« L’épistémologie constitue aujourd’hui l’une des bases les plus solides de la didactique des sciences, et plus largement de toute réflexion pédagogique préoccupée de l’enseignement et de l’appropriation des savoirs scientifiques. On en attend en effet une représentation renouvelée et enrichie de la science, susceptible de modifier les pratiques éducatives elles-mêmes : une représentation telle que les enseignés et les enseignants pensent la science comme processus, cheminements, démarches, et non plus comme une accumulation de résultats objectifs et définitifs pourvus de quelque vérité intemporelle et absolue. A cet égard, la recherche didactique en sciences se développe autour d’une « valeur » qui peut faire l’objet d’un consensus pédagogique :
« La réflexion épistémologique, en tant qu’elle permet d’élucider les conditions de la production du savoir, est une condition de possibilité pour la réflexion pédagogique. » – Jean-Pierre Astolfi (coord.). Procédures d’apprentissage en sciences expérimentales. Paris : INRP. 1985. p. 199.
« Faire pénétrer la systémique, l’épistémologie et la technologie dans les collèges et les lycées, c’est recommencer l’aventure des fondateurs de l’École publique. Les enseignants, qui seront les artisans de cette promotion populaire du savoir, y trouveront l’élan et la fierté qui semblent les abandonner. » – Jean-Marie Domenach. Ce qu’il faut enseigner. Le Seuil. 1989.
L’épistémologie n’en demeure pas moins une discipline multiple et complexe, dont il faut bien percevoir les dimensions. Toute simplification abusive irait à l’encontre de l’objectif éducatif qui justifie qu’on s’y réfère. Aussi rappellera-t-on d’abord, à la suite de Pierre Thuillier, que « l’épistémologie générale n’existe pas en tant que discipline unifiée. Elle se situe à l’intersection de préoccupations et de disciplines très diverses par leurs objectifs et leurs méthodes ».
1 – Epistémologie et théories de la connaissance
Une première dimension de l’épistémologie l’enracine dans la philosophie, et plus particulièrement dans les théories de la connaissance.
À l’arrière plan se trouve une longue tradition philosophique. Platon, Aristote, Descartes, Kant, etc., ont formulé des théories générales de la connaissance, concernant les divers types de savoirs et leurs sources (raison, imagination, expérience, etc.). » – Pierre Thuillier. Jeux et enjeux de la science. Paris : Robert Laffont. 1972.
« Descartes fonde l’épistémologie moderne. Il découvre enfin l’existence du sujet connaissant, non plus comme sujet contemplatif, c’est-à dire passif, mais du sujet source de constructions, qui tout à la fois invente en mathématiques (au lieu de «découvrir» simplement) et qui structure la connaissance physique. Il fournit une théorie décisive de la causalité qui imprégnera toute l’épistémologie moderne : la causalité n’est que l’application de la déduction mathématique à des modèles réels. (…)
Kant a trouvé un aliment essentiel à sa réflexion dans l’éclatant succès de la gravitation newtonienne. Il en est venu à se poser alors le problème de comprendre comment la science est possible. Au cours d’une révision d’une envergure extraordinaire portant sur l’ensemble de nos instruments de connaissance (de la perception aux formes les plus abstraites de la raison dialectique), il a été conduit à circonscrire les questions autour du mystère central de l’adéquation de nos procédés déductifs à l’expérience comme telle. » – Jean Piaget. Logique et connaissance scientifique. Paris : Gallimard. 1973. pp. 21-22.
La théorie de la connaissance s’inscrit bien dans l’héritage kantien, qui imprègne durablement les épistémologies positivistes comme l’épistémologie génétique de Piaget (ci-dessous). Cette « philosophie de la science » postule, d’un côté, l’unité de la science, et de l’autre, l’unité d’un sujet qui produit et assimile cette science. Dans cette optique on parle, au singulier, du temps, de l’espace, de la cause, comme de concepts unifiés, sinon uniques. Bachelard fera éclater cette unité en une pluralité de rationalités « régionales ». Parallèlement, l’unité du sujet au sens de processus universels, tels que postulés par Piaget, est également soumis à examen critique. »
– Astolfi, J., Darot, É., Ginsburger-Vogel, Y. & Toussaint, J. (2008). Chaptire 7. Epistémologie. Dans : , J. Astolfi, É. Darot, Y. Ginsburger-Vogel & J. Toussaint (Dir), Mots-clés de la didactique des sciences: Repère, définitions, bibliographies (pp. 77-85). De Boeck Supérieur.
