





Emma Gobin


« Pendant un moment, on est tenté de croire, comme l’affirmait Durkheim, que « l’individualisme ne commence nulle part » [Durkheim, (1893) 1960, p. 146], et d’abonder dans le sens de Raymond Boudon, pour qui « l’individualisme n’est pas une caractéristique de la seule société occidentale, apparu au XIVe siècle ».
Choc culturel
Mais alors que faire de l’expérience vécue par un artiste irakien comme Mohammed Alani, exilé politique à Bruxelles ? Son parcours révèle la relativité du concept. Tout à coup, on penche vers l’idée que l’individualisme tel que nous l’appréhendons en Occident serait plutôt le fruit d’une évolution de la société et ne serait donc pas universel. Né en 1971, en Irak, Mohammed Alani a étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Baghdad, avant de s’installer en Belgique en 2007. Il se souvient : « Ma destinée en tant qu’artiste, si j’étais resté dans mon pays d’origine, aurait été d’apprendre les techniques classiques et ensuite, d’entrer dans l’atelier d’un maitre. J’ai eu un choc lorsque j’ai repris des études d’art à Bruxelles, car on me demandait d’apporter ma propre vision du monde. C’était nouveau pour moi. J’ai dû m’adapter. »
Cette période d’adaptation, Mohammed Alani l’a vécue aussi comme une étape dans l’appréhension de sa propre identité. Une prise de conscience de son individualité et sa mise en valeur qui le propulse assez loin du champ référentiel de son enfance, tout en en préservant les racines. Et ce processus a engendré des situations d’incompréhension jusque dans son propre foyer. « Ma femme, qui est irakienne, ne comprend pas toujours ce que je fais. Elle se souvient et s’identifie plus à mon travail plus ancien, hérité de mon apprentissage “traditionnel”, plus illustratif, voire décoratif et donc plus consensuel ». De fait, les installations et autres propositions artistiques de Mohammed Alani sont devenues, au fil des années passées dans son atelier bruxellois, souvent conceptuelles. Il a réussi, à partir de ses bases et de sa nouvelle résidence, à construire des passerelles vers un nouveau monde, le sien.
Un épanouissement exemplaire qui va de pair avec une individuation salvatrice. Il se dégage du travail de l’artiste une sobriété, une limpidité propice à la réflexion, parfois à la méditation. Comme si la distance l’avait aidé à mettre le doigt sur l’essentiel. Et l’on veut bien croire dans son cas que l’individualisme a été un contexte émancipateur. Presque une démonstration que l’individualisme peut favoriser l’ouverture vers l’universalisme. »
– Es-Saïdi, M. (2020). Art et individualisme. La Revue Nouvelle, 2(2), 41-46.



Dans cet épisode, on est très heureux de rencontrer Senamé Koffi Agbodjinou : architecte, anthropologue, penseur, designer, serial fondateur, notamment de « L’Africaine d’Architecture » qui abrite de nombreux projets dont le Woelab – un immense espace d’expérimentation technologique basé à Lomé, au Togo – dans lequel les nouvelles technologies sont mises au service de principes ancrés dans des traditions éthiques africaines. Ils se caractérisent par la prise en charge, dans un même geste, du souci d’habiter la terre, et de faire humanité en commun. C’est ce qu’il nomme la « cosmo-éthique des sociétés traditionnelles », qu’il décrypte dans les architectures vernaculaires.

Senamé Koffi nous partage ses intuitions et sa vision de ce que peut être la ville africaine, et le monde de demain. Après une critique en règle du projet libéral techno-scientifique de la smartcité, il nous permet de comprendre le potentiel qu’offrent les technologies actuelles pour renforcer les échanges et interactions hors-marché, comment on pourrait métropoliser cette forme d’économie, au lieu de la renforcer, en imposant le paradigme de la valeur tel que le conçoivent les sociétés traditionnelles : qui la placent dans l’échange, le lien, la relation et non pas dans ce qui est échangé, ni dans le témoin de la valeur.
On entrevoit ainsi une des manières dont on pourrait changer d’époque, et bâtir une civilisation basée sur les principes cosmoéthiques que le présent appelle urgemment : habiter la terre et faire monde en commun.
Ecoutons le témoignage de la sagesse des anciens qui ont su, on le répète parce que c’est un mantra « prendre en charge dans un même geste, le souci d’habiter la terre et de faire humanité en commun ».












