuelle, ne surmonte pas la distance psychologique entre injection sanguine et manducation de chair humaine, entre se faire transfuser du sang et se mettre un morceau de viande humaine dans la bouche, le mastiquer, le déglutir. Donc l’effort lévi-straussien engage mais n’achève pas, tant s’en faut, une idéale normalisation de l’anthropophagie dans les consciences occidentales : du moins peut-on tenter d’accentuer cet effort.
En toute première analyse, la meilleure ethnographie n’a pourtant aucune peine à montrer qu’existent bien des anthropophagies humanistes, dûment approuvées et même espérées par mangeurs et mangés : ainsi va la pensée symbolique, aussi puissante et rationalisante qu’imprévisible – contre l’avis de Jean-Paul Sartre : « Supposons que le Mélanésien de telle ou telle île… », à quoi Lévi-Strauss eut beau jeu de répondre que les anthropologues ne supposent pas mais vont voir in situ. Voici un bel exemple, et de cet essentiel principe ethnographique, et d’anthropophagie appréciée. Au début des années 1960, l’excellent Pierre Clastres vécut un an dans le groupe Gatu des Achés [Clastres, 1972 ], lequel mangeait ordinairement ses morts pour une raison métaphysique assez compliquée. Quand la personne meurt, ses ove et ianve – disons son âme et son esprit – soudain séparés du corps, tentent de s’introduire en un vivant proche, ce qui provoquerait la plus grave maladie et finalement la mort de ce dernier : or, « pour éliminer l’âme, il faut manger le corps ; si on ne le consomme pas, ove et ianve restent auprès des vivants, prêts à les agresser, à pénétrer dans leur corps pour […] les tuer en fin de compte » [ibid., p. 246]. Donc « […] la suppression du cadavre, traité comme nourriture, oblige ove à se reconnaître irrévocablement pour ce qu’elle est : un fantôme sans épaisseur qui n’a plus rien à faire auprès des vivants. L’emporte alors la fumée qui, des cendres du crâne tourné vers l’ouest, monte dans le ciel […] » [ibid., p. 248]. D’où la recommandation d’une mourante à son époux effondré : « […] “Je ne veux pas que [ma mort] te rende malade et te fasse mourir. Mange-moi ! Comme cela, pas de maladie, Ianve ne rentrera pas [dans ton corps]”. Ce qu’il fit, et il ne fut pas malade. Dernière preuve d’amour de la femme pour l’époux, dernier acte d’amour du mari avec sa femme » [ibid., p. 250]. Où l’on voit que les croyances métaphysiques sont la chose du monde la mieux partagée, que des « rats féroces » peuvent se témoigner l’un à l’autre un amour dévoué digne de Roméo et Juliette et que l’anthropophagie peut s’avérer une forme du meilleur humanisme… »
– Trevisan-Bucaille, M. & Bucaille, R. (2020). L’anthropophagie tupinamba : quasi-potlatch de chair humaine et fait social total. Revue du MAUSS, 55(1), 69-84.