« Bachelard s’intéresse au processus d’acquisition de la connaissance, qui comprend l’activité des sujets connaissant. Il ne conçoit pas le raisonnement comme identique à la logique mais comme résultant du déploiement des mathématiques dans l’organisation à la fois théorique et expérimentale, et c’est pourquoi il traite de la science comme des mathématiques appliquées. L’application en question est matérielle et technique; il s’intéresse à la rationalité inhérente au matérialisme technique et à la concrétude inhérente au rationalisme appliqué. »
– Tiles, M. Que Veut Dire Bachelard par « Rationalisme Appliqué »?. Rev synth 134, 317–327 (2013).



« «Surveiller» peut s’étendre en deux sens. 1) Veiller à maintenir les constances ; s’efforcer d’éliminer les éléments de trouble. Bref faire en sorte que les choses demeurent en leur état. Ce qui veut dire : chercher à définir pour ces régions les procédures (les formes de catégorisation et de systématisation) propres à renforcer leur apparente stabilité. 2) En un autre sens surveiller veut dire prêter attention aux variations, aux oscilations, souvent minimes dont la composition entraîne l’effet de stabilité mais la menace également ; aux rapports de voisinage aussi, aux relations mobiles qui s’instituent aux frontières du champ théorique considéré, aux turbulences qui en affectent la figure d’équilibre, d’une manière qui n’est pas immédiatement visible, pour qui aperçoit la théorie en survol, selon la seule architecture, supposée fixe, de ses concepts et de ses énoncés canoniques.
C’est en ce second sens que G. Bachelard a pratiqué l’espèce de surveillance qui caractérise son épistémologie. Il ne s’est jamais institué gardien ou garant de quelque orthodoxie scientifique, dont sa tâche de philosophe eût été de dégager et d’enseigner les règles intangibles. Le principal reproche qu’il adresse aux «philosophes» est de ne retenir, le plus souvent, de la science, que le résultat mort et de l’intégrer à une philosophie engendrée «proprio motu». Il lui importait au contraire de saisir la pensée scientifique au travail dans les champs (différenciés) où elle s’exerce et produit de la rationalité. En nommant «surveillance» la manière de saisir au plus près cette sorte particulière de travail qu’est l’activité scientifique, nous nous autorisons de Bachelard lui-même. Il nous a parlé de cette surveillance. Aussi est-ce par là qu’il nous contient de commencer.
[…]
Pour Bachelard enseigner, c’est «apprendre à découvrir». Ce n’est pas là une simple règle pédagogique, mais la conséquence même de la situation de tout sujet connaissant devant l’objet à connaître. La relation du maître au disciple est de réciprocité et de dialogue : par nature la rectification des savoirs est le fait d’un «je-tu». La précision naît du contrôle réciproque dans un dialogue toujours normé par les exigences de ce système questionnant en quoi consiste la pensée rationnelle en exercice. – Il importe de voir «s’installer en soi la dialectique du sujet contrôlant et du sujet contrôlé» et d’instituer «en son propre esprit en face de son je, un tu vigilant» {RA., p. 60). »
– DESANTI, J. (1984). GASTON BACHELARD OU «LA SURVEILLANCE INTELLECTUELLE DE SOI». Revue Internationale De Philosophie, 38(150 (3)), 272-286.
« D’abord la vérité concerne le rapport du langage ou de nos croyances au monde. Elle est donc intimement liée à la signification, qui elle aussi, concerne le rapport du langage au monde (et à l’évidence la vérité d’un énoncé dépend de la signification des termes qui le composent).
Mais la vérité possède aussi certaines propriétés qu’on peut examiner indépendamment de la signification de nos mots. C’est précisément ce genre de propriétés que la logique formelle essaie d’élucider : comment est-ce que la vérité (ou la fausseté) des énoncés est impactée quand on manipule leur forme, quand on les combines avec des « et », des « ou » et des « ne-pas » par exemple ? Les principes logiques les plus connus depuis l’antiquité sont le tiers exclu (un énoncé est soit vrai, soit faux), la non contradiction (un énoncé n’est pas à la fois vrai et faux) et le fait de pouvoir éliminer une double négation. Ces principes de base peuvent nous permettre de savoir comment les combinaisons logiques d’énoncés fonctionnent. On peut ensuite étendre ça aux mathématiques, et étudier le raisonnement : quelles sont les règles qui nous permettent de conclure « Socrate est mortel » des prémisses « Socrate est un homme » et « tous les hommes sont mortels », c’est à dire, en général, comment passe-t-on d’un ou plusieurs énoncés tenus pour vrais (les prémisses) à un autre (la conclusion) avec la certitude que si les prémisses sont vrais, la conclusion le sera également ?
