Nocturne(s) en L(eonora) Mi(ano)-nor

« Un nocturne — étymologiquement, une « musique pour la nuit » — est une forme musicale classique, reposant sur un mouvement lent, une expression pathétique, divers ornements mélodiques et une partie centrale accélérée. C’est l’une des expressions typiques du romantisme musical.

Le nocturne se présente comme une pièce confidentielle de courte durée, que le compositeur irlandais John Field (1782-1837) fut l’un des premiers à cultiver à partir de 1814. Plongé dans le climat de la nuit, ambiance privilégiée par les romantiques, il est souvent de structure ABA, avec une mélodie très souple et ornementée, accompagnée par une main gauche aux arpèges ondulants. Le tempo est généralement lent, et la partie centrale souvent plus agitée.

Frédéric Chopin a fixé la forme la plus célèbre des nocturnes. Il en a écrit 21, de 1827 à 1846, dont 18 à partir de 1832. D’abord publiés par séries de trois (opus 9 et 15), ils sont par la suite groupés par paires (opus 27, 32, 37, 48, 55, 62).

Gabriel Fauré a composé 13 Nocturnes et Camille Saint-Saëns un Nocturne sur des motifs d’Hellé (opéra d’Alphonse Duvernois) (1997). »

Wikipedia


« Je me fais allumer de tous côtés parce que j’ai osé indiquer que la reine Njinga du Ndogo et Matamba avait abandonné aux Potugais l’esclave lui ayant servi de siège lors de son ambassade auprès du vice-roi du Portugal.

On m’invite à prendre des cours de linguistique subsaharienne pour vérifier que la notion d’esclavage n’existe pas dans les langues de cette région du monde. Il faudrait en conclure que, quels que soient les traitements infligés aux personnes, quelle que soit la perception des victimes elles-mêmes, l’esclavage serait étranger au corpus un peu flou qui, dans la bouche d’un grand nombre, porte le nom de « culture africaine ». Au singulier.

Tout cela n’a qu’un objectif, et il est aussi clair que navrant: enfermer les Européens (et les Arabes quand on en a l’audace) dans une ontologie criminelle à laquelle les Subsahariens, créatures rendues divines par la mélanine, auraient échappé.

Oui, certaines langues subsahariennes n’emploient qu’un seul et même mot pour dire « esclave » ou « serviteur ». Cependant, d’autres utilisent bien des vocables distincts.

Au-delà de toute rhétorique, au-delà des questions de sémantique et de traduction, la chose devrait se définir selon les traitements infligés aux personnes.

Lorsque l’on peut vous acheter et vous vendre, vous déposséder de votre nom et de votre langue initiale (ce fut notamment le cas sur la côte du Cameroun), faire de vous une bête de somme, ne pas rétribuer votre travail, vous violer à toute heure du jour ou de la nuit, vous infliger toutes sortes de sévices, etc., vous êtes un esclave. Que l’on ait l’hypocrisie de dire « serviteur » est une plaisanterie de mauvais goût.

Lorsque vous êtes prétendument intégré à la communauté qui vous a acquis mais que, de génération en génération, un lieu précis est destiné à votre habitat afin que vous ne soyez pas confondu avec les autres et connaissiez toujours votre place, vous êtes un esclave.

Lorsque votre talent vous permet de vous enrichir – d’abord pour le compte de votre possesseur – mais pas de régner, vous restez un esclave aux yeux du groupe, et quels que soient vos mérites.

Lorsque l’on peut, quel que soit votre niveau d’études, l’importance de votre fortune, votre générosité à l’égard de la communauté, vous rappeler que vos grands-parents avaient été achetés, vous demeurez un esclave dans le regard des vôtres.

Nous pouvons en débattre à l’envi, les faits sont là. Et, pour être honnête, je m’intéresse peu à ce problème d’image (que vont penser les autres) qui empêche de dire la vérité et, surtout, de se tenir du côté de ceux qui, encore aujourd’hui, se battent pour être traités comme des êtres humains.

Je vous propose cette vidéo de manifestants Soninkés à Paris l’année dernière. Allez leur dire qu’ils comprennent mal leur langue et sont en réalité des serviteurs ou des serfs…

Ils ne sont pas les seuls à subir et à dénoncer ces pratiques anciennes. Simplement, ils ont le courage de le dire au grand jour. Ils ont tout mon soutien. Et le vôtre?

Si l’esclavage coutumier n’est pas comparable à l’esclavage colonial – massif, quasiment industrialisé et surtout racialisé -, il demeure un esclavage. Et beaucoup de nos sociétés connaissent cela à l’heure où nous parlons.

Il est incompréhensible que l’on ne pense se défendre que par le mensonge, qu’il semble impossible de condamner toutes les formes d’esclavage, tout simplement parce que l’on voudrait faire endosser à d’autres toutes les ombres de l’humanité.

Je crois à une seule espèce humaine, affligée en tout lieu par les mêmes travers, souvent pour les mêmes raisons.

L’humanité, c’est aussi le crime et l’abjection. Les sociétés de notre continent, si elles sont bien les premières, ont nécessairement créé les premières civilisations. Et ces civilisations des origines ont forcément vu la commission des premiers crimes. Parce que nous sommes des humains. »

Leonora Miano

« Profitons de votre repos vigilant pendant ces grandes vacances 2020 (pandémie en cours, récession en vue) pour vous soumettre ceci :

Il y a quelques années, alors que je visitais pour la énième fois le Château des ducs de Bretagne (Nantes), j’eus le privilège d’avoir pour guide le directeur de ce musée. Nous visitions les salles consacrées à la Déportation transatlantique et à l’esclavage colonial. Comme précisé, ce n’était pas la première fois que j’y venais. Le contenu du musée ne m’était donc pas inconnu. Je savais que, parmi d’autres documents exposés, on trouvait des fiches liées à l’achat de personnel servile, que celles-ci portaient la mention du nom des acheteurs. Ne m’étant jamais souciée de nommer ces individus (qu’auras-je pu leur faire ?), je n’avais pas pris la peine de décortiquer ces listes. Ce jour-là non plus, je ne le ferais pas.

Cependant, on ne me laisserait pas m’en tirer à si bon compte. Comme nous nous trouvions face à l’un de ces documents, mon guide tint à me faire lire le nom de l’un des acheteurs. Pas la liste entière, ce nom seul, et ce n’était pas sans raison. En proie à une sorte d’excitation élégamment contenue et néanmoins perceptible, mon guide posa le doigt sur le nom en question. Il fit cela à la vitesse de l’éclair, à la manière d’un Lucky Luke tirant plus vite que son ombre et faisant mouche à tous les coups. De qui pouvait-il s’agir ? Je ne vous fais pas mariner plus longtemps. Sur cette liste, avant et après d’autres identités, on pouvait lire celle-ci : Chevalier de Saint-George.

Je restai impassible, et vous recommande d’en faire autant en pareil cas, quelle que soit l’intensité de votre émotion. En effet, si vous êtes Subsaharien ou Afrodescendant, ce n’est pas pour compatir avec les victimes de l’esclavage colonial que votre guide voudra porter à votre connaissance l’achat d’un esclave, un jour, par le Chevalier de Saint-George. Non pas seulement évoquer cela, mais vous en apporter la preuve. Ce fut le clou de cette visite qui s’acheva comme elle avait commencé, dans un badinage tout à fait bon enfant entre personnes s’intéressant à ces défaites de l’humanité que furent les déportations transocéaniques et l’esclavage colonial.

Face à une découverte comme celle que je fis ce jour-là, il est inutile de se laisser envahir par des sentiments négatifs. Et, surtout, il n’y a pas de honte à éprouver. Il convient de réfléchir. S’agissant du Chevalier de Saint-George – dont on parle plus de nos jours pour ses talents de compositeur et d’escrimeur que pour évoquer les détails de son parcours – rien n’atteste d’une vie d’esclavagiste. D’ailleurs, c’est en France hexagonale qu’il vécut l’essentiel du temps, dans un espace où il lui aurait été impossible d’avoir durablement un esclave à son service.

Fouler des pieds le sol de la France européenne vous affranchissait aussitôt, vous pouviez ester en justice afin de faire reconnaître vos droits, même si cela ne vous garantissait pas une vie sociale lumineuse. Saint-George, qui fut un soldat français et un révolutionnaire, prit la tête, en 1791, avec le grade de colonel, d’une troupe constituée essentiellement d’hommes de couleur, selon le vocabulaire de l’époque. La « Légion franche de cavalerie des Américains et du Midy », plus connue sous le nom de « Légion Saint-George », comptait un millier d’hommes. L’un de ses chefs d’escadron marquerait lui aussi l’histoire de son pays. Son nom : Alexandre Dumas, futur général et père du grand écrivain.

Au vu de son parcours, le cas de Saint-George est assez simple à résoudre. S’il avait souhaité intégrer à son régiment ou avoir auprès de lui une personne ayant eu le statut d’esclave, il lui aurait fallu l’acheter afin de l’affranchir. On ne sait ce qu’il fit, mais le contexte permet d’envisager ainsi les choses. Et de clore le débat.

Les choses sont moins simples dans un autre cas, lequel concerne aussi une figure historique de renom. De temps en temps, lors de discussions enflammées sur le passé esclavagiste de la France, on entend rappeler que Toussaint Louverture eut une douzaine d’esclaves. Et c’est vrai. Ils étaient treize, pour être précise, tous membres d’une même famille, et Jean-Jacques Dessalines fut l’un d’eux (voir les références au bas de ce texte reposant).

Ceux qui connaissent son histoire savent que celui qui deviendrait Toussaint Louverture fut affranchi et exploita une plantation de caféiers. C’est en prenant la direction de ce domaine acquis auprès de son gendre et de sa fille, qu’il hérite en quelque sorte du personnel servile s’y trouvant. Certes, ce n’est pas lui qui arpente le marché aux esclaves, fait monter les enchères, et s’approprie la vie de ces personnes. Cependant, il s’engage à payer l’impôt relatif à ces possessions humaines du domaine et à veiller à leur éventuel marronnage, à faire en sorte qu’ils soient maintenus dans leur condition.