« « La pauvreté est une question qui dérange car elle est toujours l’expression d’une inégalité, sinon inacceptable, du moins peu tolérable dans une société globalement riche et démocratique où l’on recherche de manière prioritaire l’égalité réelle et non plus seulement l’égalité formelle des individus-citoyens.
Les pauvres ne peuvent y avoir qu’un statut dévalorisé, puisqu’ils représentent le destin auquel les sociétés modernes ont cru pouvoir échapper. Les attitudes collectives face à la pauvreté sont variées : désolation morale pour certains de voir parmi cette frange de la population l’expression directe de la paresse, de l’inculture et de l’irresponsabilité ; mauvaise conscience pour d’autres, sensibles avant tout à l’injustice faite à ces personnes à la limite de la survie, maintenues dans des conditions humainement insupportables.
Ce livre avait pour objectif d’élaborer et de mettre à l’épreuve un cadre analytique pour comparer les formes que peut prendre la relation d’interdépendance entre la population désignée pauvre – au sens d’un statut social spécifique – et la société dont elle fait partie et dépend pour sa survie.
Les fondements de la réflexion sur le rapport social à la pauvreté ont tout d’abord été recherchés dans les grands textes de la pensée sociologique. Si l’apport de Simmel à la sociologie de la pauvreté a été déterminant, on a insisté aussi, dans la première partie, sur les avancées théoriques de Tocqueville et de Marx. Chacun de ces trois auteurs a marqué à sa manière le champ de la réflexion et de la recherche sur ce sujet. Ce qu’ils ont en commun, c’est la volonté d’approfondir les conditions d’émergence de la catégorie des pauvres, qui apparaît sous une forme massive avec la révolution industrielle, et d’en déduire des conclusions générales pour le devenir et l’équilibre de l’ensemble de la société. On peut retenir de leurs contributions respectives plusieurs idées majeures qui ont nourri les analyses de ce livre.
De Tocqueville, on peut en retenir deux. La première est que la pauvreté prend un sens différent selon le niveau de développement économique et industriel d’un pays ou d’une région. Cette idée semble presque banale pour tout sociologue habitué à étudier la diversité des représentations et des expériences vécues, mais elle ne l’est pas, tant est grande la tentation de donner spontanément une définition substantialiste de la pauvreté.
Dire qu’il existe un décalage entre la pauvreté objective des paysans du Portugal de son époque et le sentiment qu’ils éprouvent à l’égard de leur condition est un constat sociologique de première importance, puisqu’il constitue une ouverture à la réflexion à la fois sur la dimension subjective de la pauvreté, sur la relativité des besoins, sur l’intégration de la pauvreté dans la vie collective lorsque la condition de pauvre est partagée par la grande majorité de la population.
L’autre idée essentielle de Tocqueville repose sur la dialectique de l’assistance : l’aide aux pauvres s’impose comme une nécessité impérieuse dans les sociétés démocratiques, mais elle ne peut qu’aboutir à la constitution d’une catégorie d’assistés au statut social dévalorisé et susceptible de subir de profondes humiliations dans ses relations avec les services chargés de la soutenir. Toute amélioration du système d’aides, même lorsqu’elle est hautement souhaitée au nom du respect de la dignité humaine, risque de perpétuer la dépendance et la dévalorisation sociale qui lui est associée.
L’analyse de Marx sur le paupérisme renvoie à deux dimensions supplémentaires. La première est liée à l’exploitation de la classe des ouvriers par la classe des propriétaires des moyens de production.
La pauvreté extrême des premiers est une condition des profits réalisés par les seconds et, par conséquent, de l’accumulation capitaliste. Ce schéma analytique bien connu est complété par une explication de la pauvreté par la loi de la surpopulation relative. L’existence d’une armée industrielle de réserve – et donc d’une catégorie de pauvres employée de façon épisodique dans les manufactures – n’est pas un défaut du système capitaliste, mais bien une dimension élémentaire de son fonctionnement. Dès lors, cette masse des pauvres n’est pas fixe.
Son évolution reflète avant tout les variations périodiques du cycle industriel. Quelle que soit la phase d’expansion ou de contraction du cycle, les surnuméraires exercent une pression sur l’armée active des travailleurs.
Cette analyse introduit au cœur de la sociologie de la pauvreté la notion de cycle industriel – ou économique – qui suppose selon les phases de celui-ci une transformation du rapport des pauvres à la collectivité (plus grande dépendance dans les phases de contraction de l’activité, plus grande « employabilité » dans les phases d’expansion) ainsi qu’une transformation du rapport de la collectivité à l’égard des pauvres (plus grande tolérance à l’égard des assistés dans les phases de contraction de l’activité, plus grande sévérité à l’égard des oisifs dans les phases d’expansion).
Enfin, de Simmel, on retiendra la définition sociologique de la pauvreté, qui reste encore aujourd’hui la plus achevée. Dans le prolongement de ses prédécesseurs, Simmel n’a pas cherché à définir la pauvreté en elle-même, mais par rapport à ce qui lui confère un statut social spécifique dans la société.
Ce statut, on l’a vu, est donné par l’assistance. Simmel étudie en fonction de cette définition de base le mode spécifique d’intégration qui caractérise la situation des pauvres. Selon lui, l’assistance a une fonction de régulation du système social. Si les pauvres, par le fait d’être assistés, ne peuvent avoir qu’un statut social dévalorisé qui les disqualifie, ils restent malgré tout pleinement membres de la société dont ils constituent pour ainsi dire la dernière strate.
Ainsi, Simmel analyse la marge, mais aussi ce qui à la fois la rattache au centre et la constitue comme partie intégrante du tout qu’est la société. Son analyse se distingue nettement de celle de Marx au sens où il ne met pas l’accent – ou très peu – sur les mécanismes économiques de la constitution de la catégorie des assistés, mais il la rejoint d’une certaine manière dans son interprétation de la pauvreté comme une forme de régulation du système social dans sa globalité.
Le cadre analytique présenté dans le chapitre 2 doit beaucoup à ces trois auteurs. S’attacher à étudier en priorité non pas la pauvreté en tant que telle, mais la relation d’assistance, non pas les pauvres en tant que catégorie statistique, mais le statut social de ces derniers, non pas un segment spécifique de la population, mais l’organisation du tout auquel appartiennent les pauvres comme les autres couches sociales, tels sont les principes d’analyse qui découlent logiquement de la pensée de Simmel.
Cette orientation méthodologique invite à étudier le réseau d’interdépendances entre les pauvres et le reste de la société dans une configuration large qui peut être la nation tout entière. Pour y parvenir, il était nécessaire d’étudier à la fois les représentations sociales de la pauvreté – à l’origine des débats et des politiques en direction des populations jugées défavorisées – et les expériences vécues de l’épreuve de la pauvreté pour des hommes et des femmes désignés comme pauvres.
Dans l’analyse des facteurs pris en compte pour expliquer les variations de ces représentations sociales et de ces expériences vécues dans le temps et l’espace, il est facile de voir l’influence de Marx et de Tocqueville. Le premier était sensible à l’effet du développement économique et du marché de l’emploi sur la formation de la catégorie sociale des pauvres. Le second s’inquiétait de l’effet à long terme de la dépendance des pauvres à l’égard de ce qu’il appelait la « charité légale » et de l’institutionnalisation progressive d’un système bureaucratique d’intervention sociale. Le facteur économique primait pour l’un ; le facteur politique, pour l’autre. Ces deux facteurs ne sont pas pour autant opposés.
Comment ne pas voir dans l’adaptation progressive d’une société traditionnelle à l’économie capitaliste l’émergence d’un sous-prolétariat ? Comment ne pas voir également dans les cycles économiques d’un pays industriel le gonflement ou, au contraire, la contraction du nombre des surnuméraires ? Les formes élémentaires de la pauvreté dépendent en grande partie de ces mouvements économiques.
Mais elles dépendent aussi du système de protection sociale et d’action sociale en vigueur dans chaque société. L’intuition de Tocqueville est d’avoir vu le lien inévitable entre la dépendance des pauvres à l’égard de la collectivité et l’obligation des sociétés modernes de leur venir en aide au nom de la démocratie et de la citoyenneté. Mais l’application concrète de ce principe est loin d’être homogène d’un pays à l’autre.
La forme et l’intensité des liens sociaux constituent un autre facteur explicatif qui n’a pas été étudié en tant que tel par les trois auteurs cités, du moins dans la partie de leur œuvre qui concerne l’analyse de la pauvreté. Il a été introduit dans ce livre comme un facteur complémentaire parce que les pauvres, comme les autres couches de la population, tirent de ces liens à la fois la protection et la reconnaissance nécessaires à leur existence sociale. La protection concerne les ressources familiales, communautaires ou professionnelles que l’individu mobilise face aux aléas de la vie. La reconnaissance est le résultat de la participation aux échanges sociaux et de la valorisation par le regard de l’autre ou des autres. Or le statut social des pauvres dépend en partie de ces liens sociaux.
Les travaux sociologiques sur le chômage depuis les années 1930 et sur la pauvreté dans les années 1980 et 1990 ont conduit à mettre l’accent sur la tendance à l’affaiblissement, voire à la rupture, des liens avec la famille, avec les proches et les amis, mais aussi avec les institutions, notamment les associations. Ce phénomène n’est toutefois pas vérifié dans tous les pays. Il existe plusieurs types de liens sociaux et l’intensité de ces derniers peut varier d’un individu à l’autre en fonction des conditions particulières de sa socialisation. Mais leur intensité dépend aussi de l’importance relative que les sociétés accordent à ces types de liens. On a montré, par exemple, que le rôle joué par les solidarités familiales et les attentes collectives à leur égard sont variables d’une société à l’autre. Autrement dit, si la probabilité des pauvres d’être démunis de supports relationnels est réelle dans de nombreux pays, ce n’est pas une règle générale. Les pauvres ne sont pas toujours isolés socialement et, dans certains cas, ils sont même fortement intégrés à la vie sociale.
Ce cadre analytique inspiré de Simmel et enrichi par ces trois facteurs explicatifs débouche sur une typologie des formes élémentaires de pauvreté : la pauvreté intégrée, la pauvreté marginale, la pauvreté disqualifiante. Chacune d’entre elles renvoie à une configuration sociale spécifique. […]
La pauvreté marginale renvoie à une configuration sociale différente dans laquelle ceux que l’on appelle les « pauvres » ne forment pas un vaste ensemble social peu distinct des autres couches sociales, mais au contraire une frange peu nombreuse de la population. Ces « pauvres » sont souvent jugés inadaptés au monde moderne et il est courant de les désigner comme des « cas sociaux », ce qui entretient inévitablement leur stigmatisation. Ce groupe social est résiduel, mais il fait l’objet d’une forte attention de la part des institutions d’action sociale. Ce rapport social à la pauvreté a une probabilité plus élevée de se développer dans les sociétés industrielles avancées et en expansion, et, en particulier, dans celles qui parviennent à limiter l’importance du chômage et à garantir à chacun un haut niveau de protection sociale.
Cette forme élémentaire de la pauvreté appartient-elle au passé ?
L’analyse a conduit à vérifier dans un premier temps que la configuration sociale de la période des « Trente Glorieuses » en Europe, mais aussi aux États-Unis, se rapproche effectivement de ce type. Transformer la pauvreté, d’un problème de majorité en un problème de minorité, tel fut sans aucun doute le défi des sociétés modernes qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, purent bâtir un vaste programme de protection sociale et profiter de la croissance économique pour permettre le développement du plein emploi. Le caractère exceptionnel de cette période permet de comprendre l’enthousiasme dans le progrès à la fois économique et social et la croyance partagée que la pauvreté avait plus ou moins disparu, du moins dans ses formes anciennes.
Ce phénomène s’explique en grande partie par l’importance des transferts sociaux en faveur du plus grand nombre et la réduction sensible de la sphère de l’assistance. Si, au cours de cette période, les pauvres ne disparurent pas et continuèrent même à se reproduire de génération en génération comme l’ont bien montré plusieurs sociologues, ils devinrent moins visibles. Ils constituaient cette « marge » dont il convenait de minimiser l’importance tant elle semblait correspondre au « résidu » du progrès. L’enjeu social était ailleurs. Inscrits dans des « collectifs », les salariés luttaient pour une amélioration de leur salaire et de leurs conditions de travail. La question de la pauvreté était éclipsée par la question plus générale des inégalités.
Cette forme élémentaire de la pauvreté n’appartient pas pour autant entièrement au passé. L’analyse de la période plus récente, caractérisée par la montée du chômage et de la précarité de l’emploi, a également conduit à vérifier que la pauvreté marginale n’avait pas disparu dans tous les pays européens. Ce rapport social à la pauvreté ne s’explique pas uniquement par la forte croissance des économies occidentales au lendemain de la guerre.
En effet, dans le cas de la Suisse, mais aussi de l’Allemagne et des pays scandinaves, les représentations sociales de la pauvreté sont relativement stables. Ces pays ont été touchés comme les autres – quoique d’une manière peut-être moins brutale – par la dégradation du marché de l’emploi, mais la pauvreté ne s’y est pas d’emblée imposée comme une nouvelle réalité sociale. Au contraire, conformément au schéma sans soute idéalisé de la prospérité et du bien-être social partagé, elle a tardé à faire l’objet d’enquêtes approfondies et les rares chercheurs engagés dans ce type d’investigation n’ont guère réussi à susciter dans leur pays un débat d’ampleur nationale.
À l’échelon des pouvoirs publics et des responsables politiques, on a pu constater une résistance symbolique à la reconnaissance de l’existence des pauvres. Sans doute par crainte d’être accusés de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires sur le territoire dont ils ont la responsabilité, les élus ont cherché à minimiser l’ampleur de la question sociale. Cela a plus souvent été vérifié dans les systèmes politiques organisés sur une base fédérale, lesquels accordent un pouvoir de décision et d’action important aux instances locales.
Si la pauvreté marginale correspond, dans les représentations sociales, à une pauvreté minimisée, voire déniée, elle peut s’accompagner d’une forte stigmatisation à l’égard de la frange résiduelle de la population prise en charge au titre de l’assistance.
Cette tendance a pu être vérifiée aussi bien dans les années 1960 et 1970 en France qu’aujourd’hui dans certains pays.
On peut en effet observer des similitudes entre cette période de l’histoire de l’action sociale en France où la question sociale de la pauvreté a plus ou moins disparu au profit d’un discours justificateur d’une intervention psychologisante auprès d’individus jugés inadaptés et la situation actuelle en Allemagne et dans les pays scandinaves où l’intervention sociale est toujours menée auprès d’individus considérés en marge de la société dans une logique de réponse individuelle, plutôt que collective, à leurs besoins et dans le sens d’un contrôle strict de leur vie privée.
Cette approche de l’intervention sociale peut s’imposer d’autant plus facilement qu’elle reste confinée à une proportion résiduelle de la population, sachant que le reste de la société peut bénéficier des avantages d’une protection sociale à caractère universel et d’une garantie de ne pas jamais connaître l’expérience de la pauvreté.
Enfin, la pauvreté disqualifiante traduit une configuration sociale où ceux que l’on appelle les « pauvres » sont de plus en plus nombreux et refoulés, pour la plupart, hors de la sphère productive.
Leurs difficultés risquent, de ce fait, de s’accroître, ainsi que leur dépendance à l’égard des services de l’action sociale. Cette forme élémentaire de la pauvreté se distingue nettement de la pauvreté marginale et de la pauvreté intégrée.
Elle ne renvoie pas à un état de misère stabilisée, mais à un processus qui peut toucher des franges de la population jusqu’alors parfaitement intégrées au marché de l’emploi. Ce processus concerne des personnes confrontées à des situations de précarité de plus en plus lourdes tant dans le domaine du revenu, des conditions de logement et de santé, que dans celui de la participation à la vie sociale.
Ce phénomène n’affecte pas que ces franges nouvellement précarisées de la population. Il affecte l’ensemble de la société tant l’insécurité génère une angoisse collective.
La pauvreté disqualifiante a une probabilité plus élevée de se développer dans les sociétés « postindustrielles », notamment dans celles qui sont confrontées à une forte augmentation du chômage et des statuts précaires sur le marché du travail. […]
Si cette typologie est vérifiée empiriquement, il faut tout d’abord en conclure que la pauvreté n’est pas universelle. Elle prend des formes différentes selon les sociétés, selon leur histoire et leur développement. À revenu égal, être pauvre dans le Mezzogiorno n’a pas le même sens qu’être pauvre dans la région parisienne. Être pauvre dans le nord de la France dans les années 1960 n’avait pas non plus le même sens qu’être pauvre aujourd’hui dans la même région. Le groupe des pauvres peut évidemment être défini en tant que tel à partir d’une mesure objective qui peut paraître unanimement acceptable et s’imposer à tous comme un étalon universel, mais que signifie cette mesure si l’on n’interroge pas en même temps les représentations sociales et les expériences vécues de la pauvreté ? Prendre en compte la diversité est une avancée, et cette typologie est un moyen pour y parvenir. Il ne faudrait toutefois pas en conclure que les formes que peut prendre la pauvreté dans les sociétés modernes sont infinies.
Ces formes de la pauvreté sont élémentaires, tout d’abord parce qu’elles ont été élaborées sur la base d’un raisonnement idéal-typique qui se borne à ne retenir que les traits principaux d’un phénomène et à en justifier la sélection à partir d’un faisceau d’hypothèses imbriquées, le plus souvent puisées dans la connaissance historique des sociétés contemporaines.
Ces formes sont élémentaires parce qu’elles renvoient également à des configurations sociales précises dont la matrice constitutive a pu être vérifiée par les enquêtes empiriques. Enfin, si ces formes sont élémentaires, c’est parce que chacune d’entre elles représente un type de relation d’interdépendance suffisamment stable pour se maintenir durablement et s’imposer comme une unité sui generis distincte des éléments individuels qui le caractérisent.
Autrement dit, chaque forme élémentaire de la pauvreté correspond à un état d’équilibre relativement cristallisé des relations entre des individus inégaux (des pauvres et des non-pauvres) à l’intérieur d’un système social formant un tout.
Est-il possible de généraliser ces formes élémentaires au-delà de l’expérience des sociétés européennes contemporaines ?
Il serait imprudent de répondre spontanément par l’affirmative sans se livrer à une démonstration rigoureuse. Il ne m’a pas semblé souhaitable d’alourdir cet ouvrage en multipliant les exemples d’autres pays ou d’autres régions du monde, mais les sources et les données recueillies m’autorisent à suggérer quelques hypothèses pour des travaux futurs.
La pauvreté intégrée correspond à une forme élémentaire que l’on peut retrouver dans de nombreux pays en développement, dans lesquels des traits de la société rurale traditionnelle se superposent à des traits de la société industrielle.
C’est le cas de la société rurale kabyle, analysée par Pierre Bourdieu en 1960, qui résiste à l’introduction de la monnaie et aux principes de l’accumulation capitaliste. Le recours à l’usurier y est rare et l’entraide familiale s’impose en priorité comme une règle morale. La pauvreté est partout, mais elle est partagée. Elle correspond à la pauvreté intégrée.
Le chômage n’existe pas car chacun est plus ou moins occupé à quelque chose. Le labeur quotidien est le fondement de l’appartenance au groupe. Dans de nombreux pays en développement, il suffit de parcourir les zones rurales pour constater que ces traits de la société traditionnelle n’ont pas totalement disparu. Des régions entières, souvent très peuplées, vivent encore de petites exploitations agricoles et d’artisanat et paraissent coupées du monde moderne. Les conditions de vie y sont médiocres, mais elles touchent de façon similaire la majeure partie de la population, si bien qu’il s’avère bien difficile de distinguer les pauvres de ceux qui ne le sont pas.
La question de la pauvreté se pose en des termes comparables dans les pays les plus pauvres du monde.
Des enquêtes menées à Madagascar, où le problème du développement est récurrent, ont permis de confirmer que la pauvreté objective, telle qu’elle peut être mesurée à partir du revenu ou des conditions d’existence, se distingue fortement de la pauvreté subjective. Les plus pauvres d’un point de vue monétaire et matériel ne sont pas ceux qui se considèrent comme les plus pauvres. Un ménage vivant quotidiennement dans des conditions difficiles se contente d’un niveau de consommation plus faible que celui qui vit dans un environnement plus favorable. À revenu égal, un ménage qui a toujours connu des conditions de vie déplorables est moins susceptible de se plaindre qu’un ménage qui a connu auparavant une meilleure situation. Ce résultat important conduit à accréditer la thèse des économistes de l’attrition des préférences. Ce phénomène est proche de celui qui a été décrit dans le chapitre 3 à propos des conditions de vie des plus défavorisés dans le Mezzogiorno.
Dans les grandes métropoles de ces pays en développement, les pauvres, le plus souvent des anciens paysans, se concentrent par milliers dans d’immenses bidonvilles. Dans une ville comme São Paulo, les inégalités sont extrêmes. Les populations les plus pauvres sont souvent reléguées à la périphérie, mais il existe aussi des îlots de pauvreté extrême au sein de quartiers riches et inversement. L’insécurité y est grande.
Les classes moyennes ou supérieures cherchent à protéger leur lieu d’habitation des intrus et des agresseurs par des grilles aux pics pointus, par des murs surmontés de tessons de bouteilles, mais aussi par des gardiens à chaque entrée d’immeuble ou de parking. Les bidonvilles donnent souvent l’impression de vivre repliés sur eux-mêmes.
La municipalité et les pouvoirs publics tentent d’y intervenir, mais les infrastructures sont si lacunaires et les besoins si importants que les améliorations semblent toujours insuffisantes. Les conditions sanitaires y sont souvent déplorables. Le ramassage des ordures est aléatoire, voire inexistant. Pourtant, les pauvres qui habitent dans ces quartiers ne sont pas inoccupés. Les petits commerces informels sont nombreux (vente de produits alimentaires, d’entretien, de boissons à consommer sur place…), ainsi que les ateliers de mécanique auto ou de couture. Tout semble organisé pour suppléer l’emploi formel et les carences des services publics. Ces bidonvilles sont généralement très animés. Les enfants y sont nombreux. Certains d’entre eux ne vont pas à l’école régulièrement. Les habitants de ces quartiers s’entrecroisent toute la journée tant les voies de circulation sont étroites. La vie sociale semble supérieure à la vie privée. L’exiguïté des maisons ne peut que renforcer ce mode de vie « publique ». La population de ces quartiers vit dehors la majeure partie de la journée.
Le mode d’organisation de ces bidonvilles peut être d’ordre communautaire. Les habitants s’y organisent souvent pour prendre en charge eux-mêmes, ce qui ne peut pas l’être par les services publics.
Un esprit de conquêtes et de luttes collectives face aux pouvoirs en place rassemblent les énergies.
Lorsqu’ils sont engagés dans ces actions, les représentants de l’Église jouent souvent un rôle fédérateur aux côtés des militants politiques. Notons que, dans ces quartiers, le clientélisme politique est fréquent. Il intervient comme un mode de distribution informelle de biens et de services en échange d’un soutien électoral. Les mesures d’assistance sont ainsi contrôlées de façon discrétionnaire. Sur ce point, il existe une continuité entre le clientélisme des villes de l’Amérique du Sud et du sud de l’Europe.
Ces situations se rapprochent des traits principaux de la pauvreté intégrée. La différence entre la pauvreté dans les bidonvilles de São Paulo et celle du sud de l’Italie tient essentiellement au fait que la première est traditionnelle et se reproduit à la périphérie d’une société acquise au développement industriel et à la rationalisation de la production, qui accueille par ailleurs des filiales d’entreprises du monde entier, tandis que la seconde concerne une région peu industrialisée, économiquement pauvre, où les perspectives d’emploi sont très faibles.
Mais, dans les deux cas, l’expérience vécue est similaire.
La probabilité des pauvres d’avoir un autre destin que celui de leurs parents et des membres de leur famille est quasiment nulle. La seule solution pour eux est de faire face aux difficultés du quotidien en s’entraidant, c’est-à-dire en partageant de maigres ressources.
– Paugam, S. (2013). Conclusion. Science et conscience de la pauvreté. Dans : , S. Paugam, Les formes élémentaires de la pauvreté (pp. 235-250). Presses Universitaires de France. »

