« The New Transnational Activism » de Sidney Tarrow publié en 2005 examine les évolutions et les transformations récente de l’activisme transnational. Comme nous l’avons souligné dans une précédente note critique, pour Tarrow depuis la bataille de Seattle en 1999 l’activisme transnational a fait du chemin. Il est désormais une donnée non-négligeable dans les politiques mondiales et dans l’espace interne national. Il n’est plus question seulement de groupes épars relativement désorganisés et isolés[1], mais de véritables réseaux d’influence mobilisés pour l’atteinte d’objectifs (souvent politiques) déterminés tels que l’illustrent selon l’auteur les diasporas mondialisés, le mouvement mondial pour la justice, les coalitions d’activistes locaux associés aux groupes de défense internationaux, les alliances transnationales, les réseaux mondiaux des droits humains, etc.
Dès lors, Tarrow propose dans son ouvrage une analyse du nouveau visage de l’activisme transnational articulée autour des questions suivantes : comment et en quoi les nouvelles pratiques, expériences, stratégies de l’activisme transnational transforment les acteurs domestiques, leur agir (moyens et formes de revendication ainsi que d’intervention) ? Questionnement soutenu et complété par deux interrogations sous-jacentes : est-ce que cette évolution de l’activisme transnational reste dans le jeu des politiques internes ou au contraire crée une nouvelle arène politique dans laquelle les conflits internes et internationaux s’entremêlent ? Et dans la dernière situation, comment ce développement affecte-t-il l’internationalisation et la traditionnelle division entre les politiques internes et internationales ? Nous allons nous concentrer sur les processus « robustes » liant les niveaux domestique et international du militantisme transnational.
Tarrow dès son propos liminaire est clair : “In today’s world, we can no more draw a sharp line between domestic and international politics than we can understand national politics in the United States apart from its local roots.” (p.2)
Autrement dit, saisir la dynamique des politiques mondiales c’est de nos jours considérer que la séparation stricte entre le local et le global n’est plus pertinente, qu’elle est datée ou obsolète, et cette réalité contemporaine de rencontre et de fusion du local et du global constitue le cadre ainsi que le champ d’action du militantisme transnational. En effet, pour Tarrow l’activisme transnational subit une double contrainte : celle des structures et des réseaux domestiques, et celle de la prise en compte de la relation entre l’État et les politiques internationales (la structure et les réseaux internationaux).
Cette situation place l’activiste transnational dans une position processuelle d’aller-retour quasi permanent entre le national et l’international. Les conséquences sont nombreuses : l’élaboration de nouvelles formes d’action (collective), la construction de nouveaux cadres de lecture et de définition d’enjeux domestiques (favorisant une clarté et une lisibilité de tels enjeux), la nécessité quelques fois de fusionner le contentieux domestique et international (permettant de penser les stratégies d’action les plus efficaces et les moyens d’action les plus efficients), etc. D’où l’intérêt de comprendre et de saisir les processus liant les activistes locaux au système international.
Selon Tarrow, il existe trois (3) ordres de processus liant les activistes locaux au système international : deux (2) de nature purement locale (le cadre global et l’internalisation du contentieux), deux (2) transitionnels (diffusion, modularité et changement d’échelle du contentieux), et deux (2) processus de nature globale (externalisation et formation de coalition internationale). Nous n’analyserons pas chacun des processus et des sous-processus, nous en retenons un que nous critiquons.
Processus de type local : cadre global et internalisation du contentieux
D’après Tarrow, le cadre global devrait être compris comme l’utilisation de symboles externes (au mouvement local) afin d’orienter les revendications locales ou nationales. C’est pour lui le plus domestique des processus politiques de l’activisme transnational. Il permet aux activistes de se connecter symboliquement à d’autres activistes avec qui ils ne sont pas liés et aux causes qui peuvent être éloignées de leurs propres enjeux. C’est aussi un moyen d’insuffler une énergie au mouvement local, de galvaniser les militants, de leur donner une raison d’être fiers de leur engagement.