Ce cas est moins facile à résoudre que celui de Saint-George. Comment comprendre qu’un homme ayant connu l’esclavage et devant devenir un des héros de la libération de son peuple, n’ait pas pris la décision d’affranchir des gens qui seraient sans doute restés à son service puisqu’il leur fallait travailler ? Pourquoi ne pas les libérer puis les rémunérer ? Si même l’un d’eux ou tous avaient voulu le quitter, pourquoi ne pas employer des travailleurs libres ? Mystère que je livre à votre sagacité vacancière…

Les faits sont connus et seront assénés sans ménagement. Il faudra désormais répondre à ces questions, ne pas botter en touche, dire pour quelles raisons il serait possible d’absoudre Toussaint de cela, lui, et pas d’autres. S’il ne lui est pas reproché d’avoir maintenu des humains dans la servitude, on ne peut le reprocher non plus à sa fille ni à son gendre. S’il est acceptable que des gens de couleur libres aient eu des esclaves, pourquoi cela ne le serait-il pas… Vous m’avez comprise.

Illustration : monument Toussaint Louverture de Little Haiti (Miami)

Un peu de lecture :

Dessalines esclave de Toussaint ?

Jacques de Cauna

Outre-Mers. Revue d’histoire Année 2012 374-375 pp. 319-322

TOUSSAINT LOUVERTURE, L’AFFRANCHI AUX 13 ESCLAVES

PAR OLIVIER COQUARD dans Historia

daté de février 2020

Toussaint L’Ouverture Before 1791: Free Planter and Slave-holder

Stewart King

Journal of Haitian Studies

Vol. 3/4 (1997-1998), pp. 66-71

Published by: Center for Black Studies Research »

Leonora Miano

« En juin 1910, deux massacres de populations civiles désarmées eurent lieu à quelques jours de distance, dans les régions des Abbey et des Attié du sud-est de la Côte-d’Ivoire. Ces mêmes populations s’étaient insurgées quelques mois auparavant mais elles étaient désormais « pacifiées ». Dans ces massacres perpétrés de sang-froid, suivis d’actes de cruauté et sans qu’aucune menace ne soit portée contre les troupes coloniales, l’esprit de vengeance des officiers français et des Tirailleurs sénégalais apparaît nettement. Sur fond de justifications spécieuses, un contentieux s’ouvrira entre administrateurs civils et militaires, tandis que les archives demeureront muettes au sujet des protagonistes directs et des victimes de ces épisodes violents. Une enquête ethnographique menée sur un « terrain d’archives » et une lecture « à rebrousse-poil » de ces documents et de leurs silences permettent d’établir les faits et les discours qui accompagnent ces violences coloniales. »

« (…) la conquête de ce qui deviendra la Côte-d’Ivoire a été, de par la résistance rencontrée, l’une des plus longues et sanglantes que la colonisation française ait eu à affronter en Afrique de l’Ouest, et la production d’archives en a été conséquente. Presque aucune des régions de la future colonie n’a été acquise « pacifiquement », même si les formes d’opposition ont été différentes, échelonnées dans le temps et rarement coordonnées entre elles. Pour décrire la variété prise par ces oppositions à l’intrusion coloniale, on pourrait en effet parler de résistance, rébellion, révolte, insurrection, soulèvement, mais aussi de rejet, insoumission, insubordination, hostilité, soustraction (au travail, à l’impôt), absence de collaboration, inertie, autant de termes couramment employés par les autorités coloniales elles-mêmes. Ces résistances à la conquête ont pris des aspects actifs ou passifs, ouverts ou voilés. Des formes de collaboration, plus ou moins spontanées et convaincues, n’ont pas non plus manqué, les lignes de séparation entre des attitudes opposées pouvant traverser la même population ou la même région ; de plus, les ambiguïtés, les hésitations, les revirements et les changements de camp ont été nombreux.

Dans son ensemble, la résistance s’est poursuivie pendant plus de deux décennies, intermittente et discontinue, accompagnant l’histoire de la colonie, de sa création officielle en 1893 (et même avant) jusqu’à la Première Guerre mondiale. Pendant cet arc temporel, les troupes coloniales ont dû faire face à l’Empire de Samori Touré (1895-1898) au Nord, à la résistance des Baoulé (entre 1891 et 1911, par intermittence) et des Abouré (1894), à celle des populations Guro, Dida et Bété du Centre-Ouest (1912-1915), des Dan, Toura et Wè de l’Ouest (1913). Sans compter que les dernières opérations contre les Lobi du Nord-Est ne se sont achevées qu’en 1920-1921.

Parmi les populations « récalcitrantes » de la partie méridionale et forestière de la Côte-d’Ivoire, il faut compter aussi les Abbey, protagonistes de l’une des révoltes les mieux organisées, qui éclata en janvier 1910. Pendant trois mois, les Abbey, qui avaient entrainé dans leur mouvement les Attié voisins, avaient tenu en échec les troupes coloniales, jusqu’à la reddition au mois d’avril. La révolte, qui avait pris pour cible le chemin de fer, s’était soldée par un nombre important de victimes, la destruction de nombreux villages et des cultures, le désarmement, l’imposition d’une amende de guerre, la capture et la déportation des chefs et des « meneurs » (voir infra). En juin 1910, des « reconnaissances » étaient donc en cours, en vue d’établir les conditions de la soumission définitive. C’est alors que deux épisodes similaires et concomitants, advenus à quelques dizaines de kilomètres de distance l’un de l’autre, vinrent troubler une phase de relative accalmie. Touchant principalement deux villages, l’un attié (Diapé), l’autre abbey (Makoundié), la dure répression qui s’abattit contre des populations désarmées, comprenant vieillards, femmes et enfants, révéla un fort esprit de vengeance de la part des troupes coloniales et l’inertie coupable des autorités civiles. Ces massacres se situaient, en effet, dans le contexte de la « pacification » de la colonie, poursuivie de 1908 à 1915 sous la direction du lieutenant gouverneur Gabriel Angoulvant.

(…)

La répression particulièrement violente du village attié de Diapé par un détachement de tirailleurs commandé par le lieutenant Alessandri ne sera initialement connue par le gouverneur Angoulvant qu’à travers le témoignage de « M. Donat Lamblin, colon installé à Anyama », en juillet 1910. Angoulvant en informa promptement le gouverneur général de l’aof à Dakar, William Ponty, faisant état de plusieurs villages brûlés pour avoir donné refuge aux rebelles abbey ; de plus, « une partie de la population, femmes et enfants compris, aurait été massacrée ». Suite à cette dénonciation, où les faits apparaissaient déjà dans toute leur gravité, Angoulvant chargea l’inspecteur des affaires coloniales Charles de la Bretesche d’une enquête sur place. Celui-ci put interroger de nombreux indigènes, ainsi que des interprètes et des représentants. Tous ces témoignages concordent sur le fond, mis à part certains détails, au sujet desquels les divergences dépendent de la position respective des témoins sur la scène. Le récit qui ressort de l’enquête est accablant pour le lieutenant Alessandri et ses hommes : entre avril et juin 1910 (les dates exactes ne seront jamais précisées, les faits se déroulant sur plusieurs jours), une série de tournées de police, chacune dirigée par un officier, avait investi les villages attié de Boudépé, Agou, Andé, Diapé et Akoudzen, à la recherche des rebelles abbey ayant pu se soustraire à la capture et en particulier des trois « meneurs » de la révolte de janvier 1910. Les officiers français accusaient les villageois attié de cacher les rebelles abbey dans leurs plantations et ne croyaient pas à leurs dénégations. Les chefs et notables attié juraient, de leur côté, qu’ils n’avaient pas donné refuge aux Abbey, avec lesquels ils se disaient en mauvais termes et protestaient de leur fidélité aux autorités coloniales du poste d’Adzopé, où ils avaient toujours dénoncé les rebelles…

Cliquer sur le lien pour lire l’article dans son intégralité. »

Leonora Miano

« Quelques lignes d’un grand texte tiré de ce recueil:

Discours de l’homme rouge (extraits) :

Ainsi, nous sommes qui nous sommes dans le Mississipi. Et les reliques d’hier nous échoient. Mais la couleur du ciel a changé et la mer à l’Est a changé. O maître des Blancs, seigneur des chevaux, que requiers-tu de ceux qui partent aux arbres de la nuit ? Elevée est notre âme et sacrés sont les pâturages. Et les étoiles sont mots qui illuminent… Scrute-les, et tu liras notre histoire entière : ici nous naquîmes entre feu et eau, et sous peu nous renaîtrons dans les nuages au bord du littoral azuré. Ne meurtris pas davantage l’herbe, elle possède une âme qui défend en nous l’âme de la terre. O seigneur des chevaux, dresse ta monture qu’elle dise à l’âme de la nature son regret de ce que tu fis à nos arbres. Arbre mon frère. Ils t’ont fait souffrir tout comme moi. Ne demande pas miséricorde pour le bûcheron de ma mère et de la tienne.

Le maître blanc ne comprendra pas les mots anciens, là, dans les âmes en liberté entre le ciel et les arbres. Il est du droit de Colomb de trouver les Indes dans n’importe quelle mer. De son droit de nommer nos fantômes, piment ou Indiens. Et il peut briser la boussole de la mer, qu’elle se redresse. Et il peut infirmer le vent du nord. Mais il ne pense pas que les humains sont semblables, tels le vent et l’eau, à l’extérieur du royaume des cartes. Qu’ils naissent tout comme l’on naît à Barcelone, mais en toutes choses adorent le dieu de la nature et n’adorent pas l’or. Et Colomb le libre quête une langue qu’il n’a pas trouvée ici, et il quête l’or dans le crâne de nos pères bienveillants. Et Colomb a obtenu autant qu’il lui plaisait de vivants et de morts. Pourquoi de sa tombe éternise-t-il l’extermination ?

Traduit par Elias Sanbar.

Lisez-le. »

Leonora Miano

« Les lignes qui suivent sont tirées du livre d’un Camerounais ayant eu le désir de partager ses souvenirs de l’époque coloniale. Ce n’est pas un texte littéraire, mais il fourmille de scènes frappantes pour l’esprit de tout lecteur. En voici quelques-unes :

« Les Blancs disposaient des négresses comme ils l’entendaient, certains poussèrent même les actes jusqu’à mettre fin brutalement à la vie de leurs partenaires. Tel fut le cas d’un transporteur grec nommé Pallogakis qui abattit froidement sa maîtresse, la dénommée Thérèse Biloa, à coups de pistolet, et mit son corps dans un sac de toile de jute qu’il alla jeter dans les chutes de la Sanaga. Motif : sa maîtresse s’était servi un morceau de fromage sans son autorisation. Pour le mettre à l’abri d’un acte de vendetta, il fut prié simplement de quitter le territoire pour sa Grèce natale, jouissant ainsi d’une impunité judiciaire totale.