Ce dossier coordonné par Jean Godefroy Bidima fait entendre les voix multiples de l’Afrique. Depuis leur perspective propre, ces voix africaines débordent la question #postcoloniale et invitent au dialogue ; elles participent à la construction d’une commune humanité autour d’un projet de respect de la vie.
À lire aussi dans ce numéro double : la participation dans le travail social, les analogies historiques de la #pandémie, les gestes barrières face aux catastrophes écologiques, l’#antiracisme aux #ÉtatsUnis et l’esprit européen de #StefanZweig.
« La violence apparaît comme un mal mais elle est tout sauf un mal parmi d’autres. Sans commune mesure avec les maux du quotidien, la violence semble être l’incarnation du mal. La langue allemande distingue en ce sens les maux (Übel) du Mal (Böse), lequel relèverait de la méchanceté maligne et malicieuse de quelqu’un de foncièrement mauvais qui se complairait à faire du mal et à mentir pour le plaisir. Mais la diabolisation du Malin paraît singulièrement exagérer la portée des maux infligés. »
– Ferrié, C. (2020). La violence du mal antisocial. Revue du MAUSS, 55(1), 315-328.

« Le lien social n’est pas le lien politique. Quelle est la différence ? En quoi peut-il être important de la comprendre ? Pour tenter de répondre à ces questions, je propose de commencer par une réflexion sur le fait que, depuis une quarantaine d’années (peut-être plus), ce qui se désigne comme philosophie sociale tend à supplanter et parfois à délégitimer la philosophie politique. Certes, les grandes philosophies du xxe siècle portant sur la justice, les luttes pour l’émancipation, les formes de domination sont considérées dans une large mesure comme des œuvres de philosophie politique ; ainsi en est-il dans des styles très différent des travaux de Habermas, Rawls, Foucault, Walzer, Honneth et d’autres. Pourtant, aucun de ces auteurs n’a, à proprement parler, développé une théorie de l’ordre politique au sens classique du terme comme ont pu le faire par le passé des auteurs comme Hobbes, Spinoza, Rousseau, Hegel et, plus récemment, Leo Strauss, Carl Schmitt, Claude Lefort. Cela ne veut pas dire que la réflexion sur les institutions et les régimes politiques est abandonnée : elle est devenue en quelque sorte l’objet propre des départements de science politique qui inscrivent dans leur programme l’analyse des institutions et des types de régime. La philosophie politique elle-même se veut désormais plus soucieuse d’expliquer plutôt les formes indirectes de domination que la bureaucratie, les pratiques d’autorité plutôt que la souveraineté, les arts de gouverner plutôt que le rôle de l’État. Foucault, par exemple, ne s’intéresse pas directement à la question de l’État, ni même à celle de la démocratie, mais aux institutions et pratiques qui se donnent comme objet la gestion des populations.
Foucault est emblématique d’une importante différence entre la tradition française et la tradition allemande sur ces questions. Il ne vise pas en effet à développer une philosophie sociale au sens de Habermas et de Honneth. Il cherche à décrire des configurations historiques, à mettre en évidence de grandes formations discursives. Tandis que les deux autres s’efforcent de définir ce qu’il en est de la relation normative entre sujets sociaux. Leur projet est d’éclairer les conditions de ces relations de manière à rendre possible pour les sujets une émancipation en vue d’une existence réussie. La philosophie sociale est d’abord un effort pour fournir des outils d’analyse des forces en conflit dans la société et indiquer des choix éthiques pour réduire les « pathologies sociales ». La philosophie sociale est une philosophie « pratique » au sens kantien. Ce projet théorique se situe implicitement dans le cadre des démocraties libérales occidentales, de leurs systèmes institutionnels fondés sur le droit, de leurs activités économiques au sein d’un marché ouvert, avec des systèmes de protection sociale, d’éducation publique et d’accès aux biens culturels. On ne pose plus la question de la genèse de l’État ni de la légitimité de la démocratie. Ces choses sont considérées comme acquises ; les questions à leur sujet portent sur leur réforme périodique, non sur leurs raisons d’être. Il y a une légitimité admise des institutions politiques qui rend oiseuse la question de leurs origines. Le problème est désormais celui des échecs dans les relations entre les individus et les groupes : les situations d’injustice, d’humiliation, d’agressivité, d’indifférence. Bref, cette approche normative fait apparaître des « pathologies sociales » qu’il importe d’analyser, de refuser et de réduire.
À ce point, on est en droit de se demander : pourquoi tout d’abord donc y a-t-il de l’injustice, de l’agressivité, de la domination ? On peut répondre qu’en chercher la raison générale n’aide en rien à corriger les situations négatives que nous affrontons. D’un point de vue pragmatique, cela est incontestable. Un doute cependant devrait nous saisir. Peut-on se contenter de parler de « pathologies sociales » et de « vies non réussies » ? Est-ce là un diagnostic suffisant lorsqu’il s’agit de rendre compte de situations de misères sociales graves, d’inégalités démesurées dans les revenus, d’injustice dans les relations économiques entre pays nantis et pays pauvres ; entre pays en paix et pays dévastés par les guerres, les exactions, la déportation, la torture et les massacres. Aucune des philosophies sociales mentionnées plus haut n’aborde directement la question de la violence, encore moins celle de l’extrême violence. On ne saurait, devant l’ampleur de ces phénomènes que les périodes de terrorisme rendent traumatisants, esquiver la question : pourquoi une telle violence ne cesse de revenir dans nos sociétés et, plus généralement, dans l’espèce humaine ?
Hors de tout pathos du tragique, il nous faut admettre mais surtout comprendre qu’il s’agit sans doute là de la question majeure de notre vivre ensemble. Car il se pourrait que ce soit en raison de cette violence qui ravage ou, en tout cas, se tient à l’horizon de notre espèce, que peut s’éclairer la raison de la formation des institutions politiques, du fait même que nous sommes proprement l’« animal politique ». Or cette raison, même oubliée, est toujours actuelle. Elle est à la fois historique et transhistorique. Il est devenu nécessaire pour la philosophie de penser la question politique (comme ordre institutionnel, souveraineté, règne de la loi) dans le cadre de la formation de notre espèce et de ses transformations. Car il se pourrait que ce soit le processus même de reconnaissance qui se trouve au cœur de la formation du lien politique et des institutions qui le stabilisent. Pour cela même, ce lien institutionnel de reconnaissance publique est au cœur des relations sociales et des comportements qui les traduisent. Le lien social se constitue dans un ethos où s’entrelacent affects, formes de vie, traditions, symboles et valeurs qui font la chair de la reconnaissance dans le groupe. Mais, pour que cela soit possible, une confiance venue de plus loin est nécessaire. C’est celle qu’apporte un accord implicite autour d’un élément tiers qui arbitre et transcende les affects négatifs et les conflits potentiellement mortels. Tel est normativement l’ordre politique.
C’est une telle articulation du politique et du social que je me propose de problématiser dans cet exposé. Je le ferai – comme souvent – en croisant des données de l’anthropologie sociale avec des questions et des traditions proprement philosophiques. Plus encore, je n’hésiterai pas à solliciter les données de l’éthologie animale et donc de l’évolution sans céder pour autant à une réduction naturaliste. Je mets mon exposé sous le signe de cette remarque de Canguilhem : « Pour la philosophie toute matière étrangère est bonne ; et toute bonne matière est étrangère. » »
– Hénaff, M. (2020). Lien social, lien politique : alliance, violence, reconnaissance. Revue du MAUSS, 55(1), 329-346.

« Assis confortablement au milieu du sérail à Davos, en regardant George Soros s’agacer de l’existence de ces drôles de jeunes « désenchantés » – héritiers de l’anticapitalisme de leurs pères (ces « personnes âgées » « communistes » « marxistes » « prisonniers d’une nostalgie pour leurs rêves évanouis »), Bhagwati prend sa belle plume d’intellectuel convaincu en vieillissant des vertus du néolibéralisme (« Pour ma génération […] le modèle de soviétique constituait une alternative séduisante », ce qui était une « terrible erreur de jugement » – p. 42 ; car aujourd’hui le capitalisme est perçu « comme un système qui peut paradoxalement détruire les privilèges et créer des opportunités »), plonge ladite plume dans l’encrier du libre échangisme (lire le dossier du Monde diplomatique dans « Manière de voir », juin-juillet 2015) et nous propose une réflexion d’économiste pro-capitalisme moral (la question centrale n’étant pas aujourd’hui de se demander « marchés ou pas marchés ? » mais « de définir le lieu où les limites aux marchés doivent être tracées », p. 48) dans un style oscillant entre le sarcasme très appuyé et la condescendance (« ces » jeunes qui manifestent pollués par les pensées d’intellectuels de gauche ou post colonialistes « ne possèdent souvent pas la formation intellectuelle qui leur permettrait de faire face à leur angoisse » et ne comprennent pas toujours pourquoi ils manifestent, p. 46), voire le mépris (Che Guevara, dieu mort comme celui de Nietzsche, figure déifiée par « ces » jeunes qui attendent dans un quasi état de transe (évangéliste) que Dieu-Guevara ressuscite comme le Christ d’entre les morts).
Réflexion qui nous dit quoi au fond ? L’anti-mondialisation est un délire presque sans raison d’être puisque la mondialisation capitaliste malgré ses quelques défauts (et encore, au fond il n’en a pas tant que ça – Madoff n’est pas le produit de Wall Street, p. 16) a beaucoup plus apporté à l’humanité que ses idéologies concurrentes.
La mondialisation (capitaliste néolibérale) est ainsi « socialement, et non pas seulement économiquement, salutaire » (p. 55), c’est un « bienfait, mais un bienfait insuffisant » (p. 59) – notamment à cause de ce dirigisme excessif (à l’instar des « thérapies de choc » que sont les réformes envisagées après la crise financière et économique de 2008, il est important selon Bhagwati d’avoir un « pilotage prudent » à une vitesse « optimale » c’est-à-dire que si faire disparaître les droits douaniers reste un objectif il faut le faire progressivement, or nous ne discuterons pas ici des effets néfastes de ce libre échangisme sur le tissu économique local des pays du Sud) qui empêche le capitalisme de remplir toutes ses promesses de prospérité économique de justice sociale (et disons- le de paix et d’amour dans le monde), nous sommes tentés de répondre : Amen. Amen, pasteur Bhagwati !
Ce qui est fort avec les économistes, c’est que sur la base de données et de statistiques ou d’instruments de mesure (dont le choix est tout sauf neutre, et qui sont assez discutables) l’on peut dire n’importe quoi de façon très intelligente.
L’on peut faire croire (à coup de chiffres ou d’arguments économiques) à un individu de la classe moyenne qu’il n’est pas pauvre alors qu’il vit dans une situation de pauvreté (cf. la definition d’Appadurai de la pauvreté : « Poverty is many things, all of them bad. It is material deprivation and desperation. It is lack of security and dignity. It is exposure to risk and high costs for thin comforts. It is inequality materialized. [.. ;] The poor are […] partly defined by official measures […] » – Appadurai, 2013, The Future as Cultural Fact, chap. 9 – « The Capacity to Aspire », p. 184), et que tout ça c’est dans sa tête.
L’on peut dire qu’un tel individu est susceptible de nourrir une famille avec deux ados grâce à un budget hebdomadaire de 75 dollars, etc.
Sauf que les chiffres, les données, les statistiques sont comme tout le reste, ils ne disent qu’une partie de la réalité (cf. Stiglitz et sa critique de la mondialisation néolibérale, ou lire Dostaler sur la critique de Stiglitz).
De l’autre côté, pasteur Bhagwati comme le très « progressiste » Soros comprend anti-mondialisation quand il est question d’une alter-mondialisation. On parle de la possibilité d’un autre monde en dehors des principes capitalistes. C’est pratiquement un dialogue de sourds.
Mais le pasteur Bhagwati tout vieillissant soit-il, à de jeunes héritiers qui sont prêts à prendre la relève à prêcher les Écritures Saintes néolibérales. Ceux-là sont sans doute mieux éduqués que les autres, ils savent ce qu’ils font.
Dave, jeune désenchanté, à Porto Alegre.«