En d’autres mots, le cadre global permet de briser l’isolement d’une mobilisation locale en faisant appel à des figures extérieures significatives fortes et en inscrivant les enjeux locaux dans un espace plus grand ainsi qu’une perspective beaucoup plus universelle. De nos jours, pour Tarrow, les mobilisations locales ont tendance à connecter avec des symboles globaux, ce qui a pour effet (domestique) de construire des équivalences structurelles et de générer une pensée globale de l’action militante.
Afin de comprendre la signification de « global » dans cadre global, Tarrow propose de s’attarder un instant sur le mot « cadre ». Selon l’auteur, le concept de cadre dans l’étude des contentieux politiques est d’importance car il permet de comprendre les schémas d’interprétation présents dans toutes les sociétés – comment de tels schémas organisent l’expérience et guide l’action. Ainsi maitriser le cadre d’une société donnée, c’est éventuellement savoir comment construire un mouvement (militant), attirer des supporters, « signaler ses intentions » – pour dire communiquer ses revendications, et obtenir l’attention médiatique.
Ainsi, le cadre de l’action collective est la mise en forme du mouvement qui devrait connectée avec le « sens commun » des publics cibles (tenir compte des existants culturels dans le but de produire un nouveau sens à même de résonner et d’être compris dans ces existants culturels).
A partir de cette compréhension, le « global » du cadre global sous-entend une internationalisation des enjeux locaux (cela exige une communication capable d’augmenter la connaissance des objectifs poursuivis et de faciliter l’accès à l’information pertinente; mais aussi une convergence entre des flux politiques existants partageant relativement les mêmes idéologies, valeurs, pratiques, cibles). De façon générale, le cadre global décrit seulement la diffusion d’un message domestique en des termes globaux tout en ignorant la part d’interférences, de conflits, qu’il peut créer entre les récepteurs et leurs opposants.
Tarrow est ainsi conscient que le cadre global n’implique pas une réussite de la mobilisation (si l’on adopte une évaluation performative), et reconnaît que les variations constatées dans l’attente des objectifs fixés des différents mouvements sociaux d’activistes transnationaux se comprend par l’hétérogénéité des contextes nationaux. C’est-à-dire que les activistes transnationaux doivent avant tout négocier avec les puissantes structures domestiques, la culture politique de leurs propres pays, sans parler de la disponibilité des ressources et des opportunités (existence ou absence d’alliés domestiques, la capacité à s’engager dans une pensée ou une réflexion globale et de faire une interprétation globale de leurs revendications locales, etc.).
Sur ce point, nous croyons que Tarrow identifie avec justesse et pragmatisme les « obstacles résilients » que doivent affronter les activistes transnationaux. De tels obstacles montrent les limites de la théorisation des stratégies de mobilisation transnationale.
En même temps, ils ne sont pas nouveaux et nous semblent être inhérents à un activisme transnational embrigadé dans un monde encore stato-centré. Or, nous savons et d’autres penseurs tels que Gilles Bertrand, Hardt et Negri pour ne citer qu’eux l’ont montré le monde est de moins en moins un stato-centrisme et évolue vers une pluricentralité où les sphères d’autorité se multiplient.
Dans ce contexte contemporain, de perte progressive de souveraineté étatique, de contrôle étatique, il nous semble que les stratégies de mobilisation sont encore théorisées et analysées d’après une grille de lecture relativement dépassée. Surtout si l’on considère l’augmentation du « net activisme »[2][3] qui ne sont pas uniquement du slacktivisme, des opportunités qu’offrent le technologisme (de connexion et de réseautage, d’influence et de contre-pouvoir[4][5][6][7]) et les nouvelles formes d’information et de communication (l’émergence de nouvelles façons d’informer et de communiquer des idées par exemple dans un monde de plus en plus de l’affect), de l’identité postmoderne sans véritable identité – dans le sens d’une presque impossibilité de le définir clairement ou avec netteté qui tout en étant dans un processus de re tribalisation (voir la constitution de tribus[8] dans les univers dématérialisés des Internets comme prédit par Marshall McLuhan[9][10]) reste tout de même sensible – dans le sens de disponible aux enjeux sociaux politiques environnementaux (nous pensons ici à l’ampleur pris récemment des mouvements MeToo, Black Lives Matter, entre autres exemples).