Les rejetons issus de ces unions de fortune ne furent pas reconnus pas leurs pères, mais furent pris en charge par l’Etat qui créa un pensionnat baptisé « La cité des Métis » où se trouve l’actuelle EMIAC (Ecole Militaire Inter-Armes du Cameroun). Cette cité abrita une pensionnaire qui fut plus tard, à l’indépendance, la première Dame camerounaise, Germaine Ahidjo.

(…)

Les terrains des autochtones étaient spoliés sous le prétexte de terrains vacants sans maîtres et attribués aux Européens sans aucune contrepartie. Les exploitants forestiers, agricoles et miniers, avaient droit à une main-d’œuvre gratuite, le code du travail n’existant pas à l’époque, les horaires étaient fixés en fonction, soit des récoltes, soit des saisons pluvieuses ou sèches. Les seuls jours officiellement chômés étaient le 14 juillet et le 11 novembre. Ces exploitants disposaient de leurs sujets comme ils l’entendaient, jouissaient à leur égard du droit de vie ou de mort.

C’est souvent que Chamaulte, un riche exploitant des plantations d’hévéa de Dizangué, localité située à 20 km d’Edéa, se livrait avec plaisir, lors des surprises-parties qu’il avait coutume d’organiser, à la joie de ligoter un nègre pris au hasard parmi ses manœuvres. Une coupe de champagne à la main, il demandait à ses convives s’ils avaient déjà vu un nègre mourir de noyade, ceux-ci répondaient par la négative. Avec un cynisme non dissimulé, Chamaulte ordonnait sur ce, qu’on jetât le malheureux dans le lac Ossa qui bordait sa somptueuse résidence. De grands éclats de rire suivaient cette scène macabre.

Paul Vesas était un mécanicien français dont le garage était installé face à l’actuelle voirie municipale de Yaoundé. Sa cruauté barbare n’avait d’égale que la froideur consommée avec laquelle il asséna un violent coup de marteau sur la tête de son aide mécano Bindzi, qui avait commis la faute d’arrêter son travail 10 minutes pour aller se soulager dans un buisson avoisinant le garage. Accroupi, sa salopette rabattue au niveau des genoux, Bindzi n’eut pas le temps de réaliser que Vesas était à l’affût, quand il sentit une décharge de plus de 25kg sur sa tête et rendit son âme à Dieu.

Perny, un exploitant forestier français, promoteur de la scierie S.A.B. (Société Africaine des Bois) installée face à la SOPECAM sur la route de l’aéroport, se débarrassa de son encombrant propriétaire terrien, le dénommé Bita, qu’il avait spolié d’hectares sans aucune contrepartie, en le descendant froidement à l’aide de chevrotine, alors que celui-ci se trouvait perché sur un palmier de plus de 10 mètres de haut, en train de cueillir du vin de palme. L’opposition contre l’établissement d’un titre de reconnaissance officielle de ce terrain fut ainsi levée.

Tous ces crimes crapuleux jouissaient de la bienveillante indifférence de la justice française. Par contre, Perny et Vesas furent décorés le 14 juillet de la même année par le Haut-Commissaire de la République française au Cameroun. »

Théodore Ateba Yene, Cameroun, Mémoire d’un colonisé, L’Harmattan (Paris), 1988, pp 53-55. »

Leonora Miano

« Reine et guerrière, Aqualtune est l’un des principaux noms de la résistance afro-brésilienne contre l’esclavage et le racisme.

L’histoire d’Aqualtune est unique dans la mémoire afro-brésilienne. Sa vie a commencé sur le continent africain, au Congo, au XVIe siècle. Elle était une princesse, fille du Mani-Kongo, et jouissait d’un grand respect.

Aqualtune est déportée au Brésil après avoir vu son père et son royaume vaincus lors de la bataille d’Ambuíla, contre les forces angolaises et portugaises pour le contrôle du territoire de Dembos, qui séparait l’Angola et le Congo.

Les historiens affirment que durant ces affrontements, Aqualtune prit la tête d’un groupe de 10 000 personnes lors d’une invasion de son royaume. Cependant, la résistance ne put arrêter les forces angolaises et portugaises.

À la fin de la guerre, son père fut décapité et elle, capturée par les Portugais. Aqualtune et ses compatriotes furent vendus à des esclavagistes brésiliens. Pour la mater, on en fit une esclave reproductrice et Aqualtune fut violée à plusieurs reprises.

Cependant, sa force ne fut pas annihilée. Lorsqu’elle eut vent de la résistance noire au Brésil, qui se déroulait dans les quilombos, Aqualtune ne perdit pas de temps. Avec d’autres esclaves, elle se battit, reprit sa liberté et quitta la ferme où elle avait été esclavisée.

Au Brésil comme jadis dans son pays natal, la renommée d’Aqualtune parmi la population noire fut vite importante. Son passé et sa royauté étaient assez importants pour qu’à Palmarès, elle prenne rapidement une position de leader. Aqualtune dirigea donc le plus grand et le plus célèbre quilombo de l’histoire brésilienne.

Au fil des ans, elle est devenue mère. Son fils et héritier fut Ganga Zumba. Et Zumbi dos Palmares, le célèbre héros afro-brésilien, était son petit-fils.

La date de sa mort et la fin de sa vie sont incertaines. Certaines chroniques indiquent qu’elle perdit la vie au cours d’une attaque visant à détruire par le feu le Quilombo dos Palmares, D’autres affirment qu’elle se serait enfuie et aurait vécu ses derniers jours en paix au sein d’une autre communauté.

Peu mentionnée dans les programmes scolaires du brésiliens, Aqualtune fut une figure importante de la résistance afro-brésilienne à l’époque coloniale. Elle incarne le leadership et la résistance au système esclavagiste.

Sources : https://www.almapreta.com/editorias/realidade/aqualtune-a-luz-de-palmares

A princesa escravizada no Brasil que lutou pela liberdade de seu povo

Il faudra en chercher d’autres pour compléter les recherches. On voudrait en savoir davantage. Le concours des historiens serait précieux pour nous dire plus précisément quel était, en cette fin du XVIème siècle où Aqualtune fut déportée, quel était l’agresseur voisin, allié aux Portugais, que les auteurs brésiliens nomment « Angola ». »

Leonora Miano

« Le sujet n’est pas nouveau, comme le prouve cette tribune d’Achille Mbembe datant de mars 2006.

Que faire des statues et monuments coloniaux ?

« (…) Car, même s’il est vrai qu’une distance relative par rapport au passé est absolument nécessaire pour » faire la paix avec le passé » et ouvrir le futur, le passé n’appartient jamais qu’au seul passé.

C’est l’une des raisons pour lesquelles la plupart des sociétés humaines portent un tel souci pour leur histoire et mettent tant de soin à s’en souvenir à travers des commémorations et, davantage encore, par la mise en place de maintes institutions chargées d’activer la créativité culturelle et de gérer le patrimoine national (musées, archives, bibliothèques, académies). Au demeurant, il n’existe de communauté proprement humaine que là où la relation au passé a fait l’objet d’un travail conscient et réfléchi de symbolisation. Plutôt que d’oublier tout le passé, c’est ce travail (critique) de symbolisation du passé (et donc de soi-même) que les Africains sont invités à effectuer.

Deuxièmement, les zélotes de l’amnésie se méprennent sur les multiples significations des statues et monuments coloniaux qui occupent encore les devants des places publiques africaines longtemps après la proclamation des indépendances. L’on sait que pour être durable, toute domination doit s’inscrire non seulement sur les corps de ses sujets, mais aussi laisser des marques sur l’espace qu’ils habitent et des traces indélébiles dans leur imaginaire. Elle doit envelopper l’assujetti et le maintenir dans un état plus ou moins permanent de transe, d’intoxication et de convulsion – incapable de réfléchir pour soi, en toute clarté.

C’est seulement ainsi qu’elle peut l’amener à penser, à agir et à se conduire comme s’il était irrévocablement pris dans les rets d’un insondable sortilège. La sujétion doit également être inscrite dans la routine de la vie de tous les jours et dans les structures de l’inconscient. Le potentat doit habiter le sujet de manière telle que ce dernier ne puisse désormais exercer sa faculté de voir, d’entendre, de sentir, de toucher, de bouger, de parler, de se déplacer, d’imaginer, voire ne puisse plus travailler et rêver qu’en référence au signifiant-maître qui, désormais, le surplombe et l’oblige à bégayer et à tituber.

Le potentat colonial ne dérogea guère à cette règle. À toutes les étapes de sa vie de tous les jours, le colonisé fut astreint à une série de rituels de la soumission les uns toujours plus prosaïques que les autres. Il pouvait, par exemple, lui être demandé de tressaillir, de crier et de trembler, de se prosterner en frémissant dans la poussière, d’aller de lieu en lieu, chantant, dansant et vivant sa domination comme une providentielle nécessité. La conscience négative (cette conscience de n’être rien sans son maître, de tout devoir à son maître pris, à l’occasion, pour un parent), cette conscience devait pouvoir gouverner tous les moments de sa vie et vider celle-ci de toute manifestation de la libre volonté.

L’on comprend que dans ce contexte, les statues et monuments coloniaux n’étaient pas d’abord des artefacts esthétiques destinés à l’embellissement des villes ou du cadre de vie en général. Il s’agissait, de bout en bout, de manifestations de l’arbitraire absolu. Puissances de travestissement, ils étaient l’extension sculpturale d’une forme de terreur raciale. En même temps, ils étaient l’expression spectaculaire du pouvoir de destruction et d’escamotage qui, du début jusqu’à la fin, anima le projet colonial.

Mais surtout il n’y a pas de domination sans une manière de culte des esprits – dans ce cas l’esprit-chien, l’esprit-porc, l’esprit-canaille si caractéristique de tout impérialisme, hier comme aujourd’hui. À son tour, le culte des esprits nécessite, de bout en bout, une manière d’évocation des morts, une nécromancie et une géomancie. De ce point de vue, les statues et monuments coloniaux appartiennent bel et bien à ce double univers de la nécromancie et de la géomancie. Ils constituent, à proprement parler, des emphases caricaturales de cet esprit-chien, de cet esprit-porc, de cet esprit-canaille qui anima le racisme colonial et le pouvoir du même nom comme, du reste, tout ce qui vient après : la postcolonie. Ils constituent l’ombre ou le graphe qui découpe son profil dans un espace (l’espace africain) que l’on ne se priva jamais de violer et de mépriser… »

Cliquer sur le lien pour lire la tribune dans son intégralité.

http://africultures.com/que-faire-des-statues-et-monuments-coloniaux-4354/ »

Leonora Miano

« Vous savez que je suis une emmerdeuse… Inutile de chasser le naturel, il reviendrait au galop. Je ne le chasse donc pas et me permets de soumettre ceci à votre sagacité.