« La tolérance est-elle l’expression civilisée d’un comportement qui consiste à « supporter » l’autre (« toleration ») ? Mais, alors, jusqu’à quel point et jusqu’à quand ? Qui va établir la limite au-delà de laquelle l’insupportable domine ou peut dominer ? Ou bien est-elle une acceptation institutionnelle de la présence de l’autre, de la coexistence avec l’autre, mais sans que cela engage l’intériorisation ou l’acceptation par les personnes de cette égalité (« tolerance ») ? On définit souvent aussi la tolérance comme une disposition individuelle à ne pas être dérangé par la présence autour de soi de personnes ou de groupes de langue, culture, sexe, religion différents. Mais cette disposition particulière doit-elle se manifester comme une préférence culturelle-politique individuelle ou doit-elle s’élever sur un fondement politique solide affirmant l’égalité en droit de ces différences ? De quelle garantie peuvent disposer ceux ou celles que l’on tolère ou que l’on supporte quand les limites du tolérable et du supportable sont tracées au gré des humeurs du tolérant ?
Nous devons nous poser évidemment la question suivante : si la tolérance (dans sa double signification de « toleration » et de « tolerance ») permet de faire vivre ensemble dans la paix ou la quiétude les différences religieuses, ethniques ou culturelles, pourquoi l’appréhender dans une perspective critique et l’interroger sur ces fondements cachés ? Pour deux raisons, me semble-t-il. D’abord parce que, dans certains pays où la tolérance exerce un réel magistère, ou dans d’autres où l’on prétend fortement y adhérer, il y a eu des épisodes de surgissement d’une fureur pour « purifier et détruire » [Sémelin, 2005] l’autre qui a pu aller bien au-delà de la simple manifestation de l’intolérance. Et, en deuxième lieu, il me semble que nous devons nous interroger sur le statut et le rôle du concept de tolérance dans notre modernité, notamment face aux demandes d’égalité qui deviennent un des thèmes structurants des conflits sociaux.
Dans des approches naturalistes et libérales des religions monothéistes, on définit la tolérance comme une attitude qui « vient du cœur », qui permet de bénéficier des libertés et des droits humains sans avoir le besoin d’une intervention d’une instance extérieure, comme « une acceptation par les hommes et les femmes de leur environnement et de la nature dans leur état ontologique ». Selon cette approche, le fondement de la tolérance réside dans l’acceptation de la différence qui provient de la création. Mais qu’en est-il des différences issues des actions délibérées des hommes et des femmes ? Peut-on les réprimer en proclamant l’immuabilité de la création et continuer à revendiquer la tolérance, ou les supporter jusqu’à un certain seuil, les tolérer tout en les méprisant ou les ignorant ?
La tolérance implique l’acceptation des différences comme une nécessité mais elle sous-entend comme naturelle l’existence des inégalités. La tolérance religieuse est encore plus problématique parce qu’elle s’alimente de l’essentialisme religieux et prépare le terrain à la croyance en une supériorité d’une civilisation par rapport à une autre. Dans un ordre politique et judiciaire qui s’appuie sur les principes dérivés d’une croyance ou d’une religion se considérant comme universelle et détentrice de la vérité unique, il y a toujours un seuil au-delà duquel la tolérance disparaît et la domination au nom de cette vérité s’impose à tous, y compris aux coreligionnaires ou aux partisans. Cette paix et cette quiétude permises par l’attitude tolérante de ceux qui détiennent le pouvoir au nom d’une religion ou d’une vérité séculière absolue ont comme limite la raison du pouvoir. Par exemple, devant les demandes d’égalité, les pouvoirs se disant tolérants au nom de religion ou au nom d’une vérité dogmatique se raidissent rapidement et n’hésitent pas à adopter la violence, y compris contre les adeptes de leur religion ou de leur vérité. C’est pourquoi nous avons besoin d’un nouveau concept de tolérance qui ne soit pas seulement un discours moralisateur mais aussi une perspective politique légale [Zarka, 2016].
L’idée de la tolérance sous-entend aussi que l’Autre proche, l’Autre de la même formation sociale, en situation de faiblesse, doit percevoir et accepter que le droit à la survie dont il bénéficie soit l’expression de la générosité, de l’altruisme, de la tolérance du puissant. Tolérer, c’est permettre à ce qui n’est pas désiré, le déviant ou tout simplement le non conforme, à exister sous condition. La tolérance suppose une relation fondamentalement asymétrique. Cette asymétrie est celle qui existe entre le dominant et le dominé. On tolère ce qu’on aurait le droit de non tolérer, on tolère ce que l’on a le droit de priver du droit. Dans ce sens, la tolérance est une posture de pouvoir, une posture de domination immédiate ou potentielle, une manière de signifier en creux une attitude de mépris et d’afficher une supériorité. Il s’agit d’une couverture civilisée étalée sur le droit de domination. En revanche, parler de la tolérance du faible contre le puissant, du minoritaire contre le majoritaire, ne peut avoir qu’un seul sens : l’intériorisation de son état de dominé, de faible et d’inférieur.
La tolérance est exprimée par les majorités sociologiques (ethnique, religieuse, culturelle) pour figer la revendication de l’égalité de l’autre. Michael Walzer [1997] précise qu’il y a différents régimes de tolérance (regimes of toleration) selon les rapports de force et les évolutions historiques spécifiques. Il les réunit dans cinq groupes principaux et quelques groupes hybrides et rappelle qu’il n’existe pas de principe universel englobant la totalité de ces régimes de tolérance. En revanche, il existe un lien étroit entre la tolérance et l’intolérance et les conditions de passage de la tolérance à l’intolérance sont inscrites dans la particularité de chaque régime de tolérance.
On pourrait continuer à approfondir le débat entre les défenseurs de la société juste ou de la vie bonne qui opposent la conception libérale de la tolérance à celle du communautarisme, mais je m’arrêterai en posant seulement la question suivante : la tolérance est-elle réductible à la neutralité ? Ces deux concepts sont-ils interchangeables ? Ronald Dworkin par exemple établit une équivalence entre la tolérance et la neutralité. « Le libéralisme requiert la tolérance », affirme-t-il, « il requiert, par exemple, que les décisions politiques concernant ce que les citoyens devraient être contraints ou empêchés de faire reposent sur des fondements qui soient neutres entre les convictions concurrentes des membres de la communauté au sujet de la vie bonne » [Dworkin, 1990]. Cette équivalence entre la tolérance et la neutralité peut être importante pour pacifier les relations interpersonnelles mais elle ne peut devenir le principe politique qui fonde les institutions d’une société pluraliste démocratique qui a l’égalité comme ligne d’horizon. Elle le peut encore moins si la conception de justice sur laquelle elle s’appuie est fortement imprégnée de l’idée de la naturalité de la hiérarchie religieuse, culturelle ou ethnique, d’une manière ouverte ou déguisée, […].
Comme la conception de justice s’alimente aussi de cet imaginaire de hiérarchie, la tolérance comme principe politique fondateur ne peut suffire pour assurer la paix sociale. D’autant plus que le principe d’équivalence sur le plan culturel et celui d’égalité sur les plans économique, politique et juridique continuent à être une force de transformation sociale majeure dans nos sociétés contemporaines, même si leur réalisation s’avère partout difficile et leurs résultats concrets sont parfois à l’opposé de ceux attendus. »
– Insel, A. (2020). La face cachée de la tolérance : l’inégalité. Revue du MAUSS, 55(1), 385-398.

« Avec le mal, quelque chose de nos vies se déchire et se découvre : des forces secrètes qu’on aimerait mieux voir à l’écart. Mais, à ne pas les reconnaître et à en dénier l’existence, on ne fait qu’en renforcer l’œuvre obscure. Il faut donc le laisser se découvrir. Mais qu’est-ce qui s’y donne à voir, sinon l’envers du monde ? Et si le monde est tissé des multiples relations que les hommes entretiennent, qu’est-il sinon un principe de déliaison, de décomposition ? C’est là où le don retrouve sa fonction obligataire puisqu’il n’existe jamais que pour faire lien (obligare), pour manifester et poser devant soi les relations qui assurent notre existence. Le mal est peut-être ce à partir de quoi et ce contre quoi notre vie, physique aussi bien que morale, individuelle aussi bien que sociale, lutte et se construit. Mais, pour comprendre cela, il faut cheminer et affronter les différents obstacles qui nous empêchent de penser le mal pour lui-même. Il faut comprendre que le mal est relatif sans l’être, qu’il est essentiel à la pensée même qui s’y refuse, qu’il participe d’un monde qu’il détruit, qu’il se donne une figure qui est sans forme, qu’il se joue de la morale en la reconnaissant. Principe trouble, dérangeant, mais principe tout de même ? »
– Robertson, F. (2020). Le mal, ou l’envers du monde. Revue du MAUSS, 55(1), 299-314.

« « La société primitive, c’est l’espace de l’échange et c’est aussi le lieu de la violence. »
Pierre Clastres [1980, p. 187] »
– Anspach, M. (2020). Apprivoiser la violence. Le sacrifice, la vengeance, le don. Revue du MAUSS, 55(1), 129-141.
« Avec la crise du Covid-19, les paradoxes du multilatéralisme ont été remis au premier plan. Face à la montée des risques globaux, le besoin de coopération internationale n’a jamais été aussi criant. Pourtant, l’action des institutions internationales semble défaillante ou insuffisante.
Né d’un idéal remontant au XVIIIe siècle – celui d’un ordre international pacifié, fondé sur la concertation et la primauté du droit – le multilatéralisme tel qu’il a été pensé au XXe siècle, notamment après la création de l’ONU en 1945, est fondamentalement intergouvernemental : les Etats sont les principaux maîtres à bord, même si les acteurs privés et les organisations de la société civile peuvent s’exprimer, voire influencer le processus de décision.
Par ailleurs, ce multilatéralisme repose sur un principe de spécialisation et de division des tâches qui reproduit peu ou prou l’architecture ministérielle que nous connaissons au plan national : la santé est du ressort de l’OMS, le commerce à l’OMC, la stabilité économique au FMI, le travail à l’OIT, etc. L’exigence de coopération et de coordination dans la régulation des crises internationales est donc triple. Les Etats doivent d’abord coopérer, si possible au sein des organisations internationales conçues pour cela : c’est tout l’enjeu posé par l’articulation entre les négociations bilatérales, régionales et multilatérales. Ils doivent ensuite faire en sorte d’adopter des mesures cohérentes d’une organisation à une autre et éviter que ce qui a été décidé à l’OMC, par exemple, ne soit en contradiction avec les décisions prises au sein de l’OMS ou de l’OIT (en raison d’une hiérarchie implicite entre l’économique, le sanitaire et le social). Enfin, ils doivent veiller à ce que les cultures propres à chaque organisation ne fassent pas obstacle à la coopération en raison de routines de travail, voire d’habitus professionnels profondément ancrés dans les pratiques des acteurs de la coopération internationale.
[…]
La montée des tensions entre puissances rivales préexiste évidemment à la crise sanitaire et économique actuelle. Elle résulte de l’essoufflement d’un ordre mondial fondé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et dominé par les Etats-Unis, aujourd’hui contesté par les puissances montantes, au premier rang desquelles la Chine. L’analyse du jeu de ces deux grandes puissances est donc centrale. »
– Abbas, M., Louis, M. & Moatti, S. (2020). Turbulences dans le multilatéralisme. L’Économie politique, 87(3), 6-9.

