« Cette ruée au pillage est une réponse naturelle d’innombrables consommateurs que la société de provocation incite de toutes les manières à acheter sans leur en donner les moyens. J’appelle « société de provocation » toute société d’abondance et en expansion économique qui se livre à l’exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu’elle provoque à l’assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu’elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit.
Comment peut-on s’étonner, lorsqu’un jeune Noir du ghetto, cerné de Cadillac et de magasins de luxe, bombardé à la radio et à la télévision par une publicité frénétique qui le conditionne à sentir qu’il ne peut pas se passer de ce qu’elle lui propose, depuis le dernier modèle annuel « obligatoire » sorti par la General Motors ou Westinghouse, les vêtements, les appareils de bonheur visuels et auditifs, ainsi que les cent mille autres réincarnations saisonnières de gadgets dont vous ne pouvez vous passer à moins d’être un plouc, comment s’étonner, dites-le moi, si ce jeune finit par se ruer à la première occasion sur les étalages béants derrière les vitrines brisées ? Sur un plan plus général, la débauche de prospérité de l’Amérique blanche finit par agir sur les masses sous-développées mais informées du tiers monde comme cette vitrine d’un magasin de luxe de la Cinquième Avenue sur un jeune chômeur de Harlem.
J’appelle donc « société de provocation » une société qui laisse une marge entre les richesses dont elle dispose et qu’elle exalte par le strip-tease publicitaire, par l’exhibitionnisme du train de vie, par la sommation à acheter et la psychose de la possession, et les moyens qu’elle donne aux masses intérieures ou extérieures de satisfaire non seulement les besoins artificiellement créés, mais encore et surtout les besoins les plus élémentaires.
Cette provocation est une phénomène nouveau par les proportions qu’il a prises : il équivaut à un appel au viol. »
« La véritable tragédie, c’est qu’il n’y a pas de diable pour vous acheter votre âme. »
« L’âge n’y fait rien, Nina. Le coeur ne vieillit jamais, et le vide, l’absence qui l’ont marqué, demeurent et ne font que grandir. »
« Je peux encore tout rater, disait Lila, je suis assez jeune pour ça. Quand on vieillit, on a de moins en moins de chances de tout rater parce qu’on n’a plus le temps, et on peut vivre tranquillement en se contentant de ce qu’on a raté déjà. C’est ce qu’on entend par « paix de l’esprit ». »
« « Je » est d’une prétention incroyable. Ça ne sait même pas ce qui va lui arriver dans dix minutes mais ça se prend tragiquement au sérieux, ça hamlétise, soliloque, interpelle l’éternité et a même le culot assez effrayant d’écrire les oeuvres de Shakespeare. »
« De toute façon, tout le monde ment, dès qu’il se met à parler, au lieu de faire. »
« Les hommes oublient toujours que ce qu’ils vivent n’est pas mortel. »
« Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ca vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c’est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l’aube, une étude très serrée de l’amour et vous avez sur vous de la documentation. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison des comparaisons et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu. »