Un monument érigé en l’honneur de la reine Njinga Mbandi (1581-1663) du Ndongo et Matamba, trône au coeur de Luanda, capitale de l’actuelle Angola.

Subsahariens et Afrodescendants ont quasiment divinisé cette reine, en raison de sa longue lutte contre l’invasion portugaise. Et ce combat qu’elle mena en prenant la tête de ses armées est attesté.

La gravure qui a immortalisé la première rencontre de Njinga avec le vice-roi du Portugal auprès duquel elle représentait son frère (c’était encore lui, le roi), la représente assise sur le dos d’une esclave qui lui servit de fauteuil. En effet, s’il lui avait réservé un accueil fastueux, le vice-roi du Portugal n’avait prévu pour elle qu’un coussin de velours posé sur un tapis. La princesse n’exigea pas qu’on lui portât une chaise afin de maintenir l’égalité entre les parties. Elle prit place sur le dos de son esclave agenouillée, pendant toute la durée de cet entretien au cours duquel elle apporta la preuve de son intelligence, de sa vivacité d’esprit.

Lorsque la rencontre prit fin, l’esclave resta agenouillée, attendant les ordres de sa maîtresse. Ses hôtes également, un peu surpris par la négligence dont elle semblait faire preuve, l’interrogèrent sur le sort de cette femme-fauteuil. Celle qui n’était que princesse puisqu’elle n’avait pas encore fait assassiner son frère (lui-même auteur de sévices sur sa personne), déclara qu’une personnalité de son envergure ne pouvait utiliser deux fois le même siège. Elle invita alors les envahisseurs portugais à disposer de son esclave comme bon leur semblait.

C’est ainsi que cette femme anonyme, dont l’endurance lui avait permis de maintenir son rang, fut abandonnée à des envahisseurs esclavagistes. Nul ne sait ce qu’il advint d’elle, et il est permis d’imaginer le pire. Cependant, pour beaucoup, Njinga Mbandi figure en bonne place parmi les « ancêtres féministes » des Subsahariennes.

L’histoire de cette reine, qui mourut à 80 ans, serait trop longue à dérouler ici. Elle est assez bien documentée de nos jours, vous trouverez sans mal des publications à ce sujet.

Ce qui nous intéresse, c’est le fait que les affrontements avec les Potugais n’aient pas empêché, de la part de Njinga, la livraison à ses ennemis de captifs devant être déportés aux Amériques. A plusieurs reprises, ce fut même la condition de la paix. Et lorsque les Hollandais vinrent bouter les Portugais hors du Ndongo autour de 1642, la reine Njinga collabora avec eux pendant toute la durée de leur présence, leur offrant le monopole du commerce et leur livrant des captifs en abondance pour leurs colonies du Nouveau Monde (ils en eurent aussi et furent d’impitoyables esclavagistes). Cette collaboration aussi est parfaitement attestée.

Il y aurait encore beaucoup à dire, mais arrêtons-nous là…

Certaines des questions qui se posent sont les suivantes: si nous considérons la déportation transatlantique comme un crime contre l’humanité, comment rendre hommage à la reine Njinga Mbandi qui y prit une part active? Les circonstances de l’époque suffisent-elle à la dédouaner?

Si l’on répondait par l’affirmative, quel message enverrait-on aux personnes issues de l’esclavage colonial qui réclament, dans toute l’Euramérique troublée, que les criminels ne soient plus honorés même s’ils ont, par ailleurs, accompli de « grandes choses » pour leur pays? Si l’on répondait par l’affirmative, que ferait-on alors des familles, des communautés subsahariennes d’antan, qui perdirent des êtres chers parce que Njinga les fit capturer pour les livrer aux Européens? Que ferait-on de tous ces captifs morts pendant le Passage du milieu et toujours sans sépulture symbolique sur notre continent?

En ce qui concerne l’idée de faire de Njinga un modèle pour les jeunes Subsahariennes, la verticalité du pouvoir tel qu’elle l’exerça est-elle vraiment un exemple à suivre au 21ème siècle? L’ubuntu, qui dit: « Je suis parce que nous sommes », peut-il exclure, de notre vision actuelle, le sort réservé à l’esclave anonyme de la reine Njinga?

Peut-être certains proposeront-ils que soit apposée une plaque au pied du monument dont je vous donne ci-dessous une illustration, afin que soient connues les parts d’ombre et de lumière de la reine Njinga. Peut-être pouvons-nous avoir l’honnêteté de reconnaître que tous les peuples honorent des personnages douteux, tout simplement parce qu’ils éprouvent le besoin de se voir reflétés dans des figures de pouvoir.

N’est-ce pas là, au fond, que réside le problème: dans cette histoire de pouvoir? Pourquoi cela plus que la compassion, la générosité, la recherche du bien-être collectif, etc.? La difficulté à laquelle doivent faire face les Occidentaux en ce moment, est celle d’avoir créé des sociétés au sein desquelles les mémoires ne peuvent que se heurter. Ce problème existe aussi en Afrique subsaharienne. Il y est tout simplement moins visible.

Je vous laisse me répondre. Pas la peine de m’insulter… I have more in store for you.

PS: Le culte afro-brésilien appelé Matamba, à travers lequel Njinga est encore honorée, est connu. Je sais que cela existe, et ai commencé mon propos en rappelant qu’elle avait été divinisée par les Subsahariens et les Afrodescendants (même si Ta-Nahesi Coates la critique ouvertement dans Between the World and Me). Cela s’explique tout simplement par le besoin de se référer à des figures de pouvoir parce que l’on se croit valorisé par elles. Avoir eu des rois et reines dans son histoire fut et reste important pour de nombreux Afrodescendants. D’où la divinisation d’Hailé Selassié aussi, par exemple. Je pose la question de cette référence au pouvoir, à cette forme-là de pouvoir. On me cherche querelle sans vraiment me répondre. »

Leonora Miano

« Coda (en vrac):

La tribune faisant l’objet du post précédent a été envoyée au journal il y a un petit moment, on s’en doute. Elle paru ce jour, alors que la statue de Colbert trônant devant l’Assemblée nationale a été maculée de rouge.

Les commentaires sont donc ceux que l’on pouvait attendre, mais quand même… Merci à celles et ceux qui trouvent que je mords la main qui m’a nourrie, que la colonisation eut pour effet positif de me permettre d’écrire. C’est que l’on m’a trouvé quelque talent et que l’on manquait d’arguments.

Pour le reste:

Taguer et faire gicler de la peinture sur une statue, ce n’est pas effacer l’Histoire, c’est commenter la manière dont elle est commémorée. La statue, qui ne dit pas l’Histoire mais les valeurs que l’on veut promouvoir, n’a pas été brisée, elle sera nettoyée. Colbert fut un artisan de la puissance française, mais quels étaient alors les ressorts de cette puissance? La question n’est même pas de savoir si, en son for intérieur, il était raciste. Le problème est celui du monde qui advint par l’action de personnages tels que lui.

L’esclavage colonial fut contesté par des Français dès l’époque où il commença à sévir. Il est faux de présenter cela comme participant d’un ordre du monde ayant reçu l’assentiment de tous à l’époque. En bon humaniste, il est aisé de trancher ici: c’est le point de vue de l’opprimé qui doit primer. C’est à partir de son expérience qu’il convient de réfléchir.

Ensuite, on n’en revient pas d’entendre, chaque fois que l’esclavage colonial français est évoqué, tous ces renvois à l’esclavage chez les autres. Outre le fait que les autres ne se sont pas présentés comme des humains tellement plus éclairés qu’il leur fallait se répandre à travers le monde et se l’approprier, comment se fait-il que, face à ce sujet, on se compare soudain à ces peuplades sauvages qu’il était urgent de civiliser?

Ajoutons aussi que ce ne sont pas tous ces esclavages qui façonnèrent le monde actuel, peuplant les Amériques de descendants de Subsahariens déportés. Les citoyens français issus de l’esclavage colonial n’ont pas à demander de comptes à des pays étrangers. Ils sont en conversation avec le leur, et c’est bien normal. La loi Taubira 2001 dit: crime contre l’humanité. Ces mots honorent la France autant qu’ils la contraignent. Au lieu de tous ces bavardages, il faudrait dire clairement ce que l’on souhaite faire de cette loi que les députés ont approuvée. Christiane Taubira ne les a quand même pas tous envoûtés. Ils ont débattu longuement…

Alors, on entend dire que commencer à déplacer des statues reviendrait à laisser vide l’espace public. Cela sous-entend que seuls des criminels y sont honorés. Le moment n’est-il pas venu de réviser un peu les conceptions que l’on a de la grandeur? Les peuples (pas seulement occidentaux) en ont encore une vision trop verticale, qui révère les conquérants (des massacreurs, quelle que soit leur origine), les fondateurs d’empires (tous juchés sur des amoncellements de cadavres), les rois (souvent esclavagistes).

De nos jours, la jeunesse, qui doit être au centre de ces discussions, souhaite que soit promue une autre éthique. Elle ne souhaite pas révérer des marchands de mort, sous prétexte qu’ils permirent à leur pays de s’enrichir, d’assujettir quantité de peuples. Or, dans l’espace public, c’est bien de révérence qu’il s’agit. L’Histoire, avec toutes ses nuances, continuera d’être enseignée là où elle doit l’être. Ce n’est pas dans la rue que cela se passe.

PS: On dit que Colbert n’a pas écrit le Code Noir. Si, il en fut bien le premier auteur.