« Le terme Critical Race Theory est attribué à K. Crenshaw. Il renvoie à des différences de priorité d’agenda intellectuel et militant avec les Critical Legal Studies (ci-après CLS), tout en ayant des similarités avec ce dernier par certains aspects. Les CRT s’inscrivent dans la filiation des CLS, courant né sur les campus étatsuniens durant la guerre du Vietnam et politiquement situé à gauche, les CLS partagent avec les CRT une forme de scepticisme à l’égard des idéologies faisant de la neutralité du droit l’un des moteurs de l’unité du corps social.
Peu de choses ont été écrites sur les Critical Race Theories dans le champ du droit au sein de l’espace francophone. Ce silence contraste avec la réception d’autres courants apparus dans la même période (Law and Economics par exemple). Les CRT figurent pourtant en bonne place dans les ouvrages contemporains de sociologie, philosophie ou théorie du droit. Elles occupent aussi une place incontournable dans les principaux manuels nord-américains du droit de la non-discrimination. »
– La question raciale chez les juristes américains
Autour des critical race theories
par Lionel Zevounou






« L’étroitesse d’esprit, le dogmatisme, l’intolérance, le fanatisme sont, à des degrés divers, des formes d’enfermement dans un schéma mental. Pour y échapper, il faut accéder à la « pluralité interprétative » : devenir capable de « manipuler » ses propres représentations et ses idées pour adopter, au moins temporairement et en imagination, d’autres points de vue que le sien. »
Fondements historiques et cognitifs de la notion de point de vue





RÉSUMÉ :
Au-delà des systèmes politiques et des idéologies, il est question de comprendre comment les élites mettent en place une batterie de techniques repérables, visant à orienter la croissance économique dans une direction qui leur permette d’asseoir leur domination et leur position de rente afin de capturer les fruits de la croissance.
CONTEXTE :
Bien que favorisant la circulation du travail et du capital, la prospérité et la satisfaction aux désirs d’autonomie de l’homme, à travers les progrès technologiques, l’allongement de la durée de vie, force est de reconnaitre que le capitalisme en tant que mode de production dominant, accentue les déséquilibres économiques, accroit la division des classes, des sociétés et des inégalités, en enracinant la domination élitiste.
IDÉES MAJEURES :
– La croissance élitiste peut-être définie comme « l’ensemble des combinaisons de comportements économiques, politiques et socioculturels qui génèrent une richesse dont la répartition renforce les inégalités et les positions de rente de l’élite dominante ».
– Les élites développent une idéologie capitaliste centrée sur l’accumulation des richesses à tout prix.
PROBLÉMATIQUE :
Quelle est l’ingénierie que les élites mobilisent, dans les sociétés contemporaines, pour asseoir leur domination et conserver leurs privilèges ?






« D’Émile Durkheim à Max Weber, Andrew Abbott revisite les théories classiques qui se sont construites en réaction au dualisme kantien des trois Critiques, pour poser les jalons de sa propre théorie du processus social. Il tente ainsi de dépasser l’opposition stricte entre le monde des faits et celui des possibilités et des valeurs : entre l’historicisme (Karl Marx) et les thèses du droit naturel et de l’économie scientifique (Alfred Marshall).
Au fil d’une réflexion ponctuée d’exemples concrets et de métaphores éclairantes, les fondements d’un nouveau « processualisme » se dessinent peu à peu. Cette approche du monde social prône l’instauration d’un dialogue dynamique entre faits et valeurs – entre passé et futur – pour saisir le flux des processus historiques qui interagissent en permanence au sein d’un présent « épais ». »


– François-Xavier Fauvelle (Collège de France)