« La nouvelle normalité de l’échange international
Le système international de commerce et d’investissement ne s’est toujours pas remis des effets de la crise financière de 2007-2008 et du grand ralentissement des échanges qu’elle a provoqué [Constantinescu et al., 2015]. On peut penser que l’effet récessif de la crise sanitaire actuelle sera lui aussi durable.
Depuis 2012, l’échange international est soumis à une nouvelle normalité, expression policée pour rendre compte de la stagnation des flux majeurs de la globalisation : taux de croissance du commerce international de 1,2 % sur la période 2015-2019 contre 3,2 % entre 2002 et 2007, recul de 15 % des flux d’investissements directs étrangers entre 2014 et 2019. Quatre facteurs ont convergé. D’abord la faiblesse de la demande mondiale, et plus particulièrement la morosité de l’investissement, tendance que la crise du Covid-19 risque de consolider à court et moyen termes. Ensuite, le recentrage de la Chine sur son marché intérieur, phénomène qui pourrait s’amplifier dans les années à venir. Plus globalement, il y a fort à parier que les interconnexions économiques d’avant-crise connaîtront des réajustements dans le sens d’un recentrage sur les marchés nationaux et/ou régionaux.
Troisième facteur majeur de ce réajustement : le moindre développement des chaînes de valeur globales. Déjà à l’œuvre depuis 2011 suite à la triple catastrophe survenue au Japon et aux inondations en Thaïlande, le phénomène pourrait prendre de l’ampleur, la crise sanitaire ayant entraîné une rupture dans les chaînes d’approvisionnement dommageable pour les firmes, et révélé les vulnérabilités des économies nationales face à ce mode d’organisation de la production par les firmes multinationales. Ce ralentissement n’est pas que conjoncturel : les arbitrages de localisation les plus profitables ont déjà été largement réalisés, la baisse des coûts de transport et des coûts de transaction liés à la connexion des différents sites de production est elle-même soumise aux rendements décroissants, le rythme de diffusion des technologies de l’information ralentit, et les politiques d’extraversion qui ont accompagné les délocalisations industrielles et servicielles depuis le début des années 2000 n’ont plus le vent en poupe [Ferrantino et Taglioni, 2014 ; WTO, 2017].
Enfin, dernier facteur de ce ralentissement, les Etats-Unis ont engagé une guerre commerciale à base de protectionnisme et de menaces de sanctions unilatérales à l’encontre de la Chine et de l’Union européenne. L’unilatéralisme américain a culminé dans le conflit ouvert avec l’OMS. Mais la contestation du multilatéralisme date d’avant l’administration Trump. Ses causes sont structurelles et systémiques »
– Abbas, M. (2020). Comment réformer l’OMC ?. L’Économie politique, 87(3), 35-47.

« Face à un multilatéralisme en silo, critiqué dans ses modes de gouvernance, et affaibli par les tensions bilatérales, le secteur humanitaire à l’épreuve de la pandémie est un laboratoire à l’échelle planétaire. Devenues expertes de la relation local-global, c’est à partir des réalités humanitaires et sociales en temps de crise que les ONG ont bâti leur légitimité et leurs modèles organisationnels. Cet article propose d’explorer le rôle des organisations humanitaires comme « connecteur » essentiel entre les Etats, les populations fragiles et les institutions multilatérales. Après un rappel historique, nous examinerons la manière dont les acteurs se sont mobilisés et transformés, et les atouts d’un mode opérationnel transnational face aux crises sanitaires mondiales. Alors que le poids économique des ONGI peut sembler réduit, leurs capacités d’innovation et de connexion ouvrent de nouvelles voies dans les agendas post-crise sanitaire.
Les épidémies, un facteur d’action collective mondiale »
– Troit, V. (2020). Entre local et global,les organisations humanitaires face aux crises sanitaires mondiales. L’Économie politique, 87(3), 80-90.

« Comment organiser la coopération dans des situations où chacun a des raisons d’agir égoïstement ? C’est en somme la question classique sur la coopération internationale que l’on peut se poser à nouveaux frais lorsqu’on examine les réponses unilatérales et désordonnées de la part des Etats pour contrôler les circulations humaines face à la pandémie de coronavirus. La pandémie a renforcé les réflexes de gestion nationale d’un enjeu par nature transnational. Face à un virus qui a emprunté les canaux traditionnels de la mondialisation comme les échanges commerciaux, sportifs ou touristiques, le risque sanitaire a été surtout appréhendé par des mesures nationales de confinement et de fermeture de frontières, parfois mises en rhétorique par des discours sécuritaires.
La pandémie vient donc remuer le couteau dans la plaie des maux connus du multilatéralisme contemporain [Minassian et Semo, 2020]. Dans le domaine des relations internationales, on entend par « multilatéralisme » des formes institutionnelles (comme des régimes internationaux ou des organisations internationales et régionales) qui coordonnent les relations entre au moins trois Etats autour de normes et de règles généralisées dans un ou plusieurs domaines de politique internationale [Ruggie, 1993].
Un des débats sur les instances multilatérales peut être reformulé comme suit : sont-elles des structures investies par les Etats en fonction de leurs intérêts ou sont-elles des agents avec une certaine autonomie qui orchestrent une coordination supranationale conformément à des valeurs [Battistella et al., 2019] ? Lorsqu’on se penche sur le contrôle des circulations humaines, la pandémie montre bien toute la force des réflexes nationaux. Néanmoins, la fermeture nationale des frontières, et ce que certains qualifieront à la va-vite de « repli national » ou d’un « retour des souverainetés » ne signifie pas nécessairement la fin du multilatéralisme. Si les efforts de coordination multilatéraux en la matière se heurtent bien aux souverainetés étatiques et à l’utilisation symbolique des frontières comme outils de protection, il nous semble plutôt que se dessine un multilatéralisme ad hoc, où les instances multilatérales servent avant tout de structures au service des Etats dans des domaines éminemment régaliens comme la santé et la migration.
Ainsi, pour assurer la coordination en matière de circulations humaines, les organes multilatéraux comme la Commission européenne ou encore le Haut-Commissariat aux réfugiés ou l’Organisation internationale des migrations ont agi, parfois avec retard, dans le cadre restreint de ce que les Etats les autorisent à faire et ont surtout dû composer avec l’unilatéralisme ou le bilatéralisme des mesures étatiques.
La frontière comme protection
Les multiples formes de confinements nationaux semblent avoir permis de freiner la propagation du virus, de soutenir les capacités hospitalières et d’organiser la coexistence future avec le virus en mettant au point des plans de déconfinement. Le réflexe de gestion nationale sort légitimé et, avec lui, le contrôle des frontières, à quoi peut être associée symboliquement la centralité de l’Etat dans la protection des populations face à une menace globale. Rien de surprenant nous rappellent les historiens [Bourdelais, 2008] : le contrôle des circulations humaines par les autorités royales puis étatiques en Europe depuis l’époque moderne apparaît comme un moyen de lutte sanitaire face à une épidémie toujours perçue comme étrangère. L’épidémie génère nombre de frontières avec la mise en place de dispositifs traditionnels de luttes : cordon sanitaire, protection maritime, quarantaine, passeports sanitaires. Ces pratiques traditionnelles défensives ont évolué au XIXe siècle vers des méthodes d’isolement et de détection des personnes infectées, vers un déplacement des contrôles en Orient, le tout couplé à des mesures d’assainissement à l’échelle urbaine. L’individualisation et la territorialisation du contrôle épidémique sont alors au cœur des réponses sanitaires.
Face au coronavirus, la plupart des gouvernements ont suivi une logique de fermeture des ports, des frontières, des aéroports par des interdictions de mouvement temporaires par région ou par pays, voire par continent si l’on prend l’exemple de la fermeture des frontières extérieures de l’espace Schengen. En une semaine, entre le 16 et le 23 mars, la plupart des Etats européens ont interdit l’entrée non seulement aux malades, mais aux ressortissants de toute autre nationalité. Une telle mesure peut être justifiée sur le plan sanitaire. Néanmoins, au regard de la transmission locale (via des groupes religieux ou sociaux par exemple), l’échelle nationale est-elle pertinente pour lutter efficacement contre la pandémie ?
C’est en somme la question soulevée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et plusieurs études scientifiques, se basant sur des précédents de pandémies. L’OMS n’a d’ailleurs jamais recommandé les fermetures de frontières comme moyen de lutte, préconisant plutôt des systèmes de dépistage, de suivi et d’isolement des personnes infectées ainsi que le respect de gestes de protection [Dumitru, 2020]. L’article 43 du Règlement sanitaire international de 2005 stipule que les mesures prises par les Etats ne doivent pas être restrictives pour le trafic international et doivent s’appuyer sur des principes scientifiques. L’OMS doit être notifiée des raisons de santé publique justifiant les restrictions, ce que n’ont pas fait la plupart des Etats pendant la crise. Pour lutter contre la pandémie, le contrôle frontalier est pourtant apparu central. Comment les instances multilatérales ont-elles réagi par rapport à ces réflexes nationaux ? »
– Simonneau, D. (2020). Gérer les frontières par temps de pandémie. L’Économie politique, 87(3), 91-98.

« La théorie schumpétérienne du capitalisme incorpore différentes temporalités, différents rythmes. Sa « dynamique totale », pour reprendre l’expression de François Perroux [1951], n’est pas réductible chez Schumpeter au cycle et à la destruction créatrice. Nicholas Georgescu-Roegen [1995, p. 256] souligne la présence dans l’œuvre de l’Autrichien d’un « temps dynamique », celui des phénomènes reproductibles, et d’un « temps historique », celui, par exemple, des guerres. Schumpeter rompt donc avec une économie pure atemporelle, où les individus n’ont pas d’histoire, pas d’expérience, où le passé ne compte pas puisque le temps n’existe pas. Le temps schumpétérien, ou plutôt les temps schumpétériens, vont donc mobiliser le temps des liens sociaux, de la tradition, celui des ondes longues et des cycles courts pour comprendre et caractériser la société capitaliste. Après avoir décrit les différentes phases du cycle, nous évoquerons les éléments qui les engendrent. Puis nous verrons qu’au-delà d’un temps cyclique, Schumpeter inscrit la société capitaliste dans un temps historique.
Le temps cyclique et la genèse des fluctuations économiques
Dans la théorie schumpétérienne, tous les cycles, du plus court au plus long, connaissent peu ou prou quatre phases (reprises, prospérité, récession, dépression). Le moteur essentiel, mais pas unique, est l’entrepreneuriat.
Le cycle peut alors s’entendre comme la période d’ajustement de l’économie à la nouveauté et, plus largement, à des perturbations. Avant d’en venir aux moteurs des cycles, voyons brièvement comment Schumpeter caractérise ces différentes phases.
Les quatre phases du cycle schumpétérien »
– Dannequin, F. (2020). Capitalisme, cycle et histoire chez Schumpeter. L’Économie politique, 87(3), 100-112.

« Ainsi, l’humanité est plongée dans une inquiétante étrangeté ; pour soi, autant que collective. Ce texte, formidable intuition de Freud, tardif mais fondateur (re)prend aujourd’hui une tonalité plus qu’actuelle, et sa lecture s’avère essentielle et salvatrice ; elle se révèle une nécessité, tant l’effort pour penser nos éprouvés, notre vécu est grand face à l’épidémie. Freud nous dit que l’inquiétant s’immisce du familier, du quotidien, mais au détour d’une levée du refoulement, une porte s’ouvre brusquement sur de l’archaïque, sur de l’infantile, sur des manifestations de l’inconscient. Nous sommes ainsi, chez nous, en nous, projetés hors de chez nous, hors de notre familier et de nos routines quotidiennes (Unheimliche). L’inquiétant familier brouille ou dissout les frontières, nous chasse de nos repères et ouvre sur l’abîme cher à Nietszche, avec en retour, par spécularité, ce même abîme qui regarde en nous. Freud a cette intuition géniale quand il comprend que cet état d’étrangeté, d’angoisse, est la règle ! L’angoisse détermine fondamentalement l’existence humaine ; elle est l’origine et jusqu’à l’horizon de notre rapport au monde ; l’angoisse ne sera jamais exception.
Heidegger part lui aussi de l’angoisse et la met en évidence dans son questionnement sur l’être. Nous ne saurons jamais si Heidegger avait lu ce texte de Freud, rien ne le prouve, mais rien ne l’exclut non plus (aurait-il pu seulement le reconnaître ?), mais sans aucun doute ce concept d’Unheimlickeit les rapproche. L’Unheimlich est pour chacun d’eux, le point de départ de leur réflexion sur l’angoisse, et devient angoisse existentielle. Tous deux explorent ce qui fait l’essence de l’homme, Freud bien sûr, avec l’inconscient et ses forces obscures, et Heidegger, en naturalisant un peu, traque, lui, le Dasein, dont le néant et l’angoisse rendent possible sa manifestation. Ainsi pour Heidegger, être existant, c’est être angoissé, être-pour-la-mort, être face à cette énigme qui ne nous appartient pas, notre mort. Tous deux mettent à l’épreuve l’homme dans sa toute-puissance, en lui rappelant ce qu’il porte en lui de fragilité, de vulnérabilité. Tous deux placent l’homme devant sa solitude. »
– Granotier, A. (2020). L’inquiétant du monde / Un monde inquiétant. Le Carnet PSY, 236(6), 51-53.