Voir ci-après:

« Il existe deux versions du Code noir. La première version a été élaborée par le ministre Jean-Baptiste Colbert (1616-1683) et promulgué par Louis XIV en 1685. La seconde version fut promulguée par Louis XV en 1724.

https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/code-noir »

Leonora Miano

« Lire dans Le Monde, cette tribune (FYI, je l’ai intitulée « Sépulture des idoles ». Le journal n’a pas conservé ce titre. De façon générale, les auteurs en donnent un à leurs écrits, et cela fait partie du propos.):

« Selon l’écrivaine Léonora Miano, satisfaire la requête de citoyens « devenus français en raison d’un crime contre l’humanité », l’esclavage colonial, ne ferait pas disparaître Jean-Baptiste Colbert des livres d’histoire. »

C’est long, j’avais à dire. Morceaux choisis:

« Les statues meurent aussi. Nous le savons depuis le film de Chris Marker, Alain Resnais et Ghislain Cloquet. Diatribe anticolonialiste sur le pillage des artefacts subsahariens, Les statues meurent aussi (1953) évoque le ravage intime que constitua le fait de détourner ces œuvres de leur fonction initiale pour les inhumer dans les musées français. Le film parlait d’une profanation. Il fut interdit avant d’être présenté, onze ans après sa création, dans une version tronquée par la censure.

Que les statues meurent, la République l’avait su avant 1953. Comme souvent dans l’histoire, on s’était appliqué à soi-même les méthodes que l’on irait parfaire au loin. On avait abattu ses propres totems, vandalisé ses propres mausolées. La République naissante avait démonté nombre de statues royales en 1792, avant d’éventrer, en octobre 1793, le tombeau des monarques. Du passé, on faisait table rase. Prétendant s’enfanter soi-même, on inventait un monde par la dévastation et la puissance performative du langage. Les mois s’appelèrent messidor ou vendémiaire. Les jours d’une semaine, devenue décade car elle en comptait dix, furent nommés primidi ou tridi. On élimina jusqu’aux anciens marqueurs du quotidien.

La ville de Saint-Denis, où se trouve l’église abritant les sépultures royales, fut débaptisée pour porter, de 1793 à 1800, le nom républicain de Franciade. La République a déboulonné des statues, effacé des noms. Elle fut ce vainqueur qui saccage le souvenir de qui l’a précédé. Puis, épouvantée par son geste, elle voulut réparer.

Cependant, la basilique de Saint-Denis, où furent ramenés quelques fragments des dépouilles profanées, n’est que symboliquement la dernière demeure des rois de France. Les exhumations d’octobre 1793 figurent en tête des épisodes traumatisants de la Révolution française. Elles hantent la République, qui éleva la basilique au rang de cathédrale en 1966. Mais la mort des statues, dont certaines furent remplacées, ne fut pas toujours vécue comme un drame.

Place de la Concorde, à Paris, une statue équestre de Louis XV fut inaugurée en 1763. La place portait alors le nom de ce roi. En août 1792, la statue de Louis le Bien-Aimé fut renversée et fondue. La place Louis-XV devint place de la Révolution, et l’on y érigea une statue de la Liberté, symbole du nouveau monde. La guillotine y fut apportée, d’abord en janvier 1793 pour l’exécution de Louis XVI. Elle y fut installée en mai de la même année pour y résider jusqu’en juin 1794. Marie-Antoinette, Danton et Robespierre furent décapités place de la Révolution.

La statue de la Liberté fut retirée par le Consulat. Louis XVIII eut le projet de la remplacer par une statue de son frère, le souverain décapité. Charles X en commença les travaux, mais l’entreprise fut interrompue par la révolution de juillet 1830, qui donna à la place de la Concorde son nom actuel. Les statues disparues de Louis XV et de la Liberté ne ressuscitèrent pas. Sur la place de la Concorde, la plus ample de la capitale, s’élève un des deux obélisques offerts par le vice-roi d’Egypte. Le monument parvint à Paris en 1833, et Louis-Philippe en choisit l’emplacement, lui conférant sa neutralité politique.

Pour qui s’est un peu intéressé à l’histoire de France, à l’épigraphie des lieux, à l’évolution de la valeur monumentale – certains édifices font l’objet d’une radiation de protection –, le propos du président de la République stupéfie. « La République ne déboulonnera pas de statue », a-t-il clamé d’un ton comminatoire. Entre les syllabes de cette sommation, il fallait entendre que l’on immortaliserait, notamment, celles de Colbert. Et pour quelle raison ? Des citoyens français exigent le retrait de ces monuments. De quelle « réécriture haineuse de l’histoire » sont accusés ceux qui souhaitent que l’auteur du Code noir cesse d’être honoré dans l’espace public ?

Cela ne le fera pas disparaître des livres d’histoire, et l’on est abasourdi par la violence de cette fin de non-recevoir. Les élus du peuple ont décrété les déportations transocéaniques et l’esclavage colonial, crimes contre l’humanité. Ils n’ignoraient rien de l’imprescriptibilité, des sanctions nécessaires. Dans ce cas précis, il s’agirait d’une réparation symbolique, Colbert étant depuis longtemps retourné en poussière. De cet homme, on voudrait faire un des murs porteurs de la nation française. A quel titre ? Quelle fut son action et comment les Français vécurent-ils pendant qu’elle se déployait ?

La forme française du mercantilisme qui porta le nom de colbertisme consistait à accroître la fortune de l’Etat en soutirant aux voisins la quantité dont on s’enrichissait. Selon une étude de l’historien Cornelius Jaenen, de l’université d’Ottawa, publiée en 1964 dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, il s’agissait d’un « principe d’antagonisme qui voulait que ce que l’un gagnait, l’autre le perdit ». En un mot, s’engraisser en appauvrissant l’autre. Il n’y a là aucune noblesse, et les profits accumulés ne ruisselèrent pas sur le peuple. En ce Grand Siècle, on remplissait le Trésor royal, guère la bourse des Français. Et la richesse de l’Etat émanait surtout du domaine colonial.

(…)

Cornel West, universitaire américain, a déclaré : « Justice is what love looks like in public. » La justice est le visage public de l’amour. Il serait bon de méditer ces mots, et de s’inspirer des principes subsahariens en matière de résolution des conflits. La première règle, la plus fondamentale, est de ne pas humilier. On ne crache pas sur des personnes issues d’un crime contre l’humanité, des citoyens français nés d’une violence ineffable. On ne les muselle pas à travers une parole pyromane, laissant entendre que le dossier est clos, qu’il n’y aura pas de débat.

C’était une bonne chose de permettre l’érection aux Tuileries d’un mémorial de l’esclavage. Refuser de déplacer les statues de celui qui, dans l’espace public, incarne les sévices infligés à tant d’êtres humains annule la portée du mémorial.

On retrouve ici l’ambivalence qui caractérise la relation du pays avec ses minorités, ce racisme du double jeu auquel on s’est accoutumé, au point de ne plus le voir. La France eut une police des Noirs dans l’Hexagone : ils étaient libres en foulant son sol, mais il fallait éviter le mélange des sangs, ce métissage que l’on prétend aimer. N’est-ce pas ce procédé que l’on reconduit en donnant d’une main pour reprendre de l’autre ? Il en fut souvent ainsi.

La France se passionna pour les zoos humains au moment où le premier étudiant noir était admis à Polytechnique. La France promut aux plus hautes fonctions des ressortissants de ses colonies tant qu’ils étaient des dominés. Ils se voulurent ses égaux, pas ses vassaux, et le pays ne connut plus d’homme noir occupant un ministère. La France, refuge pour les Noirs américains, pratiquait le travail forcé dans ses colonies subsahariennes. Dans ces mêmes colonies dont les villes comprenaient des quartiers réservés aux Blancs, il y eut des églises où Blancs et Noirs ne pouvaient partager les mêmes bancs. Les lois Jim Crow de la France furent baptisées Code de l’indigénat…« 

Achetez le journal pour lire la tribune dans son intégralité.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/24/leonora-miano-ce-qui-derange-c-est-le-profil-de-ceux-qui-demandent-le-deplacement-des-statues-de-colbert_6043951_3232.html »

Leonora Miano

« Résolution du Parlement européen du 19 juin 2020 sur les manifestations contre le racisme après la mort de George Floyd (2020/2685(RSP)

« Le Parlement européen,

(…)

A. considérant que le 25 mai 2020, George Floyd, un Afro-Américain âgé de 46 ans et non armé, a été arrêté au motif qu’il aurait utilisé un faux billet et tué à Minneapolis (Minnesota) par un policier blanc qui l’a asphyxié en exerçant une pression du genou contre son cou pendant 8 minutes et 46 secondes; que George Floyd a répété à plusieurs reprises qu’il n’arrivait pas à respirer;

B. considérant que la mort de George Floyd, dernier exemple en date d’une longue liste de décès qui témoigne du recours excessif à la force par la police, a donné lieu à des manifestations et à des protestations de masse contre le racisme et la brutalité de la police dans l’ensemble des États-Unis et du monde;

C. considérant qu’à la suite de ces manifestations de masse, l’inculpation du policier, Derek Chauvin, pour homicide involontaire (third degree murder without intention to kill) a été requalifiée en violences ayant entraîné la mort et homicide volontaire sans préméditation (second degree murder and manslaughter), faits passibles d’une peine maximale combinée de 35 ans d’emprisonnement; que les trois autres policiers impliqués dans l’arrestation de George Floyd ont été licenciés et inculpés pour complicité;

D. considérant que la violence et les destructions ne permettront pas de remédier au problème persistant de discrimination et qu’elles doivent être vivement dénoncées; que les manifestants doivent exprimer leurs revendications de manière pacifique, et que la police et autres forces de sécurité doivent s’abstenir d’aggraver une situation déjà tendue par un recours excessif à la force;

E. considérant que les manifestations en réaction à la mort de George Floyd s’inscrivent dans une longue tradition de manifestations contre les violences policières et le racisme aux États-Unis; qu’aux États-Unis, les Noirs et les personnes de couleur représentent jusqu’à 40 % de la population carcérale, alors qu’ils ne forment que 13 % du total de la population; que le taux de mortalité en garde à vue aux États-Unis est six fois plus élevé pour les Noirs que pour les Blancs, et trois fois plus élevé pour les Latino-Américains que pour les Blancs, tout comme le recours excessif ou létal à la force, qui touche de manière disproportionnée les personnes de couleur;

F. considérant que des incidents violents ont eu lieu durant les manifestations, y compris à Minneapolis;

G. considérant que le président, Donald Trump, a fait déployer la garde nationale;

H. considérant que la réaction et la rhétorique utilisée par le président des États-Unis, notamment la menace de déployer l’armée américaine si les manifestations ne cessaient pas, sont venues jeter de l’huile sur le feu et n’ont servi qu’à conforter les manifestants dans leur indignation;