Nous avons été témoins de la résonnance de la photo d’un ours famélique diffusée sur les réseaux sociaux illustrant (supposément) les effets directs et concrets du réchauffement climatique, de la consternation et de la mobilisation transnationales qu’elle a entraînée[11].
Notre propos est de dire que la mobilisation militante (transnationale) n’a pas nécessairement besoin en 2018 de battre le pavé pour être efficace (d’atteindre ses objectifs), qu’il n’est pas toujours besoin d’avoir des alliés domestiques pour parvenir à modifier la donne politique interne (d’ailleurs il est de plus en plus courant comme le montre les deux mouvements susmentionnés que les alliés s’arriment au train après qu’il ait déjà quitté la gare – réaction et action de suiveurs, certains parleraient d’opportunistes), qu’il est de plus en plus clair que la révolution est invisible – que l’on ne la voit pas prendre d’assaut la rue, mais qu’elle se déroule dans une espèce de virtualité ayant un potentiel de transformation du réel, l’attention que portent les acteurs politiques et autres décideurs nationaux ou internationaux à ce phénomène dématérialisé témoigne de sa réalité (mesure de surveillance, de contrôle, mise en place de task force, réactivité des acteurs étatiques et non-étatiques, etc. – Tarrow y fait allusion dans son chapitre 11 « Transnational activism and internationalization »). Peut-être est-ce seulement un ressenti, une intuition; peut-être faudrait-il s’y pencher par une recherche scientifique afin de valider ou d’invalider cette hypothèse.
Quant au processus d’internalisation du contentieux, Tarrow explique qu’il est le processus d’implantation des pressions internationales dans la sphère domestique, c’est une migration de l’externe à l’interne, potentiellement conflictuelle. C’est aussi le fait pour des activistes transnationaux d’utiliser un contentieux politique contre une entité internationale (un État ou des acteurs non-étatiques internationaux) dans la sphère domestique. Ce processus d’internalisation est étroitement lié à l’internationalisme, comme il est le cas de la contestation de l’autorité des institutions européennes (autorités supranationales) sur le plan national ou à partir du plan national.
Une situation triangulaire entre les personnes ordinaires (citoyens), les gouvernements (locaux) et les institutions internationales (autorités supranationales), dans laquelle Tarrow identifie quatre (4) mécanismes : la pression externe (pour adopter des politiques d’institutions internationales), l’implantation (adoption de telles politiques par les gouvernements), la protestation (des groupes de citoyens se mobilisent contre les politiques adoptées – objet de la mobilisation, mais qui visent en réalité les gouvernements les ayant adoptées – cible de la mobilisation), la répression (l’action répressive des gouvernements locaux contre de tels groupes mobilisés ou la concession des gouvernements). Ce qu’il faudrait retenir c’est que l’internalisation est localisée à un espace national et implique des acteurs domestiques, tandis que la transnationalisation consiste à impliquer dans l’enjeu présenté d’autres acteurs domestiques situés dans d’autres espaces nationaux.
Notre opinion est que Tarrow à la fois holiste (en voulant expliquer la totalité du processus d’internalisation et en le présentant presque comme un tout indivisible) et confus (si la réflexion est riche d’analyses empiriques, l’on a quelques fois de la difficulté à le suivre – le procédé est semblable aux poupées russes, une réalité abordée et découverte ouvre vers d’autres réalités avec de nombreuses singularités qui ne permettent pas aisément d’avoir une vision nette). Nous savons que la protestation internalisée contre les pressions externes est une tendance processuelle robuste parce que lorsqu’elle est bien organisée peut être très effective, efficace, et qu’elle témoigne de la résistance politique de plus en plus renforcée par ce qui serait juste de qualifier d’ « intrusions des institutions internationales » dans la sphère domestique.