« L’angle à partir duquel j’aborde le sujet de la pulsion de mort découle d’une question qui m’a troublé dès lors que j’ai réalisé, étant né en Israël, qu’un jour j’allais devoir devenir un soldat. Comment se fait-il que les gens veuillent partir à la guerre ? Comment se fait-il qu’ils veuillent devenir soldats ? Comment se fait-il que les gens qui les aiment les laissent partir ? Comment se fait-il que les gens soient d’accord, parfois même excités, face à l’idée de risquer tout ce qu’ils ont, de faire mal à d’autres gens qui sont tout comme eux ? Comment se fait-il que la plupart des sociétés humaines ont pour marque identitaire la violence et la mort ? Il n’est pas surprenant que Freud ait avancé la notion de la pulsion de mort. Il paraissait clair, à la fin de la Première Guerre mondiale, que les êtres humains étaient poussés à s’autodétruire.
Mon objectif aujourd’hui est d’argumenter que cette notion de pulsion de mort est trompeuse et artificielle. Elle est le résultat, le camouflage symptomatique de quelque chose de complètement différent, à savoir la psychologisation, et par conséquent, la dissociation, la répression et le fait de rendre inconscient l’impact des forces sociales. Les forces sociales, lorsque incorporées au sein de la famille et dans notre constitution en tant que sujets, nous font penser qu’il est naturel et souhaitable de vouloir tuer et mourir.
La dissociation du social, la formation de l’inconscient social est bien entendu une dynamique massive, qui sous-tend notre confiance en l’idée d’un sujet – assujetti –, susceptible de donner un point d’ancrage à notre compréhension du monde et de nous-mêmes. Cette confiance a avancé et reculé au cours de l’histoire mais elle atteint son apogée dans notre présent libéral et néo-libéral. Aujourd’hui, j’aimerais me concentrer sur un angle particulier, un mécanisme spécifique de transmission, par lequel une raison sociale et violente arrive et devient un fondement de la subjectivité. Elle englobe la construction psycho-sociale que nous appelons genre, et plus spécifiquement « masculinité », et la façon dont cette construction – la masculinité – structure les rapports entre pères et fils. La psychanalyse s’est fortement investie dans la question des rapports père-fils. Il ne serait pas surprenant de la voir montrer ce mécanisme et en faire une sorte d’acting out. Mon argument est que la notion de la pulsion de mort est précisément un acting out, un symptôme de l’échec de la psychanalyse à examiner les façons dont le genre et la masculinité sont construits et influencent ses propres formulations. La notion de pulsion de mort, j’argumenterai, est un symptôme d’un inconscient genré qui devient fou. Je défendrai par la suite que le lien entre la masculinité et l’autodestruction, un lien quasi préhistorique que l’on peut voir partout, y compris dans la psychanalyse, est ce que je voudrais appeler une éthique de bouc-émissaire et de sacrifice. Je suggérerai que la masculinité, telle que nous la connaissons, à la fois, découle de cette éthique et l’entraîne. Une éthique qui apparaît, à un niveau psychologique, comme une forme particulièrement insidieuse d’abandon, où des parents abandonnent leurs enfants et où surtout des pères abandonnent leurs fils. Abandon dans les faits, qui résonne avec et qui devient une valeur et par conséquent un idéal – directement articulé à un désir subjectif d’autosacrifice. S’ensuit une chaîne d’effets sociaux et psychologiques qui mène les gens à vouloir mourir au nom d’un idéal ou d’une idéologie collective, d’une identité collective et d’une identification. Cette identification s’auto-nie, conduisant à la formation d’un compromis – un désir de mort toujours ambivalent – que la psychanalyse a mal interprété comme étant la pulsion de mort.
Si j’avais le temps, je vous parlerais d’Abraham et d’Isaac, de Dieu et de Jésus, de notre fameux Schreber et de son père… Mais aujourd’hui je vais vous parler de Freud et de ses fils.
Dans la même année (1915) où Freud écrit Deuil et mélancolie, il rédige un autre article important : Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort. C’est un texte dans lequel il réfléchit sur le monde qui l’entoure, un monde déchiré par ce que nous savons aujourd’hui être seulement le début de la Première Guerre mondiale.
L’article est composé de deux parties, la première portant sur la guerre et la deuxième sur la mort. Le postulat de base de la première partie est que les humains sont des tueurs à peine contenus. Lorsqu’on leur donne la permission, leur vraie nature apparaît. Freud argumente que notre héritage est composé d’une violence primitive et que la guerre est son expression. L’histoire humaine semble corroborer cette idée. Vouloir la penser autrement constitue, pour Freud, une illusion pieuse. La guerre est une régression, voire un collapse de la civilisation qui révèle notre vraie nature, guère déguisée. La civilisation est un masque.
Or la guerre, telle que nous la connaissons, est dans la plupart des cas quelque chose de très différent d’une émeute spontanée. Elle est plutôt un aboutissement développemental de la civilisation. Puisque des registres historiques existent, la guerre apparaît comme l’apogée d’un effort collectif organisé et non pas comme le déchaînement d’une violence désorganisée. La guerre n’est presque jamais un pogrom. Dans la mesure où l’agression y joue un rôle, celle-ci est canalisée et dirigée de manière complexe, comme Freud lui-même le souligne, via les machinations des systèmes politico-sociaux élaborés. Si tel est le cas, quel est le projet de Freud ?
Nous savons que Freud a d’abord présenté son article au B’nai B’rith à Vienne, devant une audience majoritairement juive, issue de la classe moyenne supérieure. Nous savons également que la plupart des citoyens européens ne correspondaient pas à la description des cosmopolites désillusionnés à qui Freud s’adressait. Ni les ouvriers allemands ou français, ni les paysans russes ou polonais ne voyageaient régulièrement entre le Louvre et Bolzano, tout en discutant des mythes anciens et en analysant leurs rêves. L’obsession en Europe, au tournant du siècle, est la nation et les forces militaires. L’Europe vit le sommet du colonialisme. Elle est engagée dans une intense course aux armements et une planification de guerre qui dure depuis des décennies. Tout le monde craint une catastrophe. Il s’agit d’un équilibre de pouvoir menaçant, mécanisé, qui bouillonne et qui explose. Il ne s’agit ni de voyages et de loisirs intellectuels, ni de barbarie primordiale.
Ce qui s’effondre de la façon la plus frappante lorsque la grande guerre se dénoue est l’idée d’une existence transnationale et éclairée, d’une identité ancrée dans l’humanité en général et non pas dans un héritage particulier. Un monde où le mérite et l’éducation priment sur le préjudice et la lignée. Un monde où cela n’a pas d’importance d’être Juif. Freud sent probablement le sol trembler sous le Zeitgeist qui avait rendu possible son travail et son existence. Mais il n’a pas peur et il n’est pas en deuil. Plutôt, il offre à son audience angoissée sa propre version de la guerre contre la terreur. Il rejette leur terreur. Il la rend honteuse. Et il le fait en offrant une étrange sorte de défi, de résistance : un ego désabusé, régénéré sous un surmoi meurtrier-suicidaire, un surmoi qui est amoureux de la mort.
En effet, dans la deuxième partie de l’article, Freud nous réprimande de ne pas avoir mieux accepté que chacun d’entre nous puisse mourir à chaque instant. Lorsque nous craignons pour notre vie, écrit Freud, celle-ci devient « superficielle et vide », dépourvue d’héroïsme et d’initiative. Il souligne, paradoxalement, qu’aucun d’entre nous ne croit de fait à sa propre mort. Pourquoi avons-nous si peur ? S’il est insensible à l’égard de son audience, il est davantage en décalage avec le sort des soldats. Ses propos sont dissociatifs, nous pouvons dire. Dans le même temps qu’il présente son article, le 16 février 1915, ses trois fils sont déjà activement au service de l’armée autrichienne. Martin se trouve à la frontière galicienne, où l’Autriche se bat contre les Russes. Nous savons, tout comme Freud certainement le savait, qu’au début de l’année 1915, l’armée autrichienne avait fait l’objet de presqu’un million de victimes : 200 000 morts, un demi-million de blessés, 180 000 prisonniers dans les mains des Russes. Qu’en est-il de ses fils ? Aucune mention d’eux ou de Freud lui-même dans cet article. »
– Rozmarin, E. (2019). La naissance de la pulsion de mort. Research in Psychoanalysis, 28(2), 73-77.

« Le droit doit poser des normes intelligibles et hiérarchisées, et peut ainsi être reçu par des sujets pensants et trouver une cohérence, toute norme ayant la double propriété d’être porteuse d’une règle à suivre pour un comportement ou un choix et de se rattacher à un ordonnancement de normes se conditionnant les unes les autres. Dans cet ensemble les règles, dont la clarté peut s’appuyer sur l’interprétation raisonnable, se donnent les unes aux autres, au fil de leur empilement, des fondements ou justifications en amont et des applications ou illustrations en aval. Ainsi se reconnaît l’impératif, volontiers érigé en principe fondamental, d’intelligibilité du droit positif, et se construit sa légitimité au regard de l’idée ou de la nécessité qui le fonde.
Lorsque le paysage juridique, tissu de permissions, d’interdictions et d’injonctions, répond à ce schéma, il offre à tout le moins un certain confort au citoyen qui en est le sujet comme au juriste qui l’étudie et le commente. Je sais ce que je dois ou ne dois pas faire, ce que je peux ou ne peux pas faire, quels partis me sont ouverts ou fermés, se dit le premier. Je sais ce que j’étudie, connais et commente, prétend ou proclame le second. Ajoutons le propos du législateur qui écrit le droit en sachant ce qu’il peut ou non y mettre et celui du juge qui le rappelle, l’interprète et l’applique lorsqu’il en est saisi. Cette situation de confort est plus ou moins consciente, elle est toujours perfectible, elle est indispensable, y compris dans les temps perturbés, à la sérénité civique. Il est permis de l’estimer salutaire et inhérente à l’État de droit bien compris, jeu complexe de pulsions et de répulsions, d’élans et de limites.
Au regard de ces évidences, la récente et difficile période du « confinement » sanitaire aux fins de lutte contre une pandémie est, c’est le moins qu’on puisse dire, une période de véritable et très perturbateur inconfort. Cet inconfort concerne tout autant le citoyen aux prises avec le risque sanitaire que le juriste s’essayant à comprendre le droit en découlant. »
– Gillet, J. (2020). De l’inconfort du droit en période de pandémie. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 157-160.

« « Où sont vos monuments, vos batailles, martyrs ? Où est votre mémoire tribale, messieurs ? Dans ce gris coffre-fort. La mer. La mer les a enfermés. La mer est leur histoire…» – D. Walcott, The sea is history, 1979
Parce qu’ils se construisent sur la durée et laissent une trace tangible, le droit et les récits constituent un vecteur de mémoire des formes d’esclavage et de leur évolution dans le temps. Assurément, d’abord, le droit a longtemps participé directement au développement de l’esclavage, que ce soit pendant les phases des « sociétés esclavagistes », jusqu’au XVe siècle environ, des « traites légales », jusqu’au courant du XIXe siècle, ou des « abolitions nationales », jusqu’à la fin XXe siècle. D’ailleurs le château et la ville de Versailles, à proximité desquels s’est tenue la journée d’étude dont le présent dossier contient certains textes, sont le lieu où fut donné l’édit de Mars 1685 – passé à une lugubre postérité sous l’appellation de « Code Noir ». Surtout, le droit n’est pas l’unique outil de transmission de la mémoire dans ce domaine.«
– Salas, D. & Pluen, O. (2020). Un travail de mémoire en construction. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 165-170.

« Pour répondre à cette question – qui servira de fil rouge à ce propos – la Cour a dû se pencher sur les normes internationales en la matière. Cet exercice permet de s’assurer qu’il existe aujourd’hui une interdiction de l’esclavage, de la servitude et, plus largement, de la traite des êtres humains, consacrée par de nombreux instruments internationaux universels, régionaux, multi- ou unilatéraux (I).
Il est possible cependant, à tout le moins pour l’interdiction de l’esclavage, d’aller un peu plus loin encore, et d’affirmer que cette interdiction a valeur aujourd’hui de « norme impérative » et d’« obligation inconditionnelle » : un « régime international objectif » de l’interdiction de l’esclavage, pour reprendre les termes d’Emmanuel Decaux dans son irremplaçable cours de La Haye sur Les formes contemporaines de l’esclavage s’est peu à peu constitué, qui fait échapper l’interdiction au subjectivisme étatique et donc à l’inconstance des États (II). Le développement progressif de l’interdiction de l’esclavage a ainsi été complété, dans la dernière partie du XXe siècle et la première du XXIe, par la reconnaissance d’une valeur spécifique de cette interdiction, la plaçant au-dessus des autres règles internationales : « l’idée que la »protection contre la pratique de l’esclavage » est une norme de jus cogens ne semble [ainsi] contestée par personne ». »
– Fleury Graff, T. (2020). L’interdiction de l’esclavage, norme de jus cogens en droit international et droit inconditionnel en droit européen. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 197-206.