Si la logique remonte à l’antiquité, elle a connu un renouveau très important à la fin du 19ème siècle en particulier grâce aux travaux de Frege, qui est parvenu à formaliser la logique. Frege voulait forger un langage idéal qui serait dénué des ambiguïtés et de l’élusivité caractéristique du langage ordinaire, et qui conviendrait ainsi mieux aux sciences et aux mathématiques. Il a nourrit toute sa vie le projet de fonder l’arithmétique (le calcul sur les nombres) sur la logique uniquement, et si ce fut un échec (à cause du fameux paradoxe de Russell), ses travaux ont ouvert la voie à une unification des mathématiques modernes en les fondant sur la théorie des ensembles. C’est aussi entre autre ce qui a permit l’avènement de l’informatique.
Ainsi une première manière d’appréhender la vérité est sous l’angle de la logique : on peut déjà dire que la vérité se comporte généralement de telle manière vis-à-vis des opérateurs logiques ou de la négation (je dis « généralement » parce qu’il est possible de spécifier plusieurs systèmes de logique légèrement différents, mais passons…).
Une autre propriété intéressante de la vérité indépendante du rapport au monde ou de la signification, et qui peut sembler a priori assez évidente, est que dire d’un énoncé qu’il est vrai, c’est comme simplement affirmer cet énoncé. La locution « est vrai » sert donc en quelque sorte à retirer les guillemets de ce qui précède (par exemple » << La neige est blanche >> est vrai » revient à dire « la neige est blanche » : c’est comme si nous avions retiré les guillemets).
On peut penser que le terme « vrai » joue souvent ce rôle dans le langage : il nous sert à « retirer des guillemets », ou encore à faire usage du contenu de différentes propositions sans avoir à les reformuler entièrement (comme dans « ce qu’il dit est vrai » : on peut penser que c’est un raccourci pour ne pas simplement répéter ce que a été dit). Cette propriété permet de voir également comment la vérité se comporte quand on traduit un langage dans un autre, ou quand un parle d’un langage depuis un autre, ce qui requiert également l’utilisation de guillemets. Elle a été exprimée par Tarski dans un cadre mathématique à propos de ce qu’on appelle les « langages formels », qui sont des idéalisations mathématiques des langages naturels.
Les théories de la vérité
Mais il est temps de passer aux choses sérieuses. Tout ça est fort bien, mais un peu abstrait, et surtout, ça ne nous dit pas ce qu’est réellement la vérité. En effet tant qu’on reste dans le domaine de la logique et des mathématiques, il peut sembler qu’on ne parle pas vraiment du monde (enfin ça dépend de notre philosophie des mathématique, mais ce n’est pas la question du jour). Or n’a-t-on pas dit que la vérité concernait le rapport au monde ? Le raisonnement logique nous permet de produire des énoncés vrais à partir d’autres énoncés vrais, mais si l’on ne veut pas tourner en rond, il faut bien partir de prémisses ou d’axiomes qui ne sont pas fondés sur le raisonnement pur, mais qui sont vrais pour d’autres raisons… Il faut donc en dire un peu plus.
Examinons donc un peu plus en détail les différentes façons classiques de concevoir la vérité, qui pour la plupart précèdent historiquement les éléments dont nous venons de discuter. Nous allons voir qu’elles correspondent plus ou moins aux différentes approches vis-à-vis de la question du statut de la réalité que nous avions évoqué dans un autre billet : l’idéalisme, l’empirisme ou le réalisme. Les conceptions correspondantes sont le cohérentisme, le pragmatisme et la correspondance. Nous évoquerons aussi d’autres « non-théories » comme le quiétisme ou le déflationnisme…
Le cohérentisme tout d’abord consiste à affirmer qu’une croyance est vraie pour peu qu’elle soit logiquement cohérente avec l’ensemble des autres croyances vraies, et rien de plus. Il s’agit en fait de mettre l’accent sur un système de représentation cohérent du monde dans son ensemble plutôt que sur les croyances isolées, qui n’ont de valeur de vérité qu’insérée dans ce système.