De manière générale, l’ouvrage de Tarrow est une anatomie de ce nouvel activisme transnational émergent dans les années 2000 (nouvelles mobilisations, nouvelles formes d’organisation, etc.). L’auteur parvient à présenter les facettes essentielles du phénomène sans pécher par un excès d’intellectualisme, son observation et son interprétation sont à cet effet enracinées dans le réel tout en conservant une dimension théorique accessible et universalisable. L’apport principal de son travail est dans le fait de démontrer que la fusion des plans domestique et international est une possibilité (Tarrow répond à cette question par « maybe » et « in part »), et que l’on peut l’envisager sous trois (3) canaux principaux : une rupture dans la résilience des structures domestiques, les changements dans les répertoires du contentieux domestique, et la connexion croissante entre le contentieux domestique et le conflit international.
En ce sens, le caractère non-péremptoire du propos de Tarrow exprimé tout le long de l’ouvrage par une rhétorique nuancée, l’insistance sur les irrégularités ou les dissonances du phénomène, donne une impression d’honnêteté. Tarrow ne se prend pas pour Dieu omniscient. Il ne joue non plus à Dieu. Ce qui change de certains auteurs. Au final, lorsqu’il s’agit de se demander à quoi va ressembler l’avenir de ce nouveau activisme transnational, Tarrow demeurant cohérent avec lui-même ne prend pas beaucoup de risque : l’activisme transnational aura des impacts plus visibles sur le plan domestique, il sera épisodique et contradictoire, il s’appuiera sur les régimes et traités internationaux ou gravitera toujours autour des institutions internationales et des États, de temps en temps s’organisera en coalitions global-nationales, et restera une mobilisation par vagues – momentanée et cyclique – inscrite dans la sphère domestique.
Plus d’une décennie plus tard, nous constatons modestement que l’activisme transnational est glocal[12] (dans un monde tout aussi glocal[13][14], produit de la postmodernité[15], dans lequel la rationalité (instrumentale et axiologique)[16] tend à perdre du terrain face à l’affect[17] ou possiblement face à une rationalité des paradoxes, des contradictions, de l’immédiat pulsionnel aussi éphémère qu’évanescent, de l’existant ressenti affirmé sans qu’il ne soit le résultat d’une solide construction intellectuelle et mouvant – ce qui tend à rendre plus difficile la prévisibilité de l’action individuelle par exemple, sans parler de sa compréhension), maintient une pression quasi constante[18] sur les acteurs étatiques et non-étatiques internationaux même si elle n’est pas toujours visible[19] ou observable dans la réalité[20] (constitution de réseaux transnationaux relativement souterrains avec des actions militantes relativement anonymes sans être peu efficaces[21][22] – pour dire l’activisme transnational aujourd’hui n’est plus seulement une foule d’individus amassés devant les murs barbelés protégeant les dirigeants du G7 ou du forum de Davos[23]), que ses impacts ne peuvent pas être circonscrits à des changements socio-politiques (majeurs) et domestiques (ils sont aussi de l’ordre de la re signification des enjeux, de bouleversement des priorités sur la scène internationale ou de l’émergence de nouveaux sujets de débats internationaux, des influences sur un plan atomiste – individuel tant sur la lecture du monde – de l’extériorité – que sur sa propre tentative de définition du soi, etc.)
En défense de Tarrow, il est peut-être plus facile de l’observer que de le démontrer dans un cadre méthodologique clair et acceptable.
Entre construction de soi et engagement (pluriel) en passant par une redéfinition de cet engagement même[24](rejet de la notion traditionnelle d’engagement), la mutation de l’activiste transnational (l’ « alter-activiste »[25]) est sans doute mieux saisie par Geoffrey Pleyers qui cinq années après Tarrow publie un ouvrage (« Alter-globalization: Becoming Actors in the Global Age ») sur les mouvements sociaux contemporains (de Bangalore en Inde à Porto Alegre au Brésil).