I. considérant qu’un journaliste de CNN, Omar Jimenez, et ses collègues ont été arrêtés alors qu’ils couvraient une manifestation à Minneapolis, pour être ensuite libérés après confirmation de leur qualité de journalistes; que de très nombreux journalistes ont été empêchés de couvrir librement les manifestations, bien qu’ils aient affiché clairement leur titre d’accréditation, et que des dizaines d’entre eux ont été attaqués par les forces de police et, pour certains, gravement blessés;

J. considérant que l’Union s’est engagée à respecter la liberté d’expression et d’information, ainsi que la liberté de réunion et d’association; que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), toutes les restrictions des droits fondamentaux et des libertés civiles doivent respecter les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité;

K. considérant que, comme le prescrit l’article 10 de la CEDH, l’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités, il peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire;

L. considérant que, conformément à l’article 4, paragraphe 2, du traité UE, l’Union européenne «respecte les fonctions essentielles [des États membres], notamment celles qui ont pour objet d’assurer leur intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale»; qu’en particulier, «la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre»;

M. considérant qu’à la suite du décès de George Floyd et des manifestations aux États-Unis, des milliers de personnes ont manifesté dans les villes européennes et du monde entier en soutien aux manifestations américaines, pour protester contre le racisme aux côtés du mouvement «Black Lives Matter»; que ce mouvement existe depuis longtemps;

N. considérant que dans certains États membres de l’Union, les manifestations ont renforcé le mouvement d’opposition au racisme ciblant les personnes noires et de couleur et sont venues rappeler le passé colonial de l’Europe et son rôle dans la traite transatlantique des esclaves; que ces injustices et ces crimes contre l’humanité devraient être reconnus au niveau européen et national, et abordés au niveau institutionnel ainsi que dans le cadre des programmes scolaires;

O. considérant que d’aucuns au sein de la communauté internationale ont fermement rejeté le recours excessif à la force, condamné toutes les formes de violence et de racisme et demandé que tous les incidents de ce type soient traités rapidement, efficacement et dans le plein respect de l’état de droit et des droits de l’homme; considérant que les dirigeants des institutions de l’Union devraient condamner publiquement et sans réserve le racisme et les brutalités policières qui ont conduit à la mort de George Floyd et d’autres personnes;

P. considérant que la démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux sont des principes fondateurs consacrés par le droit européen; que ces principes et valeurs communs devraient former le ciment de notre lutte contre les injustices, le racisme et la discrimination sous toutes leurs formes;

Q. considérant que l’égalité de traitement et la non-discrimination sont des droits fondamentaux inscrits dans les traités et dans la charte des droits fondamentaux, et devraient être pleinement respectés;

R. considérant que l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux précise que toute discrimination, telle qu’une discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, est interdite;

S. considérant que la devise de l’Union, «Unie dans la diversité», englobe non seulement la nationalité, mais aussi toutes les caractéristiques susmentionnées;

T. considérant que le racisme sévit dans le monde entier et que les attitudes racistes et xénophobes persistent partout;

U. considérant que le racisme structurel se reflète également dans les inégalités socio-économiques et la pauvreté, et que ces facteurs interagissent et se renforcent mutuellement; que ce phénomène est particulièrement visible sur le marché du travail, où la plupart des travailleurs précaires sont des personnes de couleur, mais également dans le logement et l’éducation; que les actions en faveur de l’égalité et contre le racisme structurel doivent aller de pair et être menées de manière systématique;

V. considérant que d’après la FRA, la discrimination raciale et le harcèlement raciste restent communs dans toute l’Union européenne ; que les minorités raciales et ethniques sont victimes de harcèlement, de violences et de discours de haine, en ligne et hors ligne; qu’elles rencontrent une discrimination structurelle dans l’Union dans tous les domaines, y compris le logement, l’emploi et l’éducation;

W. considérant que, d’après l’enquête de la FRA, les groupes racisés les plus touchés par le racisme et la discrimination en Europe en raison de leur origine ethnique ou parce qu’ils sont issus de l’immigration sont les Roms, les Maghrébins et les personnes originaires d’Afrique subsaharienne ; considérant que des enquêtes de la FRA font également état de niveaux élevés de discrimination et de racisme à l’égard des musulmans et des juifs ;

X. considérant que, dans toute l’Union, certaines personnalités écoutées par l’opinion et des femmes et hommes politiques adoptent des positionnements racistes et xénophobes et entretiennent ainsi un climat social propice au racisme, aux discriminations et aux délits et crimes inspirés par la haine; que ce climat est alimenté par des mouvements populistes et extrémistes qui s’efforcent de diviser nos sociétés; que ces actes vont à l’encontre des valeurs communes européennes que tous les États membres se sont engagés à défendre;

Y. considérant que le travail des forces de police et de maintien de l’ordre consiste à assurer la sécurité des personnes dans l’Union et à les protéger de la criminalité, du terrorisme et des actes ou activités illicites, ainsi qu’à appliquer la loi, parfois dans des circonstances difficiles; que les policiers risquent souvent leur vie pour protéger les autres;

Z. considérant que le racisme, la discrimination et le recours excessif ou létal à la force par la police existent également dans l’Union; que les autorités de maintien de l’ordre de plusieurs États membres ont été critiquées pour avoir recouru de façon excessive à la force; que, lorsqu’une personne est contrôlée par la police ou par d’autres agents de l’État, le recours à la force physique qui n’est pas rendu strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit stipulé à l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme ; qu’il convient de condamner fermement le recours disproportionné à la force;

AA. considérant que, selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, les personnes noires et de couleur sont soumises à un profilage racial et discriminatoire dans l’UE; qu’un quart de toutes les personnes d’ascendance africaine interrogées par l’Agence des droits fondamentaux avaient été contrôlées par la police au cours des cinq années ayant précédé l’enquête, et que 41% de ces personnes décrivaient le contrôle le plus récent comme un profilage racial ;

AB. considérant qu’une majorité (63 %) des victimes d’agressions physiques racistes par la police n’ont pas signalé l’incident, soit parce qu’elles pensaient que le faire ne changerait rien (34%), soit parce qu’elles ne faisaient pas confiance à la police ou en avaient peur (28%) ; qu’il est nécessaire d’assurer la protection des victimes de violences policières et leur accès à la justice;

AC. considérant que, selon le rapport annuel sur les crimes haineux du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE, les personnes noires et les personnes de couleur sont souvent la cible de violences racistes mais que, dans de nombreux pays, les victimes d’agressions violentes n’ont pas accès à une aide juridique ni à un soutien financier;

AD. considérant que les institutions européennes doivent prendre des mesures concrètes pour lutter contre le racisme structurel, la discrimination et la sous-représentation des groupes raciaux et ethniques minoritaires au sein de ses structures;

AE. considérant qu’il y a lieu d’intensifier la lutte contre le racisme et la discrimination dans nos sociétés et qu’il s’agit d’une responsabilité partagée; que l’Union européenne doit, d’urgence, réfléchir à la lutte contre le racisme et la discrimination structurels que connaissent de nombreux groupes minoritaire et s’engager en ce sens;

affirme que la vie des noirs compte;

condamne vivement la mort affreuse de George Floyd aux États-Unis, ainsi que les meurtres similaires ailleurs dans le monde; présente ses condoléances à sa famille et à ses amis, et à ceux des autres victimes; invite instamment les autorités à enquêter de manière approfondie sur ce dossier et sur les cas similaires et à traduire les responsables en justice;

condamne vivement toutes les forme de racisme, de haine et de violence, ainsi que toute agression physique ou verbale ciblant des personnes d’une origine raciale ou ethnique, d’une religion ou d’une conviction et d’une nationalité particulière, tant dans les sphères publique que privée; rappelle qu’il n’y a pas de place pour le racisme et la discrimination dans nos sociétés; demande que la Commission, le Conseil européen et le Conseil adoptent une position forte et résolue contre le racisme, la violence et l’injustice en Europe;

invite le gouvernement et les autorités des États-Unis à prendre des mesures décisives pour lutter contre le racisme et les inégalités structurels dans le pays, lesquels se reflètent dans la brutalité policière; condamne les interventions de la police contre des manifestants et des journalistes américains, et regrette vivement la menace du Président américain de déployer l’armée américaine;

soutient les manifestations massives récentes dans les capitales et villes du monde entier contre le racisme et la discrimination dans la foulée de la mort de George Floyd; souligne l’appel des manifestants à prendre position contre l’oppression et le racisme structurel en Europe; exprime sa solidarité, son respect et son soutien aux manifestants pacifiques, et pense que nos sociétés doivent mettre un terme au racisme et aux inégalités structurels; rappelle le droit de chaque individu à manifester pacifiquement, consacré par les traités internationaux; condamne les différents incidents violents qui ont eu lieu;

condamne le suprémacisme blanc sous toutes ses formes, y compris l’utilisation de slogans qui visent à saper ou à affaiblir le mouvement «Black Lives Matter» et a en diluer la portée;

condamne les actes de pillage, d’incendie criminel, de vandalisme et de destruction de biens publics et privées perpétrés par certains manifestants violents; dénonce les forces extrémistes et antidémocratiques qui exploitent à dessein les manifestations pacifiques pour aggraver les conflits dans l’intention de répandre les troubles et l’anarchie;

demande à tous les dirigeants et citoyens de ne pas faire marche arrière sur les valeurs, et de renforcer la promotion des droits de l’homme, de la démocratie, de l’égalité devant la loi et de médias libres et indépendants; condamne les déclarations et actions de dirigeants qui risquent de mettre à mal ces valeurs et d’élargir les divisions au sein de nos sociétés; observe que ces valeurs sont communes aux fondements de l’UE et des États-Unis, ainsi qu’à notre coopération transatlantique; souligne l’importance d’une coopération interparlementaire plus étroite au travers du Dialogue transatlantique des législateurs, afin d’échanger des points de vue et des bonnes pratiques durant leur prochaine réunion, et d’identifier des moyens légaux de lutte contre le racisme structurel et de protection des droits de l’homme;

appelle à une coopération multilatérale plus étroite pour lutter contre le racisme et la discrimination; appelle la Commission à travailler en étroite collaboration avec des acteurs internationaux tels que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), les Nations unies, l’Union africaine et le Conseil de l’Europe, ainsi qu’avec d’autres partenaires internationaux, afin de combattre le racisme au niveau international; se félicite de la demande présentée par 54 pays africains en vue de la tenue d’un débat d’urgence au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le 17 juin 2020, sur «les violations actuelles des droits de l’homme d’inspiration raciale, le racisme systémique, la brutalité policière et la violence contre les manifestations pacifiques»;