La cohérence logique uniquement ? Voilà qui « sent un peu l’arnaque » me direz vous : n’avait-on pas dit que la vérité concernait le rapport au monde ?
En fait il faut savoir que cette théorie de la vérité est souvent associée à l’idéalisme qui consiste à affirmer que toute réalité est mentale, ou encore que tout est représentation, donc que la réalité extérieur n’existe pas… Partant, il n’y a aucune raison de juger de la vérité d’une croyance autrement qu’en relation à d’autres croyances. Puisque seule la cohérence logique est requise, cette conception est assez permissive, et on comprend qu’elle peut vite mener à une forme de relativisme : un système de représentation en vaut bien un autre, chacun sa vérité, tout se vaut…
Le pragmatisme
Si l’on a l’extravagance de penser qu’il existe une réalité extérieure indépendante de l’esprit, on sera sans doute tenté d’ajouter des critères supplémentaires pour dire d’une croyance qu’elle est vraie. On pourra par exemple vouloir adopter des critères de vérification empirique de nos croyances, d’assertabilité ou d’utilité.
On peut regrouper ces différentes vues dans la classe des conceptions pragmatistes de la vérité (qu’on associe souvent à l’empirisme, suivant lequel toute connaissance est issue de l’expérience). Le courant pragmatiste est un courant important en philosophie américaine au début du 20ème siècle, représenté notamment par Peirce, James et Dewey. Suivant le pragmatisme, il faut concevoir nos croyances comme des dispositions à agir d’une façon ou d’une autre, et il faut dire d’une croyance qu’elle est vraie quand elle est efficace pour interagir avec la réalité. Si par exemple je crois qu’il y a une chaise derrière moi, je serai prêt à m’asseoir sans même regarder et je m’attend à ne pas chuter. Si mes attentes sont comblées, alors ma croyance était efficace, et si l’ensemble des actions que peux susciter cette croyance s’avèrent couronnées du même succès, alors je peux dire « au terme de l’enquête » (pour reprendre les termes de Peirce) que ma croyance est vraie.
Le problème des ce type de conceptions est que certaines croyances ou certains énoncés semblent invérifiables, et pourtant ont pense qu’ils sont soit vrais soit faux. Par exemple l’affirmation suivant laquelle Jules César avait moins de 1000 cheveux au moment de sa mort, ou suivant laquelle un dinosaure a éternué à tel moment précis, ou encore une affirmation portant sur une galaxie trop lointaine pour être observée, ne semble pas être des affirmations plus vérifiables que leurs négations, mais le réaliste sera toutefois tenté de dire que de telles affirmations sont soit vraies soit fausses. C’est en tout cas le cas si l’on accepte le principe logique du tiers exclu… En bref : la vérité semble être une notion qui transcende nos possibilités de vérifications. Définir la vérité à partir de la vérification uniquement est donc insuffisant.
Un autre problème est lié à la sous-détermination des théories par l’expérience : ne pourrait-il exister des représentations différentes de la réalité, contradictoires entre elles, mais qui sont toutes aussi efficaces « au terme de l’enquête » ?
Bien sûr il est toujours possible d’adopter des versions plus sophistiquées de ce type de théories, en idéalisant les conditions de vérification ou d’utilité (nos croyances sont vraies si elles pourraient en principe être vérifiées par n’importe quel agent, sans limitations techniques, à n’importe quelle époque et en tous lieux…) Mais cette stratégie risque de faire face à de plus en plus de complications pour rester cohérente (qu’est-ce qu’un agent ? qu’est-ce qu’une limitation technique ? est-il cohérent qu’un humain utilise un accélérateur de particule à l’époque des dinosaures ? ). Alors si l’on vise une notion de vérité transcendante qui nous assure qu’une seule représentation complète du monde est vraie, autant le dire tout de suite.
La vérité-correspondance
Ce qui nous amène à notre dernière théorie de la vérité, peut-être la plus intuitive et naturelle : la vérité comme correspondance. Il s’agit de dire que quelque chose est vrai si il correspond au monde.
Toute la question est bien sûr de savoir en quels termes exprimer cette relation de correspondance : à quel genre d’entité un énoncé correspond-il ? A un « fait » ? A un ensemble d’objets et de propriétés physiques ? (mais alors à quoi correspond un énoncé négatif comme « il n’existe pas de cygne vert » ?) Ce sont là des questions un peu technique qu’on peut laisser de côté ici.