« En 2008, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Ban Ki-Moon déclarait : « Le commerce des esclaves a été aboli officiellement il y a 200 ans, mais cette violation criante des droits de l’homme persiste, alimentée par un manque de respect pour la dignité des êtres humains, une négation de leur humanité et par la pauvreté ». Le 20 novembre 2017, le président du Niger, Mahamadou Issoufou, a appelé, la Cour pénale internationale (CPI) à « se saisir du dossier » sur la vente de migrants africains comme esclaves en Libye.
Pourtant, l’esclavage n’est pas un fait nouveau. Il est défini à l’article 1 de la Convention sur l’esclavage du 25 septembre 1926 (Convention de 1926), entrée en vigueur en 1927 et qui n’a pas encore un siècle d’existence. En d’autres termes, l’esclave est une personne qui est, légalement ou de facto, dans une situation, dans laquelle un individu le considère comme un bien mobilier ou immobilier et exerce un droit réel.
Des textes « internationaux » ambigus en matière d’esclavage »
– Boissard, B. (2020). L’absorption de la notion de formes d’esclavage dans celle de « traite des êtres humains ». Les Cahiers de la Justice, 2(2), 207-219.

« Le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) est né dans un silence assourdissant, au milieu de l’indifférence générale. Vingt-cinq ans plus tard, le CCEM conserve le cap fixé en 1994 pour lutter contre cette atteinte insupportable aux droits humains fondamentaux. Il s’est fixé comme objectifs de dénoncer les formes contemporaines d’esclavage et de traite des êtres humains, d’accueillir et d’accompagner les victimes de traite économique et de travail esclave, de sensibiliser l’opinion publique et d’interpeller les pouvoirs publics pour une meilleure protection des victimes, des poursuites plus efficaces des auteurs et la mise en place de mesures de prévention.
Qu’est-ce qu’un/e esclave moderne, une victime de traite des êtres humains ? C’est une personne – homme ou femme, voire enfant – soumise à une charge de travail exorbitante, pour laquelle elle ne perçoit aucune rémunération, voire une rémunération notoirement insuffisante. Cette personne ne dispose pas de ses documents d’identité confisqués par ses exploiteurs. Vulnérable, elle ne peut pas aller et venir librement. Ses liens familiaux sont contrôlés. Elle est victime de violences psychologiques et/ou physiques. Ses conditions de vie (hébergement, nourriture, hygiène) et de travail sont contraires à la dignité humaine. Cette personne ou sa famille a été victime de fausses promesses et elle se retrouve piégée dans le huis clos d’un domicile privé, d’un chantier, d’un atelier, soumise à une emprise qui l’empêche de fuir.
Il faut dire que cet esclavage moderne, dont l’existence était niée ou qui restait considéré comme un phénomène marginal à la fin du XXe siècle, a pris, sans bruit, une dimension considérable depuis le début des années 2000. En 2017, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), il y avait 40 millions d’esclaves dans le monde, dont 16 millions victimes de travail forcé dans le secteur privé. Ce phénomène génère une économie souterraine devenue la troisième industrie criminelle au monde, avec les armes et la drogue. L’Europe occidentale et ses démocraties ne sont pas épargnées. »
– O’Dy, S. (2020). Accompagner les victimes. Regard sur l’activité judiciaire. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 265-275.

« Au cours du siècle dernier, les législations nationales et internationales ont voulu progressivement cerner ce phénomène protéiforme qu’est l’esclavage moderne. Né du monde colonial, l’esclavage lui restait profondément lié et le colonialisme ne pouvait que ressentir son abolition – en 1848 pour la France – comme une perte. Le traumatisme qui lèse les peuples colonisés devait demeurer longtemps après que l’esclavage ait été formellement aboli. Les conditions socio-économiques qui conditionnent son existence se sont maintenues durablement sous différentes formes y compris dans le monde post-colonial. La globalisation de l’économie fondée sur le principe de la liberté du commerce offre aujourd’hui un cadre stimulant pour son développement. Il en est résulté toutes sortes de trafics clandestins générateurs de profits contrôlés par des mafias. En témoigne la prolifération des usages de l’esclavage liés au travail forcé et à la traite des êtres humains. C’est ainsi que le stigmate servile qui frappe principalement l’âme noire a perduré.
Le droit et ses acteurs nationaux et internationaux ont voulu nommer ces formes nouvelles afin d’universaliser les interdits. Au XXe siècle, les conventions internationales puis la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) ont énuméré les formes contemporaines de l’esclavage : la servitude pour dette, l’exploitation sexuelle, le mariage forcé, l’esclavage domestique des enfants… Le statut de la Cour pénale internationale et son œuvre jurisprudentielle en ont fait une composante du crime contre l’humanité. D’autres textes solennels ont depuis lors confirmé ce mouvement. Malgré cela, l’esclavage sous le nouveau visage de la traite des êtres humains ne recule guère dans le monde. »
– Salas, D. (2020). « Et la nuit noire de l’esclavage tomba sur moi… » Réflexions conclusives. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 289-295.
« Le 30 mai 2016, l’ancien dictateur du Tchad, Hissène Habré, fut condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité et tortures, notamment pour viols et esclavage sexuel, ainsi que pour crimes de guerre par un tribunal spécial sénégalais. Ce fut la première fois qu’un chef d’État était jugé par les tribunaux pénaux d’un autre pays pour des violations des droits humains. Le 27 avril 2017, une Chambre d’appel confirma le verdict et ordonna à Habré de payer près de 123 millions d’euros pour l’indemnisation des victimes. La cour a mandaté un Fonds fiduciaire pour rechercher et saisir les biens de Habré ainsi que pour solliciter des contributions volontaires.
Ce procès est avant tout l’aboutissement de ce que le quotidien Globe and Mail de Toronto a qualifié de « l’une des campagnes pour la justice les plus patientes et tenaces au monde ».
Menée durant plus de deux décennies par les victimes de Habré et les militants qui les ont accompagnés, cette campagne a réussi, de manière invraisemblable, à réunir les conditions politiques pour traduire un ancien président africain en justice en Afrique, avec le soutien de l’Union africaine. La campagne fut surtout unique du fait que les victimes étaient au cœur de la lutte. Cette dynamique a même amené des victimes de viol à rompre un silence de 25 ans pour témoigner devant leur ex-bourreau. Thierry Cruvellier, un journaliste connu pour ses analyses critiques des tribunaux internationaux, déclara avec enthousiasme dans le New York Times que « jamais dans une telle affaire, la voix des victimes n’aura été aussi dominante ».
Le lancement de la procédure contre Habré devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) au Sénégal a également stimulé le combat pour la justice au Tchad. Ainsi, en 2015, une cour tchadienne condamna 20 agents de l’ère Habré pour tortures et meurtres et ordonna au gouvernement de payer des millions d’euros en guise d’indemnité aux victimes. »
– Brody, R. (2020). Le procès de Hissène Habré : un tournant pour la justice internationale. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 297-310.

« A vrai dire, c’était le droit tout entier qui était tenu en suspicion, comme un empêcheur de s’enrichir pour de bon. Lois et règlements étaient désormais cotés en bourse, y compris les législations étrangères. Sans surprise, au bout de quelques jours, seules avaient été plébiscitées les plus laxistes, en provenance de paradis exotiques. Les autres, dont le cours s’était écroulé, furent frappées de caducité et bientôt abrogées. Quant aux avocats et conseillers juridiques, ils se transformaient en courtiers de produits législatifs payés à la commission. En définitive, seules survivaient les législations garantissant la propriété, le principe de la convention-loi, et la responsabilité civile – et, bien entendu, la législation pénale à l’égard de ceux qui ne se décidaient pas à comprendre où résidait leur intérêt bien compris. »
– Ost, F. (2020). « Le moins mauvais des mondes ». Les Cahiers de la Justice, 2(2), 343-360.