Le propos de Pleyers est que l’activiste altermondialiste ne poursuit pas simplement un but de changements socio-politiques et économiques, mais qu’il s’inscrit dans une dynamique eudémonique (de profondes transformations glocales garantissant le bien-être de chaque citoyen du monde). Il s’agit d’en arriver à un monde alternatif dans lequel diversité, dignité, équité, égalité, justice globale, etc., sont des réalités effectives. Ainsi, l’activiste altermondialiste peint par Pleyers est imprégné d’une « conscience globale » avec son propre « sens de sa globalité », essayant de « globaliser sa lutte et de globaliser l’espoir » et convaincu de l’importance de construire des alternatives à la mondialisation néolibérale.
L’auteur tout le long de son ouvrage propose une photographie du monde contemporain – celui d’une crise mondiale aux multiples dimensions – renforcée selon lui par l’érosion de la réalité-vérité néolibérale mise à mal par les successives crises financières, l’écart de plus en plus abyssal entre les nantis (les 1%) et les peuples d’en bas (ou de l’abîme)[26], la précarisation du travailleur des classes moyennes, l’établissement d’une norme de moins en moins implicite du travailleur jetable et paupérisé, les atteintes à l’environnement au nom du capital, etc., auquel l’on assiste depuis les années 2000. Dans ce cliché, il dresse un portrait net et sans ambiguïtés de l’activisme transnational altermondialiste.
Cet activisme est avant tout une entité qui négocie avec ses propres contradictions : la voie de la raison et celle de la subjectivité. La première fait appel aux idées et à l’expertise (à la connaissance et au savoir) afin de déconstruire l’argumentaire néolibéral (faire la démonstration qu’il est à la fois socialement injuste et irrationnel), de délégitimer sa toute-puissance. Et qui dit lutte d’idées, dit groupes de personnes détenant une certaine assise intellectuelle et pouvant constituer une forme d’élite. Dit aussi, une certaine exclusion dans l’élaboration d’un tel argumentaire.
Or, pour un mouvement se voulant souvent anti etablishment, transparent, ouvert, égalitariste dans le sens le plus horizontal du terme, cela pose quelques problèmes de crédibilité – voire de légitimité. C’est là une contradiction majeure de l’activisme altermondialiste dans lequel le besoin d’information fiable (de vulgariser cette information) afin de mieux répondre au défi intellectuel néolibéral et contribuer à une participation en toute conscience (éclairée) des citoyens crée paradoxalement un mouvement compartimenté aux espaces quelques fois clos. La seconde voie (la subjectivité) quant à elle est :
« est un appel à la liberté des individus à choisir leur existence, contre les logiques de pouvoir, la production et la consommation de masse. Il s’agit de créer des espaces dans lesquels chaque individu et chaque collectivité peuvent se construire eux-mêmes comme des sujets dans leurs vies quotidiennes. Selon les activistes de la voie de la subjectivité, en transformant ses loisirs, ses consommations ou son mode de transport, chacun peut devenir un acteur dans sa propre vie et, à la fois, un agent de changement du monde. Cette catégorie est ainsi enracinée dans l’expérience. La subjectivité et la créativité sont au cœur de cette voie et non des chiffres abstraits ou de l’expertise. Les zapatistas, les piqueteros, les membres des centres socio-culturels et les jeunes activistes partagent ainsi la centralité de l’expérience vécue, un concept de changement social basé sur la transformation subjective et culturelle, la valorisation de la diversité et la mise en œuvre d’alternatives concrètes dans les relations sociales.