demande aux institutions, organes et agences de l’Union européenne et aux États membres de dénoncer vigoureusement et publiquement le recours disproportionné à la force et les tendances racistes dans l’application de la loi, chaque fois que cela se produit, dans l’UE, aux États-Unis et à travers le monde;

estime que la lutte contre le racisme est une question transversale et qu’il y a lieu d’en tenir compte dans tous les domaines d’action de l’Union; rappelle que tous les citoyens devraient avoir le droit d’être protégés de ces injustices, que ce soit en tant que personnes ou en tant que groupe, y compris au moyen de mesures positives pour la promotion de la jouissance pleine et égale de leurs droits;

rappelle l’adoption, le 26 mars 2019, de sa résolution sur les droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine, et demande à l’UE et aux États membres de la mettre en œuvre d’urgence;

s’inquiète profondément des cas signalés d’extrémisme de droite dans les forces de sécurité qui ont été mis en lumière ces dernières années dans l’UE ;

invite les institutions et les États membres de l’Union européenne à reconnaître officiellement les injustices du passé et les crimes contre l’humanité commis contre les personnes noires, les personnes de couleur et les Roms; déclare que l’esclavage est un crime contre l’humanité et demande que le 2 décembre soit désigné Journée européenne de commémoration de l’abolition de la traite des esclaves; encourage les États membres à inscrire l’histoire des personnes noires, des personnes de couleur et des Roms dans leurs programmes scolaires;

réaffirme le rôle crucial de l’éducation dans la mise en échec des préjugés et des stéréotypes, dans la promotion de la tolérance, de la compréhension et de la diversité, et souligne que l’éducation est un outil essentiel pour mettre fin à la discrimination et au racisme structurels dans nos sociétés;

invite les États membres à dénoncer les traditions racistes et afrophobes, telles que la pratique du grimage en noir, et à s’en abstenir;

invite les dirigeants de l’UE à organiser un sommet européen contre le racisme consacré à la lutte contre la discrimination structurelle en Europe dans un avenir proche; presse la Commission de présenter une stratégie globale contre le racisme et la discrimination et un cadre de l’UE pour des plans d’action nationaux contre le racisme assorti d’un volet spécial sur la lutte contre ces phénomènes dans les forces de l’ordre, tout en adoptant une approche intersectorielle; prie instamment le Conseil de créer une formation du Conseil consacrée à l’égalité; invite les institutions européennes à mettre en place un groupe de travail interinstitutionnel pour lutter contre le racisme et la discrimination au niveau de l’UE;

invite les États membres à promouvoir les politiques anti-discriminatoires dans tous les domaines et à élaborer des plans d’action nationaux contre le racisme qui abordent des domaines tels que l’éducation, le logement, la santé, l’emploi, la police, les services sociaux, le système judiciaire et la participation et la représentation politiques, en coopération étroite avec la société civile et les communautés concernées;

demande que toutes les politiques de lutte contre la discrimination s’inscrivent dans une démarche intersectionnelle et tiennent compte des problématiques de genre, de manière à venir à bout des discriminations plurielles;

invite instamment les États membres à accroître la diversité au sein des forces de police et à élaborer des cadres aux fins du dialogue et de la coopération entre la police et les habitants;

appelle d’urgence à la lutte contre la discrimination fondée sur tous les motifs dans l’UE et demande donc au Conseil de débloquer et conclure immédiatement les négociations concernant la directive transversale sur la lutte contre les discriminations qui est bloquée depuis que la Commission l’a proposée en 2008;

condamne tous les types d’incidents de crime de haine et de discours de haine, tant en ligne que hors ligne, qui se produisent au quotidien au sein de l’Union européenne, et rappelle que les discours racistes et xénophobes ne relèvent pas de la liberté d’expression;

insiste pour les États membres mettent en œuvre et fassent pleinement respecter la directive-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, notamment en considérant les motifs discriminatoires à l’origine d’infractions fondées sur la race ou l’origine nationale ou ethnique et en faisant en sorte que les crimes haineux de nature raciste soient enregistrés et donnent lieu à une enquête, à des poursuites et à des sanctions; demande également à la Commission d’examiner et de réviser, le cas échéant, la décision-cadre et sa mise en œuvre, et de prendre des mesures contre les États membres qui ne la mettent pas pleinement en œuvre;

rappelle aux États membres qu’il convient de mettre en place des mécanismes indépendants de traitement des plaintes à l’encontre de la police pour mener des enquêtes sur les cas de mauvaise conduite et de brutalité concernant les forces de l’ordre; souligne qu’en démocratie, la police doit être tenue responsable de ses actes devant la loi, les autorités et l’ensemble de la population dont elle est au service; estime que le principal prérequis de l’obligation de rendre des comptes est le maintien d’instruments de contrôle effectifs et efficaces;

invite la Commission et les États membres à prendre des mesures pour la collecte de nouvelles données ventilées par race et par origine ethnique (au sens de la directive européenne relative à l’égalité raciale) qui soient volontaires et anonymes; estime que si des données relatives aux discriminations ethniques et aux crimes de haine devaient être collectées, elles devraient l’être dans le seul but d’identifier les racines du racisme et des discours et actes discriminatoires et de lutter contre ce phénomène dans le respect des cadres juridiques nationaux et de la législation de l’Union européenne en matière de protection des données;

observe que la Commission présentera le premier de ses rapports annuels sur l’état de droit, avec une portée limitée; répète ses appels en faveur d’un mécanisme complet pour la démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux, qui devrait comprendre le suivi de la situation concernant le racisme et la discrimination dans tous les États membres de l’UE;

condamne le profilage racial et ethnique utilisé par la police et les services répressifs et estime que la police et les services répressifs doivent se montrer exemplaires en matière de lutte contre le racisme et la discrimination; demande à l’UE et aux États membres de mettre au point des politiques et des mesures de lutte contre la discrimination et de mettre un terme au profilage racial ou ethnique sous toutes ses formes dans le cadre de l’application du droit pénal, des mesures de lutte contre le terrorisme et du contrôle de l’immigration. souligne, en particulier, que les nouvelles technologies devant être utilisées par les services répressifs doivent être conçues et utilisées de manière à ne pas créer de risques de discrimination pour les minorités raciales et ethniques; propose une action pour renforcer la formation des membres des forces de police et des services répressifs à des stratégies de lutte contre le racisme et la discrimination et pour prévenir et identifier le profilage racial, et y réagir; demande aux États membres de ne pas laisser les cas de brutalité policière et d’abus impunis mais de mener des enquêtes, d’engager des poursuites et de les sanctionner;

condamne le recours à des interventions violentes et disproportionnées de la part des autorités de l’État; encourage les autorités compétentes à garantir une enquête transparente, impartiale, indépendante et efficace en cas de soupçon ou d’allégation de recours disproportionné à la force; rappelle que les services répressifs doivent toujours rendre compte de l’exercice de leurs fonctions et de leur conformité avec les cadres juridiques et opérationnels applicables, en particulier les principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois;

invite les États membres à veiller à ce que le recours à la force par les services répressifs soit toujours légal, proportionné et nécessaire et qu’il ait lieu en ultime recours et à ce qu’il préserve la vie et l’intégrité physique des personnes; fait observer que le recours excessif à la force contre la foule est contraire au principe de proportionnalité;

rappelle que les citoyens ont le droit de filmer les scènes de violence policière en guise de preuve et qu’ils ne devraient jamais être menacés par la police ou l’autorité compétente lorsqu’ils filment, ni être obligés de détruire les preuves, ni être privés de leurs biens pour les empêcher de témoigner;

demande à la Commission de créer un groupe d’experts indépendants chargé de l’élaboration d’un Code européen d’éthique de la police formulant un ensemble de principes et d’orientations pour les objectifs, l’efficacité, la surveillance et le contrôle de la police dans des sociétés démocratiques régies par l’état de droit, ce qui peut également aider les forces de police à appliquer correctement l’interdiction du racisme, de la discrimination et du profilage ethnique dans leur travail quotidien;

souligne qu’une presse libre est un pilier fondamental de toute démocratie; prend acte du rôle important des journalistes et des photojournalistes dans le signalement des cas de violence excessive et condamne toutes les situations dans lesquelles ils ont été délibérément pris pour cible;

invite les agences concernées de l’UE, y compris l’Agence des droits fondamentaux, l’Agence de l’Union européenne pour la formation des services répressifs (CEPOL) et l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (EUROPOL) à intensifier, dans le cadre de leurs mandats respectifs, leurs efforts de lutte contre le racisme et la discrimination;

appelle de ses vœux un engagement financier sérieux dans le prochain CFP pour lutter contre le racisme et la discrimination dans l’ensemble de l’Union; déplore que le montant proposé pour la rubrique «Justice, Droits et Valeurs» ait été considérablement réduit dans les propositions révisées de cadre financier pluriannuel de la Commission; demande à la Commission d’apporter une véritable réponse aux préoccupations concernant la marge d’action toujours plus réduite de la société civile indépendante dans certains États membres; rappelle qu’il importe d’assurer un financement suffisant au profit des activités des acteurs de la société civile qui œuvrent à la lutte contre le racisme et les discriminations;

souligne que les entités qui s’engagent dans des activités discriminatoires contre des communautés racisées, ou prennent des décisions ou mettent en œuvre des mesures à cet effet, ne devraient pas être éligibles à un financement au travers du budget de l’Union;

condamne le fait que, partout dans le monde, les forces politiques extrémistes et xénophobes détournent de plus en plus les faits historiques et les données statistiques et scientifiques et emploient une symbolique et une rhétorique qui rappellent par certains aspects la propagande totalitaire, à savoir le racisme, l’antisémitisme et la haine à l’égard des minorités;

charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au représentant spécial de l’Union pour les droits de l’homme, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au Conseil de l’Europe, à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), aux Nations unies, au président américain, Donald Trump, ainsi qu’à son administration et au Congrès américain. »

[Pour lire l’intégralité de cette résolution toute récente, cliquer sur le lien ci-après, puis sur l’icône Word ou en haut à droite de la page]

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2020-06-19_FR.html#sdocta11″

Leonora Miano

« Résolution du Parlement européen du 26 mars 2019 sur les droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine en Europe

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2019-0239_FR.html

« (…) A. considérant que le terme «personne d’ascendance africaine» recouvre les termes «Afro-européen», «Noir européen», «Afro-caribéen» ou «Noir antillais» et fait référence aux personnes d’ascendance africaine qui sont nées ou vivent en Europe ou en ont la citoyenneté;