On peut noter qu’une façon de formaliser un peu cette idée de correspondance est de recourir à la notion de modèle logique. Il s’agit d’outils mathématiques qui permettent d’expliquer comment un langage peut « correspondre » à une structure mathématique donnée, et de rendre compte de la vérité ou de la fausseté des énoncés de ce langage vis-à-vis de cette structure. Par suite, certains auteurs proposent de concevoir les théories scientifiques comme des collections de modèles visant à représenter mathématiquement certains aspects du monde plutôt que comme l’énonciation de lois de la nature, comme on le faisaient traditionnellement. Il est alors possible à la limite d’envisager la correspondance entre modèles et réalité en terme exclusivement mathématiques (par exemple en terme d’isomorphisme entre une structure théorique et une structure réelle). Il existe des objections à ce type d’approches. C’est un vaste sujet, et ici nous quittons le domaine de la philosophie générale pour celui de la philosophie des sciences, c’est pourquoi j’ai décidé d’y consacrer plus tard un article dédié…
Mais de manière générale, ce qui peut sembler être un problème vis-à-vis de la vérité comme correspondance est que, pour intuitive qu’elle soit, elle semble faire comme si nous étions capable de sortir du langage ou de nos représentations pour contempler la façon dont elles se rapportent au monde. Mais nos représentations, nos croyances, ne sont-elles pas finalement notre seul accès au monde ? On peut parler, en tant que personne extérieure, de correspondance entre l’énoncé de quelqu’un d’autre et le monde, mais se faisant, nous faisons appel à nos propres représentations : n’y a-t-il pas circularité ? C’est ce type d’inquiétude qui peut faire préférer une approche pragmatiste se rabattant sur une conception plus tangible, « interne ».
La plupart des philosophes contemporains n’y voient cependant pas de problème particulier (notamment parce qu’il existe une tendance assez importante depuis le 20ème siècle en philosophie analytique, consistant à faire « sortir de nos têtes » ce qui relève du langage et des représentations), et on considère généralement aujourd’hui que la vérité comme correspondance est étroitement liée au réalisme en général, si bien que si l’on est réaliste, c’est cette théorie que nous devons adopter.
Le quiétisme et le déflationnisme
Voici donc résumé les trois grandes théories de la vérité, de la moins contraignante à la plus contraignante : la vérité comme simple cohérence de nos croyances, ou comme attestabilité idéale de nos croyances lors de l’interaction avec le monde (ce qui requiert a minima leur cohérence), enfin comme correspondance de nos croyances ou de nos énoncés à la réalité, qui est la contrainte la plus forte.
Nous pouvons pour terminer évoquer les « non-théories », ou les attitudes alternatives face à la vérité : le quiétisme et le déflationnisme.
Nous avions émis des doutes possibles quand à l’idée qu’on puisse donner sens à une relation de correspondance transcendante entre nos représentation et la réalité, dans la mesure où on ne « sort » jamais vraiment de nos représentations. Pour certains auteurs (par exemple Wittgenstein) ce genre de question sur le rapport de nos représentations au monde n’a tout simplement pas de sens : la façon dont le langage se rapporte au monde ne peut être appréhendée depuis le langage lui-même. Il faudrait donc rester quiétiste et ne pas se poser ce genre de questions, les considérer comme dénuées de signification… Ce type de position s’apparente au refus de la métaphysique qui caractérisait les empiristes logiques.
Une position assez proche peut-être qualifiée de déflationnisme. Nous avons vu que le terme « vrai » semblait correspondre au fait d’ôter les guillemet (ou d’accéder au contenu d’une proposition sans le réitérer, comme dans « ce qu’il dit est vrai ») : dire qu’un énoncé est vrai c’est simplement affirmer cet énoncé. Il y a peut-être d’autres usages proches, comme le fait de marquer l’accord avec ce qui vient d’être dit. Toujours est-il que certains pensent qu’il n’y a pas besoin d’en dire plus sur la vérité : elle se ramènerait à une façon de parler et serait finalement dénuée de contenu métaphysique.
Ceci dit on peut faire valoir qu’affirmer quelque chose sert un but, et on pourrait très bien analyser ce but en terme de vérité (d’adéquation au monde, de cohérence, …). Le déflationnisme ne serait finalement qu’un déplacement du problème. Ou bien peut-être consisterait-il à affirmer qu’il n’existe pas de tel but clairement identifiable à nos affirmations ? Mais si tel est le cas, quel but sert une telle affirmation ? »