L’auteur identifie aussi les limites de la voie de la subjectivité. Ainsi, la défense des communautés contre la logique du marché peut amener à un retrait vers le localisme, le communautarisme et les identités fermées. L’affirmation de subjectivité par l’expérience peut dériver vers un simple appel à l’hédonisme, déconnectée de toute volonté de changement social. L’individualisation de la participation et de l’engagement peuvent ôter la continuité et l’unité du mouvement, le dissipant dans l’activisme sporadique. » – Clara Carbunar, Ivan de Lépinay, Angela Erazo, Hira Kaynar et Tala Talaee, « Pleyers Geoffrey, Alter-Globalization », Recherches sociologiques et anthropologiques, 42-1 | 2011, http://journals.openedition.org/rsa/692
Ces deux réalités coexistant dans l’activisme altermondialiste explique selon Pleyers « les tensions structurelles [observées à l’intérieur du] mouvement », la diversité des acteurs et leurs spécificités. L’intention de Pleyers dans son ouvrage est d’apporter des éclaircissements sur cette dualité dont les éléments constitutifs ont chacun leur logique d’action, leur propre culture politique, un « ensemble d’orientations normatives, de pratiques et des manières d’organiser le mouvement ». Le grand intérêt de l’ouvrage de Pleyers est de décrire le mouvement altermondialiste dans toute sa complexité et évoluant dans un monde post stato-centriste. Là où Tarrow se contente d’après notre constatation d’examiner l’environnement contemporain de l’activisme transnational et de souligner les mécanismes/processus favorables à l’atteinte des objectifs, laissant un certain vide sur la nature véritable des mouvements d’opposition au système international convaincu de néolibéralisme (Tarrow ne procède pas véritablement à un découpage de l’activisme transnational, mettant la diversité des mobilisations dans le même panier, et discutant des processus indifféremment de l’identité des acteurs transnationaux), Pleyers lui tente de combler cette absence.
Pour ce dernier, en observant seulement l’activisme altermondialiste transnational, les processus divergent (dépendamment du degré de dichotomisation ou de division entre les activistes altermondialistes – ceux privilégiant davantage le local au détriment du global, et inversement) en même temps qu’ils peuvent converger. Autrement dit, tout est question de rencontre ou de communautarisation des diverses expériences (de l’atteinte d’un certain équilibre entre les deux voies) produisant de nouvelles façons de « construire le changement social à l’âge du global ».
La convergence, qui n’est pas une fusion voyant la dissolution des deux voies (de nature irréductible) en une seule réalité ou bien encore une absorption d’une voie par une autre, est une « cross-fertilization » ou une fertilisation mutuelle. Ainsi, Pleyers considère que les deux voies convergentes permettent en les préservant (dans leur singularité) d’en arriver à une « approche multi-dimensionnelle bâtissant une société globale » dans laquelle « simultanément » « la transformation de soi, les communautés locales, l’activisme citoyen, les politiques nationales et les institutions internationales » tiendraient un « rôle clé ». Les acteurs cosmopolites enracinés ayant une fonction prépondérante dans cette convergence (comme ils l’ont toujours eu depuis la naissance du mouvement altermondialiste).
Si nous sommes d’accord avec le diagnostic général fait par Pleyers sur le visage protéiforme de l’activisme altermondialiste transnational, si nous convenons avec lui que le système international stato-centré est un cadavre dont personne n’ose (peut-être avec raison) prononcer l’oraison funèbre, si nous croyons à sa suite que les mouvements socio-politiques n’ont pas été tués par le marché déifié et le triomphalisme néolibéral, mais surtout que comme Hardt et Negri dans « Empire » nous assistons à la fin d’un cycle offrant à la fois un avenir incertain et construisant des opportunités, et si enfin nous apprécions particulièrement son style plus pédagogue (vulgarisateur) qu’universitaire (inutilement pompeux et élitiste) tout en conservant l’exigence scientifique, il n’en demeure pas moins que nous pensons que Pleyers a fait de son ouvrage un discours de militant.
Peut-être est-ce voulu et assumé comme tel. Peut-on lui reprocher d’avancer sans masque contrairement à ses confrères et consœurs prétextant la fausse neutralité scientifique et défendant promouvant tout de même leurs convictions politiques, philosophiques, citoyennes? Surtout lorsque l’on sait que l’intellectuel est avant tout le produit de son environnement. Et que l’on n’attend pas nécessaire du chercheur de la neutralité, mais un minimum de subjectivité objective (une méthodologie satisfaisante, une présentation équilibrée des faits, une argumentation rationnelle) falsifiable. Ce que respecte Pleyers.