« Dans une société transformée en un empilement de susceptibilités, prévaut le culte du moi et des spécificités valorisées par l’idéologie dominante. La chape de plomb du politiquement correct étouffe tandis que la classe médiatique chasse en meute contre les pensées différentes.
Alain de Benoist
« Depuis que les journalistes policiers tendent à remplacer les intellectuels engagés, la chasse à l’hérétique, sur fond de consensus médiatique absolu, s’est substituée à la discussion critique et à l’argumentation polémique. La diffamation douce et diluée, la dénonciation vertueuse, la délation bien-pensante et mimétique, donnent son style à la chasse aux sorcières à la française. Le goût de la délation s’est propagé dans les rédactions : on y dresse des listes de suspects, on y inventorie les “ambigus” et les “équivoques” (les “pas clairs”), on s’y applique à surveiller de près tous les manquements au “correctivisme” idéologique […]. Le chasseur d’hérétiques n’enquête pas, il ne discute pas, il dénonce, il traque, il met hors d’état de nuire ceux qu’il désigne comme des criminels et des ennemis, voire des ennemis absolus. »
Pierre-André Taguieff écrivait cela en septembre 1998, dans le Figaro. Les choses ont-elles changé depuis ? On n’en a pas tellement l’impression si l’on en juge par des mots ou des expressions qui reviennent sans cesse dans les médias comme des refrains : police de la pensée, cordon sanitaire, pensée hygiénique, diabolisation, stalinisme intellectuel, antifascisme anachronique, manichéisme, délationnisme, chasse aux sorcières, stigmatisation hystérique, manipulation du soupçon, dictature de la bien-pensance, exécution sommaire, marginalisation, dérapages, pensées dangereuses, amalgames, reductio ad hitlerum, décontextualisation, lecture militante, ligne rouge à ne pas franchir, anathèmes, chape de plomb, hypermoralisme, purification éthique, phobie lexicale, opinions sans valeur d’opinion, parias de la pensée, etc. Dans les années 1970, on parlait volontiers de « terrorisme intellectuel », dans les années 1980 de « police de la pensée », depuis les années 2000 de « pensée unique ». Mais c’est toujours du même phénomène qu’il s’agit : la proscription de fait des idées non conformes, la marginalisation de ceux qui se situent en dehors du cercle vertueux de la doxa dominante.
Soyons clairs : il y a toujours eu des censures, des discours qui étaient plus facilement acceptés que les autres, et d’autres que l’on voulait voir disparaître. Aucun secteur d’opinion, aucune idéologie, aucune famille de pensée n’y a échappé au cours de l’Histoire, et bien souvent, ceux qui se plaignent le plus de la censure ne rêvent que de pouvoir en instaurer une à leur tour. Il n’en reste pas moins que les censures et les inquisitions ont pris depuis quelques décennies des formes nouvelles.
Trois facteurs radicalement nouveaux sont à prendre en compte.
Ordre moral et empire du Bien
Le premier est que les censeurs veulent aujourd’hui avoir bonne conscience, ce qui n’était pas nécessairement le cas autrefois. Ceux qui s’emploient à marginaliser, à ostraciser, à réduire au silence ont le sentiment de se situer du côté du Bien. Le nouvel ordre moral se confond aujourd’hui avec ce que Philippe Muray appelait l’empire du Bien.
Cette évolution est indissociable de l’apparition d’une nouvelle forme de morale qui a fini par tout envahir.
L’ancienne morale prescrivait des règles individuelles de comportement : la société était censée se porter mieux si les individus qui la composaient agissaient bien. La nouvelle morale veut moraliser la société elle-même, sans imposer de règles aux individus. L’ancienne morale disait aux gens ce qu’ils devaient faire, la nouvelle morale décrit ce que la société doit devenir. Ce ne sont plus les individus qui doivent bien se conduire, mais la société qui doit être rendue plus « juste ». C’est que l’ancienne morale était ordonnée au bien, tandis que la nouvelle est ordonnée au juste. Le bien relève de l’éthique des vertus, le juste d’une conception de la « justice » elle-même colorée d’une forte imprégnation morale. Fondée sur les droits subjectifs que les individus tiendraient de l’état de nature, l’idéologie des droits de l’homme, devenue la religion civile de notre temps, est avant tout elle aussi une doctrine morale. Les sociétés modernes sont à la fois ultrapermissives et hyper-morales.
On connaît le vieux débat à propos de la loi et des moeurs : est-ce la loi qui fait évoluer les moeurs ou les moeurs qui font évoluer la loi ? Pour répondre à la question, il suffit de constater l’évolution du statut attribué à l’homosexualité dans l’espace public. S’il y a cinquante ans, l’« apologie de l’homosexualité » tombait sous le coup de la loi, aujourd’hui c’est l’« homophobie » qui peut faire l’objet d’une sanction pénale, à tel point que, dans les écoles, on organise désormais des campagnes visant à « sensibiliser les enfants à l’homophobie ». Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur l’homosexualité, le rapprochement de ces deux faits a quelque chose de sidérant. Voici un demi-siècle, l’homosexualité était de façon assez ridicule présentée comme « honteuse » ou « anormale », aujourd’hui elle est devenue si admirable qu’il est interdit de dire qu’on ne l’apprécie pas.
La furie du Bien n’épargne évidemment pas l’Histoire. Qu’elles créent ou non de nouveaux délits pénaux, qu’elles soient répressives ou purement proclamatoires, les « lois mémorielles » donnent à entendre que la loi est apte à décider de la vérité historique, ce qui est une aberration. Elles nourrissent des « repentances » publiques qui, en incitant à ne se remémorer le passé que comme crime, fonctionnent comme autant d’avertissements rétroactifs et de mythes incapacitants. Dans l’empire du Bien, on ne cherche plus à réfuter les pensées qui gênent, mais à les délégitimer – non comme fausses, mais comme mauvaises.
Idéologie des droits et politiquement correct
Deuxième facteur clé : le surgissement du « politiquement correct ». Cette lame de fond, venue d’outre-Atlantique, n’a rien d’anecdotique – bien au contraire. C’est indirectement un surgeon de l’idéologie des droits, à commencer par le droit d’avoir des droits. Au départ, ce sont des revendications portant sur le vocabulaire ou les formulations : ceux qui s’estiment choqués, humiliés, rabaissés par l’usage de certains termes, régulièrement posés comme des stéréotypes, s’affirment fondés à exiger qu’on les supprime. Les mouvements néoféministes et les tenants de la « théorie du genre » ont été en pointe dans cette revendication, qui pourrait être légitime si elle n’était pas poussée jusqu’à l’absurde.
La cause profonde du politiquement correct réside en fait dans ce qu’on a pu appeler la métaphysique de la subjectivité, qui est l’une des clés de voûte de la modernité. Descartes en est le grand ancêtre : « Je pense, donc je suis. » Je, je. En termes plus actuels : moi, moi. La vérité n’est plus extérieure au moi, elle se confond avec lui. La société doit respecter mon moi, elle doit bannir tout ce qui pourrait m’offenser, m’humilier, choquer ou froisser mon ego. Les autres ne doivent pas décider à ma place de ce que je suis, faute de faire de moi une victime. Apparemment, je suis un homme blanc à la barbe épaisse, mais si j’ai décidé que je suis une lesbienne noire en transition, c’est ainsi que l’on doit me considérer. Je suis né il y a soixante ans, mais si je m’attribue les caractéristiques d’un homme de 40 ans, c’est comme tel que l’état-civil doit m’enregistrer. Au fond, je suis le seul qui a le droit de parler de moi. Ainsi s’alimente le narcissisme du ressentiment.
La censure de nos jours se justifie ainsi par le « droit des minorités à ne pas être offensées ». Ces minorités ne sont en rien des communautés ou des corps constitués au sens traditionnel du terme, mais des groupes désarticulés d’individus qui, au nom d’une origine supposée ou d’une orientation sexuelle du moment, cherchent à désarmer toute critique sur la seule base de leur allergie à la « stigmatisation ». Leur stratégie se résume en trois mots : ahurir, culpabiliser, s’imposer. Et pour ce faire, se poser en victimes. Dans le climat compassionnel entretenu dans l’empire du Bien, tout le monde veut être une victime : le temps des victimes a remplacé celui des héros. Le statut de victime autorise tout, dès lors que l’on sait instrumentaliser le politiquement correct et l’idéologie des droits « humains ». Racisme structurel, sexisme inconscient, homophobie, c’est le triplé gagnant. Ce n’est plus l’essence, mais la doléance qui précède l’existence. Le mur des lamentations étendu à la société tout entière au nom du droit à faire disparaître les « discriminations ».
On peut d’ailleurs s’arrêter sur ce terme de « discrimination », en raison du détournement sémantique dont il fait constamment l’objet. À l’origine, en effet, le mot n’avait aucun caractère péjoratif : il désignait seulement le fait de distinguer ou de discerner. Dans le langage actuel, il en est arrivé à désigner une différenciation injuste et arbitraire, éventuellement porteuse d’« incitation à la haine », à tel point que la « lutte contre les discriminations » est devenue l’une des priorités de l’action publique.
Le problème est que cette exigence, en s’étendant de proche en proche, finit par aboutir à des situations qui, à défaut d’être cocasses, sont proprement terrorisantes. Un lycée américain décide la suppression d’une grande fresque murale datant de 1936 et dénonçant l’esclavage, au double motif que son auteur était blanc (un Blanc ne peut pas être antiraciste, c’est dans ses gènes) et que sa vue était « humiliante » pour les étudiants afro-américains. Elle sera remplacée par une fresque célébrant « l’héroïsme des personnes racisées en Amérique ». En France, une représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne fait « scandale » parce que certains acteurs portaient des masques noirs, preuve évidente de « racialisme ». En Espagne, un collectif demande que l’on réglemente d’urgence la « culture du viol » qui règne dans les basses-cours : les poules y sont victimes de la concupiscence des coqs. D’autres s’indignent qu’on veuille rendre hommage à une femme célèbre (il fallait lui rendre « femmage »), ou qu’un ministre mis en cause dans une affaire récente estime avoir été « blanchi », ce qui atteste du peu de cas qu’il fait des personnes de couleur ! On pourrait citer des centaines d’autres exemples.
Notons au passage que la « racialisation » des rapports sociaux à laquelle on assiste actuellement n’a pas manqué d’aggraver les choses, sous l’influence des mouvances « indigénistes » et postcoloniales. Ce qui témoigne d’une certaine ironie : c’est depuis qu’on a officiellement déclaré que « les races n’existent pas » que l’on ne cesse d’en parler !
Censure médiatique plutôt qu’étatique
Le troisième fait nouveau, c’est que la censure n’est plus principalement le fait des pouvoirs publics, mais des grands médias. Autrefois, les demandes de censure émanaient principalement de l’État, la presse se flattant de jouer un rôle de contre-pouvoir. Tout cela a changé. Non seulement les médias ont quasiment abandonné toute velléité de résistance à l’idéologie dominante, mais ils en sont les principaux vecteurs.
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Et que la plupart des débats auxquels on assiste ne méritent plus ce nom. « Le champ de ce qui ne fait plus débat ne cesse de s’étendre », disait encore Philippe Muray. « Le problème, confirme Frédéric Taddeï sur France Inter en septembre 2018, c’est que vous n’avez plus de vrai débat à la télévision française et que ça n’a l’air de gêner aucun journaliste. »
Parallèlement, selon l’heureuse formule de Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, l’intellectuel engagé a cédé la place à l’intellectuel à gage : « Aux “trois C” qui définissaient sa mission hier – critiquer, contester, combattre – ont succédé les “trois A” qui résument sa démission aujourd’hui : accepter, approuver, applaudir. »
On en est au point où l’on en revient même à la chasse aux confrères. Des journalistes demandent qu’on fasse taire d’autres journalistes, des écrivains demandent qu’on censure d’autres écrivains. On a vu cela dans le cas de Richard Millet, et plus récemment d’Éric Zemmour. Tel est explicitement le programme de deux petits inquisiteurs parmi d’autres, Geoffroy de Lagasnerie et Édouard Louis : « Refuser de constituer certains idéologues comme des interlocuteurs, certains thèmes comme discutables, certains thèmes comme pertinents » (sic).
Dialoguer avec l’« ennemi », ce serait en effet lui reconnaître un statut d’existence. Ce serait s’exposer soi-même à une souillure, à une contamination. On ne dialogue pas avec le Diable. Il faut donc diaboliser. Le politiquement correct est l’héritier direct de l’Inquisition, qui entendait lutter contre l’hérésie en dépistant les pensées mauvaises. L’idéologie dominante est elle aussi une orthodoxie, qui regarde comme hérétiques toutes les pensées dissidentes. Dans 1984, de George Orwell, Syme explique très bien que le but de la novlangue est de « restreindre les limites de la pensée » : « À la fin, nous rendrons impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. » C’est l’objection ultime des nouvelles Inquisitions. »
– de Benoist, A. (2020). Les nouvelles inquisitions. Constructif, 56(2), 15-18.

« L’art Noir : une nébuleuse ?
Dans ce contexte éditorial ambitieux, chercheurs, critiques et artistes travaillent ensemble à fabriquer des livres qui croisent différentes disciplines et jouent de la variété des contributions (essais visuels, textes, discussions…) comme de l’hétérogénéité du matériel graphique et artistique. Ces ouvrages fondent ce que j’appelle l’art Noir. »
– Lafont, A. (2020). Penser depuis l’art Noir. Critique, 876-877-878(5), 405-423.
Lectures Autres / Curiosités :
- Delage, P., Lieber, M. & Chetcuti-Osorovitz, N. (2019). Lutter contre les violences de genre. Des mouvements féministes à leur institutionnalisation: Introduction. Cahiers du Genre, 66(1), 5-16.
- Arzel, L. & Foliard, D. (2020). Tristes trophées: Objets et restes humains dans les conquêtes coloniales (XIXe– début XXe siècle). Monde(s), 17(1), 9-31.
- Arzel, L. (2020). Les « sanglants trophées » de la conquête: Découpe des corps et guerres coloniales dans l’État indépendant du Congo fin XIXe siècle-début XXe siècle. Monde(s), 17(1), 79-109.
- Foliard, D. (2020). La tête de Rabah et le crâne du Mahdi: Histoire croisée de trophées coloniaux français et britanniques. Monde(s), 17(1), 111-133.
- Kim A. Wagner. « Entre science et sauvagerie. Crânes-trophées et pratiques de collecte dans l’Empire britannique au XIXe siècle », Monde(s), vol. 17, no. 1, 2020, pp. 135-153.
- Kelly, L. (2019). Le continuum de la violence sexuelle. Cahiers du Genre, 66(1), 17-36.
- Revillard, A. (2018). Saisir les conséquences d’une politique à partir de ses ressortissants: La réception de l’action publique. Revue française de science politique, vol. 68(3), 469-491.
- Peyrat, D. (2020). Réflexions sur le mal, en pandémie. Revue du MAUSS, 55(1), 27-33.
- Caillé, A. (2020). Gérer la haine. Revue du MAUSS, 55(1), 35-40.
- Poirier, N. (2020). La violence du pouvoir : Elias Canetti, théoricien critique de la puissance. Revue du MAUSS, 55(1), 115-127.
- Chanial, P. (2020). « La réciprocité, c’est le mal ». Girard, Mauss, le don et l’amour. Revue du MAUSS, 55(1), 199-226.
- Bodammer, T. (2020). Le pardon est-il un don ? Quelques réflexions pour une analyse anti-utilitariste du pardon. Revue du MAUSS, 55(1), 347-361.
- Raynal, H. (2020). La condition cosmique. Revue du MAUSS, 55(1), 375-383.
- Khosrokhavar, F. & Mottaghi, M. (2020). Le don dans le Coran. Revue du MAUSS, 55(1), 426-438.
- Faudot, A. (2020). Sortir de la suprématie du dollar. L’Économie politique, 87(3), 48-58.
- Pluen, O. (2020). Introduction. Le devoir de conscience de lutter contre une hydre. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 171-181.
- Petit, B. (2020). Formes légales de travail et formes contemporaines d’esclavage. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 221-230.
- Lasbordes de Virville, V. (2020). Quelle indemnisation pour les victimes des formes contemporaines d’esclavage ?. Les Cahiers de la Justice, 2(2), 277-287.
- Faugère, C. (2020). « Droit et littérature » (C. Baron et J. Sarfati Lanter, dir.). Les Cahiers de la Justice, 2(2), 361-364.
- Voltaire, . (2020). La liberté de pensée. Constructif, 56(2), 5-8.
- Pierrat, E. (2020). La privatisation de la censure. Constructif, 56(2), 32-35.
- Calvès, G. (2020). La liberté d’expression n’est pas la liberté de dire n’importe quoi. Constructif, 56(2), 54-57.
- Debaene, V. (2020). Voir la race: L’histoire de l’art contre la mort blanche. Critique, 876-877-878(5), 424-441.
- Frioux-Salgas, S. (2020). « Moi aussi, je suis un Nègre ! ». Critique, 876-877-878(5), 456-470.
- Bosc-Tiessé, C. (2020). Plaidoyer pour une histoire des arts anciens d’Afrique. Critique, 876-877-878(5), 482-496.
- « François-Xavier Fauvelle. Renouveler le discours historique par l’Afrique », Critique, 2020/5 (n° 876-877-878), p. 497-512.
- Noûs, C. (2019). Savoir et prévoir: Première chronologie de l’émergence du Covid-19. Sociétés contemporaines, 116(4), 171-182.
- Noûs, C. (2019). Covid-19: La fin du sida comme modèle politique de lutte contre les épidémies ?. Sociétés contemporaines, 116(4), 183-186.
- Le Goaziou, V. (2019). Viol: Que fait la justice ?. Presses de Sciences Po.