B. considérant que les termes «afrophobie» et «racisme anti-Noirs» font référence à une forme particulière de racisme, qui comprend tout acte de violence ou de discrimination qui s’inscrit dans la continuité de violences historiques ou qui fait intervenir des stéréotypes péjoratifs et qui mène à l’exclusion et à la déshumanisation des personnes d’ascendance africaine; que cette forme de racisme est le fruit des structures historiquement répressives du colonialisme et de la traite transatlantique des esclaves, comme l’a reconnu le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe;

C. considérant que, selon les estimations disponibles, 15 millions de personnes d’ascendance africaine vivent en Europe, bien que la collecte de données relatives à l’égalité par les États membres de l’Union ne soit pas systématique, ne se fonde pas sur l’auto-identification et exclue souvent les descendants de migrants ou «migrants de troisième génération» et au-delà;

D. considérant que la FRA a rapporté que les minorités originaires d’Afrique subsaharienne en Europe sont particulièrement exposées au racisme et à la discrimination dans tous les aspects de la vie;

E. considérant que, selon la deuxième enquête de l’Union européenne sur les minorités et les discriminations conduite par la FRA, les jeunes répondants d’ascendance africaine, âgés de 16 à 24 ans, ont connu au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête des taux de harcèlement motivé par la haine plus élevés (32 %) que les répondants plus âgés et que le cyberharcèlement touche beaucoup plus les jeunes, et diminue avec l’âge;

F. considérant que les injustices à l’égard des Africains et des personnes d’ascendance africaine qui ont jalonné l’histoire, comme la réduction en esclavage, le travail forcé, la ségrégation raciale, les massacres et les génocides qui se sont produits dans le contexte du colonialisme européen et de la traite transatlantique des esclaves, sont très peu reconnues et prises en compte par les institutions des États membres;

G. considérant que la persistance de stéréotypes discriminatoires dans certaines traditions européennes, comme la pratique consistant à se noircir le visage, perpétue des idées préconçues bien ancrées au sujet des personnes d’ascendance africaine, et peut ainsi exacerber les discriminations;

H. considérant que les importants travaux menés par les organismes nationaux de promotion de l’égalité et par le réseau européen d’organismes de promotion de l’égalité (Equinet) devraient être encouragés et soutenus;

I. considérant que, selon le rapport annuel sur les crimes haineux du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE, les personnes d’ascendance africaine sont souvent la cible de violences racistes mais que, dans de nombreux pays, les victimes d’agression n’ont pas accès à une aide juridique ni à un soutien financier;

J. considérant que les États sont les premiers responsables du respect de l’état de droit et des droits fondamentaux des citoyens, et donc du suivi et de la prévention des violences, y compris des violences afrophobes, et de la poursuite de leurs auteurs;

K. considérant que, si les données relatives à la discrimination raciale dans le système éducatif sont limitées, les études disponibles portent à croire que les enfants d’ascendance africaine vivant dans les États membres ont de moins bons résultats scolaires que leurs camarades blancs et que le décrochage scolaire précoce est sensiblement plus élevé chez les enfants d’ascendance africaine;

L. considérant que les adultes et les enfants d’ascendance africaine sont de plus en plus vulnérables lorsqu’ils sont placés en garde à vue, de nombreux incidents violents et décès étant recensés; considérant le recours systématique au profilage racial, à l’interpellation et à la fouille discriminatoires et à la surveillance, dans le contexte d’abus de pouvoir perpétrés par les forces de l’ordre, de la prévention de la criminalité, des mesures de lutte contre le terrorisme et du contrôle de l’immigration;

M. considérant que, s’il existe des voies de recours contre la discrimination, il convient, pour lutter contre le racisme structurel rencontré par les personnes d’ascendance africaine, notamment en ce qui concerne l’emploi, l’enseignement, la santé, la justice pénale, la participation politique et les conséquences de la migration sur les politiques et les pratiques en matière d’asile, d’adopter des politiques fermes et adaptées;

N. considérant que les personnes d’ascendance africaine vivant en Europe sont victimes de discriminations sur le marché immobilier et se trouvent souvent cantonnées, par un effet de ségrégation spatiale, à des zones à faible revenu, dans des logements exigus et de mauvaise qualité;

O. considérant que, alors que les personnes d’ascendance africaine ont grandement contribué au développement des sociétés européennes au cours de l’histoire, nombre d’entre elles rencontrent des discriminations sur le marché du travail;

P. considérant que les personnes d’ascendance africaine sont surreprésentées dans les couches à plus faible revenu de la population européenne;

Q. considérant que les personnes d’ascendance africaine sont fortement sous-représentées dans les institutions politiques et législatives aux niveaux local, national et européen;

R. considérant que les politiciens d’ascendance africaine sont toujours la cible d’attaques abjectes dans la sphère publique, tant à l’échelle nationale qu’au niveau européen;

S. considérant que le racisme et les discriminations dont sont victimes les personnes d’ascendance africaine sont structurels et sont souvent associés à d’autres formes de discrimination et d’oppression fondées sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle;

T. considérant que les agressions afrophobes qui se sont récemment multipliées en Europe visaient directement les ressortissants de pays tiers, et en particulier les réfugiés et les migrants;

invite les États membres et les institutions européennes à reconnaître que les personnes d’ascendance africaine sont particulièrement exposées aux racisme, à la discrimination et à la xénophobie et, de manière générale, jouissent de façon inégale des droits de l’homme et des droits fondamentaux, ce qui est la définition même du racisme structurel, et qu’elles doivent bénéficier, à titre individuel et collectivement, d’une protection contre ces inégalités, y compris par des mesures positives visant à promouvoir la jouissance pleine et égale de leurs droits;

estime que la participation active et authentique des personnes d’ascendance africaine sur les plans social, économique, politique et culturel est essentielle à la lutte contre l’afrophobie et à l’intégration de ces personnes en Europe;

demande à la Commission d’élaborer un cadre de l’Union pour les stratégies nationales en faveur de l’inclusion sociale et de l’intégration des personnes d’ascendance africaine;

condamne fermement toute agression physique ou verbale à l’encontre de personnes d’ascendance africaine dans la sphère publique comme privée;

encourage les institutions européennes et les États membres à reconnaître officiellement l’histoire des personnes d’ascendance africaine en Europe, y compris les injustices passées et présentes et les crimes contre l’humanité, comme l’esclavage, la traite transatlantique des esclaves ou les actes perpétrés dans le cadre du colonialisme européen, de même que les grandes réussites et les contributions positives réalisées par ces personnes, en observant, aux niveaux européen et national, la Journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves et en consacrant un mois de l’année à l’histoire noire… »

Prenez le temps de lire ce document dans son intégralité, en cliquant sur le lien ci-dessous.

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2019-0239_FR.html »

Leonora Miano

« Un peu de calcul.

Problème:

Louis XIII autorise la Déportation transocéanique des Subsahariens en 1642 (transocéanique parce que le phénomène touchera aussi l’océan indien). L’esclavage est aboli dans les colonies françaises des Amériques et de l’océan indien en 1848, après l’avoir été en 1794 (les colons de la Réunion n’ont pas respecté cette première abolition), puis rétabli en 1802 (parce que les gens n’étaient pas prêts pour la liberté, ce n’était pas leur rendre service, on voyait bien).

Sachant que les colonies françaises d’Afrique occidentale (par exemple, sinon, ça fait trop de territoires), c’était aussi la France (on avait d’ailleurs fabriqué ces pays comme on voulait sans rien demander aux gens qui s’y trouvaient déjà et se croyaient chez eux) et que le travail forcé n’y fut aboli qu’en 1946: combien de temps l’esclavage a-t-il duré en France?

Parce que, le travail forcé, n’est-ce pas…

Juste pour compter comme il se doit. On entend trop d’analyses biaisées en ce moment.

Comparaison n’est pas raison, mais comme c’est dans l’air du temps, soulignons quand même que les États-unis d’Amérique n’étaient plus esclavagistes avant 1946. Même eux… Alors, si chacun pouvait faire son ménage tranquillement… »

Leonora Miano

« Bon. Je n’aime pas tellement ce slogan. Loin de moi la volonté de blesser quiconque, surtout parmi celles et ceux qui puisent dans ces mots de la force.

Je reconnais d’emblée mon privilège subsaharien (c’est la tendance du moment, allons-y): avoir grandi dans un environnement où la couleur ne borne pas votre horizon, où les grandeurs et misères de l’humanité ont la même complexion, où l’on peut apprendre que sa vie a de la valeur avant de savoir que d’autres l’ont/vous ont décrétée noire.

J’espère que ce slogan n’est pas transmis aux enfants. Il y a, dans certaines affirmations, un profond doute quant à ce que l’on professe. Si c’était si vrai, si ça l’était déjà pour soi, il ne serait pas utile de le clamer. Je vous assure que cela se verrait, qu’on le manifesterait. Soi-même. Toujours cette histoire de tigre qui ne clame pas sa tigritude…

Enfin, je veux bien reconnaître aussi avoir eu de très mauvaises lectures et avoir été en grande partie formée intellectuellement par ces voix. J’en cite deux, pas les moindres, et invite chacun à méditer les propos de ces femmes: Zora Neale Hurston (ci-après), Toni Morrison sur la photo.

Les plus grandes, pour longtemps encore. Pardon de les citer dans le texte, on perd un peu leur voix en la traduisant. Bonne fin de soirée.

« I am not tragically colored. There is no great sorrow dammed up in my soul, nor lurking behind my eyes. I do not mind at all. I do not belong to the sobbing school of Negrohood who hold that nature somehow has given them a lowdown dirty deal and whose feelings are all hurt about it. Even in the helter-skelter skirmish that is my life, I have seen that the world is to the strong regardless of a little pigmentation more or less. No, I do not weep at the world—I am too busy sharpening my oyster knife.« 

Zora Neale Hurston, Dust Tracks on a Road »

Leonora Miano

« « Aujourd’hui, l’écrivaine Léonora Miano, dont le dernier roman, Rouge Impératrice (Grasset, 2019), nous avait éblouis, évoque son pessimisme quant à notre avenir immédiat, et notamment celui des personnes les plus précaires. “Je suis peu encline à fantasmer quand il pleut des rochers”, nous dit-elle depuis le Togo, en Afrique de l’Ouest.« 

Dans Les Inrocks, pour les abonnés. »

Leonora Miano

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