[1] Siméant Johanna, « 6. La transnationalisation de l’action collective », dans Éric Agrikoliansky et al., Penser les
mouvements sociaux La Découverte « Recherches », 2010 p. 121-144.
[2] Maffesoli, Michel. « « Net-activisme » : du mythe traditionnel à la cyberculture postmoderne », Sociétés, vol. 124, no. 2, 2014, pp. 7-19.
[3] Douzet, Frédérick. « La géopolitique pour comprendre le cyberespace », Hérodote, vol. no 152-153, no. 1, 2014, pp. 3-21.
[4] van Cuyck, Alain. « Manuel Castells, Communication et pouvoir. Trad. de l’anglais par M. Rigaud-Drayton, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, coll. 54, 2013 [2009], 668 pages », Questions de communication, vol. 27, no. 1, 2015, pp. 364-367.
[5] Hanieh Ziaei, « L’espace vituel iranien : résistance et mobilisation », Tumultes, 2012/1 (n° 38-39), p. 201-212.
[6] Hanaa Harfoush. Mondialisation et nouvelles techniques de communication : approche sociologique et théorique à partir du cas de la jeunesse Syrienne. Sociologie. Université Grenoble Alpes, 2016. <NNT : 2016GREAH024>. <tel-01596705>
[7] Les 50 Nuances de Dave, « Démocratie 2.0 : Réalités. Mythes. Euphorie. », https://50nuancesdedave.wordpress.com/2016/04/24/democratie-2-0-realites-mythes-euphorie/
[8] « L’homme postmoderne : l’ère des tribus », http://www.scolaconsult.fr/lhomme-postmoderne-lere-des-tribus/
[9] « McLuhan and the Notion of Retribalization », https://mediapsychology101.com/2014/08/02/mcluhan-and-the-notion-of-retribalization/
[10] Oumar Kane, « Marshall McLuhan et la théorie médiatique : genèse, pertinence et limites d’une contribution contestée », tic&société, vol. 10, N° 1 | 1er semestre 2016, http://journals.openedition.org/ticetsociete/2043
[11] « Un ours polaire famélique devient le triste symbole du réchauffement climatique », https://www.lci.fr/international/video-environnement-animaux-un-ours-polaire-famelique-devient-le-symbole-du-rechauffement-climatique-2072909.html
[12] Swyngedouw E. (1997), « Neither global nor Local : “Glocalization” and the Politics of Scale », in K. Cox (éd.), Spaces of Globalization : reasserting the power of the local, New York, Guilford Press, p. 137-166.
[13] Mattelart, Armand. « V. La circularité global/local », Diversité culturelle et mondialisation. La Découverte, 2009, pp. 63-81.
[14] Swyngedouw, Erik, et Maria Kaika. « La production de modernités urbaines « glocales » : explorant les failles dans le miroir », Géographie, économie, société, vol. vol. 7, no. 2, 2005, pp. 155-176.
[15] Boutinet, Jean-Pierre. « L’individu-sujet dans la société postmoderne, quel rapport à l’événement ? », Pensée plurielle, vol. no 13, no. 3, 2006, pp. 37-47.
[16] Fournier, Marcel. « Bourdieu, la raison et la rationalité », Cités, vol. 51, no. 3, 2012, pp. 115-128.
[17] Decrop, Alain. « Les paradoxes du consommateur postmoderne », Reflets et perspectives de la vie économique, vol. tome xlvii, no. 2, 2008, pp. 85-93.
[18] « Maffesoli envisage la vie quotidienne comme source de créativité, comme la résistance à n’importe quel projet totalitaire de domination sociale. Le quotidien, agissant à travers des interstices que laisse le pouvoir, exprime un désir de vie difficilement répressible. » – Angel Enrique Carretero Pasín, « La quotidienneté comme objet : Henri Lefebvre et Michel Maffesoli. Deux lectures opposées », Sociétés 2002/4 (no 78), p. 5-16.
[19] « Pourtant, pour Ariel Kyrou, les outils numériques donnent réellement la possibilité d’agir sur le monde et d’ouvrir des zones de liberté, une capacité qui permettant potentiellement d’avoir plus de maîtrise sur notre devenir. Ainsi « ce deuxième monde » se développe-t-il en rythme, comme l’écho inversé des lois de plus en plus liberticides de « l’ancien monde », lui-même résultant d’un mélange de plusieurs mondes. Un nouveau monde qui grandit sans cesse à l’échelle internationale, volontiers chaotique, contradictoire, conflictuel, ouvrant des brèches et des failles et précipitant le changement. » – Gilles Boenisch, « Ariel Kyrou, Révolutions du Net. Ces anonymes qui changent le monde », Questions de communication, 26 | 2014, 428-431.
[20] Labry, Manon. « Riot Grrrls américaines et réseaux féministes « underground » français », Multitudes, vol. 42, no. 3, 2010, pp. 60-66.
[21] « Un genre politique mauvais genre : formel et informel, idiot et secoué, élitiste et esthétique mais aussi imaginatif, énergique, irrécupérable, résolument contestataire et même, oh surprise, qui pourrait faire envie… Sur la trame ancienne du carnaval se sont récemment tissées des modalités d’actions à la frontière de l’acte artistique. Performances politiques ou politiques performatives, puisque convaincues qu’il faut qu’une mobilisation soit ludique, belle, joyeuse et juste pour créer un monde heureux ? Les laboratoires de création insurrectionnelle invitent à échanger d’urgence les idées et les méthodes de subversion. » – Lindgaard, Jade. « Artivisme », Vacarme, vol. 31, no. 2, 2005, pp. 30-33.
[22] Holmes, Brian. « La géopolitique do-it-yourself, ou la carte du monde à l’envers », Multitudes, vol. 31, no. 4, 2007, pp. 31-41.
[23] Josset, Raphaël. « « Become The Media! » : de l’hacktivisme au web 2.0 », Sociétés, vol. 124, no. 2, 2014, pp. 55-64.
[24] Pleyers, G. (2004). « Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’engagement des jeunes altermondialistes. » Lien social et Politiques, (51), 123–134.
[25] « L’alteractivisme place la relation à soi, l’expérience vécue et la cohérence entre les pratiques et les valeurs du mouvement au cœur de la conception de l’engagement et du changement social. L’engagement fait la part belle à la subjectivité, à la créativité, à la transformation de soi, à l’expérience et à l’expérimentation. La démocratie y est conçue comme une revendication adressée aux dirigeants politiques mais aussi et surtout une exigence personnelle, une valeur qui doit s’incarner dans ses pratiques et dans sa manière de se relier aux autres. Dans un contexte où les jeunes sont particulièrement affectés par la crise économique et la répartition toujours plus inégale des richesses, les dimensions culturelles et socio-économiques sont profondément mêlées dans la plupart de ces mouvements, qui demandent plus de démocratie, de justice sociale et de dignité. Ces jeunes activistes se distinguent également par leur capacité à s’inscrire dans des enjeux globaux tout en restant prioritairement ancrés dans l’espace local, par un usage créatif d’Internet et des réseaux sociaux et par des organisations en réseaux, qui permettent de collaborer tout en préservant l’autonomie de chacun. On ne peut saisir le sens et la portée de ces engagements et de ces expérimentations démocratiques en se focalisant sur les cadres nationaux, le vote et la participation des jeunes à la politique institutionnelle. C’est aussi (et surtout) ailleurs que cela se passe. » – Pleyers, Geoffrey, et Brieg Capitaine. « Introduction. Alteractivisme : comprendre l’engagement des jeunes », Agora débats/jeunesses, vol. 73, no. 2, 2016, pp. 49-59.
[26] Jack London, Le peuple d’en bas (Le peuple de l’abîme), Éditions Phébus, coll. Libretto, 1999, 254 pages.